| GEINDRE1, verbe I. − Emploi intrans. A. − 1. Qqn geint.Pousser des cris plaintifs, étouffés et languissants, exprimant une douleur ou un malaise physique. Synon. gémir.La mère Fétu (...) ne geignait plus si fort. Elle gardait seulement une petite plainte sifflante et continue d'enfant qui souffre (Zola, Page amour,1878, p. 825).Elle avait passé la nuit à entendre geindre un malade dans la chambre voisine (Tharaud, Bien-aimées,1932, p. 241) : 1. ... délicatement et presque en la caressant, il lui passa la main sur l'estomac. Elle jeta un cri aigu. Il se recula tout effrayé. Puis elle se mit à geindre, faiblement d'abord.
Flaub., MmeBovary, t. 2, 1857, p. 171. − P. anal. a) [Le suj. désigne un animal] Pousser des cris ressemblant à des geignements. Le cheval triste a le poitrail en sang. Il tire, traîne, geint, tire encore et s'arrête (Hugo, Contempl., t. 2, 1856, p. 125).[Les] lacs hérissés et fumants Où, par les mornes nuits, geignent les caïmans (Leconte de Lisle, Poèmes barb.,1878, p. 186). b) [Le suj. désigne une chose] Émettre un son continu ou discontinu, assourdi, rappelant une plainte humaine. Les ressorts, les essieux geignent. Je réussis à ouvrir ma porte sans la faire geindre sur ses gonds (G. Leroux, Parfum,1908, p. 129).Le beau parquet ancien, en chevrons de chêne, geignait sous mes pas (Colette, Chambre d'hôtel,1940, p. 75). ♦ Rare. [Le suj. désigne un instrument de mus.] Émettre un son désagréable évoquant une plainte humaine. Le piano geignait avec tant d'âpreté, Qu'en l'écoutant, Chopin eût frémi d'épouvante (Rollinat, Névroses,1883, p. 257). 2. Qqn geint de qqc.Pousser des cris étouffés et languissants, exprimant un affect très intense. Geindre de douleur. Il a collé sa bouche sur une faille de la margelle; entre les gueulées il geint de plaisir comme un petit enfant qui tette (Giono, Colline,1929, p. 98).Jacqueline a été réveillée par les jappements de Farloup qui la pressentait et geignait de joie (La Varende, Homme aux gants,1943, p. 259). B. − P. ext., avec une valeur dépréc. 1. Qqn geint.Se lamenter à tout propos, sans grande raison. Synon. larmoyer, pleurnicher, récriminer.Je méprise tant les pleurnicheurs que je serais honteux de geindre (Augier, Ceint. dorée,1855, p. 356).Agir ensemble, c'est toujours bon; parler ensemble pour parler, pour geindre, pour récriminer, c'est un des grands fléaux de ce monde (Alain, Propos,1910, p. 73) : 2. − Nous allons donc être obligés, s'écria piteusement Léandre (...) de tirer nous-mêmes notre chariot. Oh! la maudite fantaisie que j'eus de me faire comédien!
− C'est bien le temps de geindre et de se lamenter! beugla le Tyran ennuyé de ces jérémiades intempestives, avisons plus virilement et en gens que la fortune ne saurait étonner à ce qu'il faut faire...
