| HASARDER, verbe trans. A. − Entreprendre (quelque chose) malgré l'incertitude du résultat. Au mois de septembre, je hasarderai une ultime démarche qui sera encore vaine, j'en suis sûr. Puis immédiatement je commencerai une édition illustrée (Flaub., Corresp.,1879, p. 281).Fuyons donc à Damas. Le plus sûr est de hasarder cette fuite (Barrès, Jard. Oronte,1922, p. 95). − Absol. Il faut du courage pour être romantique, car il faut hasarder (Stendhal, Racine et Shakspeare, t. 1, 1823, p. 41).Jamais homme n'a plus laissé à la fortune que Cromwell; jamais homme n'a plus hasardé, n'a marché plus témérairement (Guizot, Hist. civilisation, leçon 13, 1828, p. 23). − En partic. Oser (un geste, une parole) avec circonspection. Tous, d'ailleurs, depuis que le petit livre contait les rébellions de leurs ancêtres, écoutaient les yeux baissés, sans hasarder un geste, pris de méfiance, bien qu'ils fussent entre eux (Zola, Terre,1887, p. 81).Valentine de Saint-Prix m'a bien fait promettre de ne point parler de cela à personne, hasarda timidement Arnica (Gide, Caves,1914, p. 768).« Je pense souvent à toi, mon petit », hasarda-t-il. « Je crains toujours que tu ne sois pas heureux ici?... » (Martin du G., Thib., Pénitenc.,1922, p. 698) : 1. C'est incroyable de se trouver debout en plein jour sur cette descente où quelques survivants se rappellent s'être coulés dans l'ombre avec tant de précautions, où les autres n'ont hasardé que des coups d'œil furtifs à travers les créneaux. Non... il n'y a pas de fusillade contre nous.
Barbusse, Feu,1916, p. 268. − Emploi pronom. Se décider à entreprendre (quelque chose), malgré les incertitudes que cela comporte. Se hasarder à + inf.N'est-il pas de la plus haute prudence, mon ami, que tu ne te hasardes pas à aller à Paris, en ce moment où la découverte de cette correspondance met en si grand péril ta mère et toi? (Gozlan, Notaire,1836, p. 70).Le livre tomba à terre. Je ne le ramassai pas. Nous restâmes silencieux un grand moment. Puis, je me hasardai à la regarder (Gobineau, Pléiades,1874, p. 43) : 2. Je l'avais connu à Munich, alors que plein de raison déjà, à l'âge où je me hasardais à fumer des Abdullah et à boire de l'anisette, il avait épuisé morphine, cocaïne et quelques autres remèdes de Dieu moins connus...
Giraudoux, Siegfried et Lim.,1922, p. 27. B. − Entreprendre une action dont l'issue incertaine implique un risque. 1. Exposer (quelque chose), mettre (quelque chose) en péril. Louis XIV ne voulut pas aller trop vite et, au grand mécontentement des militaires, préféra ne rien hasarder (Bainville, Hist. Fr., t. 1, 1924, p. 240).Il avait franchi sans péril − c'est-à-dire sans rien hasarder d'indispensable − le dangereux passage de l'enfance à l'adolescence (Bernanos, Nuit,1928, p. 19) : 3. Un autre vœu que nous osons former, c'est qu'à côté des grands naturalistes on place les images des courageux navigateurs, des voyageurs persévérants, qui, par leurs travaux, leurs périls, en hasardant cent fois leur vie, nous ont rapporté ces trésors.
Michelet, Oiseau,1856, p. 36. ♦ Braver, courir (un danger). Oui, je le jure encore, je n'avais aucune idée d'un amour coupable; je calculais ce qui me restait de chances de ne pas mourir; je ne savais pas que j'allais hasarder d'autres dangers (Soulié, Mém. diable, t. 1, 1837, p. 327). − Proverbe Qui ne hasarde rien, n'a rien. ,,Il faut un peu de hardiesse si l'on veut réussir`` (Littré). Var. : Qui ne risque rien, n'a rien. 2. Exposer (quelqu'un) au danger. a) Au passif. Ce grand silence, en songeant à tant de mille hommes et de bons citoyens hasardés dans une pareille entreprise, vous serrait le cœur (Erckm.-Chatr., Hist. paysan, t. 2, 1870, p. 471).D'où les hommes tirent-ils ce goût d'éternité, hasardés comme ils sont sur une lave encore tiède, et déjà menacés par les sables futurs, menacés par les neiges? (Saint-Exup., Terre hommes,1939, p. 173). b) Emploi pronom. − S'exposer à un péril. Un d'eux, enfin, se hasarda, un nommé Potdevin qui était très souple. Il prit son élan et passa en courant comme un cerf. La tentative réussit (Maupass., Contes et nouv., t. 2, Prisonn., 1884, p. 286).Le soir, quelques hommes de corvée partent, quelques brancardiers se hasardent. Et vite, en se cachant, ils exhument un homme d'un grand caveau de famille où des blessés geignent, sans soins possibles, depuis des jours (Dorgelès, Croix de bois,1919, p. 230). − Se hasarder + compl. locatif.Se risquer en un lieu dangereux, s'aventurer. C'est le seul endroit abordable de notre forteresse; mais il est effrayant et, depuis la sainte, personne n'a osé s'y hasarder (Sand, Lélia,1839, p. 490).Quand le baron se hasardait sur les boulevards ou traversait la salle des Pas-Perdus de la gare Saint-Lazare, ces suiveurs se comptaient par douzaines qui, dans l'espoir d'avoir une thune, ne le lâchaient pas (Proust, Prisonn.,1922, p. 207) : 4. La navigation est imprégnée de ces souvenirs. Minutieusement attentive à la côte, elle ne s'en écarte qu'à regret et le moins possible. Il faut cependant se hasarder en pleine mer pour atteindre l'Espagne et l'extrémité occidentale de la Méditerranée...
