| GLOIRE, subst. fém. I. A. − Célébrité éclatante due à des qualités ou des actions estimées d'un large public. Gloire durable, éclatante, immortelle, littéraire, militaire, naissante; gloire et honneur, amour de la gloire; heure, jour de gloire; être avide de gloire, être au sommet de la gloire, se couvrir de gloire. Le génie n'en veut qu'à la gloire, et la gloire ne jaillit que de l'opinion publique (Staël, Consid. Révol. fr., t. 1, 1817, p. 33).C'est la recherche de la notoriété que je veux dire : réputation, gloire, toute publicité suivie d'avantages flatteurs (Barrès, Barbares,1888, p. 182) : 1. Saint-Sulpice doit son origine à un homme dont le nom n'est point arrivé à la grande célébrité; car la célébrité va rarement chercher ceux qui ont fait profession de fuir la gloire et dont la qualité dominante a été la modestie.
Renan, Souv. enf.,1883, p. 200. − P. personnification [Avec une majuscule] Dégagé des liens terrestres et soutenu par la Vertu, le Génie parvient au séjour de la Gloire, son but suprême (Delacroix, Journal,1851, p. 440).Gloire distribuant des couronnes [titre d'une œuvre du peintre Paul Delaroche] (Bourget, Essais psychol.,1883, p. 152). 1. Locutions a) Loc. verb. Faire la gloire de qqn. Contribuer à la célébrité de quelqu'un. Des essais qui eussent fait la gloire des plus grands hommes de l'antiquité (Proudhon, Syst. contrad. écon., t. 1, 1846, p. 312).Les immenses godasses qui firent la gloire de Charlot (Lhote, Peint. d'abord,1942, p. 24). b) Locution subst. Pour la gloire. Pour rien. Synon. pour des prunes (fam.).Nous nous faisons du tourment pour la gloire (La Varende, Homme aux gants,1943, p. 364).Travailler pour la gloire. Travailler de façon désintéressée, sans profit. (Ds Davau-Cohen 1972, Lar. Lang. fr.). Synon. travailler pour le roi de Prusse (fam.). 2. P. méton. Personne célèbre. Synon. célébrité.Un monument commémoratif des gloires de l'Empire (A. France, Bonnard,1881, p. 395).Il y avait eu des gloires médicales, les grands noms lui revenaient, Hippocrate, Ambroise Paré, et tant d'autres (Zola, Joie de vivre,1884, p. 842).Les hautes gloires de la science et des lettres françaises (Bremond, Hist. sent. relig., t. 3, 1921, p. 192). B. − Vieilli. [Avec une valeur atténuée, parfois iron.] Réputation qui s'attache aux mérites, aux actes particulièrement estimables. Synon. honneur.Impossible que je quitte mon sambayon; il y va de ma gloire et de votre entremets (Toepffer, Nouv. genev.,1839, p. 411). C. − 1. Ce qui assure le renom (vrai ou imaginaire) de quelqu'un; source, motif de célébrité. Ce vieux cliché qu'on nous sort tous les ans : la sculpture est la gloire de la France (Huysmans, Art mod.,1883, p. 97). 2. Ce qui rend une personne digne d'estime. Synon. mérite.Sa gloire est d'avoir formé en M. Le Hir un élève qui, héritier de son vaste savoir, y joignit la connaissance des travaux modernes (Renan, Souv. enf.,1883, p. 270).Une dizaine de critiques se disputèrent soudain la gloire d'avoir découvert son talent (Camus, Exil et Roy.,1957, p. 1627). − Loc. verb., vieilli. Faire gloire à qqn de qqc. Accorder à quelqu'un le mérite de quelque chose. Le patriotisme de l'ecclésiastique, son consentement à faire la guerre, sont des choses dont, très évidemment, les laïcs modernes lui font gloire (Benda, Trahis. clercs,1927, p. 269). II. A. − [Idée que l'on se fait de sa propre gloire] Personne ou chose dont on est fier, satisfaction d'amour-propre. Synon. fierté.Yann était son aîné, son préféré, sa gloire (Loti, Pêch. Isl.,1886, p. 314). − Loc. verb. ♦ Mettre sa gloire à faire qqc. Mettre son point d'honneur à faire quelque chose. La tâche d'un écrivain est de concevoir