| * Dans l'article "GÂTER,, verbe trans." GÂTER, verbe trans. I. − Gâter qqc. A. − Vieilli. Mettre en mauvais état, endommager gravement. Synon. dévaster, ravager, détruire.L'armée ennemie gâta le pays en se retirant (Littré). La rivière, en débordant, avait gâté les foins (Sand, F. le Champi,1848, p. 37) : 1. ... ils chassent à travers nos blés avec leurs chiens et leurs chevaux, ouvrent nos haies, gâtent nos fossés, nous font mille maux, mille sottises...
Courier, Pamphlets pol., Disc. souscr. acquis. de Chambord, 1821, p. 80. B. − Courant 1. Corrompre. La chaleur gâte la viande, le poisson. − Emploi pronom. passif. Le vin se conserve dans des outres et se dépose dans des chambres. Pour l'empêcher de se gâter, on le mélange de résine (About, Grèce,1854, p. 115).Le cadavre exsangue d'une assassinée, qui se gâtait sur l'herbe (Zola,
Œuvre,1886, p. 320) : 2. À de telles époques, il n'existe guère de circulation que celle des produits qui risqueraient de se détériorer dans l'attente, comme les fruits, les légumes, les grains, et tout ce qui se gâte à être gardé.
Say, Écon. pol.,1832, p. 151. − Gâter ses dents ou se gâter les dents. Détériorer ses dents par une mauvaise nutrition. La Créole avait toujours un panier plein de friandises pour son neveu, qui se gâtait les dents à sucer des bonbons ou à manger des pâtisseries trop sucrées (Larbaud, F. Marquez,1911, p. 102). − Vieilli, au fig. Altérer, avilir. Hélas! Où donc la joie est-elle saine encore? Quel vice a donc en nous gâté le sang gaulois? (Sully Prudh., Solitudes,1869, p. 68). ♦ Emploi pronom. passif. Il ne lui restait que ça, le continuel chagrin de voir son sang se gâter et s'endolorir, dans ce fils, dans cette fille lamentables, qui allaient pourrir sa race, tombée à la déchéance dernière de la scrofule et de la phtisie (Zola,
Œuvre,1886, p. 346). 2. En partic., emploi pronom. [En parlant du temps qu'il fait] Se détériorer, devenir mauvais. Le temps se gâte. Il était assez à redouter que la journée ne se terminât pas sans pluie. Visiblement, ça se gâtait; l'orage flottait dans l'air (Courteline, Train de 8 h 47,1888, 1repart., VII, p. 80). C. − P. ext. [Le compl. d'obj. désigne une chose quelconque considérée dans ses qualités] 1. Altérer quelque chose, lui faire perdre ses qualités naturelles (beauté, forme, régularité, etc.), en particulier, en détériorant son aspect. Une maison qui gâte le paysage; un maquillage qui gâte un visage. La petite vérole lui a gâté le teint (Ac.). Les besoins de commodité moderne, la bassesse du comfort, ont gâté cette maison à laquelle il reste encore quelque vestige de ce qu'elle fut (Barbey d'Aurev., Memor. 3,1856, p. 86) : 3. Si la baronne lui donnait un joli chapeau nouveau, quelque robe taillée au goût du jour, aussitôt la cousine Bette retravaillait chez elle, à sa façon, chaque chose, et la gâtait en s'en faisant un costume qui tenait des modes impériales et de ses anciens costumes lorrains. Le chapeau de trente francs devenait une loque, et la robe un haillon.
Balzac, Cous. Bette,1846, p. 32. − Emploi pronom. réfl. indir. Tenez, dit-elle en montrant ses mains gonflées et un peu rouges, voyez ce que j'ai fait pour vous; je me suis gâté les mains pour vous empêcher d'être brûlé (Champfl., Avent. MlleMariette,1853, p. 31). − Arg. Gâter la taille. ,,Rendre enceinte`` (Larch. Suppl. 1880). Emploi pronom. réfl. indir. Se gâter la taille. ,,Devenir enceinte`` (Delveau 1883). 2. Vieilli. Salir, tacher; détériorer en salissant. En toute saison elle ne portait que de petites bottines d'été, qui se perdaient à la moindre pluie ou qu'une tache de boue gâtait (Flaub., 1reÉduc. sent.,1845, p. 171) : 4. On lui place la tête sur un sac à pansements. Ce sac est aussitôt imbibé de sang. Un infirmier crie que ça va gâter les paquets de pansements, dont on a besoin.
