| HÉBÉTER, verbe A. − Priver (une personne ou l'une de ses fonctions) de vivacité, de sensibilité, de lucidité. Synon. émousser, engourdir : ... l'usage des liqueurs spiritueuses est toujours inutile, souvent nuisible, quelquefois tout-à-fait pernicieux (...) leur abus dégrade le système sensitif, autant que l'abus des narcotiques eux-mêmes. Il hébête également les fonctions de l'organe cérébral, il diminue plus directement encore la sensibilité des extrémités sentantes...
Cabanis, Rapp. phys. et mor., t. 2, 1808, p. 83. − Emploi abs. Les quatre degrés que descend l'ivrogne : la première ivresse, celle qui égaye; la deuxième, celle qui irrite, la troisième, celle qui hébète; la dernière enfin, celle qui abrutit (Hugo, Misér., t. 1, 1862, p. 603). B. − P. ext. Rendre stupide (une personne), priver d'intelligence, de sens critique. Synon. abasourdir, abêtir.Que peut devenir la sociabilité humaine entre un prince que le despotisme hébète et un paysan que l'esclavage abrutit? (Hugo, Rhin,1842, p. 441).Un monde de gueux et de gueuses hébétés d'oisiveté, et déformés par la satisfaction régulière et naïve de leurs vices pauvres (Larbaud, Barnabooth,1913, p. 131).Ils cherchent [les Allemands] à nous exterminer. Ils ont essayé de nous hébéter par la terreur; ils épuisent sur nous et sur les Belges toutes les variétés des supplices les plus affreux de l'histoire ancienne (Barrès, Cahiers,1915, p. 127). − Emploi pronom. S'hébéter (de/par).Se rendre, devenir stupide (sous l'effet de). Je m'hébète depuis huit mois par le travail de bureau le plus excessif, et dans le fait le plus stupide (Stendhal, L. Leuwen, t. 3, 1836, p. 364).Mes camarades connaissaient, savouraient cet acide printemps, alors que je m'efforçais de n'y pas penser, que je m'hébétais de travail (Bernanos, Journal curé camp.,1936, p. 1211). ♦ Réfl. indir. Mes efforts pour entendre et pour résumer ces analyses (...) eurent beau être suprêmes, je n'arrivai qu'à m'hébéter l'intellect et je me trouvai moins capable de résister à l'idée fixe (Bourget, Disciple,1889, p. 174). − Au part. prés. en emploi adj. Douze heures de travail hébétant par jour (Balzac, Lettres Étr., t. 1, 1850, p. 477). REM. Hébétation, subst. fém.,rare. Action d'hébéter; résultat de cette action. Hébétation de l'organe nerveux qu'occasionnent les narcotiques (Cabanis, Rapp. phys. et mor., t. 2, 1808, p. 88).L'hébétation d'un sommeil lourd rendait hideuse cette face qui, éveillée et vivifiée par l'esprit, paraissait joviale (Gautier, Fracasse,1863, p. 37). Prononc. et Orth. : [ebete], (j', il) hébète [ebεt]. Att. ds Ac. dep. 1694. Conjug. : devant syll. muette, change é du rad. en è : hébète. La graph. -bê- (supra ex.) est anal. de bête. Étymol. et Hist. 1. xives. [ms.] « émousser, affaiblir l'activité physique, intellectuelle... » ici part. passé adj. sens ... hebetez (Bersuire, T.-Liv., B.N. 20312ter, fol. 103 vods Gdf. Compl.); 2. 1631 « diminuer la vivacité de l'esprit, rendre stupide » ici part. passé subst. un hébété (Balz., Le Prince, 5 ds Littré); cf. 1690 (Fur. : Hebeter. Rendre beste & stupide); 3. 1813 part. passé adj. « qui traduit un état d'hébétude » des regards hébétés (Jouy, Hermite, t. 3, p. 107). Empr. au lat.hebetare « émousser, enlever la finesse, la pénétration », du lat. hebes, -etis « émoussé, qui manque de vicacité ». A été rapproché secondairement de bête (cf. ebester « rendre bête » xvies. ds Hug.; ébêtement, Voltaire ds FEW t. 1, p. 342b, également ds Boiste 1812-47), d'où les sens 2 et 3. Fréq. abs. littér. : 43. |