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GÉNIE, subst. masc.
I. − Divinité, être surnaturel ou allégorique.
A. − Divinité influant sur la destinée d'une personne, d'une collectivité.
1. MYTH. ANTIQUE. Être divin ayant une fonction de guide et de protecteur, immanent à chaque individu dont il symbolise l'être spirituel et à la destinée duquel il préside. Le génie de Socrate (cf. démon A 1 a). On invoquait la puissance génératrice pour la terre et pour l'homme. Comme en Étrurie, chaque homme avait son génie protecteur, son Jupiter; chaque femme, sa Junon (Michelet, Hist. romaine, t. 1, 1831, p. 29).Comme personnification de l'être, le génie personnel est une force intérieure génératrice d'optimisme (P. Grimal, Dict. de la myth. gr. et romaine, Paris, P.U.F., 1951, p. 165).
Divinité tutélaire présidant à la destinée d'une collectivité, d'une organisation, d'un lieu. Génie protecteur du foyer, de la cité; génie tutélaire. Ô César, tu mourras sous une arme romaine. (...) Et ton culte proscrit avec toi périra. Et moi, je te suivrai, car je suis le Génie De Rome et de l'Empire (Ménard, Rêv. païen mystique,1876, p. 227).
2. Être surnaturel, esprit bon ou mauvais, inspirant une personne et influant sur sa destinée. Bon, mauvais génie; génie familier; être guidé par un malin génie. « Aimable Sara! » pensais-je, « mon bon génie t'a destinée à me donner tous les plaisirs!... » (Restif de La Bret., M. Nicolas,1796, p. 51).Le bon goût du comte, peut-être les conseils de son génie domestique, se montrèrent dans les circonstances nouvelles où le mettait le triomphe de sa cause (Balzac, Lys,1836, p. 104).Ce n'était pas moi qui agissais ainsi, mais mon destin, mon mauvais génie, je ne sais quel être qui habitait le mien, mais qui n'y était pas né (Musset, Confess. enf. s.,1836, p. 357) :
1. Baccarat avait trop attendu, le poison avait été plus prompt qu'elle, et Daï-Natha emportait dans la tombe le dernier mot de cette épouvantable énigme, le nom de cet homme, qu'une sorte de génie infernal, de divinité du mal semblait protéger sans cesse. Ponson du Terr., Rocambole, t. 3, 1859, p. 299.
3. P. anal. Personne dont l'influence est déterminante, en bien ou en mal, sur une personne, un organisme ou une institution. L'intention de l'auteur a été de faire d'Hildegonde et d'Honoria le bon et le mauvais génie d'Attila (Staël, Allemagne, t. 3, 1810, p. 146).N'abdiquez pas, belle tante, dit Théodose (...), vous êtes le bon génie de la famille (...). Vous rentrerez dans quarante mille francs d'ici à deux mois (Balzac, Pts Bourg.,1850, p. 180) :
2. Des Combes était un ami du patron, le bon génie du Théâtre des Carmes, le personnage providentiel qui toujours trouvait dix mille francs pour une fin de mois, celui qu'on envoyait discuter avec la propriétaire ou avec l'un des deux sous-locataires, l'homme de tous les dévouements, de tous les sacrifices et de toutes les corvées. Duhamel, Suzanne,1941, p. 12.
Rem. La docum. atteste un emploi dans ce sens désignant une qualité ou une passion : Cet esprit de contestation, qui fut le génie tourmenteur de Descartes (G. Bataille, Exp. int., 1943, p. 165). V. infra B malin génie.
