| GOÛT, subst. masc. I. − [En tant que phénomène physiol., la faculté gustative de l'être vivant étant seule en cause] Sens de la sapidité : 1. La sensation du goût est une opération chimique qui se fait par voie humide, comme nous disions autrefois, c'est-à-dire qu'il faut que les molécules sapides soient dissoutes dans un fluide quelconque, pour pouvoir ensuite être absorbées par les houppes nerveuses, papilles ou suçoirs, qui tapissent l'intérieur de l'appareil dégustateur.
Brillat-Sav., Physiol. goût,1825, p. 40. A. − Langage courant Un des cinq sens grâce auquel hommes ou animaux ont la faculté de percevoir les saveurs (réduites, lorsque l'odorat n'intervient pas, au salé, au sucré, à l'amer, à l'acide). Altération du goût, physiologie du goût; avoir du, ne pas avoir de goût; goût développé. Tant que dure ce rhume on perd totalement l'odorat et même le goût (Geoffroy, Méd. pratique,1800, p. 117) : 2. Le goût, mon cher, c'est un organe délicat, perfectible et respectable comme l'œil et l'oreille. Manquer de goût, c'est être privé d'une faculté exquise, de la faculté de discerner la qualité des aliments, comme on peut être privé de celle de discerner les qualités d'un livre ou d'une œuvre d'art...
Maupass., Contes et nouv., t. 2, Rosier MmeHusson, 1887, p. 683. ♦ Perdre le goût du pain. Mourir : 3. Eh! mon Dieu! ne vous défendez pas; (...) et puisque ce pauvre Samuel a perdu le goût du pain (...). Je connais la personne qui possède l'acte de décès de Samuel Ewart.
A. France, Jocaste,1879, p.107. ♦ Faire passer le goût du pain à qqn (pop.). Menacer de mort; tuer. Victor : Alors c'est dans un accès de saoûlographie qu'y a fait passer le goût du pain? Julot : Pas du tout, c'est un crime passionnel : c'est émouvant au possible (J. Lévy, Gosses Paris,1898, p. 15). B. − P. méton. La saveur elle-même. Bon, mauvais goût; goût agréable, désagréable, exquis, fade, infect, (de) pourri, (de) roussi, (de) terroir; avoir le goût dans la bouche; goût d'alcool, de café, de lait, de miel, de viande; goût de rien. Mais quoique très-nourrissants alors et pectoraux, leur goût [des dattes] diffère autant des premiers [fruits dans leur fraîcheur], que le goût des figues sèches diffère de celui des figues fraîches (Bern. de St-P., Harm. nat.,1814, p. 66).On mange ici, par repas, une languette d'une espèce de brioche sans goût (Alain-Fournier, Corresp. [avec Rivière], 1905, p. 19) : 4. Le gibier fait les délices de nos tables; c'est une nourriture saine, chaude, savoureuse, de haut goût, et facile à digérer toutes les fois que l'individu est jeune.
Brillat-Sav., Physiol. goût,1825, p. 87. 5. ... il y avait eu en moi, irradiant une petite zone autour de moi, une sensation (goût de la madeleine trempée, bruit métallique, sensation du pas) qui était commune à cet endroit où je me trouvais et aussi à un autre endroit (chambre de ma tante Octave, wagon du chemin de fer, baptistère de Saint-Marc).