Gautier, Fracasse,1863, p. 164. 2. [Constr. avec un compl. prép.] Se lamenter à propos de. a) Geindre sur qqc.Il se passait peu de jours sans qu'on l'entendît geindre sur ses pertes et maudire la clientèle (Sand, Hist. vie, t. 4, 1855, p. 387).Nous geignons sur le bagne, où est enfermée notre jeunesse par la misère où elle se débat (Goncourt, Journal,1860, p. 808). b) Geindre de + verbe.C'est Gille, du Figaro (...) qui se lamente et geint d'avoir à faire, avant de se coucher, un article sur Le Docteur Pascal (Goncourt, Journal,1893, p. 415).La vieille à plusieurs pas derrière geignait de ne pouvoir la suivre (Jouve, Paulina,1925, p. 136). II. − Emploi trans., rare A. − [Le compl. d'obj. désigne une production langagière] Prononcer, en se plaignant, d'une manière geignarde. Il se reprocha d'avoir geint ces prières, négligemment, sans même avoir sérieusement tenté d'agréger ses sens (Huysmans, En route, t. 2, 1895, p. 115).Pourquoi fallait-il qu'un comédien vînt geindre (...) des vers de Maurice Rostand (Levinson, Danse,1924, p. 237).Il quitta le café et s'éloigna dans la nuit de la rue en geignant des imprécations (Aymé, Rue sans nom,1930, p. 160). B. − [Constr. avec une prop. complétive] Dire en se plaignant, d'une manière geignarde. Il ne le lâcha [son chapeau] que contre deux pièces de cent sous, en geignant qu'il allait sûrement s'enrhumer (Zola, Débâcle,1892, p. 476).Les autres petits, las d'avoir fait dans la maison toutes les sottises possibles, commençaient à geindre qu'ils s'ennuyaient et qu'ils avaient faim (Rolland, J.-Chr., Matin, 1904, p. 125). − [Employé pour introduire un discours dir. ou en incise] La vieille femme (...) se mit à geindre (...) : « Je n' peux pu r'muer, mon pauv' monsieur; je n' peux pu... » (Maupass., Contes et nouv., t. 1, À cheval, 1883, p. 403).Mais, docteur, geignait le malade, vous ne pouvez me laisser souffrir ainsi! (Zola, Joie de vivre,1884, p. 837). Rem. 1. On relève a) Les constr. geindre de qqc., sous qqc. au sens de « se plaindre parce que l'on souffre de qqc. ». Les grands cœurs que blesse au vif l'iniquité dont geint autrui (Clemenceau, Vers réparation, 1899, p. 36). La vieille hargne de nos paysans (...), du manant toujours geignant sous la dîme abbatiale, toujours enclin à se gausser du clerc, avec une peur atroce de l'enfer (Vogüé, Morts, 1899, p. 206). b) Geindre en emploi subst. masc. Ce fut un bruit qui me réveilla (...). Ça semblait comme le geindre d'un nourrisson (Giono, Baumugnes, 1929, p. 103). 2. Les dict. gén. du xixes. ainsi que Ac. 1932 considèrent geindre comme un terme fam. Geindre, surtout au sens B supra, a, gén., une valeur plus dépréc. que gémir. REM. Geinte, subst. fém.,rare. Lamentation. Mais rien ne prévalut sur le poète qui s'excusait d'ailleurs poliment et affectueusement sur l'indiscrétion de sa geinte (Verlaine, Souv. et fantais.,1896, p. 284). Prononc. et Orth. : [ʒ
ε
̃:dʀ
̥], (il) geint [ʒ
ε
̃]. Ds Ac. dep. 1694. Homon. gindre. Conjug. : cf. craindre. Étymol. et Hist. 1. 1160-74 « se lamenter » (Wace, Rou, éd. A. J. Holden, II, 3975 : souvent geint et soupire); 1280 en partic. « gémir à tout propos » ici inf. subst. (Clef d'Amour, 2096 ds T.-L.); 1856 voix geignante et pleurarde (Goncourt, Journal, p. 238); 2. 1573 « (d'une chose) émettre un bruit qui ressemble à une plainte » le bois geint sous l'acier (Jehan de La Taille, La Famine, 5 ds Gdf. Compl.). Du lat. class. gĕmĕre « se plaindre, gémir » qui a donné régulièrement giembre en a. fr. ca 1200 (La Chanson de Guillaume, éd. Mc Millan, 535), v. Fr. de La Chaussée, Initiation à la morphologie histor. de l'a. fr., § 170, devenu geindre p. anal. avec les verbes en -eindre; v. aussi craindre. Fréq. abs. littér. : 296. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 64, b) 499; xxes. : a) 797, b) 454. |