B. − P. ext. Être surnaturel, mythique, doué de pouvoirs magiques. Synon. djinn, efrit, elfe, esprit, lutin, péri, sylphe.Génie des bois, des eaux, des sources; bon, mauvais génie; génie bienveillant, malfaisant; génie ailé, infernal; apparition d'un génie. Ces bienfaisans génies sont apparemment chargés de présider aux moissons, aux fontaines, aux rosées, aux fleurs et aux fruits de la terre (Chateaubr., Génie, t. 2, 1803, p. 313).Les fées et les génies! Où étaient-ils, ces êtres qui pouvaient tout, et qui, d'un coup de baguette, vous faisaient entrer dans un monde de merveilles? (Sand, Hist. vie, t. 2, 1855, p. 273).Les Touareg redoutent les ilhinen, les génies au front cornu, qui ont une queue, du poil pour vêtement, font mourir les troupeaux et tomber les hommes en catalepsie (Benoit, Atlant.,1919, p. 109) :
3. ... je crois certainement qu'il y a dans chaque planète un génie qui en règle les mouvements, et auquel il a été donné de voir l'ensemble de nos mondes, qu'à peine l'homme peut entrevoir. Bern. de St-P., Harm. nat.,1814, p. 364.
Malin génie. [P. allus. au malin génie trompeur de Descartes] Un malin génie, plus puissant encore que le malin génie de Descartes (Bergson, Essai donn. imm.,1889, p. 150) :
4. La conscience que j'ai de construire une vérité objective ne me donnerait jamais qu'une vérité objective pour moi, mon plus grand effort d'impartialité ne me ferait pas surmonter la subjectivité, comme Descartes l'exprime si bien par l'hypothèse du malin génie, si je n'avais, au-dessous de mes jugements, la certitude primordiale de toucher l'être même... Merleau-Ponty, Phénoménol. perception,1945, p. 408.
Rem. La docum. atteste qq. emplois dans ce sens en parlant d'une pers. Les métaphores les plus obsédantes d'un Lautréamont, ce mauvais génie de la nuit (Cendrars, Lotiss. ciel, 1949, p. 221).
C. − Être allégorique personnifiant un principe, une maladie, un fléau quelconque, une idée abstraite. Génie de l'amour, des arts, de la gloire, du mal. Sont-ce là des manières et des chants dignes du génie de la nature qui vous voit et vous entend? (Dusaulx, Voy. Barège, t. 1, 1796, p. 250).Xerxès fuit à Salamine devant le génie de la liberté (Chateaubr., Essai Révol., t. 1, 1797, p. 307).C'est l'heure où le génie de la poésie va ceindre de l'auréole celui d'entre eux qui doit continuer l'héritage du grand vieillard [Goethe] (Quinet, All. et Ital.,1836, p. 29) :
5. Tarrou (...) après avoir noté dans ses carnets que les Chinois (...) vont jouer du tambourin devant le génie de la peste, remarquait qu'il était absolument impossible de savoir si, en réalité, le tambourin se montrait plus efficace que les mesures prophylactiques. Il ajoutait seulement que, pour trancher la question, il eût fallu être renseigné sur l'existence d'un génie de la peste et que notre ignorance sur ce point stérilisait toutes les opinions qu'on pouvait avoir. Camus, Peste,1947, p. 1293.
P. méton. Représentation de cet être allégorique. Le génie de la Bastille. Joséphie, qui, par sa gravité enfantine et sa beauté charmante, lui rappela ces génies de l'Amour et de la Mort, que les Romains sculptaient sur leurs sarcophages (A. France, Dieux ont soif,1912, p. 199).Des adolescents aux sourcils froncés étaient accoudés à l'entrée du métropolitain, comme des génies du Sommeil appuyés contre un tombeau (Montherl., Célibataires,1934, p. 850).Quatre figures colossales de génies marquent les points cardinaux : ce sont : Sed, taureau à face humaine; Nergal, lion à face humaine; Oustour, l'homme; Nattig, à tête d'aigle (Valéry, Variété III,1936, p. 124).Les fauteuils utilisent volontiers la simple volute, en guise de console d'accotoirs à la place de génie ailé ou de tout autre monstre extraordinaire (Viaux, Meuble Fr.,1962, p. 147).
