| GRAVE1, adj. A. − Sens concr. [L'adj. est postposé] 1. PHYS., vx. Corps grave. Corps lourd, pesant, dense. La pesanteur, qui contracte le globe terrestre et fait s'y précipiter les corps graves (Ozanam, Philos. Dante,1838, p. 264) : 1. ... quand je dis : les corps graves en chute libre parcourent des espaces proportionnels aux carrés des temps, je ne fais que donner la définition de la chute libre. Toutes les fois que la condition ne sera pas remplie, je dirai que la chute n'est pas libre, de sorte que la loi ne pourra jamais être en défaut.
Poincaré, Valeur sc.,1905, p. 235. ♦ P. métaph. Il ne voyageait pas, il décrivait une circonférence. C'était un corps grave, parcourant une orbite autour du globe terrestre, suivant les lois de la mécanique rationnelle (Verne, Tour monde,1873, p. 47). − Emploi subst. masc. plur. Les corps graves. Il y a en lui du pâtre chaldéen, et il a écrit sur les astres, les « graves », comme il les appelle, des pages d'une pénétrante poésie (L. Daudet, Salons et journaux,1917, p. 167).Les recherches clandestines (...) subissent un processus d'entraînement, analogue à la loi d'accélération de la chute des graves (Bourget, Drame,1921, p. 29). 2. ACOUSTIQUE, MUS., CHANT [En parlant d'une émission sonore, d'un son, d'un bruit] De fréquences basses, placé au bas de l'échelle musicale et du registre d'une voix ou d'un instrument. Synon. bas; anton. aigu, haut.Son, ton grave. La voix de poitrine (...) chez les soprano s'étend d'ordinaire du si grave au fa et au sol (Reybaud, J. Paturot,1842, p. 76).La harpiste, qui souvent, pour atteindre les notes graves, se penchait, avec un mouvement gracieux, comme si elle eût voulu nager sur les ondes sonores de la musique (Gautier, Rom. momie,1858, p. 199). − P. ext. Qui a un son bas. Cloche, voix grave. Il est désormais un homme. La voix est grave et mâle; mais, à tout instant, elle a des inflexions naïves et presque puériles (Duhamel, Suzanne,1941, p. 186).Je reconnais la voix suraiguë de Folcoche, le timbre grave de papa, les onomatopées de Fine (H. Bazin, Vipère,1948, p. 195) : 2. Les cloches se mirent à sonner : la plus aiguë d'abord, toute seule, comme un oiseau plaintif, interrogea le ciel; puis la seconde, une tierce au-dessous, se mêla à sa plainte; enfin vint la plus grave, à la quinte, qui semblait leur donner la réponse.
Rolland, J.-Chr., Adolesc., 1905, p. 249. − Emploi subst. ♦ Le grave. Le registre des sons ou des notes les plus basses. Passer du grave à l'aigu (pour la voix). La duchesse (...) (appelant en voix de tyrolienne , « É » dans le grave, « mile » dans l'aigu) : Émile! (Feydeau, Dame Maxim's,1914, II, 3, p. 36).Un accordéon d'aveugle trépigne dans l'aigu et dégringole dans le grave (H. Bazin, Mort pt cheval,1949, p. 130). ♦ Les graves. Les sons graves (d'un instrument). (Ds Rob.). 3. ORTH. et PHONÉT. a) Accent grave. Signe typographique, accent qui se trace de haut en bas et obliquement de gauche à droite sur certaines voyelles.
α) En fr. [Sur le e, marque en principe le son e ouvert] Je compatis à ton ennui : je sais ce que c'est que l'embêtement et je trouve qu'il devrait s'écrire avec trois h aspirées et un triple accent grave (Flaub., Corresp.,1845, p. 160). − [Sert à distinguer certains mots de leurs homon.] La/là, des/dès, ou/où, etc.
