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GROTESQUE, adj. et subst.
A. − BEAUX-ARTS
1. Subst. masc. ou fém. (le plus souvent au plur.)
a) Ornement (dessin, peinture ou sculpture) des monuments antiques mis au jour en Italie par les fouilles de la Renaissance et représentant des sujets fantastiques, des compositions capricieuses figurant des personnages, des animaux, des plantes étranges :
1. L'Italie elle-même développa un élément décoratif entièrement nouveau : autour de 1480, les fouilles partielles de la Domus Aurea de Néron révélèrent pour la première fois la peinture murale antique et la décoration en stuc. Et comme on les découvrit sous les ruines, pour ainsi dire dans des grottes, on appela « grotesques » ces décorations. Encyclop. univ.t. 12, 1972, p. 236.
En partic. Imitation de ce type ornemental. Les grotesques de Raphaël (Rob.).
b) P. ext. Dessin, peinture ou sculpture représentant des formes, des personnages bizarres. Cette génération d'artistes qui s'arrangent eux-mêmes en croquis, en grotesques, en caricatures. Les uns portent des moustaches effroyables (Chateaubr., Mém.,1848, p. 196).Costumées comme les grotesques de Callot (Goncourt, Journal,1856, p. 287) :
2. ... des files de grotesques se succédaient, à chaque étage [de l'église], en de larges frises, des grotesques réparés et même complètement refaits, mais très habilement, par un artiste ayant eu vraiment le sens du Moyen Âge. Huysmans, Oblat, t. 1, 1903, p. 136.
P. métaph. Il écrivait une page fourmillant de grotesques terribles, de succubes, de larves à la Goya (Huysmans, Marthe,1876, p. 50).
2. Adjectif
a) [En parlant d'un inaminé abstr.] Qui appartient à ce type ornemental. Cet étranger qui s'écartait du style ampoulé à la mode alors, pour inaugurer le genre grotesque (Ménard, Hist. B.-A.,1882, p. 229).
b) [En parlant d'un inanimé concr.] Qui offre ce type ornemental. Figures, ornements grotesques. Dans la grande salle qui précède, il y a des boiseries grotesques représentant des métiers, des masques, des dominos, tout un carnaval en bois (Michelet, Journal,1838, p. 269).
B. − P. anal.
1. [L'idée dominante est celle de bizarrerie, d'extravagance]
a) Adj. Qui prête à rire par son côté invraisemblable, excentrique ou extravagant. Synon. bouffon, burlesque, caricatural, cocasse, risible.Ce Scaramouche faisant la parade et se déhanchant en poses grotesques sur des tréteaux que supportent des barriques (Gautier, Guide Louvre,1872, p. 153).Les silhouettes grotesques des petits bourgeois (Mauclair, Maîtres impressionn.,1923, p. 171).L'immense phonographe au grotesque pavillon écarlate (Bernanos, Mouchette,1937, p. 1291) :
3. Ce n'est pas que je n'aime beaucoup la satire, mais en fixant l'œil du lecteur sur la figure grotesque de quelque ministre, le cœur de ce lecteur fait banqueroute à l'intérêt que je veux lui inspirer pour les autres personnages (...). Le lecteur est tout occupé à comparer mon portrait à l'original grotesque, ou même odieux, de lui bien connu. Stendhal, L. Leuwen, t. 2, 1835, p. 229.
Emploi subst. Ce grotesque, ce bourgeois ventru, mou et blême (Zola, Fortune Rougon,1871, p. 289).
THÉÂTRE, vieilli. Danseur bouffon, qui fait des pas bizarres, des gestes outrés pour égayer les entractes de certaines pièces. Synon. clown.Semblable à l'un des grotesques du ballet de Gustave, il est marquis par derrière et vilain par devant (Balzac, Mais. Nucingen,1838, p. 593).
b) Subst. masc. sing. à valeur de neutre, littér. Catégorie esthétique caractérisée par le goût du bizarre et du bouffon poussé jusqu'au fantastique, à l'irréel. Synon. le burlesque, la charge; anton. le sublime :
4. Il est étrange que, parmi tant d'écrivains qui, dans leurs romans, ont voulu nous peindre leur siècle, il y en ait eu si peu qui soient sortis du cercle des mœurs libertines, et pas un qui ait entrepris d'être dans le genre du haut comique, ce qu'était Rabelais dans le grotesque et le bouffon. Marmontel, Essai sur rom.,1799, p. 315.
2. [L'idée dominante est celle d'outrance et de ridicule]
a) Adj. Qui prête à la dérision par son côté outrancier et son mauvais goût. Synon. ridicule.Une exclamation grotesque d'écolier délivré : « Le ciel est mort » (Mallarmé, Corresp.,1864, p. 104).Un article aussi insolent et aussi grotesque (Bloy, Journal,1896, p. 277).
