| GASPILLER, verbe trans. A. − Vieilli. [Le compl. d'obj. désigne une chose concr.] Mettre quelque chose en mauvais état; gâter par manque de soin, par manque d'ordre. Gaspiller du linge, gaspiller des papiers (Ac. 1835, 1878). B. − En partic. Faire un mauvais emploi de quelque chose par manque d'attention ou d'ordre. 1. [Le compl. d'obj. désigne de l'argent] Dépenser (de l'argent) sans discernement, dissiper (une fortune, un patrimoine) avec une prodigalité désordonnée. Gaspiller les deniers publics. Synon. claquer, croquer (fam.); prodiguer, dilapider, engloutir; anton. économiser, épargner : 1. Il put encore tressaillir, lui, le débauché, qui avait gaspillé sa fortune pour réaliser les mille folies, les mille passions d'un homme jeune, blasé; le plus abominable monstre que puisse engendrer notre société.
Balzac, Marana,1833, p. 65. ♦ Gaspiller qqc. en.Gaspiller son argent en achats inutiles. Aussi, une fois en possession de cette fortune, vous êtes-vous empressé de la dissiper... (...). De la gaspiller en folies de toutes sortes... (Barrière, Capendu, Faux bonsh.,1856, p. 156). 2. [Le compl. d'obj. désigne des biens ou des ressources écon.] User de quelque chose de façon désordonnée, en faire une consommation incomplète ou inutile. Gaspiller des marchandises, des provisions; gaspiller le charbon, les sources d'énergie. Dans un pays, nous le verrons bientôt, où l'eau est si rare qu'elle se vend au détail. Nous la gaspillons avec inconscience (T'Serstevens, Itinér. espagnol,1963, p. 75) : 2. L'entrepreneur et le marchand détruisent la forêt, gaspillent les facteurs naturels, se montrent aussi irrespectueux de la vie des animaux et des plantes que de celle des hommes.
Perroux, Écon. xxes., 1964, p. 351. − En partic., ÉCON. Utiliser incomplètement ou incorrectement des biens économiques (d'apr. Romeuf t. 1 1956). Nous gaspillons toutes les fois que nous ne savons pas transformer en satisfaction toute l'utilité disponible des biens (J. Milhau, Essai sur la notion de gaspillage, Paris, Libr. du Recueil Sirey,1942, p. 24, ibid.). C. − Au fig. [Le compl. d'obj. désigne qqc. d'abstr. qui peut être considéré comme un bien, une richesse] Rendre inutile ou perdre quelque chose en l'utilisant de façon désordonnée, sans en tirer le parti ou le profit possible. Gaspiller son temps, ses forces, son talent, ses dons, sa sympathie, son amour. Synon. gâcher, galvauder.Un cœur qui aurait aimé tard et beaucoup, gaspillera en chemin sa faculté de sentir (Sainte-Beuve, Volupté, t. 1, 1834, p. 188).Elle dévorait la vie, la gaspillait, passionnée, faisant la bombe, détraquée et bonne fille tout de même (Van der Meersch, Invas. 14,1935, p. 171) : 3. Je ne fais plus de fort emploi de mes facultés actives et intellectuelles et je laisse gaspiller ma vie morale par une foule de petits soins, de petites occupations, qui emploient chaque moment séparé, sans lier la suite de ces moments, sans laisser de trace continue.
Maine de Biran, Journal, 1817, p. 3. ♦ Gaspiller en.Comme je maudissais l'aveuglement qui m'avait fait gaspiller en débauches les trésors de la passion! (Milosz, Amour. initiation,1910, p. 81). − Emploi pronom. à sens passif : 4. Tout ce printemps, qui est là, avec l'insolence de ses fleurs, qu'en ferai-je? Je ne peux pas le posséder. Il est là, et je me sens étranger, sans amour. Faudra-t-il que je voie toute la beauté se gaspiller ainsi devant moi, sans que j'en puisse rien saisir? Qui me donnera le sens? qui va m'initier?
Rivière, Corresp. [avec Alain-Fournier], 1907, p. 93. − Emploi pronom. réfl. Se gaspiller en + subst.S'employer inutilement à quelque chose faute de savoir tirer parti et profit de soi-même, de ses facultés. Se gaspiller en efforts inutiles. Les Français ne savent que se gaspiller en inventions dont ils ne font rien. Il leur faut toujours un maître d'une autre race, un Gluck, ou un Napoléon, qui vienne tirer parti de leurs révolutions (Rolland, J.-Chr., Foire, 1908, p. 693).Mon père ne se gaspillait guère en émotions accessoires. Il n'a ni recherché ni connu l'amitié que, bien à tort, il devait juger passion mineure (Duhamel, Notaire Havre,1933, p. 78). Prononc. et Orth. : [gaspije], (il) gaspille [gaspij]. Ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. 1549 (Est.). Gaspiller est prob. issu du croisement de gaspailler, terme dial. de l'Ouest (Nantes, Few t. 14, p. 195a) « rejeter les balles de blé » puis « répandre la paille (du blé) » avec le prov. gaspilha « grapiller, gaspiller » (Mistral), cf. le m. fr. gapiller (1578, La Boderie ds Gdf. Compl.). Gaspailler est dér. de l'a.fr. *gaspail, attesté dans le syntagme jeter à waspail (forme hypercorrecte de la région picarde ou influencée par waster [gâter*]) « gaspiller » (ca 1200, J. Renart, L'Escoufle, éd. F. Sweetser, 1517), cf. lat. médiév. vaspale « balles de blé » (1194), gaspalium (1121 Le Mans ds Du Cange, s.v. gaspaleum), wallon de Jalhay et de Sart-lez-Spa [sud de Verviers, Belgique] wèspa (équivalant à wespail) « déchets de paille, faisceau de déchets » (E. Legros ds Mél. Roques (M.) t. 4, 1952, pp. 164-165), poit. gaspailles « balles de blé rejetées par le van » (1516 ds Gdf.). *Gaspail est dér. d'un type *waspa « déchets » (cf. l'a. prov. gaspa « fromage de [petit] lait caillé » 1450, Pansier, t. 3), d'orig. discutée. Pour FEW, loc. cit., p. 196 ab (v. aussi Bl.-W.5; DEAF, s.v. gaspail) reprenant l'hypothèse de J.V. Hubschmied (ds Festschrift L. Gauchat, 1926, pp. 435-38), *waspa serait un mot gaulois signifiant « nourriture » puis seulement « nourriture du bétail, déchet » (de *wes- « nourrir », avec suff. -pa), auquel se rattacherait un type secondaire *kaspa (par croisement avec des mots sémantiquement voisins), base de mots désignant différentes sortes de déchets dans la Péninsule Ibérique, l'Italie du Nord, la Corse, la Sicile, le Pays basque. Pour Hubschmid fasc. 1, p. 26, *waspa serait un mot de formation préromaine étymologiquement différent du type *kaspa, tous deux étant seulement formés à l'aide du même suff. préindo-européen, p- ayant ici valeur diminutive. Fréq. abs. littér. : 275. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 172, b) 269; xxes. : a) 494, b) 577. Bbg. Sain. Sources t. 1 1972 [1925], p. 142. |