β) En grec ,,l'accent grave (...) remplace l'accent aigu sur la dernière syllabe d'un mot immédiatement suivi d'un autre mot accentué et (...) indique une élévation moindre de la voix`` (J. Allard, Gramm. gr., Paris, Hachette, 1957, p. 5). b) Voyelle grave. Voyelle à forte aperture, à prononciation postvélaire. Les voyelles que l'âme expulse du corps qui s'ouvre jusqu'au fond, Les graves et les aiguës, l'a et l'i (Claudel, Repos 7ejour,1901, I, p. 807).Cf. Grammont, Versif. fr., 1908, p. 110. B. − Sens abstr. [L'adj. peut être antéposé] 1. [En parlant d'une pers.] Qui manifeste ou affecte un très grand sérieux, de la réserve, de la dignité, dans ses actes, son comportement; qui donne de l'importance aux choses. Grave magistrat; juge, homme grave. Grave comme un juge, le maître d'hôtel, passant entre les épaules des convives les plats tout découpés (Flaub., MmeBovary, t. 1, 1857, p. 55).Le travail en rhétorique me fut bien utile. Cette année-là, je devins plus grave, plus sérieux. Je raisonnais, je philosophais chrétiennement avec M. Dorveau (Dupanloup, Journal,1820-21, p. 24) : 3. Il n'a pas envie de rire, et tous trois gardent leur sérieux. Ils savent quel ton convient à chaque cérémonie. On doit rester triste aux enterrements, dès le début, jusqu'à la fin, et grave aux mariages, jusqu'après la messe. Sinon, ce n'est plus amusant de jouer.
Renard, Poil Carotte,1894, p. 206. − Vieilli, légèrement iron. Selon Polybe, ils payèrent une rançon; le témoignage de ce grave historien est confirmé par celui de Suétone (Michelet, Hist. romaine, t. 1, 1831, p. 137).Suivant l'exemple de beaucoup de graves auteurs, nous avons commencé l'histoire de notre héros une année avant sa naissance (Stendhal, Chartreuse,1839, p. 11). − P. méton. [En parlant de la physionomie, du comportement] Air, geste, pas, sourire, ton grave; tête grave. Son attitude vis-à-vis d'elle avait été grave, sévère, compassée, même un peu hautaine (Sandeau, Sacs,1851, p. 31).Les enfants qui vont par groupes à l'école, avec leurs figures soucieuses et graves d'avant la classe (Mauriac, Mém. intér.,1959, p. 28) : 4. Mon père ouvrit la porte. Il avait le visage si grave que maman, tout aussitôt, laissa paraître de l'angoisse. Mon père se découvrit et dit : − Pasteur est mort. C'est une grande perte pour le monde. Nous prîmes notre dîner dans le recueillement.
Duhamel, Jard. bêtes sauv.,1934, p. 200. − Emploi subst. La physionomie du juge d'instruction s'était remise au grave (Bourget, Disciple,1889, p. 33). ♦ P. anal. Grave. [En parlant d'un mouvement musical] De tempo lent ou modéré et de caractère sérieux ou majestueux. Une Fantaisie (...) qui constitue une suite véritable, car elle comprend un Grave, une Chaconne, une Loure et un Tambourin (D'Indy, Compos. mus.,1897-1900, p. 137). − P. ext. [En parlant de choses concr. ou abstr.] Les solennelles draperies vertes (...), les meubles graves de cet appartement où respirait la plus sévère magistrature, agissaient sur son moral (Balzac, Cous. Pons,1847, p. 26).Les mots les plus graves (tels que sacrifice, immolation, expiation), vidés de leur sens par la routine, sont employés avec une légèreté et une allégresse inconscientes (Teilhard de Ch., Milieu divin,1955, p. 116). 2. [En parlant de choses] a) Qui a une très grande importance. Anton. insignifiant.Matière, question grave; raisons graves; choix grave; grave discussion, problème; excessivement, extrêmement, fort, particulièrement grave; pas bien grave, beaucoup plus grave. C'est grave, un mariage... On s'engage pour la vie entière... pour toute la vie (Pagnol, Marius,1931, IV, 2, p. 249).Mais on ne retire pas ses enfants à une jeune femme sans motifs graves (H. Bazin, Vipère,1948, p. 21). − P. plaisant. Quelle parure sied? − Quelle couleur va bien? S'il faut mettre du rouge ou non (question grave!) (Gautier, Albertus,1833, p. 138).Ils étaient préoccupés tous deux de la grave question de savoir qui offrait le dîner à l'autre (Rolland, J.-Chr., Matin, 1904, p. 151). b) Susceptible de conséquences étendues, de suites fâcheuses, dangereuses. Affaire, situation grave; cas grave; l'heure est grave. Gallant de Saint-Phlin est un bon Français. Le pays le trouverait aux jours graves! (Barrès, Déracinés,1897, p. 33).Antoine doutait si ce n'était point une grave responsabilité que de le laisser partir ainsi (Gide, Faux-monn.,1925, p. 941) : 5. ... Quelque Chose se développe dans le Monde, au moyen de nous, − peut-être à nos dépens. Et, ce qui est plus grave encore, nous nous apercevons que, dans la grande partie engagée, nous sommes les joueurs, en même temps que les cartes et l'enjeu. Rien ne continuera plus, si nous quittons la table.
