| HÉROÏQUE, adj. I. [Correspond à héros I] A. − MYTHOLOGIE 1. Qui se rapporte aux héros de l'Antiquité. Légendes héroïques. Mais c'est dans Godefroi qu'il faut admirer le chef-d'œuvre du caractère héroïque. Si Énée veut échapper à la séduction d'une femme, il tient les yeux baissés (Chateaubr., Génie, t. 1, 1803, p. 365).Homère, Hésiode et même Archiloque, Pindare, Eschyle, Sophocle furent l'objet d'un culte héroïque (Lavedan1964, p. 520). − En partic. [En parlant d'une période, d'un lieu] Où ont vécu les héros. Âges, siècles héroïques. De la Grèce héroïque et naissante et sauvage Dans Homère à nos yeux vit la parfaite image (Chénier, Invention,1794, p. 15).Ces Thésée, ces Pirithoüs, ces Romulus qui ont marqué le passage des âges barbares à l'âge héroïque auquel ils ont présidé (Nodier, J. Sbogar,1818, p. 168) : 1. Je vous dis que j'ai sous les yeux une ville de l'Odyssée [Antibes]. Côte d'Asie ou côte d'Europe, elles se ressemblaient sur les deux rivages; et il n'en est point, sur l'autre bord de la Méditerranée qui éveille en moi, comme celle-ci, le souvenir des temps héroïques.
Maupass., Contes et nouv., t. 1, MmeParisse, 1886, p. 730. − Loc. Remonter aux temps héroïques (fam.). Être extrêmement ancien. (Ds Rob., Lar. Lang. fr., Lexis 1975). − LITTÉRATURE a) [En parlant d'une œuvre, d'une catégorie d'œuvres] Qui relève de l'épopée. (Dict. xixeet xxes.). Synon. épique.Poème héroïque (Ac.). Les modernes, placés dans un état de société plus avancé, ont excellé dans le genre héroïque, et Bossuet et Corneille, entre autres, offrent de ces traits de grandeur sublime que les anciens n'ont pas égalés (Bonald, Législ. primit., t. 2, 1802, p. 210). b) [En parlant de la forme d'une œuvre] Qui est propre à l'épopée. Il [le rythme] n'est presque toujours que la forme de l'épopée, mais sans le mouvement héroïque (Alain, Beaux-arts,1920, p. 92) : 2. D'abord il [Ronsard] tenait l'alexandrin pour le mètre héroïque, et il s'en serait volontiers servi pour son épopée. Obligé par Charles IX, ce pauvre roi qui avait l'étoffe d'un bon poète (...) d'écrire la Franciade en décasyllabes, il reconnaît à l'usage que ce décasyllabe (...) est en français le vrai mètre héroïque (ce que la Chanson de Roland nous aide aujourd'hui à comprendre).
Thibaudet, Réflex. litt.,1936, p. 24. ♦ PROSODIE. Vers héroïque. Vers de la poésie épique qui correspond à l'hexamètre dans la littérature gréco-latine et à l'alexandrin, ou plus rarement au décasyllabe, dans la littérature française. Du poème épique. − Les deux choses impossibles à présent sont : dans l'ensemble des poèmes humains, un merveilleux qui se puisse admettre. − Dans le détail de la forme, le vers héroïque (Vigny, Journal poète,1838, p. 1095).Le Carmen apologeticum, écrit en 259, est un recueil d'instructions, tortillées en acrostiches, dans des hexamètres populaires, césurés selon le mode du vers héroïque (Huysmans, À rebours,1884, p. 45). 2. Qui se rapporte aux héros légendaires : 3. ... ils [les peuples bretons] ont en effet toute une littérature traditionnelle dans leurs légendes, leurs contes, leurs imaginations mythologiques, leurs cultes superstitieux, leurs poèmes flottants çà et là. Il en était de même de la plupart de nos légendes héroïques, avant que, répudiées par la partie cultivée de la nation, elles fussent allées s'encanailler dans la Bibliothèque bleue.