II. − Aptitude, faculté, ensemble de caractères.
A. −
1. Class. et littér. [En parlant d'une pers.] Nature (bonne ou mauvaise), ensemble des aptitudes innées, des facultés intellectuelles, des dispositions morales. Génie borné; pauvre, petit génie; suivre son génie, forcer son génie (Ac.). Le paysan est tout à fait barbare vers Rhodez et Sarlat, mais rien n'égale son génie naturel (Stendhal, Mém. touriste, t. 1, 1838, p. 103).L'intelligence et le génie naturel ont été répartis par la nature avec une telle économie et une si grande providence, que l'organisme social n'a jamais à redouter ni surabondance ni disette de talents spéciaux (Proudhon, Propriété,1840, p. 309).Des hommes d'un génie étroit et ignorant, ou d'un génie vaste et instruit (Chateaubr., Mém., t. 1, 1848, p. 629).Leur génie ordinaire ne s'élevait pas jusqu'à ces coups d'audace (De Vogüé, Morts,1899, p. 313).
P. ext., mod. Ensemble des tendances spécifiques et distinctives (caractérisant une réalité concrète, une personne, une communauté). Le génie moderne; le génie d'une époque, de l'espèce, d'une race. L'action de donner est ce qu'il y a de plus contraire au génie bourgeois (Bloy, Lieux communs,1902, p. 160).MmeÉmilie, vivant aux crochets de son frère, et n'ayant à penser à rien, et rien à faire, n'avait jamais une minute : c'est le génie féminin (Montherl., Célibataires,1934, p. 805).
[En parlant d'une langue] L'histoire de l'orthographe sera instructive, non-seulement sur l'origine des mots, mais sur la manière dont le génie de chaque langue tend à les modifier par l'usage (Destutt de Tr., Idéol. 2,1803, p. 384).Du moins le lecteur pénètre ici dans le génie de la langue anglaise; il apprend la différence qui existe entre les régimes des verbes dans cette langue et dans la nôtre (Chateaubr., Paradis perdu,1836, p. vii).Votre tournure de phrase est toute française et nullement latine. Il faut comprendre le génie d'une langue (Maupass., Contes et nouv., t. 1, Quest. du lat., 1886, p. 566) :
6. J'ai soutenu qu'on pouvait obtenir en français une poésie légèrement mais nettement rythmée, qu'il n'y avait qu'à accentuer certains mots choisis pour leur sens et leur rôle dans le vers; que dans : « Ô toi que la nuit rend si belle », toi, nuit et belle étaient accentués et que les autres mots tombaient en route. Le malheur est qu'on récite les vers tout uniment, comme si c'était de la prose (...) les tentatives de Claudel sont contraires au génie de la langue. Green, Journal,1952, p. 163.
[En parlant d'un lieu, d'un pays] Le génie de la Grèce, de Rome. Je sentis aussi ce que l'on sent rarement à fond : le génie d'un lieu. Celui-ci, dans ce lourd été, a une puissance de concentration absorbante et pourtant féconde (Michelet, Journal,1857, p. 341).Ma tante avait le génie de sa province, l'amour des choses surannées, la peur des changements, l'horreur des nouveautés qui font du bruit (Fromentin, Dominique,1863, p. 68).Le génie de Venise respire tout entier dans ce splendide chef-d'œuvre [les Noces de Cana] avec son insouciance cosmopolite, son mélange de tous les costumes (Gautier, Guide Louvre,1872, p. 40).
[En parlant d'un peuple, d'une race, etc.] Génie national; génie allemand, français; génie d'une nation. Pour juger du génie d'un peuple, le vrai philosophe ne s'attache pas à découvrir çà et là quelques grands hommes (Chateaubr., Génie, t. 2, 1803, p. 593).Le génie d'un peuple a beau plier sous une influence étrangère, il se redresse; car elle est temporelle et il est éternel (Taine, Philos. art, t. 2, 1865, p. 37).Ce tableau [la Sainte Famille de Rembrandt] si contraire au génie italien, c'est l'évangile traduit en langue vulgaire à l'usage des pauvres gens et des humbles de cœur (Gautier, Guide Louvre,1872, p. 57) :
7. Si nous nous représentons l'Allemagne, c'est encore l'Allemagne telle que la dépeignait Madame de Staël, un pays d'extase, un rêve continuel, une science qui se cherche toujours, un enivrement de théorie, tout le génie d'un peuple noyé dans l'infini... Quinet, All. et Ital.,1836, p. 2.