Teilhard de Ch., Phénom. hum.,1955, p. 255. − En partic. ♦ [En parlant d'un accident, d'une maladie] Anton. bénin, léger.Blessure, brûlure, maladie grave. Une courte maladie de Frédie. Rien de grave. Une simple indigestion, due à la surabondance de haricots rouges (H. Bazin, Vipère,1948, p. 53).Des caisses de fusées s'enflamment et les explosions se succèdent. Quoiqu'il n'y ait aucun danger grave, la panique s'empare de la foule (Bernanos, Dialog. Carm.,1948, 1, p. 1567) : 6. − Voilà, dit-il; pas la peine de te mettre à l'envers. Ce n'est pas grave. Ce n'est pas grave. Mais c'est sérieux. Il avait la poitrine faible. Il suffisait d'une pichenette. Il n'est plus question qu'il retourne en classe. Repos, repos et repos.
Cocteau, Enfants terr.,1929, p. 41. P. méton. [En parlant d'une pers.] Gravement atteint. Un mort, deux blessés graves, tous les autres blessés légers, avait dit l'officier de service au téléphone (Malraux, Espoir,1937, p. 824).Chez certains déprimés graves, le sens même de la propriété est atteint, ils nient que leurs habits, leur maison soient à eux (Mounier, Traité caract.,1946, p. 534).♦ [En parlant d'une faute, d'une punition] Sévère ou de nature à entraîner un jugement sévère. Faute, injure, péché, sanction grave. Croyant tous les hommes politiques véreux, le crime de concussion lui paraissait moins grave que le plus léger délit de vol (Proust, Guermantes 1,1920, p. 27).Quant aux œufs, Frédie les avait volés à Bertine, c'est évident (...). Tout cela est très grave et mérite une punition exemplaire (H. Bazin, Vipère,1948, p. 166) : 7. − Vous vous êtes écartée de Dieu, je le sais. Je ne vous dirai pas comme d'autres : cela est terrible. Certes, il est grave de ne pas faire ses Pâques, de vivre en dehors de l'Église. Mais il y a plus grave que cela. On peut accomplir tous les gestes extérieurs de la fidélité et être infidèle en esprit.
Daniel-Rops, Mort,1934, p. 169. SYNT. Grave confusion, crise, décision, défaut, difficulté, imprudence, inconvénient, lacune, objection, préjudice, question; accusation, affaire, chose, circonstance, délit, empêchement, événement grave; conséquences, désordres, dommages, inquiétudes, nouvelles, pensées, réflexions, reproches, soucis graves. REM. Gravissime, adj.Extrêmement grave. En proie aux immenses difficultés nerveuses et intellectuelles de situations gravissimes et de problèmes d'une extrême complexité (Valéry, Mauv. pens.1942, p. 100).États hémorragiques gravissimes (R. Schwartz, Nouv. remèdes et mal. act.,1965, p. 93). Prononc. et Orth. : [gʀa:v]. Passy 1914 et Warn. 1968 admettent, en outre, [gʀ
ɑ:v], prononc. que DG ne note qu'à titre hist. Le mot est ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. 1. Début xives. « qui a de l'importance » (Aimé de Mont-Cassin, Yst. de li Normant, éd. V. de Bartholomaeis, p. 40, 2); 2. xves. acoust. (Fauconnerie d'Albert le Grand ds Delb. Rec. d'apr. DG); 3. 1533 gramm. (Montflory, Briefve doctrine pour deuement escripre ds Beaul. t. 2, p. 117); 4. 1542 fig. « lourd, pesant » (Deroziers, trad. de Dion Cassius, Hist. rom., L. LII, ch. 86-194-rods Hug.); 1690 phys. (Fur.); 5. 1542 « sévère, sombre » (Deroziers, op. cit., L. XLV, ch. 59-109 ro− ds Hug.); 1549 « sévère, austère » (Est.). Empr. au lat.gravis « bas (d'un son) », « sérieux, digne » « puissant », attesté également comme terme de gramm.; a éliminé l'adj. grief*. Fréq. abs. littér. : 8 111. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 8 905, b) 13 852; xxes. : a) 12 312, b) 12 069. |