| GRACIEUX, -IEUSE, adj. et subst. I. − Adjectif A. − [Correspond à grâce I] 1. Rare. [En parlant d'une année] De grâce (cf. an* de grâce). Il arriva que, dans cette gracieuse année 1482, l'Annonciation tomba un mardi 25 mars (Hugo, N.-D. Paris,1832, p. 301). 2. [En parlant d'un prince souverain] Qui accorde des faveurs. Le prince a raison de punir l'étourderie de Fabrice; mais le jour de sa fête, sans doute notre gracieux souverain lui rendra la liberté (Stendhal, Chartreuse,1839, p. 267).Si vous aviez un peu de cœur, est-ce que vous ne prendriez pas en considération les services que vous rend notre gracieux souverain, le père de ses sujets, celui qui vous met le pain à la bouche? (Erckm.-Chatr., Ami Fritz,1864, p. 121).Notre très gracieuse majesté incarne si parfaitement le suprême honneur militaire qu'elle voudra bien nous aider à obtenir la réhabilitation d'un officier, même français (Affaire Dreyfus,1895, p. 124). 3. [En parlant d'une chose, d'un acte, etc.] Qui se donne pour rien; gratuit. Vous payerez à Arcangeli, mon secrétaire des commandements, la somme de 3 000 livres, à titre de don gracieux (Bourges, Crépusc. dieux,1884, p. 68).Le soir, grand bal dans la salle du banquet. La fanfare du chef-lieu (quelque chose de propre!) prêtera son gracieux concours (Colette, Cl. école,1900, p. 259).Le caractère de la grâce [de Dieu] est d'être gracieuse, gratuitement reçue et gratuitement donnée! (Claudel, Poète regarde Croix,1938, III, p. 261). ♦ À titre gracieux. Bénévolement, gratuitement. Il est tout à fait scandalisé que la préface que j'ai écrite à titre gracieux pour son bouquin sur Gautier, je l'aie réimprimée dans Pages retrouvées. Ça lui appartenait! (Goncourt, Journal,1888, p. 759).Ce n'est pas une pièce de vin commun que nous devrions lui envoyer à titre gracieux, mais une pièce de vin fin (Barrès, Colline insp.,1913, p. 269). ♦ DR. Juridiction gracieuse. Acte juridictionnel dont la demande est formée par simple requête, et qui est exercé en dehors de tout procès et en chambre du conseil, en audience non publique (d'apr. Barr. 1974). Anton. juridiction contentieuse : 1. ... les réclamations sont purement administratives; elles relèvent de ce qu'on désigne sous le titre de juridiction gracieuse, pour indiquer que toute concession est purement chose de grâce et de bon vouloir.
Vivien, Ét. admin., t. 1, 1859, p. 126. B. − [Correspond à grâce III] 1. [En parlant d'un être vivant] a) Qui a de l'agrément, du charme dans son air, ses attitudes, ses manières. Geste, sourire, visage gracieux; démarche, tenue gracieuse. L'aînée (...) a les plus admirables cheveux blonds, un peu colorés de feu, que j'aie jamais vus de ma vie. Grande, souple, gracieuse dans tous ses mouvements (Vigny, Journ. poète,1839, p. 1118).Les évolutions d'un patineur adroit et gracieux (Du Bos, Journal,1927, p. 302) : 2. Son colley la précédait encore. Maîtresse et bête étaient également gracieuses à voir agir : c'était la même élasticité animale, robuste et élégante, plus mesurée chez la maîtresse et comme réfléchie.
Martin du G., Devenir,1909, p. 100. b) [En parlant du comportement de qqn dans les relations sociales] − Aimable, affable. Puisque votre Seigneurie est de cette ville, elle serait bien gracieuse de me dire où nous sommes? (Sardou, Patrie!1869, I, tabl. 1, 2, p. 6).Je vois entre les mains de notre gracieux confrère, remarqua M. Guérou avec son habituelle perfidie, un livre tout neuf (Bernanos, Imposture,1927, p. 386). − P. ext. Qui fait preuve de bienveillance, d'amabilité. Je suis extrêmement sensible, monsieur, au gracieux empressement de votre invitation (Balzac, Corresp.,1833, p. 436).Voulez-vous accepter de venir passer un mois chez nous. Ce serait très gracieux de votre part (Maupass., Contes et nouv., t. 1, Porte, 1887, p. 1075) : 3. Il fallait se jeter à bas du lit, se frotter les yeux, endosser à la hâte une robe de chambre pour recevoir ces visiteurs champêtres, et leur faire un accueil gracieux au lieu de les envoyer à tous les diables.