[En parlant d'une relig.] Le génie catholique, chrétien. Il y a beaucoup d'art et même de talent dans le Génie du Christianisme, mais (...) il ne s'y trouve pas apparence de bon sens (Delécluze, Journal,1827, p. 371).Le titre de Génie du Christianisme que je trouvai sur-le-champ m'inspira; je me mis à l'ouvrage (Chateaubr., Mém., t. 1, 1848, p. 492).
2. Génie de.[Le compl. prép. désigne une activité, une action, une manière d'être ou de faire] Aptitude, disposition naturelle et remarquable (pour quelque chose de bon ou de mauvais). Génie de l'action, de l'administration, de l'intrigue, de la destruction; avoir le génie de l'à-propos, du commerce. Un grand casque de fer dans lequel on broyait la tête des suspects. Ce casque est lui-même d'une beauté étudiée. Venise poussa le génie des arts plastiques jusque dans la torture (Quinet, All. et Ital.,1836p. 149).La troisième [femme avait] la répartie soudaine et le génie du mot (Goncourt, Journal,1864, p. 11).M. Octave, cédant à son génie de n'aborder jamais une question franchement, au lieu de parler du fait nouveau, qui était la nouvelle dette, prit la question par la bande (Montherl., Célibataires,1934p. 807) :
8. Cette réputation de grand lettré, jointe à un véritable génie d'intrigue caché sous le masque de l'indifférence, avait fait entrer M. de Norpois à l'Académie des Sciences morales. Proust, J. filles en fleurs, 1918, p. 462.
[Sans compl. prép. de] :
9. L'enfant avait un pouvoir singulier de lire dans la pensée de sa mère. On trouve assez souvent − mais à ce degré, rarement, − ce génie instinctif chez les êtres du même sang : à peine ont-ils besoin de se regarder, pour savoir ce que l'autre pense; ils le devinent, à mille indices imperceptibles. Rolland, J.-Chr., Nouv. journée, 1912, p. 1521.
Rem. La docum. atteste des emplois de génie dans ce sens a) [avec un compl. prép. introd. par pour] Avoir du génie pour le commerce, pour la politique. Le père donna l'accord, et tous quatre commencèrent avec cet ensemble, ce génie inné pour la musique que les Allemands seuls possèdent (Karr, Sous tilleuls, 1832, p. 280). M. de Vaize? Ce pair de France qui a tant de génie pour l'administration? (Stendhal, L. Leuwen, t. 2, 1835, p. 238). b) [avec un adj. indiquant un domaine d'activité] Génie administratif, politique. Rarement les pays très-favorisés de la nature ont eu le génie mercantile (Chateaubr., Essai Révol., t. 1, 1797, p. 312). Elle (...) s'ingéniait pour accroître la prospérité de la maison, trouvait des dessins d'étoffes et déployait un génie commercial inné (Balzac, C. Birotteau, 1837, p. 382). Je ne vous expliquerai pas (...) la nature de l'entreprise inventée par le génie financier de Nucingen (Id., Mais. Nucingen, 1838, p. 640).
SYNT. Génie des affaires, d'analyse, de l'audace, de la chicane, de la corruption, de la destruction, du faux, du mal, de l'observation, de l'organisation, de la perversité.