Renan, Avenir sc.,1890, p. 199. B. − P. ext. Époque, temps héroïque(s) (de qqc.). Débuts mémorables ou perçus comme tels (d'une technique, d'un art, d'une discipline). Les temps héroïques du cinéma. C'était le temps héroïque du roman naturaliste, le temps où beaucoup croyaient (et quelques-uns le croient encore) que la peinture exclusive et farouche des hideurs de la réalité est le dernier mot de l'art (Lemaitre, Contemp.,1885, p. 313).À l'époque héroïque du symbolisme mallarméen on avait été tout près de fonder une religion (Du Bos, Journal,1922, p. 107) : 4. Elle vit grandir Port-Ferry, bâtir un quai, monter les assises des premières maisons de briques, (...) elle se rappelait encore les temps héroïques, gardait le souvenir des jours noirs où la fièvre avait couché tant d'hommes qui ne s'étaient pas relevés.
Mille, Barnavaux,1908, p. 5. II. − [Correspond à héros II et héroïsme] A. − 1. [En parlant d'une ou de plusieurs pers.] Qui se comporte en héros, en héroïne. Une femme héroïque (Ac. 1835-1935). Cet héroïque régiment colonial du Maroc qui s'est illustré à Dixmude au mois de décembre 1914 (Bordeaux, Fort de Vaux,1916, p. 295) : 5. Croit-on que ceux qui luttaient à si grand désavantage, pour faire rendre justice au Juif condamné comme traître, laisseront pourrir au fond du bagne l'homme héroïque qui a offert sa vie en sacrifice pour laver son pays d'une tache d'iniquité? Non.
Clemenceau, Vers réparation,1899, p. 437. ♦ Emploi subst. Ce sont les héroïques, les affamés de la vertu, les assoiffés de la justice (Psichari, Voy. centur.,1914, p. 188). − P. ext. [Correspond à héroïsme B] Qui porte une qualité à son plus haut degré. Seule Jeanne, héroïque de jeunesse et de force noble, entendait la cloche de Domremy (Barrès, Cahiers, t. 2, 1901, p. 245). 2. [En parlant du comportement moral ou physique d'une pers.] Qui relève de l'héroïsme. Acte, bravoure héroïque. Une pâleur de cire marquait seule sa lutte héroïque contre la douleur (Estaunié, Empreinte,1896, p. 287).Sa mort héroïque, survenue le 28 mai 1918, à la tête de la 151edivision d'infanterie, a privé la France d'un de ses futurs grands chefs (Joffre, Mém., t. 2, 1931, p. 171) : 6. ... on ne saurait accuser d'inhumanité celui-là même [Bonaparte] qui, peu de temps auparavant, immortalisa ces mêmes hôpitaux de Jaffa par l'acte le plus sublime, le plus héroïque, en se dévouant à toucher solennellement les pestiférés, pour tromper et vaincre les imaginations malades...
Las Cases, Mémor. Ste-Hélène, t. 1, 1823, p. 125. − P. méton. Qui est marqué par des actes d'héroïsme. Les heures héroïques de la libération de Paris, les pages héroïques de l'histoire de France Aux temps héroïques du christianisme, il eût cherché le martyre (Renan, Souv. enfance,1883, p. 234). 3. [En parlant d'une décision, d'une action] Qui demande du courage. Résolution héroïque. Pris un parti héroïque : j'ai renoncé à fumer. Et il y a de cela deux jours. C'est horrible, cette renonciation soudaine et entière à une habitude de quarante ans (Goncourt, Journal,1882, p. 170).Alors il prit une décision héroïque. « J'ai perdu mon billet, dit-il, fouillant dans ses poches. Il faut que j'en reprenne un autre » (Montherl., Célibataires,1934, p. 877) : 7. MmeJosserand eut l'idée de l'inviter un soir avec Auguste, le futur. Peut-être la vue du jeune homme le déciderait-elle. Le moyen était héroïque, car la famille n'aimait pas montrer l'oncle, redoutant toujours de se faire du tort dans l'esprit des gens.