Reybaud, J. Paturot,1842, p. 349. − P. iron. Au milieu de sa rêverie, on frappa à sa porte. − Qui est là? cria le savant du ton gracieux d'un dogue affamé qu'on dérange de son os (Hugo, N.-D. Paris,1832, p. 198). 2. [En parlant d'une chose] Qui a de l'agrément, de l'attrait. Endroit, lac, objet, paysage, site gracieux; architecture, façade gracieuse; contours gracieux; ondulations, volutes gracieuses. À l'abri d'un petit môle qui se détache d'une colline gracieuse, toute vêtue de vignes, de figuiers et d'oliviers, comme une main amie que le rivage tend aux matelots (Lamart., Voy. Orient, t. 1, 1835, p. 41).De petits détails gracieux qui contrastent : l'unique petite fleur au rocher nu, la petite chute dans un petit bassin (Michelet, Journal,1835, p. 191). 3. [En parlant de l'expression, du style] Qui est exprimé, exécuté avec élégance. Le beau se sent et ne se définit pas. Une belle démarche, des manières douces, un parler gracieux, séduisent toujours et donnent à un homme médiocre d'immenses avantages sur un homme supérieur (Balzac, Théor. démarche,1833, p. 640) : 4. ... avec plus de correction peut-être et plus d'éclat que Marot, Saint-Gelais est bien loin de la franche naïveté gauloise. Les pièces qu'il a laissées, fort courtes pour la plupart, étincellent de traits soit gracieux, soit caustiques...
Sainte-Beuve, Tabl. poés. fr.,1828, p. 35. − P. méton. Peintre gracieux. Dont le style est gracieux, qui peint des œuvres gracieuses. V. grâce III A 1 ex. de Ménard. II. − Emploi subst. A. − [En parlant d'une pers.] 1. Personne qui a du charme, de l'agrément. Le gracieux qui m'a remis votre carte (un licencié ès-lettres, s'il vous plaît, et palmé comme tel...) (Villiers de L'I.-A., Contes cruels,1883, p. 49).V. apothicaire ex. 1. − Fam. Ma gracieuse! [Terme d'affection] Ne pleurons pas pour si peu, ma gracieuse! C'est un nom auquel il faut s'accoutumer, voilà tout (Hugo, N.-D. Paris,1832, p. 343). 2. [En parlant du comportement de qqn dans les relations sociales] Faire le gracieux. Se comporter d'une manière aimable, pleine de prévenances, se distinguer par des compliments. Synon. rare faire le gracioso; anton. faire le malgracieux.Paulin Ménier, sérieux comme un avoué, faisant le gracieux et l'homme du monde, avec sa tête de bossu, ses traits marqués et comme grimés de rides (Goncourt, Journal,1861, p. 993).S'habiller! se laver! se mettre en frais! faire le gracieux! que de tracas! (Montherl., Célibataires,1934, p. 834). B. − [En parlant d'une chose] Caractère de ce qui a de l'agrément, de l'attrait. La Judée surtout (...) est au-dessus de toute description par l'originalité, la solennité et le gracieux des sites (Lamart., Corresp.,1832, p. 307) : 5. Il y aura néanmoins toujours un ordre d'esprits systématiques qui reprocheront à Delacroix de n'avoir pas présenté à leurs sens le joli, le gracieux, la forme voluptueuse, l'expression caressante comme ils l'entendent.
Sand, Hist. vie, t. 4, 1855, p. 250. Prononc. et Orth. : [gʀasjø], fém. [-ø:z]. Ds Ac. dep. 1694. Cf. grâce. Étymol. et Hist. 1. a) 1176 « qui fait preuve de bienveillance (d'une personne) » (Chr. de Troyes, Cligès, éd. A. Micha, 1014); b) fin xives. « bienfaisant, agréable (d'une chose) » saison... gracieuse (J. Froissart, Chron., éd. S. Luce et G. Raynaud, XI, 133); c) av. 1473 « qui manifeste le désir d'être agréable » gratieuse... response (Juvèn. Des Urs., Charles VI, 1381 ds Littré); d) 1831 subst. « bouffon de comédie » ici comme nom d'un personnage (Hugo, Marion Del., III, 7); 2. 1176-81 « qui a de la grâce, de l'agrément » (Chr. de Troyes, Chevalier Lyon, éd. M. Roques, 1892); 1677 subst. arts et litt. (R. de Piles, 1reConvers., p. 52 ds Brunot t. 6, p. 710, note 7); 3. ca 1530 [ms.] être gracieux [à qqn] « accorder des grâces à quelqu'un » (Ph. de Commynes, Mém., éd. J. Calmette, II, 114, var. ms. B.N. nouv. acquisitions fr. 20 960); en partic. av. 1778 « qui accorde sa grâce » gracieux souverain (Volt., Dict. phil., s.v. Gracieux ds Littré); 1866 « qui a le caractère d'une grâce, accordé sans contre-partie » à titre gracieux (ibid.). Empr. au lat. class.gratiosus « qui est en faveur; qui accorde une faveur, obligeant; fait ou obtenu par faveur », lui-même dér. de gratia, v. grâce. Fréq. abs. littér. : 2 205. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 4 769, b) 3 691; xxes. : a) 2 622, b) 1 752. Bbg. Baldensperger (F.). Notes lexicol. Fr. mod. 1938, t. 6, p. 254. - Duch. Beauté. 1960, pp. 65-66, 170-172. - Elkner (B.A.). The Dancer from the dance... Australian journal of French studies. 1973, t. 10, pp. 274-292. - Gohin 1903, p. 271. |