B. −
1. Aptitude, faculté supérieures de l'esprit portées au-delà du niveau commun (se manifestant dans des entreprises, des inventions, des créations jugées exceptionnelles ou extraordinaires). Génie admirable, élevé, étonnant, puissant; créations, découvertes du génie; avoir du génie. L'invention, cette première faculté de l'intelligence humaine, à laquelle on a donné le nom de génie (Condorcet, Esq. tabl. hist.,1794, p. 191).Le génie est l'instinct de tout voir et de tout comprendre, et le talent est le don de tout rendre et de tout exprimer (Chênedollé, Journal,1833, p. 162).Trois facultés (...) composent le génie : l'intelligence pour percevoir, l'imagination pour idéaliser, la volonté pour réaliser (Ozanam, Philos. Dante,1838, p. 73).Le génie, c'est d'avoir à la fois la faculté critique et les dons du simple. Le génie est enfant; le génie est peuple, le génie est simple (Renan, Avenir sc.,1890, p. 469).C'est le propre des grandes créations du génie humain qu'elles échappent aux intentions de leur auteur et qu'elles les débordent (Mauriac, Journal 2,1937, p. 173).Rimbaud satisfait exactement l'idée dramatique, fulgurante et courte, que les gens se font du génie (Cocteau, Poés. crit. I,1959, p. 82) :
10. Je parlai (...) de la grandeur de Napoléon; je m'exaltai, je vantai son génie universel, qui devinait les lois en faisant les codes, et l'avenir en faisant des événements. J'appuyai avec insolence sur la supériorité de ce génie, comparée au médiocre talent des hommes de tactique et de manœuvre. Vigny, Serv. et grand. milit.,1835, p. 186.
Rem. Génie, dans cet emploi, connote souvent l'idée du surhumain, d'un destin tragique ou dramatique (v. supra ex. de Cocteau). M. Tournier (Le Vent Paraclet, Paris, Gallimard, 1977, pp. 296-297) note, à ce propos : ,,Jean Cocteau (...) voulait que l'idée de génie fût humanisée, dédramatisée, replacée au niveau de tous les jours. « J'aime beaucoup, écrit-il [dans Le Foyer des artistes 1957], la façon désinvolte avec laquelle Stendhal emploie le mot génie. Il trouve du génie à une femme qui monte en voiture, à une femme qui sait sourire, à un joueur de cartes qui laisse gagner son adversaire. » Après Stendhal, on s'est fait une tout autre idée du génie. On l'a confisqué à tout un chacun pour l'accumuler sur la tête de quelques privilégiés qui s'appelaient Beethoven, Balzac, Victor Hugo, Wagner. Ces phares se dressaient au-dessus d'une foule stupide, stérile, antigéniale, le fameux « bourgeois » de Flaubert. Vision malheureuse, navrante et de surcroît mensongère. (...) tout le monde a du génie, lequel n'est pas un énorme et solitaire diamant, mais une poussière scintillante pulvérisée sur tous les hommes. C'est la chose la plus naturelle, la plus quotidienne``.
SYNT. Génie humain, génie de l'homme; génie audacieux, aventureux, créateur, entreprenant, exceptionnel, extraordinaire, fougueux, inquiet, inventif, profond, supérieur; empreinte, inspiration, instinct, intuition du génie; productions du génie; profondeur, rayonnement, supériorité du génie; admirer le génie; croire en son génie; être doué de génie, inspiré par le génie; manquer de génie; il y a du génie dans (qqc., qqn).
[Suivi d'un n. de pers. introd. par de, ou d'un adj. dér. d'un n. de pers.] Le génie de Molière, de Voltaire, de Shakespeare; le génie mozartien; l'essence de l'art et du génie beethovenien. Ce qui est sans égal et sans pareil, c'est Werther : on voit là tout ce que le génie de Goethe pouvoit produire quand il étoit passionné (Staël, Allemagne, t. 3, 1810, p. 246).Ce ne sont pas les masses qui ont compris le marxisme, c'est le génie de Marx qui les a devinées (Lacroix, Marxisme, existent., personn.,1949, p. 41) :
11. ... c'est dans ce combat extraordinaire de la sonate op. 106, livré par le génie de Beethoven, par tout son être − (forces obscures et, à leur suite, raison puissante, et volonté qui les maîtrise et les organise) − qu'est gagnée, en janvier 1819, la première, l'éclatante victoire, qui lui rendra la pleine confiance dans sa force et lui donnera l'audace joyeuse du corps-à-corps avec la Messe et la Neuvième, − les deux Titans. Rolland, Beethoven, t. 1, 1937, p. 214.