Barbusse, Feu,1916, p. 319. 3. Abîmer, user. − Emploi pronom. passif : 5. « Ce n'est pas la mort qui m'effraie, dit-il un jour à Justin : je l'ai vue d'assez près, et plus d'une fois, ces dernières années. C'est de sentir mon corps se gâter, tu comprends, se gâter progressivement... »
Arland, Ordre,1929, p. 526. − L'âge a gâté la main à ce peintre, à ce chirurgien. L'âge leur a rendu la main moins habile (cf. Ac.). Emploi pronom. réfl. indir. Se gâter la main. Perdre de son habileté par des habitudes vicieuses ou par manque d'exercice. Cet artiste s'est gâté la main (Ac.). 4. Dans le domaine des arts.Abîmer (un tableau, un auteur, un texte, une pièce, etc.) par incapacité ou par un travail malhabile. L'auteur n'a pu gâter le fond de son ouvrage, mais il l'a orné de turpitudes à la façon du jour (Las Cases, Mémor. Ste-Hélène, t. 1, 1823, p. 819).Il est vrai pour tous les artistes que le difficile est de reconnaître un beau trait, et de ne le point gâter par la retouche (Alain, Propos,1921, p. 336). 5. Loc. fig., vieilli − Gâter le métier. Rendre le métier moins intéressant; en partic. le rendre moins lucratif, en vendant sa marchandise ou en proposant son travail à trop bon marché. Synon. gâcher le métier.C'est gâter le métier que de vendre si bon marché cette étoffe (Ac.). ♦ P. métaph. Ils [les critiques] s'étaient multipliés à l'excès; ils étaient trop d'augures : cela gâte le métier. Quand il y a tant de gens qui affirment, chacun, qu'il est le seul détenteur de l'unique vérité, on ne peut plus les croire; et ils finissent par ne plus se croire eux-mêmes (Rolland, J.-Chr., Foire, 1908, p. 721). − Gâter les prix. Les faire baisser excessivement. Avec la crise, la chaussure n'allait pas fort et l'article tchécoslovaque gâtait les prix (Aymé, Mais. basse,1934, p. 148). D. − Au fig. 1. [Le compl. d'obj. désigne une entreprise qui aurait pu réussir] Compromettre ou empêcher par malice ou par maladresse la bonne marche ou la réussite de quelque chose. « En effet, le roi essaya de mettre son mot dans la conversation, gâta toute l'affaire, et je fus délivré », dit l'empereur (Las Cases, Mémor. Ste-Hélène, t. 1, 1823, p. 794). ♦ Gâter les affaires de qqn. Quand maman a vu que je gâtais son affaire, elle m'a flanquée à l'eau (Maupass., Contes et nouv., t. 2, Champ d'oliv., 1890, p. 91). ♦ Gâter tout. Compromettre toutes les possibilités de succès. L'avarice ne peut se montrer nulle part sans tout gâter (Say, Écon. pol.,1832, p. 455). ♦ Ne rien gâter à qqc. Ne pas rendre inefficace quelque chose; éventuellement l'améliorer. La volupté ne gâtait rien à mon imagination (Stendhal, H. Brulard, t. 2, 1836, p. 394). − Cela ne gâte rien, ce qui ne gâte rien. C'est un avantage, une qualité supplémentaire. Bref, vous êtes le neveu de Vertillac, vous serez riche, cela ne gâte rien! (Barrière, Capendu, Faux bonsh.,1856, I, 10, p. 37).Séverine était une bonne petite fille, très douce, très docile même, et délicieuse avec ça, ce qui ne gâte rien (Zola, Bête hum.,1890, p. 83).L'enquête doit, pour être intéressante, répondre au souci du moment. Mais une pointe d'humour ne gâte rien (G. et H. Coston, A.B.C. journ.,1952, p. 115). − Emploi pronom. passif. Les affaires, les choses se gâtent. Les choses tournent mal : 6. Ainsi, il commence à gagner sa vie; et ce n'est pas trop tôt : car les affaires se gâtent de plus en plus à la maison. L'intempérance de Melchior a empiré. Et le grand-père vieillit.
