| GRINCER, verbe intrans. A. − Qqc. grince.Produire un son continu d'intensité variable, aigre, plus ou moins strident et métallique, généralement par frottement l'un contre l'autre d'éléments durs. Synon. crisser.Les essieux, les gonds d'une porte grincent. Trois fois ses ongles grincèrent sur le carreau pour saisir les rideaux (Gozlan, Notaire,1836, p. 131) : 1. Quand la craie grince, par la présence d'une petite pierre, ou quand l'ongle frotte sur la soie, je le sens dans le dos, au plus intime de ma vie; je grince tout entier. Or, si je suis acteur, cela peut s'expliquer par une vibration du bras contracté, qui se communique au thorax et le fait trembler tout, d'où une alerte étonnante. Mais si je suis spectateur, c'est encore dans le dos que je sens ce bruit désagréable; il passe sans doute par l'oreille...
Alain, Propos,1922, p. 439. ♦ Faire grincer qqc.Homais faisait grincer sa plume sur le papier (Flaub., MmeBovary, t. 2, 1857, p. 187).Faire grincer mes pneus et râler ma mécanique dans les méandres de cette piste caillouteuse (T'Serstevens, Itinér. esp.,1963, p. 250). − P. anal. ♦ [Le suj. désigne un instrument de mus.] Produire un son aigre, dissonant. Le piano criait et grinçait sous ses doigts redoutables (Soulié, Mém. diable, t. 2, 1837, p. 212).V. asthmatique ex. 4. ♦ [Le suj. désigne un animal] Émettre un cri ou un son aigre, plus ou moins strident. Les cigales grinçaient derrière les volets (Mauriac, Mém. intér.,1959, p. 16). − P. ext. [Le suj. désigne un son] Retentir avec une sonorité aigre, plus ou moins stridente. Cette sixième note du ton de « ré mineur » grince horriblement contre la dominante (Berlioz, À travers chants,1862, p. 57).Très loin, dans la campagne, grince la voix enrouée d'un coq (Sartre, Mort ds âme,1949, p. 230). B. − Qqn grince 1. Grincer des dents. Frotter convulsivement ses dents les unes contre les autres, généralement sous l'empire d'un affect intense. Puisque tu me refuses, je te ferai pleurer et grincer des dents comme un pendu (Lautréam., Chants Maldoror,1869, p. 150).Il a aussi crié, pleuré, râlé, grincé des dents, comme font les moribonds (Bernanos, Joie,1929, p. 675) : 2. Laurent retourne à son tourment : « J'aime ces gens. Je les admire quand ils font bien leur difficile travail. Je partage vraiment leurs peines. Je m'associe à leurs espoirs. Et il se trouve des misérables pour m'appeler insulteur des humbles! Ce serait à grincer des dents. » Laurent sent qu'il va peut-être commencer à grincer des dents (...). Les traits des calomniateurs, il les sent dans sa chair et il voudrait les arracher.
Duhamel, Combat ombres,1939, p. 261. − Grincer des dents de (+ subst. désignant un affect) et/ou de (+ subst. désignant la cause de l'affect).Il n'avait pu obtenir un regard favorable d'une fille de rien, d'une actrice ambulante (...) il en grinçait des dents de rage (Gautier, Fracasse,1863, p. 219). Rem. La docum. atteste la constr. trans. vieillie grincer les dents. Il tremblote et grince les dents de désir (Michelet, Journal, 1840, p. 345). − Faire grincer (qqn) des dents.Provoquer une sensation physique très désagréable, beaucoup d'agacement. C'est si ennuyant d'entendre racler du violon à vos oreilles (...). Ah ça me fait grincer des dents, rien que d'y penser (...). J'ai le violon en horreur (Kock, Cocu,1831, p. 10).Ils ont voulu faire les saltimbanques en jouant une pièce, je ne sais pas de qui, une connerie quelconque. Ça me faisait grincer des dents cette histoire-là (Queneau, Loin Rueil,1944, p. 219). Rem. Le suj. de grincer est gén. pronominalisé. ♦ Faire grincer les dents (à qqn, de qqn).L'impertinence du comte faisait presque grincer les dents à Anzoleto (Sand, Consuelo, t. 1, 1842-43, p. 116).Certains articles optimistes − et des plus beaux − de Barrès commençaient de faire grincer les dents des « poilus », dans leurs cagnas (Blanche, Modèles,1928, p. 73). 2. a) Qqn grince de (+ subst. désignant un affect).Laisser paraître dans sa voix, ses paroles, son expression une humeur acerbe qu'on ne peut contenir. « Ah! la méchante bête! (...) » dit le nain, qui, grinçant de plaisir, allongea lui-même de toute sa force, un coup de pied dans le flanc du bélier (Bourget, Némésis,1918, p. 60).On n'entendait que la voix de crécelle de Laure Provençal qui grinçait d'indignation (Guèvremont, Survenant,1945, p. 136). − Faire grincer de + subst.Vous êtes digne de combattre la réaction favorisée par l'empire, et reparaissant aujourd'hui, en littérature comme en politique, sous tous ses pseudonymes, bon ordre, bon goût, etc., mots qui sont des mensonges. Ceci que je souligne, récemment écrit par moi, a fait grincer de colère tous les journaux absolutistes belges, anglais, etc. (Hugo, Corresp.,1866, p. 559). b) Qqn grince.Manifester de l'aigreur, de l'acrimonie. N'dis pas. La ferme! (...) Ils écument et grincent et s'avancent l'un vers l'autre. Tulacque étreint sa hache préhistorique et ses yeux louches lancent deux éclairs (Barbusse, Feu,1916, p. 31) : 3. prunette (on sonne). − Ah! c'est lui (...) il sonne (nouveau coup de sonnette très violent). Il grince! (...) Je reconnais ça à la sonnette (...) Ma foi!... gare la sauce!... Je me sauve!...
