| INCOMMUNICABLE, adj. A. − [En parlant d'un bien matériel ou moral] Qui ne peut être communiqué, transmis. Des honneurs, des droits incommunicables (Ac. 1798-1935). Il y faut le don inné, inaliénable et incommunicable, ce don de Charles Demailly si simplement et profondément défini par MM. de Goncourt (Lemaitre, Contemp.,1885, p. 173): 1. Tous les théologiens admettent que le Christ ne pouvait communiquer à personne la puissance d'autorité qu'il possède, comme Dieu, sur les sacrements : cette puissance d'autorité est une prérogative divine, incommunicable aux simples créatures.
Théol. cath.t. 14, 11939, p. 564. − En partic. 1. [En parlant d'un phénomène de la vie individuelle, d'un objet de connaissance, d'un état affectif] Qui ne peut être transmis par un mode d'expression déterminé ou par n'importe quel mode d'expression; qui n'est pas accessible à la pleine compréhension d'autrui en raison de son caractère particulier et foncièrement individuel. Connaissance, idée, pensée, sensation incommunicable; angoisses, joies incommunicables. Mais le plus essentiel et le plus original dans nos conceptions les plus étendues et les plus profondes est incommunicable par la parole, et ce que je ressentais ne pouvait être exprimé précisément que par la liturgie (Barrès, Cahiers, t. 6, 1908, p. 227).Pour que des millions d'individus se comprennent, il faut que les mots expriment des idées simples, générales, abstraites, et que les rapports établis entre les idées portent le même caractère : tout cela se fait aux dépens de l'expressivité, car le sentiment est synthétique et singulier, donc incommunicable (Bally, Lang. et vie,1952, p. 79): 2. Tu vas partir, me dit-il, sans emporter ce que tu étais venu chercher près de moi : la formule; ou tout au moins les fruits de mon expérience. Mais il n'y a pas de formule, et mon expérience est incommunicable. Ou plutôt, oui, il y a des formules, mais c'est la marchandise la plus inutile et la plus frivole qu'on trouve au marché.
Larbaud, Barnabooth,1913, p. 324. ♦ Emploi subst. masc. avec valeur de neutre. Certains enfants ont une conscience très nette de l'incommunicable (...). Le désert de l'Amour! Je suis né avec la connaissance de ce désert, résigné d'avance à n'en pas sortir (Mauriac, Du côté de chez Proust,1947, p. 27). 2. P. méton. [En parlant d'une pers.] Qui ne peut communiquer ses pensées, ses idées, ses sentiments; qui est fermé à la communication avec autrui. Si chacun d'entre nous est incommunicable en proportion de sa richesse affective, il ne peut tourner cet obstacle que par la ruse d'une évocation (Huyghe, Dialog. avec visible,1955, p. 29). B. − [En parlant de deux choses] Qui ne peuvent communiquer, ne peuvent être mises en communication ou en rapport. Univers, règnes incommunicables. Paris est une collection de villes autonomes et incommunicables dont chacune conserve jalousement ses traditions et ses familles (Estaunié, Ascension M. Baslèvre,1919, p. 1): 3. En résumé, quand nous parlons d'œuvres de l'esprit, nous entendons, ou bien le terme d'une certaine activité, ou bien l'origine d'une certaine autre activité et cela fait deux ordres de modifications incommunicables dont chacun nous demande une accommodation spéciale incompatible avec l'autre.
Valéry, Variété V,1944, p. 308. Prononc. et Orth. : [ε
̃kɔmynikabl̥]. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. 1. a) 1470 « intransmissible » (Le Livre de la discipline d'amour divine, fo170a, éd. 1537 ds R. Ét. rab. t. 9, p. 309 : Dieu [...] est bonté et vertu essentiale divinement, incommunicable à aultre nature substantialement); b) 1756 en parlant de Dieu (Voltaire, Essay sur l'hist. gén., t. 4, p. 253 : en le regardant [Dieu] comme un être unique, incommunicable, qui n'avait un fils que par adoption) 2. a) 1588 « inexprimable, que l'on ne peut confier ou faire savoir à quelqu'un » (Montaigne, Essais, III, V, éd. A. Thibaudet, p. 973); 1911 subst. « caractère incommunicable d'une chose, ce qui est incommunicable » (Tharaud, Maîtr. serv., p. 201); b) 1863 « qui ne peut ou ne veut communiquer, se confier à autrui (d'une personne) » (Baudelaire, Le peintre de la vie moderne. La femme ds
Œuvres complètes, éd. Y. G. Le Dantec, p. 1181 : [la femme] cet être terrible et incommunicable); 3. 1690 « qui ne peut être mis en communication » (Fur. : La Mer Rouge est incommunicable avec la Mediterranée). Empr. au b. lat. et lat. chrét.incommunicabilis, aux sens 1 a et b. Cf. communicable. Fréq. abs. littér. : 119. DÉR. Incommunicabilité, subst. fém.a) Caractère de ce qui ne peut être communiqué. L'incommunicabilité d'un droit (Lar. 19e-Lar. Lang. fr.). Le sens de l'incommunicabilité de cet état et l'intuition qu'en cherchant à le traduire au dehors on en perd l'originalité (Du Bos, Journal,1923, p. 216).b) Impossibilité de communiquer, de faire pleinement comprendre à autrui ses idées ou ses sentiments. L'incommunicabilité des êtres, des âmes. La solitude dans laquelle chacun de nous vit et meurt, ce lieu commun de toutes les littératures, a un aspect moins connu mais non moins tragique : l'incommunicabilité entre les familles d'esprits. J'imagine Marx lisant l'Apologia, ou Newman lisant Le Capital, et chacun soupirant et s'étonnant de ce qu'un homme puisse être à ce degré aveugle ou absurde (Mauriac, Mém. intér.,1959, p. 141).− [ε
̃kɔmynikabilite]. − 1reattest. 1802 « impossibilité de communiquer » (Nouv. dict. fr.-all. et all.-fr., éd. S. Flick); de incommunicable, suff. -ité*. BBG. − Ritter (E.). Les Quatre dict. fr. B. de l'Inst. nat. genevois. 1905, t. 36, p. 442. |