| FÉROCITÉ, subst. fém. A.− [À propos des animaux] Naturel féroce, sauvage. Et le beau carnassier qui ne va que par couples Et qui par-dessus tous les félins est cité Pour sa grâce terrible et sa férocité, Le jaguar (Heredia, Trophées,1893, p. 181). − Souvent au plur. Manifestation de ce naturel sauvage. Les brigandages se mêlaient aux rapines et aux férocités des bêtes de proie, aux forces mauvaises des éléments sournois (Gide, Thésée,1946, p. 1417). B.− 1. [À propos des humains] Caractère brutal, cruel, dur de quelqu'un, de son comportement. Mais l'amour même qui répare les maux que fait la guerre, ne fait qu'ajouter à la férocité des hommes (Bern. de St-P., Harm. nat.,1814, p. 295).Cet âge est sans pitié. Pendant ma campagne du mois de juin 1848, j'ai observé la férocité des gamins, qui m'a paru épouvantable (Mérimée, Lettres Mmede La Rochejacquelein,1870, p. 207).On voit la férocité du mari; on entend les gémissements de la femme battue (Gide, Journal,1921, p. 710): 1. Nous devons nous demander si la férocité des anciens révolutionnaires ne tiendrait pas à des raisons tirées de l'histoire de la bourgeoisie, en sorte que l'on commettrait un contresens en confondant les abus de la force bourgeoise révolutionnaire de 93 avec la violence de nos syndicalistes révolutionnaires ...
Sorel, Réflex. violence,1908, p. 144. ♦ Avec férocité. Synon. de férocement.Il riait peu, mais souriait souvent, avec férocité (Beauvoir, Mém. j. fille,1958, p. 335): 2. Voilà pourquoi nous refusons de l'adorer; les images qu'on voit dans nos pagodes ne sont pas de celles du dieu qui a fabriqué, avec une férocité ingénieuse, les griffes rétractiles du tigre, les crochets venimeux de la vipère et les âmes sans pitié des savants vivisecteurs...
Ménard, Rêv. païen,1876, p. 213. − [À propos de la physionomie de qqn] Apparence brutale, cruelle, dure de quelqu'un. Il n'était débraillé qu'à demi, comme il convient à un voleur de bonne race, et la férocité de son visage était tempérée par un certain air de grandeur (About, Grèce,1854, p. 389).C'était un fort bon homme que la nature avait doué, sans doute par plaisanterie, de tous les signes extérieurs de la férocité (Gautier, Fracasse,1863, p. 29).Qui ne se remémore « l'homme au couteau entre les dents », hérissé, les yeux dilatés de férocité, dégoulinant de sang, qui contribua plus que n'importe quel argument à l'échec du parti communiste, en 1919? (Huyghe, Dialog. avec visible,1955, p. 47). − [À propos du caractère, des sentiments de qqn] Quand il eut (...) retourné et rompu à toutes ses articulations le tendre et douloureux amour de sa jeunesse, et que la férocité de son esprit se fut repue de ce spectacle, il trouva moins de charme dans la société de Bernardi (Flaub., 1reÉduc. sent.,1845, p. 257).On retrouve cette indifférence du paysan pour le mort, fût-il son père ou sa mère, cet irrespect, cette férocité inconsciente si communs dans les campagnes, et si rares à Paris (Maupass., Contes et nouv., t. 1, En fam., 1881, p. 349). ♦ En partic. Ironie méchante et cruelle. Une soirée comme cela par semaine, cela rendrait mélancolique ou caustique, car l'ennui pousse à la férocité (Amiel, Journal,1866, p. 550). 2. [À propos d'inanimés] a) [À propos d'une loi, d'une contrainte] Inhumanité, dureté. Quelle férocité dans cette mise en demeure imposée ainsi à une créature dont il avait tant éprouvé le dévouement! (Bourget, Sens mort,1915, p. 260).Un malaise toujours accru, composé de la persistance des amertumes, de l'inflexibilité des orgueils, de la férocité des concurrences (Valéry, Variété IV,1938, p. 66): 3. Il faut en passant remarquer la force particulière de l'influence que ce rêve exerça sur lui [St Antoine], puisqu'elle lui permit, malgré les sarcasmes de la foule et le scepticisme de son entourage, de persévérer dans la férocité de ses ordres, passant pour cela non seulement sur le droit des gens, mais sur le plus simple respect de la vie humaine.
Artaud, Théâtre et double,1938, p. 20. b) [Dans le domaine culturel] Revoyons donc ce tableau (...). Il y a là dedans une férocité et une brutalité de manière assez bien appropriées au sujet, et qui rappellent les violentes ébauches de Goya (Baudel., Salon,1846, p. 143).On s'explique ainsi le curieux mélange de férocité et d'indulgence qu'on respire dans le mythe grec (Camus, Homme rév.,1951, p. 45). C.− P. méton., souvent au plur. Manifestation d'intransigeance, de cruauté, de dureté. 1. [En parlant d'un dogme, d'un concept] Maintenant, cher Théophile, si tu veux avec moi oublier ces férocités sérieuses et respectables d'une foi ardente, nous irons ensemble visiter les pyramides (Du Camp, Nil,1854, p. 63).Je sentais une âme d'artiste, toute douceur et toute lumière, sans fiel et sans dureté contre la barbarie du monde et la férocité du sort (Michelet, Oiseau,1856, p. 248).Contre les férocités de la nature hostile et destructrice, nous avons dressé les exigences d'un aménagement humanisé du monde extérieur (Perroux, Écon. XXes.,1964, p. 399). 2. Situation, état de fait marqué de dureté, d'inhumanité. Il ne m'agrée pas de voir un peuple jadis si grand, désormais couché sur le sol, (...) livré aux niaiseries, aux misères, aux méchancetés, aux férocités, aux lâchetés, aux défaillances d'une enfance sénile (Gobineau, Pléiades,1874, p. 200): 4. À côté de la débauche exaspérée par la terreur même de l'enfer, il y a eu la pureté, la chasteté chevaleresques; à côté de la misère plus grande, et à travers les férocités aveugles, une plus grande charité, une compassion de la destinée humaine où tout le cœur se fondait.
Lemaitre, Contemp.,1885, p. 159. Prononc. et Orth. : [feʀ
ɔsite]. Ds Ac. 1694-1932. Étymol. et Hist. Début xives. (Aimé de Mont Cassin, Histoire des Normands, l. 1, chap. 42, éd. V. de Bartholomaeis, p. 54). Empr. au lat. class. ferocitas, -atis « fougue, vaillance; arrogance ». Fréq. abs. littér. : 489. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 742, b) 746; xxes. : a) 954, b) 472. Bbg. Hotier (H.). Le Vocab. du cirque et du music-hall en France. Paris, 1973, pp. 52-53; p. 140. |