| FORCENÉ, ÉE, adj. et subst. I.− Adjectif A.− Vieilli. [Qualifiant un subst. désignant (le comportement, un trait physique ou psychol. d')une pers.] Qu'un accès de folie, une forte émotion rend, a rendu très violent. Brute forcenée; passion, orgueil forcené(e). Notre jeune amie haïssait comme peste ce forcené gentilhomme, qui la poursuivait de ses galanteries violentes et scandaleuses (Gautier, Fracasse,1863, p. 429).Avec un geste forcené, il poussa le verrou qui fermait l'auvent au dehors (Maupass., Une Vie,1883, p. 196): 1. Ôtez de Macbeth la prédestination maudite (...) la lutte héroïque contre une justice occulte qui, à tout moment, devient visible par les mille fissures de la nature révoltée, et le personnage principal n'est plus qu'un assassin odieux et forcené.
Maeterl., Temple ensev.,1902, p. 129. − [Qualifiant un subst. désignant un acte, une œuvre] Qui est d'une très grande violence. J'ai entendu le cri des Bédouins, ce cri forcené avant-coureur des massacres (Cottin, Mathilde,t. 1, 1805, p. 343). − P. exagér. [Forcené marque une forte condamnation de la part du locuteur] Il s'agit de combattre un usurpateur forcené, en qui la vengeance céleste a réuni l'autorité royale et la science pratique de la guerre (J. de Maistre, Corresp.,1806-07, p. 319).On les voyait [les aristocrates extrémistes] donner plus volontiers la main aux démagogues, forcenés, dont les folies menaçaient la France, ainsi qu'eux-mêmes, d'une affreuse anarchie (Staël, Consid. Révol. fr.,t. 1, 1817, p. 237). Rem. Qq. attest. de forcené constr. avec un compl. prép. de désignant un affect. Plus Liéven voyait Léonor forcenée d'amour pour Mayral, plus il l'adorait (Stendhal, Nouv. inéd., 1842, p. 375). Il se la représentait à genoux, échevelée, demandant grâce au marquis, forcené de colère (Gautier, op. cit., p. 130). B.− [Qualifiant un subst. désignant une pers. en tant qu'elle a un comportement, une activité, des opinions] Qui dépasse toute mesure dans sa passion pour. Partisan forcené de qqc. (Quasi-)synon. acharné, enragé.Lacombe, riche fermier à la mode d'autrefois, buveur, joueur de cartes, de coqs et de pigeons, amateur forcené de courses de chevaux, chasseur, fumeur, trousseur de filles (Van der Meersch, Invas. 14,1935, p. 36): 2. ... les amis du duc qui l'avaient vu, si indifférent au début, devenir un antidreyfusard forcené, restèrent muets de surprise en l'entendant (...) leur répondre : « Hé bien, le procès sera révisé et il sera acquitté... »
Proust, Sodome,1922, p. 739. − Rare. [Qualifiant un subst. désignant un trait physique] Le halètement d'un coureur demi-asphyxié de qui l'on entend les prises d'air et les expirations, cent mètres avant que l'on distingue son visage douloureux et forcené (Barrès, Déracinés,1898, p. 457). − [Qualifiant un subst. désignant un comportement, une activité, des opinions] Poussé à l'excès. Désir, goût forcené de qqc.; travail forcené; individualisme, nationalisme forcené. Élèves et professeurs étaient des Basques assez rustauds, mais sains de corps et d'esprit, jouant à la paume d'une manière forcenée (Jammes, Mém.,1921, p. 99).Avec une application forcenée, un infini scrupule, je tâche d'exprimer l'essentiel de ma pensée (Chardonne, Chant Bienh.,1927, p. 133): 3. Il arrive que ce dessin d'invention enivre l'exécutant, devienne une action forcenée qui se dévore elle-même, s'alimente, s'accélère, s'exaspère d'elle-même...
Valéry, Degas,1936, p. 117. ♦ P. anal. [Qualifiant un subst. désignant un processus soc.] On pourrait voir dans l'industrialisation forcenée de cet immense pays agricole [la Russie], tentée en trente ans, le plus furieux effort d'occidentalisation qu'il ait connu depuis Pierre Le Grand (Malraux, Conquér.,1928, p. 168). Rem. On relève ds la docum. une attest. de la constr. forcené à qqc. Le premier [Aristide] était forcené au gain (Duranty, Malh. H. Gérard, 1860, p. 286). II.− Substantif A.− Personne en proie à une crise de folie furieuse. Se démener comme un forcené. Le vieux paysan, retirant son arme des plaies, la replongeait coup sur coup dans le ventre, dans l'estomac, dans la gorge, frappant comme un forcené (Maupass., Contes et nouv.,t. 2, St-Antoine, 1883, p. 201).Les gendarmes, venus arrêter Léopold dans son établissement, s'étaient vus dans l'obligation d'abattre le forcené (Aymé, Uranus,1948, p. 267): 4. La période de gesticulation commençait. Elle atteignit aussitôt une telle impétuosité qu'il eût fallu la camisole de force pour entraver cette frénésie. Antoine et Jacques, aidés de la vieille sœur et d'Adrienne, s'étaient cramponnés aux quatre membres du forcené : ballotés, entraînés, ils titubaient et s'entrechoquaient comme dans une mêlée de football.
Martin du G., Thib.,Mort père, 1929, p. 1294. − P. exagér. [Forcené marque une forte condamnation de la part du locuteur] Notre attitude nous avait valu à l'avance une solide réputation de forcenés, et l'étiquette indélébile de « communistes » (Ambrière, Gdes vac.,1946, p. 339).Il faut que quelqu'un apparaisse enfin, je serais tenté de dire (...) : n'importe qui, pourvu qu'il fût un héros d'indifférence à l'égard des forcenés d'Alger (Mauriac, Nouv. Bloc-notes,1961, p. 27). B.− Personne qui s'adonne sans mesure à une passion, une activité. Je lisais, je lisais comme un forcené, tout ce qu'il y avait dans la bibliothèque d'Antoine, tout ce que Daniel pouvait m'apporter (Martin du G., Thib.,Belle sais., 1923, p. 960).J'aime songer à cette vie de forcené, où Balzac ménageait encore la place d'un roman d'amour, qui devint conjugal (Colette, Belles saisons,Mes cahiers, 1954, p. 177). − [Constr. avec un compl. prép. de] Voilà donc, diront-ils [les railleurs], où en viennent ces désespérés et ces forcenés de l'idéal comme d'Albert, tous ces petits neveux de René (Sainte-Beuve, Nouv. lundis,t. 6, 1863-69, p. 313).Fifi-le-Dingue, un forcené de la mousqueterie qui ne travaillait qu'au Colt « frontière » (Simonin, Touchez pas au grisbi,1953, p. 19). Rem. Qq. attest. d'emploi subst. neutre. Il est sans doute naturel au peuple de Hitler de se sentir à l'aise dans le forcené (Gide, Journal, 1934, p. 1215). Il [un livre de Jean Desbordes] enchevêtre le calme et le forcené. Calme à cause de cette ferme, forcené parce qu'il halète, traversé de galopades, de gifles, de portes qui claquent (Cocteau, Poés. crit. I, 1959, p. 146). Prononc. et Orth. : [fɔ
ʀsəne]. Ds Ac. 1694-1932; forsené (d'apr. sens) ds Ac. 1694. Fér. 1768 et Fér. Crit. t. 2 1787 notent aussi l'orth. forsené, mais la considèrent comme moins autorisée. Étymol. et Hist. Cf. forcener. Fréq. abs. littér. : 436. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 353, b) 492; xxes. : a) 812, b) 799. |