[Suivi d'un compl. introd. par de désignant un art, une sc. ou la pers. qui l'exerce, ou de l'adj. dér.] Génie de la poésie; génie du poète, du musicien; génie comique, dramatique, épique, géométrique, mathématique, musical, philosophique, scientifique. Il jugeait le plus grand effort du génie oratoire, et il trouvait Cicéron bien supérieur à Bossuet (Chênedollé, Journal,1821, p. 109).Son incontestable génie littéraire [de Renan] masqua la débilité de sa pensée à une époque plus soucieuse d'être séduite que d'être conduite (Massis, Jugements,1923, p. 12) :
12. Le génie poétique n'est pas le don verbal (le don verbal est nécessaire, quand il s'agit de mots, mais il égare souvent) : c'est la divination des ruines secrètement attendues, afin que tant de choses figées se défassent, se perdent, communiquent. Rien n'est plus rare. Cet instinct qui devine et le fait à coup sûr exige même, de qui le détient, le silence, la solitude : et plus il inspire, d'autant plus cruellement il isole. G. Bataille, Exp. int.,1943, p. 229.
Loc. proverbiale. Le génie est une longue patience. Par allus. Génie! Ô longue impatience! (Valéry, Charmes,1922, p. 144) :
13. Il construit un livre comme un maçon fait un mur, en mettant des moellons l'un sur l'autre, sans se presser, indéfiniment. Vraiment cela est beau dans son genre, et c'est peut-être une des formes de la longue patience dont parle Buffon et qui serait du génie. Lemaitre, Contemp.,1885, p. 268.
Rem. Littré attribue la phrase Le génie n'est autre chose qu'une grande aptitude à la patience à Buffon dans son Discours de réception à l'Académie, mais elle ne s'y trouve pas; Lal. 1968 mentionne une expr. légèrement différente rapportée par Hérault de Séchelles dans son Voyage à Montbard (p. 15) : M. de Buffon me dit (...) un de ces mots capables de produire un homme tout entier : le génie n'est qu'une plus grande aptitude à la patience.
Loc. prép. De génie. [Correspond à génial]
[En parlant d'une chose] Qui relève du génie, qui en est la marque, qui en a les caractères. Éclair, intuition, invention, œuvre de génie. Nos maîtres dans les écoles (...) nous ont-ils assez rebattu les oreilles avec le coup de génie d'Euclide sur le sujet des parallèles? (Nizan, Chiens garde,1932, p. 170).Lorsque Rabelais, dans Pantagruel, par un extraordinaire trait de génie inventif, imagine les « paroles gelées », il fait plus que préfigurer l'enregistrement du son (Schaeffer, Rech. mus. concr.,1952, p. 40).
[Avec un sens affaibli] Ingénieux, astucieux. Par une inspiration de génie, je portai la main à ma poche et en tirai mon discours pour le remettre au sténographe du Moniteur. Cette idée lumineuse me sauva (Reybaud, J. Paturot,1842, p. 364) :
14. ... je dessinais sur la table de la salle à manger (...). J'avais déjà tracé cinq ou six soldats, par ma méthode ordinaire que je pratiquais avec facilité. Tout à coup, dans un éclair de génie, j'eus l'idée de représenter les bras et les jambes, non plus par un seul trait, mais au moyen de deux lignes parallèles. A. France, Pt Pierre,1918, p. 36.