les passions, puisqu'il met sa gloire à les exprimer (Balzac, Illus. perdues,1843, p. 572).Un homme qui aurait dû mettre sa gloire à faire vite fortune (Zola, Pot-Bouille,1882, p. 243). ♦ Se faire, tirer gloire de qqc. Tirer une légitime fierté de quelque chose. J'ai été contre la guerre, et je m'en fais gloire (Renan, Drames philos.,1888, p. 574). B. − Péj. Orgueil exagéré. Synon. suffisance, vanité.Fausse, sotte, vaine gloire; avoir trop de gloire pour faire qqc. La gloire le perdra (Ac. 1798-1878). ♦ Par gloire. Par ostentation. Ce n'est pas par gloire qu'il a dit cela, qu'il a fait cela (Ac. 1932). − Loc. verb. Se faire gloire de qqc. Se prévaloir avec ostentation de quelque chose. Synon. se targuer, se vanter de qqc.Voilà comment les Simion firent une grande et belle cure qui aurait honoré bien des docteurs. Mais étant gens sans bruit, ils ne songèrent même pas à en tirer gloire (Pourrat, Gaspard,1922, p. 73) : 2. Le responsable désigné lui disait avoir recruté dix, vingt, cinquante partisans, il ne les voyait jamais, c'eût été contraire aux règles de sécurité, l'autre pouvait aussi bien les avoir inventés de toutes pièces, par vantardise ou pour toucher des subsides, étaient-ce bien eux qui avaient fait le sabotage dont leur chef revendiquait le mérite? Il arrivait que plusieurs organisations se fissent gloire d'un même succès.
Vailland, Drôle de jeu,1945, p. 179. III. A. − Grand éclat. Synon. prestige.Il [Xénophon] (...) diminue surtout la gloire de la victoire de Mantinée (Michelet, Journal,1820, p. 77).Rappelez-vous la formule finale du serment olympique : « ... pour l'honneur de notre pays et la gloire du sport » (J.-R. Bloch, Dest. S.,1931, p. 129). − En partic., littér., domaine moral.Rayonnement. Synon. allégresse.Les deux amoureux s'en allaient triomphants, dans leur gloire (Zola,
Œuvre,1886, p. 164). B. − P. ext. Éclat qui s'attache à l'être extérieur, beauté éclatante. Synon. lustre, magnificence, splendeur.Théodore de Banville célèbre (...) la gloire et la beauté des choses dans des rythmes magnifiques et joyeux (Lemaitre, Contemp.,1885, p. 29).Catherine émergea du pyjama d'Alexis dans toute la gloire de ses seins ronds, de ses longues jambes lisses (Triolet, Prem. accroc,1945, p. 172). − En partic. [P. réf. aux domaines relig. et B.-A. infra IV B] Grand rayonnement de lumière. La rive gauche, les îles, les édifices, se découpaient en une ligne noire, sur la gloire enflammée du couchant (Zola,
Œuvre,1886, p. 109).Un large bras de lac où la gloire du couchant doré se reflète (Gide, Voy. Congo,1927, p. 838).V. aussi chair ex. 14. ♦ Au plur., littér. Jeux de lumière. Il faisait une de ces belles matinées de printemps, alternées d'averses et de gloires ensoleillées (Cendrars, Bourlinguer,1948, p. 136). C. − Sans gloire. Qui manque d'éclat; p. ext. qui est banal. Elle servait des viandes invariées dans des sauces sans gloire (Huysmans, Cathédr.,1898, p. 110).Des pauvres paroles sans gloire, mais du moins illuminées de charité (Bernanos, Imposture,1927, p. 515).J'aime ce quartier sans gloire et sans pittoresque (Arnoux, Rêv. policier amat.,1945, p. 238). IV. − Emplois spéciaux A. − RELIGION 1. Splendeur divine. Que la gloire de Dieu est immense (Claudel, Annonce,1948, IV, 2, p. 214).Tu célèbres la gloire de Dieu, tu chantes sa force et sa bonté (Aymé, Cléramb.,1950, I, 10, p. 65).Il n'y avait d'autre occupation raisonnable que de contempler à longueur de temps la gloire de Dieu (Beauvoir, Mém. j. fille,1958, p. 76) : 3. Je ne puis admettre, messieurs, que vous vous serviez, pour chanter la gloire de Dieu, d'un instrument qui a servi toute la semaine à faire danser des jeunes filles.