Proust, Temps retr.,1922, p. 873. Rem. 1. Parfois goût de... signifie « goût rappellant... »; aussi trouve-t-on indifféremment les expr. goût de ou comme un goût de : goût d'herbe, de fiel. 2. Dans l'expr. petit goût de revenez-y, petit atténue d'une façon plaisante une gourmandise trop évidente. Certains emplois de petit goût de sont d'ailleurs susceptibles de valeurs affectives. La sénéka a un petit goût amer et aromatique (Chateaubr., Voy. Amér. et Italie, t. 1, 1827, p. 104). C. − Par synesthésie. Odeur. Rem. Cette déformation, admise d'ailleurs par Ac., s'explique par le fait que la sensation gustative est réduite à peu de chose sans l'intervention de la sensation olfactive, d'où une certaine confusion. Et c'est un goût de vétiver dans le parfum d'aisselle de la nuit basse (Saint-John Perse, Exil, 1942, p. 222). ♦ En partic. Quand le feu est intérieur (...) une odeur (...) appelée par les houilleurs goût fin, avertit l'exploitant qu'un incendie se prépare (Haton de La Goupillière, Exploitation mines,1905, p. 1330). D. − P. ext. (dans des syntagmes verbaux). Appétit ou envie que suscitent une sensation agréable ou l'habitude de certaines saveurs. Prendre goût (à certains aliments). ♦ Mettre en goût. Ah! ce bouillon m'a mis en goût... Va me chercher un poulet et une bouteille de bordeaux (Labiche, Prix Martin,1876, II, 12 , p. 73). E. − P. métaph. Disposition psychologique, état d'âme et d'esprit provoqué par une chose abstraite. Tu connais le goût des baisers, toi (Salacrou, Terre ronde,1938, I, 4, p. 161). ♦ Goût de cendre. V. cendre ex. 4. II. − Au fig. [En tant que phénomène psychol. dans un cont. soc.] Faculté psychique de discernement analogue au sens du goût. Tous les hommes sont capables d'éprouver (...) ces trois phases [impression, conception, expression] de modifications successives ou simultanées de l'acte du goût (Chaignet, Sc. beau,1860, p. 71) : 6. Le problème esthétique, c'est-à-dire le problème de l'expression du goût, de la beauté, a été abordé de bien des côtés différents, par la métaphysique, par la psychologie, par la sociologie, par l'histoire de la nature et l'histoire de l'art, par les mathématiques.
Griveau, Élém. beau,1892, p. 1. SYNT. a) Goût + adj. Goût bizarre, charmant, délicat, déplorable, détestable, douteux, excellent, excessif, exquis, extrême, grossier, insensé, raffiné, sûr, vulgaire. b) Subst. + goût. Faute, gens, homme, merveille, note de goût; perversion, règle, sûreté du goût. c) Verbe + goût. Acquérir du goût, affiner le goût, déformer le goût, développer le goût, émousser le goût, épurer le goût, (se) fier au goût, former le goût, manquer de goût, s'en remettre au goût. d) Adv. + goût. Beaucoup de goût, peu de goût, moins de goût. A. − Emploi gén. : 7. ... le Goût, c'est-à-dire cette aptitude fine et délicate à discerner les qualités ou les défauts dans les œuvres des autres et dans les siennes propres et à les apprécier par un jugement sain.
D'Indy, Compos. mus., t. 1, 1897-1900, p. 15. B. − En partic. 1. [Sans qualificatif, avec valeur laud.] Sentiment du beau, habitude du beau ou de ce qui est considéré comme tel. Ceux qui se croient du goût en sont plus orgueilleux que ceux qui se croient du génie (Staël, Allemagne, t. 2, 1810, p. 216).Le naturel de l'élégance, par le coquet décor de l'appartement, par le goût des colifichets meublants (Goncourt, Art xviiies., t. 2, 1882, p. 20) : 8. Lorsqu'on a cessé de juger au nom du goût pour percevoir la profondeur et la délicatesse de l'inspiration, combien d'œuvres se sont vivifiées qui semblaient mortes!