[En parlant d'une pers.] Qui a du génie. Artiste, musicien, peintre, poète, sculpteur de génie; inventeur de génie; gens de génie. Écrivains de génie qui créent leur langue comme leurs idées, tels sont Pascal, Bossuet, Corneille (Chênedollé, Journal,1823, p. 124).Être une honnête et prude femme pour le monde, et se faire courtisane pour son mari, c'est être une femme de génie, et il y en a peu (Balzac, Cous. Bette,1846, p. 279).Une des fonctions essentielles des hommes de génie ou, plus simplement, des bons esprits, est de découvrir les mots nouveaux qui s'appliquent aux choses nouvelles (J.-R. Bloch, Dest. du S.,1931, p. 150) :
15. ... un maître inconnu, l'homme de génie qui peignit pour le Roi René le manuscrit du « Cœur d'Amour épris » avait, dans une suite de prodigieux chefs-d'œuvre, précisé les variations de la clarté et de l'ombre au gré des heures. Huyghe, Dialog. avec visible,1955, p. 147.
2. P. méton. Personne qui a du génie. Un grand génie; un génie incompris, méconnu, sublime. Un de ces génies bruts, de ces Pascal de village, qui semblent deviner les arts que les autres apprennent (Jouy, Hermite, t. 4, 1813, p. 113).Les grands génies négligent les petites choses (Proudhon, Propriété,1840, p. 175).Un groupe incomparable de génies, Goethe, Schiller, Kant, Beethoven sont venus le révéler à lui-même [le peuple allemand] (Renan, Avenir sc.,1890, p. 459).On s'habitue trop vite à faire un génie du moindre jeune homme bien doué (Rivière, Corresp. [avec Alain-Fournier], 1907, p. 174).
Fam. Ce n'est pas un génie (!) C'est quelqu'un de médiocre. Synon. ce n'est pas un aigle.
Rem. Génie a dans cet emploi une valeur superl. plus forte que dans II B 1; ,,il ne s'applique qu'au petit nombre d'hommes dont l'apport marque d'une forte empreinte l'histoire de l'humanité`` (Rob.).
III. − Domaine des arts et des techniques.
A. − Génie militaire ou, p. ell., génie. Ensemble des techniques concernant les travaux de déblaiement, de fortification, de l'aménagement des moyens de communication, des transmissions. Les progrès du génie militaire au xviiesiècle (P. Lavedan, Urban.,1926, p. 159).
P. méton. Arme, service de l'armée chargé de ces travaux. Officier, soldat du génie; une compagnie du génie; le corps du génie militaire; école du génie. La nouvelle situation faite à la France, au point de vue de la défense de son territoire, crée de grandes obligations au génie militaire (Davout, Réorg. milit.,1871, p. 62).Les forces avancées avaient reçu l'ordre (dit-on) d'attendre l'arrivée du génie avant de franchir le fleuve. Le génie devait reconstruire le pont (Gide, Journal,1944, p. 266).
B. − P. anal. Génie génétique*.
1. Génie civil. Art et techniques des constructions civiles; p. méton., ensemble des ingénieurs civils. Les ouvrages du génie civil se sont trouvés complètement transformés par l'emploi du béton armé (Arts et litt.,1935, p. 2010).
2. Génie maritime. Art et technique de la construction navale; p. méton., corps d'ingénieurs militaires chargé de la construction des navires militaires. Des officiers du corps du génie maritime (Encyclop. éduc.,1960, p. 236).Les ingénieurs du Génie maritime français mirent au point le FNRS III, petit sous-marin des grandes profondeurs et premier bathyscaphe utilisable (Hist. gén. sc.,t. 3, vol. 2, 1964, p. 686).
3. Génie rural. ,,Technique des améliorations réalisables à la campagne, concernant le sol ou la vie rurale`` (Plais.-Caill. 1958); p. méton., ,,administration ou corps d'ingénieurs chargés de cette fonction`` (Plais.-Caill. 1958). La recherche des propriétés et des exploitations, leur localisation, la détermination de la valeur des terres sont effectuées par les géomètres et ingénieurs du génie rural (Colloque géogr. appl.,1962, p. 40).
4. Génie chimique. ,,Science qui concerne les procédés industriels de transformation physico-chimique des matières premières en produits utiles à l'homme`` (Le CNRS en Champagne-Lorraine, Paris, CNRS, 1980, p. 30). Le génie chimique, science pluridisciplinaire pour l'ingénieur, contribuera à la solution de nombreux problèmes qui conditionnent l'avenir de notre société (Le CNRS en Champagne-Lorraine, Paris, CNRS, 1980, p. 31).