Maupass., Contes et nouv., t. 2, Nos Angl., 1885, p. 55. − Locutions a) Rendre gloire à Dieu. Célébrer la splendeur divine. Synon. glorifier.La providence l'avait amenée là pour rendre gloire à Dieu et faire punir le crime (Balzac, Méd. camp.,1833, p. 164). ♦ P. ext. Rendre gloire à (suivi d'un compl. désignant un inanimé abstr.).Exalter. Rendre gloire à la vérité (Ac.1932). b) Gloire à Dieu. [Formule qui célèbre la splendeur divine] Gloire à Dieu qui a donné l'intelligence, l'amour, la force à ses enfants (Lamennais, Paroles croyant,1834, p. 129).Gloire au Très-Haut! Lui seul est éternel (Leconte de Lisle, Poèmes trag.,1886, p. 8).Mon Dieu, vous qui fîtes le ciel et la rosée (...). Gloire à vous dans le ciel et paix sur la terre aux hommes de bonne volonté (A. France, Bonnard,1881, p. 485). ♦ P. ext. Gloire à (suivi d'un compl. désignant une pers., un inanimé abstr.).[Formule d'hommage, d'admiration] Hommage, gloire et richesse à la vertu (Maupass., Contes et nouv., t. 2, Rosier MmeHusson, 1887, p. 692).Gloire aux penseurs (Giraudoux, Simon,1926, p. 167).Gloire aux hommes de bonne volonté (Bernanos, Imposture, 1927, p. 395). 2. Élévation des élus à la splendeur divine, béatitude céleste. S'ils [le chamelier divin et le bon corroyeur, Aly, le saint d'Allah] vivent dans la gloire éternelle et sans voiles, Pour le monde orphelin ils sont morts tout entiers (Leconte de Lisle, Poèmes trag.,1886, p. 4).Thérèse propose à ses religieuses de gagner l'immortalité dans le ciel, la gloire éternelle, en accomplissant sur la terre des actions grandioses, des actions audacieuses et belles (Barrès, Cahiers, t. 12, 1919, p. 196) : 4. ... un ange vint lui expliquer cette vision de l'Assomption, qui devait être à la fois une faveur d'en haut pour la soutenir dans ses malheurs actuels, et un doux présage de la gloire que Dieu lui réservait, comme à Marie, si elle restait jusqu'à la fin fidèle et docile à sa volonté.
Montalembert, Ste Elisabeth,1836, p. 174. ♦ Séjour de gloire. Paradis. Il [Jésus] quittait la prison pour le séjour de gloire (Péguy, Myst. charité,1910, p. 71). 3. Rayonnement de lumière accompagnant les apparitions célestes. Je voyais le Christ à la droite de son père, rayonnant d'une gloire immortelle (Lamennais, Paroles croyant,1834, p. 275) : 5. ... une lumière surnaturelle entr'ouvrit les nuées : au milieu d'une gloire, on aperçut une femme céleste portant un enfant dans ses bras, et calmant les flots par un sourire.
Chateaubr., Martyrs, t. 3, 1810, p. 120. B. − BEAUX-ARTS 1. Auréole enveloppant le corps du Christ, dans certaines représentations artistiques. Christ en gloire. Tandis qu'éternelle et adorable profondeur améthyste Tourne à jamais la flamboyante gloire du Christ (Apollinaire, Alcools,1913, p. 40) : 6. Le Crucifix se dresse, ineffablement doux,
Sur sa croix peinte en vert aux arêtes dorées,
Et la gloire d'or sombre en langues échancrées
Flue autour de la tête et des bras étendus...
Verlaine,
Œuvres compl., t. 2, Amour, 1888, p. 25. a) P. ext. Auréole entourant la tête d'un personnage divin ou d'un saint. Synon. nimbe.Ces vierges byzantines que j'ai vues, avec leur gloire d'or (Quinet, All. et Ital.,1836, p. 30).Ces gloires munies de rayons, placées dans les églises, derrière l'occiput des Vierges (Huysmans, En mén.,1881, p. 59). b) P. anal. Ce qui entoure la tête, la silhouette d'une sorte d'auréole. Synon. halo.Son visage le remplit [un voile blanc] de lumière, et la gaze dont elle semble se cacher lui fait une gloire qui l'illumine (Taine, Notes Paris,1867, p. 332). 2. Faisceaux de rayons divergents d'un triangle symbolisant la Trinité ou d'un ovale contenant la colombe du Saint-Esprit ou l'image d'un saint. La gloire du Bernin. On appelle gloire un amas de rayons dorés. Cet ornement, qui environne l'hostie consacrée dans un ostensoir, est une gloire (Stendhal, Prom. ds Rome, t. 1, 1829, p. 142).Brûlant comme une gloire de tabernacle (Zola, Rêve,1888, p. 53).À la manière du triangle doré des gloires dans une église de campagne (Jouhandeau, M. Godeau,1926, p. 186). 3. Représentation picturale d'un ciel peuplé d'anges et de saints. Peindre des gloires; une gloire du Tintoret, du Titien; la gloire du Val-de-Grâce. Au milieu du premier étage, le recouvrant presque en entier, démesurément grande, une gloire rayonnait, avec, au centre, la tête de saint Jean-Baptiste, portée par les anges (Triolet, Prem. accroc,1945, p. 58) : 7. Le comble du luxe ecclésiastique était de suspendre sur le maître autel ces « gloires » qui explosent, projetant des rayons dorés parmi des nuages ronds, où volètent des têtes ailées de gros bébés.