Rolland, J.-Chr., Matin, 1904, p. 113. ♦ Cela se gâte, cela commence à se gâter. ,,Les choses prennent, commencent à prendre une fâcheuse tournure`` (Ac.). 2. [Le compl. d'obj. désigne une chose aux effets normalement agréables] Diminuer ou anéantir une chose en la privant de son effet agréable. Synon. gâcher.Gâter un triomphe, un succès, un bon souvenir, des illusions, des vacances, son bonheur, sa joie. Je suis pour l'instant archipopulaire à Guernesey. Je leur dis dans mon livre quelques demi-vérités qui pourraient bien gâter un peu cette popularité (Hugo, Corresp.,1866, p. 514) : 7. ... bien qu'il fût plus instruit, plus intelligent et meilleur que bien d'autres, il semblait impossible d'éprouver auprès de lui, non seulement aucun plaisir, mais autre chose qu'un spleen presque intolérable et qui vous gâtait votre après-midi.
Proust, Sodome,1922, p. 1022. 3. [Le compl. d'obj. désigne une faculté, une qualité hum.] Déformer, vicier. Des conversations qui gâtent l'esprit, le jugement. Mais l'avarice qui resserre le cœur, et la superstition qui le trouble, gâtoient les grandes qualités de Dioclétien (Chateaubr., Martyrs, t. 2, 1810, p. 143).La lecture des mauvais romans te gâte l'imagination (Duhamel, Désert Bièvres,1937, p. 263). − Emploi pronom. passif. Il n'y a pas qualité si plaisante de la jeunesse qui ne puisse, à vieillir, se gâter (Gide, Porte étr.,1909, p. 515) : 8. ... tous nos sens, notre vue, notre ouïe et le reste s'unissent en quelque sorte avec les objets, de sorte que, si les objets ne sont pas purs, la virginité de nos sens se gâte.
Barrès, Homme libre,1889, p. 32. 4. P. méton. [Le compl. d'obj. désigne une pers.] Faire perdre à quelqu'un ses qualités, le corrompre ou le dépraver. Il y a cinq ou six autres vieilles femmes que je veux également renvoyer de Paris; elles gâtent les jeunes par leurs sottises (Napoléon Ier, Lettres Joséph.,1809, p. 195). − Emploi pronom. passif. C'est au contact de notre civilisation qu'ils se sont gâtés [les Noirs] (Gide, Retour Tchad,1928, p. 1007).Homme, femme, enfant, on se gâte toujours à ne vivre qu'avec des femmes (Montherl., Lépreuses,1939, p. 1374) : 9. ... au lieu de veiller sur sa moralité, sur sa santé, son instruction, vous l'avez laissé se gâter, se perdre; vous avez favorisé ses débauches...
Flaub., 1reÉduc. sent.,1845, p. 190. − Qqc. gâte qqn à qqn.Nuire à l'idée que quelqu'un se fait de quelqu'un d'autre; salir quelqu'un aux yeux d'une autre personne. Elle avait été la bonne amie de Maxime du Camp et ça me la gâtait (Montesquiou, Mém., t. 1, 1921, p. 266).Parmi les premiers, et malgré quelques bizarreries qui me le gâtent un peu, je mets Jouhandeau (Green, Journal,1941, p. 141) : 10. Je ne connais pas cet abbé qui était là, mais il est redondant et rubicond, il pète dans sa graisse et crève de joie. Malgré l'exemple de Saint François d'Assise qui était gai, − ce qui me le gâte, du reste, − j'ai peine à m'imaginer que cet ecclésiastique soit un être surélevé.