Labiche, Misanthr. et Auv.,1852, I, 1, p. 136. − Faire grincer qqn.La fausse cordialité le fait grincer (L. Daudet, Salons et journaux,1917, p. 196). − En partic. La voix, le ton (de qqn) grince. Exprimer de l'aigreur, de l'acrimonie. Sur un ton de raillerie, qui grinçait : − Tu panses ta chère conscience, n'est-ce pas? (Daniel-Rops, Mort,1934, p. 196). − Au fig. [Le suj. désigne un état psychol. ou le contenu subjectif d'une œuvre] La modulation renanienne grince souvent. Sous chaque préoccupation générale, il y a une mesquinerie, ou une aigreur personnelle (L. Daudet, Rech. beau,1932, p. 138).Sa gaieté ne sonnait pas juste; elle grinçait; l'évidence de sa fausseté lui crevait l'oreille (Arnoux, Solde,1958, p. 229). C. − Rare. [Construit avec un compl. d'obj. interne] 1. Qqc. grince qqc.[Le compl. d'obj. désigne un son] Produire (un son grinçant). Les rebecks grinçaient des notes suraiguës et les darabouks grondaient comme une tempête (Du Camp, Nil,1854, p. 117). 2. Qqn grince qqc.[Le compl. d'obj. désigne une production langagière] Prononcer, exprimer d'une manière grinçante. J'allais me réfugier dans le giron de Nat pour lui grincer chaque fois la même rengaine (H. Bazin, Qui j'ose aimer,1956, p. 79). − [Grincer est employé pour introduire un discours au style dir. ou en incise] Ils vont se battre, ils ferment leurs poings. − Ah! Infâme! grince le petit homme, c'est toi! C'est toi! − Allons, cocu! − C'en est trop! (Flaub., 1reÉduc. sent.,1845, p. 219).Et madame grinçait : − Parbleu! je vois bien que cela ne te changera pas... Tu ne fais guère honneur à une femme (Mirbeau, Journal femme ch.,1900, p. 198). − P. métaph. Il vient de grincer un sourire. Un sourire insondable, impénétrable, amer (Hugo, Légende, t. 2, 1859, p. 645). REM. 1. Grincé, -ée, part. passé en emploi adj.Il grelottait dans cette torture, les ongles bleus, le visage violet et grincé, les dents serrées (Chateaubr., Mém., t. 1, 1848, p. 208).Quelquefois il avait un rire grincé, parcheminé (L. Daudet, Astre noir,1893, p. 85).Emploi subst. Le grincé du banc quand il s'asseyait (Giono, Chant monde,1934, p. 308). 2. Grinceur, -euse, subst.Ces grinceurs de dents (Giono, Voy. en Ital.,1953, p. 20). 3. Grinçonner, verbe intrans.Les chevaux tapaient du fer, culaient aux ridelles et grinçonnaient sur les mors et dans les sonnailles (Giono, Que ma joie demeure,1935, p. 205). Prononc. et Orth. : [gʀ
ε
̃se], (il) grince [gʀ
ε
̃:s]. Ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. 1. [xives.? (ms. du xvies.) grincer les dens « serrer les mâchoires et frotter les dents d'en bas contre celles d'en haut » (Combat de Saint-Pol, 336 ds Trouvères belges, éd. A. Scheler, t.1, p. 254)]; 1532 grincer les dentz (Rabelais, Pantagruel, xix, éd. V.L. Saulnier, p. 156); 2. 1491 [éd.] intrans. faire grincer [les] dens (Mer des Histoires, I, 128b ds Rom. Forsch. t. 32, p. 74); 1805 « produire un son aigre et prolongé, désagréable » (Cuvier, Anat. comp., t. 4, p. 483). Var. de l'anc. verbe grisser (lui-même doublet de crisser*), la nasale s'expliquant prob. par l'infl. de grigner* (EWFS1; FEW t. 16, p. 395a). Fréq. abs. littér. : 628. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 317, b) 1 094; xxes. : a) 1 074, b) 1 155. Bbg. Duchác̆ek (O.). L'Interdépendance et l'interaction du contenu et de l'expr. Orbis. 1972, t. 21, p. 475. |