Emploi subst. Eugène passait les soirées entières dans le salon jaune, écoutant religieusement ces grotesques que lui, Aristide, avait si impitoyablement raillés (Zola, Fortune Rougon,1871, p. 83) :
5. Je parie qu'il va consulter des experts. À la rescousse toute la troupe des grotesques, Couard, Varinard, Belhomme, tous ceux qui ont découvert que l'écriture d'Esterhazy n'était pas d'Esterhazy. Paraissez, sinistres pantins! Clemenceau, Vers réparation,1899, p. 274.
b) Subst. masc sing. à valeur de neutre. Ce qui offre un côté absurde et de mauvais goût. Synon. l'absurde, le ridicule.Des dialogues inouïs de grotesque et de bassesse (Flaub., Corresp.,1875, p. 280).Avoir comme joie, comme adoration, comme espoir une réprouvée démente! Ce déshérité ne sentira jamais le grotesque ni l'indécent de son attachement (Frapié, Maternelle,1904, p. 127).
REM. 1.
Grotesquement, adv. rare.D'une manière grotesque. Synon. absurdement, burlesquement, ridiculement.a) [Correspond à B 1] Des imperméables qui font ressembler grotesquement ceux qui s'abritent dessous à des éléphants de mer venus sur la terre Adélie pour visiter sur des roulettes la métropole (Comment parlent les sportifsds Vie Lang.,1952, p. 177).b) [Correspond à B 2] L'adultère est un crime Grotesquement ignoble à moins d'être sublime (Augier, Gabrielle,1850, p. 412).
2.
Grotesquerie, subst. fém.,rare. Caractère de ce qui est grotesque. a) [Correspond à B 1] Les grotesqueries de costume, les disparates d'uniformes (...) de cette garde nationale (Verlaine, Souv. et fantais.,1896, p. 303).b) [Correspond à B 2] L'idée du progrès (...) se dresse avec une (...) grotesquerie qui monte jusqu'à l'épouvantable (Baudel., Curios. esthét.,1855, p. 149).
Prononc. et Orth. : [gʀ ɔtεsk]. Ds Ac. 1694-1932. Étymol. et Hist. 1. 1532 subst. crotesque « ornement capricieux » (Invent. de Florimond Robertet, p. 31 ds Gay : Une grande cuvette [...] où sont de ces gentilles crotesques nouvellement inventées, qui jettent miles fleurons à petits jambages tortus); 1540-50 grotesque « figure caricaturale ou fantastique » (L. de Laborde, Comptes des bâtiments du roi, t. I, p. 191 : pourtraits en façon de grotesque); 2. 1566 adj. (peinture) grotesque « (peinture) qui présente des ornements capricieux, des figures fantastiques » (Id., ibid., t. II, p. 127); d'où au fig. 1636 « qui provoque le rire par son extravagance » (Corneille, L'illusion comique, III, 3 ds Œuvres, éd. ch. Marty-Laveaux, t. 2, p. 471 : Je ne suis pas d'humeur à rire tant de fois Du crotesque récit de vos rares exploits). Empr. à l'ital.grottesca, qui désigne une décoration murale très riche et fantaisiste née en Italie vers le milieu du xves., proprement « fresque de grotte », dér. de grotta (grotte*) parce qu'elle s'inspirait des décorations de la Domus Aurea de Néron qui fut découverte par des fouilles archéologiques à l'époque de la Renaissance italienne (v. Batt.; cf. B. Cellini, ibid. : Queste grottesche hanno acquistato questo nome dai moderni, per essersi trovate in certe caverne delle terra in Roma dagli studiosi); le subst. ital. prit au xvies. le sens de « peinture licencieuse et ridicule » (cf. Vasari, ibid.), d'où le sens péj. de l'adj. fr. La forme crotesque est due à l'infl. de cro(u)te (grotte*). V. Bl.-W.5; FEW t. 2, pp. 1384b-1385a; Hope, pp. 200-201. Fréq. abs. littér. : 901. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 882, b) 2 127; xxes. : a) 1 696, b) 918. Bbg. Cagnon (M.), Smith (S.). Le Vocab. de l'archit. en France de 1500 à 1550. Cah. Lexicol. 1971, no19, p. 95. - Hope 1971, p. 155, 200-201. - Hotier (H.). Le Vocab. du cirque et du music-hall en France. Paris, p. 55. - Kohlm. 1901, p. 47. - Matoré (G.). En Marge de Théophile Gautier, notes lexicol. In : [Mél. Roques (M.)]. Paris, 1946, pp. 217-219. - Quem. DDL t. 3 (s.v. grotesquement); 18. - Wind 1928, p. 4, 45, 121, 195.