Hourticq, Hist. Art, Fr., 1914, p. 285. C. − THÉÂTRE. Élément du décor théâtral consistant en une machine suspendue et entourée de nuages artificiels permettant d'évoquer les apparitions célestes. Descendre dans une gloire (Ac. 1835-1932). La chimère se dressa, ouvrit les ailes et lentement monta dans une gloire électrique (Péladan, Vice supr.,1884, p. 219) : 8. Le critique incisif et plein de verve qui passe tous les huit jours sa plume de fer à travers les gloires en carton du théâtre, les actrices en bois, et les pièces en patois...
Goncourt, Ch. Demailly,1860, p. 118. REM. 1. Gloriette, subst. fém.,vx, rare. Gloire de peu d'importance. Nous ne savons pas si nos gloriettes ne sont pas des affaires de mode, et il n'y a rien de plus affreux que de se voir le revenant de sa propre gloire (Balzac, Corresp.,1835, p. 759). 2. Gloriomanie, subst. fém.,péj. [Correspond à I B supra] Manie de la gloire. Je ne te gronde point dans cette lettre sur ta gloriomanie : c'est une maladie comme la fièvre jaune ou la pleurésie (J. de Maistre, Corresp.,1810, p. 500).V. gloriette ex. 1. Prononc. et Orth. : [glwa:ʀ]. Ds Ac. 1694-1932. Étymol. et Hist. 1. Ca 1050 glorie « béatitude céleste » (Alexis, éd. Chr. Storey, 295); 1622 terme de peint. (R. François [E. Binet], Essay des merveilles de nature, p. 312); 2. 1130-40 « renommée, célébrité » (Wace, Conception Notre-Dame, éd. W.R. Ashford, 1053); 1639 « personne célèbre » (Rotr., Antig., II, 2 ds Littré); 3. fin xiies. vaine glorie « présomption, vanité » (Vie d'Edouard le Confesseur, 52 ds T.-L.); 4. ca 1160 « éclat, lustre, magnificence » (Eneas, 4645, ibid.). Empr. au lat.gloria « renom, réputation; désir de la gloire », spéc. « majesté, splendeur (de Dieu); béatitude éternelle (de Dieu et des élus); palme du martyre; honneur, glorification » en lat. chrétien. Fréq. abs. littér. : 8 987. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 19 823, b) 10 947; xxes. : a) 12 171, b) 8 117. Bbg. Barber (W.H.). Patriotisme and Gloire in Corneille's Horace. Mod. Lang. R. 1951, t. 46, pp. 368-378. - Bucklin (L.B.). Gloria. Nueva Revista de Filología Hispánica. 1954, t. 8, pp. 71-77. - Gougenheim (G.). La Relatinisation du vocab. fr. Annales de l'Univ. de Paris. 1959, pp. 8-10. - Joukovsky (F.). La Gloire ds la poésie fr. et néo-latine du 16es. Genève-Paris, 1969, 637 p. - Joukovsky-Micha (F.). La Notion de vaine gloire de Simund de Freine à Martin Le Franc. Romania. 1968, t. 89, pp. 1-30. - Kell (B.). Die Bedeutung des Wortes gloire bei der Plejade. Diss. Würzburg, 1947, 135 p. - Kuehn (E.). The Functioning ambivalence of la gloire in Bossuet's Oraison funèbre d'Henriette d'Angleterre. Romance Notes. 1971, t. 12, pp. 377-380. - Lida de Malkiel (M.R.). L'Idée de gloire ds la tradition occ. Paris, 1968, 310 p. - Nadal (O.). Le Sentiment de l'amour ds l'œuvre de P. Corneille. Paris, 1948, pp. 299-315. |