Vidal de La Bl., Princ. géogr. hum.,1921, p. 265. ♦ Au fig. et p. métaph. Cette espèce de tuyau tronqué de cage oblongue, de cheminée à jour, qui se hasarde si grotesquement sur la cathédrale, comme la tentative extravagante de quelque chaudronnier fantaisiste (Flaub., MmeBovary, t. 2, 1857, p. 88).Ensuite il s'était tu, en homme qui a récité sa leçon et ne se hasarde pas sur un autre terrain (Pourrat, Gaspard,1931, p. 222).Elle comprit au pli qui lui barrait le front qu'il cherchait des mots précis, attentif à traduire une émotion qu'il n'avait jamais encore exprimée (...) il essayait d'entrevoir les limites précises où il pourrait se hasarder (Roy, Bonheur occas.,1945, p. 409). C. − Exprimer, émettre (une proposition, une suggestion, une dénégation) en prenant le risque de déplaire, de se tromper. Je n'avais, à mon habitude, songé à rien. Et, ne m'apercevant pas des difficultés, je les avais surmontées. Telle était, du moins, l'explication que hasardait M. Beaussier de ce fait inexplicable (A. France, Vie fleur,1922, p. 364).Ce sujet de conversation ressemblait à ceux qu'on hasarde lorsqu'on pense à tout autre chose, à quoi on ne veut pas avoir l'air de penser (Malègue, Augustin, t. 2, 1933, p. 394) : 5. Nous ne pouvons que hasarder des suppositions sur l'heureux hasard qui permit à l'homme de faire cette découverte, mais toutes les tribus des âges plus récents connaissaient déjà le feu lorsque les blancs les rencontrèrent. Les pygmées des îles Andaman l'avaient, eux aussi, bien qu'ils fussent incapables de le produire délibérement...
Lowie, Anthropol. cult.,1936, p. 71. − En partic. Utiliser une chose, un élément dont l'usage n'est pas établi, innover. Mais, en d'autres passages, il [Strauss] a hasardé des innovations troublantes, changeant de mouvement presque à chaque mesure, ralentissant ou accélérant sans motif plausible, introduisant çà et là des silences peu justifiés (Lalo, Mus.,1899, p. 363). − Emploi pronom. Se hasarder à + subst.Sans doute, elle ne s'interdit pas, en principe, l'usage de l'analogie. Elle se hasarde même aux généralisations parfois les plus hardies (Lévy-Bruhl, Mor. et sc. mœurs,1903, p. 112).Qu'il s'agisse de théâtre ou de concert, le style choral de notre temps n'a plus la sérénité contrapuntique d'antan où les artifices harmoniques et les modulations ne se hasardaient à aucune imprudente aventure (Arts et litt.,1935, p. 36-12). REM. 1. Hasardement, subst. masc.Action de hasarder (Nouv. Lar. ill.). Je suis allé chez elle (...) peut-être aurais-je dû hasarder, mais, songeant au danger du hasardement, je n'aurais plus eu cette fleur de naturel et de gaieté (Stendhal, Journal, t. 4, 1812, p. 205). 2. Hasardeur, subst. masc.Celui qui hasarde. Tancé par Mirabeau, condamné avec éloges par M. de Saint-Georges, Vauvenargues s'exécute d'assez bonne grâce (...). En faisant cette retraite en bon ordre, il redevient tout à fait pareil au Vauvenargues ordinaire, qu'on se figure plus voisin du stoïcien que d'un coureur de fortune et d'un hasardeur d'entreprises (Sainte-Beuve, Caus. lundi, t. 14, 1851-62, p. 47). Prononc. et Orth. : [azaʀde] init. asp., (il) hasarde [azaʀd]. Fér. Crit. t. 2 1787 cite, et réprouve, des formes j'hasarde, qu'hasardez-vous, d'hasarder. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. A. 1. 1remoitié xiiies. haseter intrans. « jouer aux dés » (De saint Piere et du jougleur, 167 ds Fabliaux, éd. A. de Montaiglon et G. Raynaud, t. 5, p. 69); 2. 1407 hazarder (Arch. JJ 161, pièce 260 ds Gdf.). B. [1389 hazardé « hardi, impertinent » (Ordonnances des rois de France, t. 7, p. 262)] 1. a) ca 1460 se hazarder « s'exposer à un danger » (J. Chartier, Chronique de Charles VII, éd. A. Vallet de Viriville, t. 2, p. 178); b) ca 1500 trans. « exposer à un danger » (Commynes, Mémoires, éd. J. Calmette, t. 1, p. 250); 2. 1552 « tenter quelque chose de risqué » (Rabelais, Quart livre, chap. LV, éd. R. Marichal, p. 226); 3. a) 1579 « se risquer à exprimer une idée, une opinion qui peut être mal accueillie » (H. Estienne, Précellence, Préf., éd. E. Huguet, p. 11); b) 1688 « utiliser un mot ou une expression qui n'est pas en usage » (La Bruyère, Caractères, éd. G. Servois, t. 2, p. 135 : ils [...] ne hasardent pas le moindre mot); 4. 1622 « affronter, braver » (D'Aubigné, Lettres et mémoires d'Estat, 14 ds
Œuvres, éd. Réaume et Caussade, t. 1, p. 222 : hasarder le combat). Dér. de hasard*; dés. -er. A 1 avec changement de suffixe. Fréq. abs. littér. : 879. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 1 543, b) 1 841; xxes. : a) 1 017, b) 821. Bbg. Gougenheim (G.). Chercher et fouiller... In : [Mél. Harmer (L. Ch.)]. London, 1970, p. 24. |