| FUMÉE, subst. fém. A.− 1. Au sing. Mélange, plus ou moins dense et de couleur variable, de gaz, de vapeur d'eau et de différentes particules plus ou moins fines, qui se dégage d'un corps en combustion ou porté à très haute température; p. méton. (au sing. et au plur.), ce mélange en suspension dans l'atmosphère. L'Etna, avec ses feux, ses fumées, ses laves, ses mugissements, ses agitations (Bern. de St-P., Harm. nat.,1814, p. 237).Il est certain que ce feu faisait bien sur le foyer de pierres plates. La fumée s'en allait facilement par l'étroit conduit, la cheminée tirait, et une agréable chaleur ne tarda pas à se répandre (Verne, Île myst.,1874, p. 42).Des remorqueurs (...) s'impatientaient, vomissaient une fumée noire (Van der Meersch, Empreinte dieu,1936, p. 177): 1. La ville moderne se compose de ces habitations monstrueuses et de rues obscures, pleines d'air pollué par les fumées, les poussières, les vapeurs d'essence et les produits de sa combustion...
Carrel, L'Homme,1935, p. 28. − Proverbes ♦ Il n'y a pas de fumée sans feu. Toute rumeur repose sur un fond de vérité. Les uns disaient : « Quelle plaisanterie!... C'est une manœuvre! Comment admettre une bourde pareille? − Eh! eh! faisaient les autres, il n'y a pas de fumée sans feu!... » (Verne, 500 millions,1879, p. 201). ♦ Il n'y a pas de feu sans fumée. Il n'y a pas de cause sans effet et une passion vive ou un secret se trahit toujours par quelque indice. (Ds Ac., Littré, DG). − En partic. [À propos d'une substance (tabac, opium, etc.) dont on assure la combustion] Il lança, par un mouvement sec, son cigare au feu. − Madame, la fumée vous incommode sans doute? (Balzac, Langeais,1834, p. 297).La jeune femme était retombée dans cette torpeur provoquée par les fumées du chanvre (Verne, Tour monde,1873, p. 68). SYNT. Boîte à fumée (v. boîte B 2 c); noir* de fumée; arabesque, colonne, filet, nuage, panache, ruban, rideau, volute de fumée; fumée d'une bougie, d'un bûcher, d'un cierge, d'un feu de bois, d'un volcan; fumée de l'âtre, d'une bouche à feu, d'un canon, d'une locomotive, d'un paquebot, d'une usine; les fumées de la ville; fumée d'une cigarette, d'une pipe; fumée d'opium; fumée qui se dissipe, s'échappe (d'une cheminée), s'élève, flotte, monte, se répand; avaler, souffler, rejeter la fumée; faire des ronds de fumée; fumée aveuglante, blanche, bleuâtre, grise, légère, lourde, odorante, suffocante; envahi, plein, noir de fumée; noirci par la fumée. 2. P. compar. ou p. métaph. a) [D'une chose vaine, sans valeur] Synon. chimère, futilité, illusion, vent.La conviction où j'étais que toute science était vanité et fumée (Sand, Hist. vie,t. 3, 1855, p. 36).Tout devient pour moi fumée, illusion, vapeur, même ma propre vie (Bourget, Nouv. Essais psychol.,1885, p. 298).Des êtres plus inexistants que la fumée (Jouhandeau, M. Godeau,1926, p. 147): 2. ... méfions-nous des mots qui disent d'avance, pour ainsi dire, ce qu'ils veulent dire, et qui le tuent dans l'œuf, des mots qui sont une musique, une propagande, une fumée.
Audiberti, Mal court,1947, II, p. 155. − Locutions ♦ S'enivrer, se repaître de fumée. ,,Se repaître de vaines espérances ou de vains honneurs, d'une vaine gloire, etc.`` (Ac.). ♦ Il vend de la fumée, c'est un vendeur de fumée. ,,Se dit de Celui qui n'a qu'un crédit apparent dont il fait parade pour en tirer quelque utilité, quelque avantage, ou encore de Celui qui fait, toujours pour en tirer profit, des promesses qu'il sait irréalisables`` (Ac. 1932). b) [D'une chose fugitive, évanescente] − S'en aller, disparaître, s'évanouir en/comme une fumée. [Le suj. désigne un animé ou un inanimé] Se dissiper soudainement, disparaître sans laisser de trace, Cet âge (...) où ces rêves tant soit peu riants qui nous amusaient de temps à autre s'évanouissent comme fumée (M. de Guérin, Corresp.,1830, p. 34).Nos mules s'étaient évanouies en fumée, et nous n'avions plus qu'une voiture démantelée et sans roues (Gautier, Tra los montes,1843, p. 60).Mais peut-être toute cette histoire va-t-elle se dissiper comme une fumée. Car savez-vous ce que je crois? qu'elle est inventée de toutes pièces, ou du moins sensiblement gonflée (Montherl., Reine morte,1942, III, 6, p. 216): 3. Eh quoi! j'aurai travaillé pendant quarante ans de ma vie, j'aurai porté des sacs sur mon dos, j'aurai sué des averses, je me serai privé pendant toute ma vie, pour vous, mes anges, qui me rendiez tout travail, tout fardeau léger; et aujourd'hui ma fortune, ma vie, s'en iraient en fumée!