Prononc. et Orth. : [ʒeni]. Ds Ac. 1694-1932. Étymol. et Hist. I. 1. 1532 « caractère, tendance naturelle de l'esprit » (Rabelais, Pantagruel, VI, éd. V. L. Saulnier, pp. 33-34); 1789 péj. avoir le génie de l'inaction (Staël, Lettres jeun., p. 460); 2. 1637 « aptitude particulière, accompagnée d'une grande puissance créatrice » (Chapelain, Les Sentiments de l'Académie sur la Tragi-Comédie du Cid ds Z. rom. Philol. t. 66, p. 186); 1697 « homme de génie » (Bayle, cité par H. Sommer, Génie, Beiträge zur Bedeutungsgeschichte des Wortes d'apr. FEW t. 4, p. 105b); 3. 1641 « caractère propre (ici d'un peuple) » (Corneille, Cinna, II, 1). II. 1. 1571 « esprit bon ou mauvais qui, dans la croyance des Anciens, présidait à la vie de chaque homme » (Ronsard, Poëmes, L. II, éd. P. Laumonnier, X, 303, 78); d'où 1637 « être mythique bon ou mauvais qui influe sur la destinée » (Malherbe, Epitre, 41, éd. Ad. Régnier, II, 411 : c'est le fait du bon génie ou d'une vertu divine qui est dans l'homme de bien); 1689 (Mmede Sévigné, Lettres, éd. M. Monmerqué, IX, 144 : il assure que vous êtes son bon génie); 2. 1704 sculpt. (Trév. : figures d'enfans aîles, avec des attributs, qui servent dans les ornemens à representer les vertus, et les passions); 3. 1791 « être surnaturel doué d'un pouvoir magique » (Volney, Ruines, p. 305 : Le génie du mal Ahrimane, figuré par la constellation du serpent). III. 1. Av. 1708 « art de fortifier » (Vauban, Mémoire pour servir d'instruction dans la conduite des sièges ds Fr. mod. t. 17, p. 67); 2. 1835 génie militaire (Boucher); 3. id. génie des Ponts et Chaussées (ibid.). Empr. au lat.genius « démon tutélaire qui préside à la conception, donc à la destinée d'un homme »; le sens de « caractère » est attesté dès le lat. du Bas Empire (TLL s.v., VI, 2, 1831). Le sens III est dû à l'infl. de ingénieur*. Fréq. abs. littér. : 9 926. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 21 418, b) 10 939; xxes. : a) 12 333, b) 10 657. Bbg. Besser (G.R.). Balzac's concept of genius. Genève-Paris, 1969, 286 p. - Christmann (H.-H.). Bemerkungen zum génie de la langue. In : [Mél. Klein (H.-W.)]. Göppingen, 1976, pp. 65-79; Zu den Begriffen génie de la langue und analogie in der Sprachwissenschaft des 16. bis 19. Jahrhunderts. Beitr. rom. Philol. 1977, t. 16, no1, pp. 91-94. - Matoré (G.), Greimas (A.-J.). La Naissance du génie au 18es. Fr. mod. 1957, t. 25, pp. 256-272. - Meissner (F.-J.). Wortgeschichtliche Untersuchungen im Umkreis von fr. enthousiasme und génie. Genève, 1979, 386 p. - Rosiello (L.). Analisi semantica dell'espressione genio della lingua... Quaderni dell' Istituto di glottologia. 1961, t. 6, pp. 89-102. - Schober (R.). Von der wirklichen Welt in der Dichtung. Berlin, 1970, p. 177, 419. - Willard (N.). Le Génie et la folie au 18es. Paris, 1963, 176 p. - Zumthor (P.), Sommer (H.). À propos du mot génie. Z. rom. Philol. 1950, t. 66, pp. 170-201.