Hourticq, Hist. Art, Fr., 1914, p. 380. 2. Bon goût : aptitude à percevoir le beau/mauvais goût : incapacité de distinguer le beau du laid. Le bon goût est à l'esprit ce qu'une oreille juste est aux sons (Duras, Ourika,1824, p. 31).Il était bien loin, sans doute, de ce technicien méticuleux qui prodiguait sur ses fresques en relief, avec un mauvais goût pervers et candide, des ornements de métal et des pierres transparentes (Faure, Hist. art,1914, p. 401). − Loc. De bon goût, d'un bon goût, de mauvais goût, d'un mauvais goût, d'un goût douteux. Qui révèle la faculté ou non de discernement d'un individu et son degré d'éducation. Des bronzes dorés, d'un très-bon goût, relèvent le vif éclat du vernis posé sur ce bois (Nosban, Manuel menuisier, t. 2, 1857, p. 96). C. − P. méton. Le jugement en lui-même et, p. ext. l'ensemble des habitudes et des éléments esthétiques ou intellectuels choisis et constituant la mode de l'époque. Flatter le goût; le goût moderne; le goût de la clientèle. À Paris, on est presque forcément entraîné vers le goût à la mode (Bonstetten, Homme Midi,1824, p. 78).Il leur eût fallu d'abord contracter des goûts et des habitudes (Durkheim, Divis. trav.,1893, p. 219).« Les changements dans le goût du public » ont des causes générales (Arts et litt.,1935, p. 76-02). − Locutions ♦ À mon/son (etc.) goût. À (mon) avis. Passepartout : T'es un lâche, toi! sais-tu bien? Si tu vois ou si tu entends un homme, tu n'as qu'à m'appeler, je lui ferai son affaire. Finot : Fais à ton goût, ce n'est pas le mien (Ctesse Ségur, Mém. âne,1860, p. 253). ♦ Selon son goût. Vous nous aviez promis monts et merveilles, nous devions devenir tous des richards, et la vérité est que nous ne gagnons pas plus qu'ailleurs, avec des embêtements en plus, selon mon goût (Zola, Travail, t. 1, 1901, p. 292). ♦ Dans le goût de; du goût de. À la manière de, dans le style, à la mode de. Au fond [de la Prédication de saint Étienne, par Carpaccio] des édifices, dans le goût de ceux qui à cette époque devaient border la place de l'Atmeidan (Gautier, Guide Louvre,1872, p. 85). ♦ Dans ce goût-là. De cette manière-là. Eh! bien, ma petite, mon amoureux passe son temps à travailler dans ce goût-là (Balzac, Cous. Bette,1946, p. 39). ♦ Au goût du jour; arranger au goût du jour. Pour le mettre au goût du jour, on pose le socle sur des griffes de lion (Viaux, Meuble Fr.,1962, p. 65). − Expr. Cela dépend des goûts. (Dict. xixeet xxes.). Tous les goûts sont dans la nature (Dict. xixeet xxes.). Chacun ses goûts. [P. réf. à l'adage du lat. médiév. gustibus et coloribus non est disputandum] Des goûts et des couleurs, on ne discute pas. Il ne faut pas disputer des goûts et des couleurs (Senancour, Obermann, t. 1, 1840, p. 116). D. − P. ext. Attraits pour certaines choses concrètes ou abstraites, considérées comme sources de plaisir ou dignes d'intérêt, pouvoir d'en jouir ou d'en tirer satisfaction. SYNT. a) Goût de + verbe. Goût de paraître, de plaire. Ses allées et venues pour gagner ces pays jaunâtres de minerai mirent du moins le jeune professeur en goût de visiter tous les pays qui entourent Metz (Barrès, C. Baudoche, 1909, p. 143). b) Goût de + subst. Goût de (l') analyse, de (l') apparat, de l'art, de l'aventure, du bonheur, de la catastrophe, de la dépendance, de la dépense, de la destruction, de l'éternité, de la lecture, du luxe, du malheur, de la mort, du mystère, du panache, du paradoxe, du parfum, de la perfection, de la plaisanterie, du plaisir, de la poésie, de la possession, de