Huysmans, Là-bas, t. 2, 1891, p. 118. II. Gâter qqn A. − Gâter un enfant. Lui passer tous ses caprices au risque d'entretenir ses défauts ou de corrompre son caractère (cf. gâté II B 1). À gâter les enfants, on leur rend les plus mauvais services (Ac.). Il avait été un enfant dorloté (...) puis un brillant élève (...), brillant mais indiscipliné et fantasque. Sa mère le gâtait follement, par faiblesse et par amour. Son père le gâtait par tempérament (Montherl., Célibataires,1934, p. 754). B. − Se montrer très attentionné et prévenant pour quelqu'un; en partic. le combler de cadeaux, de dons, etc. Louise. − Oh! Qu'est-ce que c'est? Brotonneau. − Un cadeau. Louise. − Comme vous me gâtez! (Flers, Caillavet, M. Brotonneau,1923, II, 2, p. 12) : 11. ... la pauvre femme aimante (...) se lamente auprès de moi, presque comiquement, de ce qu'on fait trop de compliments à son mari, de ce qu'on le gâte stupidement, de ce qu'on lui donne un sentiment exagéré de sa personne.
Goncourt, Journal,1885, p. 493. ♦ P. iron. Après la police, la religion! On vous gâte décidément. Mais tout se tient. Imaginez Dieu sans les prisons. Quelle solitude! (Camus, Justes,1950, IV, p. 370). − Au passif. (Ne pas) être gâté. (Ne pas) avoir de chance : 12. C'est vrai! Nous avons durement sué toute notre vie... Il nous en a fallu du cran et de l'ambition! Regardez les pauvres, leur dimanche, ce qu'ils en font. Ils traînent les rues, ils bâillent, ils n'en peuvent plus d'essayer d'atteindre le lundi. Nous, nous en avons eu sept par semaine des dimanches! Depuis que nous sommes tout petits! Oh! Nous n'avons pas été gâtés! Mais nous avons tenu bon.
Anouilh, Répét.,1950, IV, p. 100. ♦ Être peu gâté par. Être desservi par. Moïse Mendelssohn est un produit immaculé du ghetto (...). Peu gâté par la nature (physiquement du moins), de petite taille et contrefait, très gauche de façons, il ne semblait guère destiné à policer ses coreligionnaires (Tharaud, Pte hist. Juifs,1928, p. 130). REM. Gâteur, -euse, subst.,rare. Celui, celle qui gâte quelque chose. a) [Correspond à supra I A] Rappelez-vous aussi que le gâteur d'arbres contre lequel un garde me serait utile est mon fermier lui-même (Sand, Corresp., t. 5, 1864, p. 43).b) Au fig.
α) Gâteur de papier. Mauvais écrivain. (Dict. xixeet xxes.).
β) [Correspond à supra II A] Gâteur d'enfants. Les grand'mères sont généralement des gâteuses d'enfants (Lar. 19e). Prononc. et Orth. : [gɑte], (il) gâte [gɑ:t]. Ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. 1. Ca 1100 « dévaster, piller » (Roland, éd. J. Bédier, 703); 2. a) 1160-74 « détruire, ruiner (l'existence de quelqu'un) » (Wace, Rou, éd. J. Holden, III, 7268); ca 1200 « détruire, abîmer quelque chose » (Ie Continuation de Perceval, éd. W. Roach, t. I, 13771); b) spéc. 2emoitié xiiies. « abîmer, gâter (le fourrage, en parlant du bétail) » (W. de Henley, 24 ds DEAF, s.v. gaster, 369, 40); 1538 pronom. « s'altérer (en parlant des fruits, de la viande) » (Est. ds FEW t. 14, p. 205a); 3. 1530 « traiter quelqu'un avec trop d'indulgence » (Palsgrave, p. 483 [un enfant]). Du lat. class. vastare « rendre désert, dépeupler; ravager, dévaster, ruiner » avec infl. du verbe germ. *wôstjan (a.h.all. wuostan, all. verwüsten « dévaster, ravager, ruiner », cf. l'a.fr. gast, s.v. gâtine*) qui rend compte du g- initial; étant donné l'ancienneté des corresp., tous en g-, ds les langues romanes, le croisement est probablement antérieur à la période franque (FEW t. 14, p. 206a). Fréq. abs. littér. : 1 386. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 1 763, b) 2 190; xxes. : a) 2 911, b) 1 462. Bbg. Thomas (A.). Nouv. Essais 1904, p. 124. - Walt. 1885, p. 67. |