Balzac, Goriot,1835, p. 252. c) [De ce qui manque de netteté] Discours, propos qui ne sont que fumée : 4. Barrès, un grand écrivain, un de ceux qui connaissent le mieux la langue française, mais qu'est-ce qu'il veut dire? on comprend chaque phrase l'une après l'autre, et de toutes ses clartés ne monte qu'une fumée.
Renard, Journal,1909, p. 1226. B.− P. anal. 1. Vapeur produite par la respiration ou la transpiration. La moindre respiration eût produit une fumée visible dans cet air froid (Gautier, Fracasse,1863, p. 147).La fumée blanche que faisait l'haleine de nos chiens (Maupass., Contes et nouv.,t. 1, Amour, 1886, p. 739). 2. Vapeur, brouillard qu'exhale un corps humide plus chaud que l'air ambiant. Synon. buée, exhalaison.Il s'élève du lac des fumées légères, s'allongeant comme des gazes dans la transparence du crépuscule (Flaub., Tentation,1869, p. 382).Il y avait toujours une trêve du petit matin, à l'heure où la terre sue sa fumée naturelle (Giono, Gd troupeau,1931, p. 120).La lourde vapeur qui sortait de l'herbe piétinée montait vers nous. C'était la fumée suffocante des sèves mêlée à la sueur des corps (Abellio, Pacifiques,1946, p. 204). − Spéc. Vapeur qui s'exhale d'un aliment chaud ou en cours de cuisson. L'autre [valet] découvrit une soupière en vieille argenterie massive, et il s'en éleva un tourbillon de fumée odorante annonçant un bouillon plein de succulence (Gautier, Fracasse,1863p. 374).La fumée des tasses qu'elle portait lui montait au visage comme un souffle avec la chaleur du café (Goncourt, R. Mauperin,1864, p. 39). ♦ Loc. verb. fig. [P. allus. à l'apologue conté par Rabelais, Tiers livre, xxxvii] Manger son pain à la fumée (du rôt). Devoir se contenter de jouir par l'imagination d'un plaisir, d'un divertissement dont la réalité est réservée à quelqu'un d'autre. Il va la faire danser [cette jolie fille] ce soir! et moi je mangerai mon pain à la fumée, car on entend d'ici l'orchestre du faubourg (Vidal, Delmart, Caserne,1833, p. 192): 5. − Eh! bien, César, dit Pillerault, sais-tu d'où cela te vient? de l'impatience qu'a Popinot d'épouser Césarine. Il n'y tient plus, et ne doit pas, pour tes exagérations de probité, laisser passer sa jeunesse à manger du pain sec à la fumée d'un bon dîner.
Balzac, C. Birotteau,1837, p. 401. 3. Littér. Masse légère de particules en suspension dans l'atmosphère. Synon. nuage.Chassée par le vent, la neige courait en blanches fumées rasant le sol (Gautier, Fracasse,1863p. 142).On distinguait les petites fumées de poussière, que les obus soulevaient du sol (Zola, Débâcle,1892, p. 250): 6. ... un faux-ébénier, vêtu de grappes jaunes, éparpillait au vent sa fine poussière, une fumée d'or qui sentait le miel...
Maupass., Contes et nouv.,t. 2, Fils, 1882, p. 315. 4. Au plur. a) VÉN. Excréments caractéristiques des cerfs et autres animaux sauvages. Je reconnus des traces nombreuses de gazelles; leurs fumées, très-divisées, parsemaient les endroits où poussent ces herbes odoriférantes et grasses que produit le désert (Du Camp, Nil,1854, p. 203).Quel gibier? on consulte les traces; on se penche sur les fumées. Celles-ci, blanches comme le kaolin, sont celles d'une hyène (Gide, Voy. Congo,1927, p. 846). b) Effets produits sur le cerveau par l'absorption de certaines drogues ou d'une trop grande quantité d'alcool. Les sauvages, passionnés pour les liqueurs de l'Europe, recherchent les fumées de l'ivresse comme les peuples de l'Orient les vapeurs de l'opium (Chateaubr., Natchez,1826, p. 442).Je me retrempai dans les fumées de l'alcool et du tabac. Elles eurent vite fait de nous monter à la tête (Beauvoir, Mém. j. fille,1958, p. 291). − Au fig., au plur. Ce qui monte à la tête, ce qui provoque des illusions. Les fumées de la gloire. Je croyais Paturot à jamais guéri des fumées de l'ambition, et déjà un nouveau vertige s'emparait de lui (Reybaud, J. Paturot,1842, p. 151): 7. Humble et jusqu'à l'héroïsme, le P. Lacordaire, qui, sentant les fumées de l'orgueil lui monter au cerveau, se traîne dans la poussière sous les pieds d'un frère convers. Il avait besoin qu'on lui rappelât son néant.
Bremond, Hist. sent. relig.,t. 3, 1921, p. 242. REM. Fumagine, subst. fém.,bot. Maladie cryptogamique des végétaux caractérisée par un dépôt couleur de suie à la surface des feuilles. (Dict. xixeet xxes.). Prononc. et Orth. : [fyme]. Ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. Début xiies. « vapeur qui se dégage d'un corps en combustion ou plus chaud que l'air ambiant » (Benoit S. Brendan, 1109 ds T.-L.); ca 1230 fig. la fumee de orgoil (G. Le Clerc, Trois mots, 47, ibid.). Part. passé fém. subst. de fumer1*. Fréq. abs. littér. : 3 788. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 3 458, b) 6 557; xxes. : a) 6 488, b) 5 743. |