la pureté, du sacrifice, du sang, du suicide. Nous comprenons que Pierre Corneille ait aimé chez ces personnages le goût violent de l'absolu (Brasillach, Corneille, 1938, p. 39). Ils ont un goût prononcé du scandale (Civilis. écr., 1939, p. 40-04). Il faut que tu aies le goût du martyre pour garder une attitude critique sans rien faire pour les empêcher de venir au pouvoir (Beauvoir, Mandarins, 1954, p. 371). c) Goût + adj. Goûts sédentaires, sexuels, simples. Il se trompait comme tous ceux qui s'obstinent à considérer les goûts homosexuels, dès qu'ils n'habitent pas des êtres physiologiquement anormaux, comme des tendances acquises (Gide, Et nunc manet, 1951, p. 1130). d) Goût pour. Goût pour l'ostentation, pour rien. Il ne doit la vie qu'à son goût pour l'astronomie (Crèvecœur, Voyage, t. 2, 1801, p. 293). − Loc. Goût à.[N'avoir (de)] goût à rien; perdre, prendre, reprendre goût à. Insensiblement Bernard avait pris goût au jeu (Sandeau, Mllede La Seiglière,1848, p. 155). Rem. 1. Lang. littér. Passion. Octave ne passait plus devant la porte de Marie sans entrer, repris d'un singulier goût, d'un coup de passion, qu'il ne s'avouait même pas (Zola, Pot-Bouille, 1882, p. 260). Une des grandes passions de ma chétive vie, la plus constante, la plus ruineuse et la plus bizarre, c'est mon goût du Parlement (Barrès, Cahiers, t. 5, 1907, p. 134). 2. Vieilli. Avoir, se sentir du goût pour qqn. Avoir une inclination. Suis-je fat, ou serait-il vrai qu'elle a du goût pour moi? (Stendhal, Rouge et Noir, 1830, p. 505). Voilà pourquoi vous rougissez! Vous vous sentez du goût pour lui, n'est-ce pas? Allons, dites (Balzac, Gobseck, 1830, p. 382). Prononc. et Orth. : [gu]. D'apr. Littré le t ne se lie pas dans le lang. cour. Ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. A. 1. 1erquart xiiies. goust « les aliments, la nourriture » (Reclus de Molliens, Miserere, 153, 1 ds T.-L.) seulement chez cet auteur; 2. a) xiiies. « saveur (ici au fig.) » (St Brandan, 9, 19, ibid. : esperituel goust); b) ca 1276 venir bien a goust « plaire, convenir » (Adam de La Halle, Feuillée, éd. A. Langlois, 176); c) 1379 « appétit, envie » (J. de Brie, Bon Berger, 152 ds T.-L.) : pour leur donner goust de manger); 3. ca 1282 « sens par lequel on discerne les saveurs » (Gouvernement des rois, 30, 32, ibid.). B. 1. 1564 « sentiment d'appréciation qui pousse à préférer telle ou telle chose » (Indice et recueil universel de tous les motz principaux des livres de la Bible s.l. [Paris], p. 157 ro); 1643 en partic. dans le domaine du jugement esthétique (Poussin, Lett. à M. de Chantelou, p. 211 ds Brunot t. 6, p. 714, note : Quant ausy jaurei fet quelque chose de bon goût, je vous le dédirei); 2. 1686 « sympathie pour une personne » (Mmede Sévigné, Lettres, éd. M. Monmerqué, t. 7, p. 525). Du lat. gustus « action de goûter, dégustation; saveur (au propre et au fig.) ». Fréq. abs. littér. : 11 574. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 16 878, b) 15 257; xxes. : a) 15 351, b) 17 412. Bbg. Bahners (K.). Zum bon sens bei Boileau. Die Neueren Sprachen. 1969, t. 68, pp. 350-353. - Barrère (J.-B.). L'Idée de goût de Pascal à Valéry. Paris, 1972, 308 p. - Brooks (H.F.). Taste, perfection and delight in Guez de Balzac's criticism. Studies in philology. 1971, t. 68, pp. 70-87. - Litman (Th. A.). Le Sublime en France (1660-1714). Paris, 1971, 286 p. - Mecz (I.). Rem. sur le goût ds la critique d'art, de Félibien à Roger de Piles. In : [Mél. Fouché (P.)]. Paris, 1970, pp. 225-232. |