Zola, Pot-Bouille,1882, p. 118. − MÉD., vx. [En parlant d'un remède, de ses caractéristiques] Dont l'absorption nécessite du courage; qui est souverain mais peut être dangereux. On attribuait jadis à cette plante, à ce remède des propriétés héroïques. Remède héroïque (Ac.1835-1935) : 8. Il demandait aussi en même temps que je lui fasse des piqûres : avec des sels d'or. − Si j'en crève des piqûres, tu sais j'y perdrai rien! Mais je me refusais, bien entendu, à entreprendre une thérapeutique héroïque quelconque.
Céline, Voyage,1932, p. 367. ♦ Loc. fig. Remède héroïque. Solution efficace mais hasardeuse. À ces deux maux, on se sait trop comment parer si ce n'est par un remède héroïque qui serait, dans un avenir aussi prompt que possible, la séparation du Jura de l'ancien évêché de Bâle (Gobineau, Corresp. [avec Tocqueville], 1850, p. 129).Contre l'excès de malheur, il n'y a qu'un seul remède héroïque : penser le malheur clairement et à fond (Romains, Hommes bonne vol.,1938, p. 222). B. − [En parlant d'une œuvre artistique] Qui célèbre l'héroïsme. Une musique héroïque et funèbre (De Gaulle, Mém. guerre,1959, p. 157).Une musique militaire monte au kiosque de l'Espolon. Nous attendons un air martial, une marche héroïque : elle joue un tango (T'Serstevens, Itinér. esp.,1963, p. 296). Prononc. et Orth. : [eʀ
ɔik]. Att. ds Ac. dep. 1694. Prononc. et Orth. : [eʀ
ɔik]. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. 1. a) 1370-72 heroÿque « relatif aux anciens héros mythologiques » (Oresme, Ethiques, livre 7, chap. 1, éd. A.D. Menut, p. 363); b) 1370-72 « relatif à la poésie qui célèbre ces héros » (Id., ibid., livre I, chap. 15, p. 130); 2. 1370-72 subst. « personne exceptionnelle » (Id., ibid., livre VII, chap. 1, note 2); 1381 adj. eroyque « digne d'un héros » (Poème sur le Grand schisme, éd. P. Meyer et N. Valois, 65, 2 ds Romania t. 24, p. 218); 3. 1800 héroïque « énergique (de médicaments) » (Geoffroy, Méd. prat., p. 42). Empr. au lat. heroicus « relatif aux héros », « relatif à la poésie qui célèbre ces héros », du gr. η
̔
ρ
ω
ι
̈
κ
ο
́
ς de mêmes sens. Fréq. abs. littér. : 1 949. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 2 830, b) 2 889; xxes. : a) 3 604, b) 2 156. DÉR. Héroïcité, subst. fém.,rare. a) Qualité d'une personne héroïque, caractère de ce qui est héroïque. Achille, à cet Ordre cité, N'eût tenu que d'un mot! « Bravoure », Son brevet d'héroïcité (Rostand, Vol Marseill.,1918, p. 210).b) [Correspond à II A 1 p. ext.] Degré extrême auquel un mérite, une qualité peuvent être portés. Synon. héroïsme (v. ce mot B).Le décret sur l'héroïcité des vertus (du P. Eudes) (Bremond, Hist. sent. relig., t. 3, 1921, p. 586).− [eʀ
ɔisite]. − 1reattest. 1721 (Trév.); du lat. heroicus de héroïque, suff. -ité*; d'apr. Trév. 1721, le mot est attesté dans les Actes de béatification (1716) du jésuite fr. Jean François Régis (1597-1640). |