| FANTAISIE, subst. fém. A.− Vx. Imagination; p. méton. production de l'imagination. Synon. chimère, fantasme.Plongé dans cette rêverie mêlée de veille et de sommeil qui prête aux réalités les apparences de la fantaisie et donne aux chimères le relief de l'existence (Balzac, Peau. chagr.,1831, p. 285).J'arrivais d'emblée aux jeux qui flattaient ma fantaisie. Nous simulions des batailles, des fuites à travers ces bois qui jouaient un si grand rôle dans mon imagination (Sand, Hist. vie,t. 2, 1855, p. 168): 1. ... [Claude] tourna le dos pour ne plus voir, et s'éloigna à grands pas de l'effroyable vision [le clocher de l'Enfer]. Quand il rentra dans les rues, les passants qui se coudoyaient aux lueurs des devantures de boutiques lui faisaient l'effet d'une éternelle allée et venue de spectres autour de lui. Il avait des fracas étranges dans l'oreille. Des fantaisies extraordinaires lui troublaient l'esprit.
Hugo, N.-D. Paris,1832, p. 411. 1. B.-A., LITT. a) Faculté imaginative, pouvoir d'invention d'un artiste, d'un écrivain, etc. Fantaisie pure, fantaisie d'artiste, du peintre, du poète, art et fantaisie. Synon. créativité.Il [Achille Devéria] commence le joli profil d'une tête de jeune fille; tout à coup sa fantaisie suit un autre cours, et de ce même profil, sur le blanc vélin, il engendre une horrible figure de vieille femme ignoble et sale (Janin, Âne mort,1829, p. 18).Ce célibataire, assez semblable à une petite tonne d'eau-de-vie sur laquelle la fantaisie d'un peintre aurait mis une grosse figure grêlée de petite vérole et rougeaude (Balzac, Illus. perdues,1843, p. 71).N'ai-je pas tout ce qu'il y a de plus enviable au monde? L'indépendance, la liberté de ma fantaisie, mes deux cents plumes taillées et l'art de s'en servir (Flaub., Corresp.,1850, p. 162). − De fantaisie, loc. à valeur adj. ♦ Qui n'a aucun modèle dans la réalité, est composé d'imagination. Nom, portrait de fantaisie. Beaumarchais, dans son autre Tartufe, n'a montré qu'une odieuse figure de fantaisie (Jouy, Hermite,t. 1, 1811, p. 34).Ce portrait n'est pas vrai. C'est une tête et un cœur de fantaisie (Lamart., Raphaël,1849, p. 223). ♦ P. ext. Qui est sans fondement, manque d'orthodoxie. L'empirisme non scientifique engendre la médecine de fantaisie (Bernard, Princ. méd. exp.,1878, p. 46). Rem. La docum. atteste fantaisier, verbe intrans., rare. Donner libre cours à son imagination créatrice. Tandis que mon frère continuait à versifier et à fantaisier (Goncourt, Journal, 1885, p. 438). b) P. méton., DIDACT.
Œuvre où l'imagination se donne libre cours sans souci des règles formelles. Fantaisie littéraire, poétique. À côté, une drôlerie flamande : Le Marchand d'anneaux. Cette fantaisie un peu scabreuse qu'on eût pu appeler aussi : Les trois âges, est joliment, délicatement traitée (Michelet, Chemins Europe,1874, p. 340).Comme Pauline lisait un soir le journal à son oncle, Lazare était sorti, bouleversé d'avoir entendu la fantaisie d'un conteur, qui montrait le ciel du vingtième siècle empli par des vols de ballons, promenant des voyageurs d'un continent à l'autre (Zola, Joie de vivre,1884, p. 885): 2. ... ce que les peintres appellent des pochades, de petites fantaisies, de ces caricatures plus ou moins spirituelles que l'on passe rapidement en revue en s'amusant à parcourir un portefeuille ou un album.
Chateaubr., Mém.,t. 2, 1848, p. 703. − En partic., MUS.
α) Pièce musicale de forme libre. Dans l'œuvre des huit symphonies de Beethoven, il est une fantaisie, grande comme un poème, qui domine le finale de la symphonie en ut mineur (Balzac, C. Birotteau,1837, p. 217).L'après-midi d'un Faune [de Debussy] est une des plus exquises fantaisies instrumentales que la jeune école française ait produites (Bruneau, Mus. fr.,1901, p. 242).La Fantaisie pour piano, orchestre et chœurs, dont les accents annoncent déjà l'Ode à la Joie (Rolland, Beethoven,t. 1, 1937, p. 68).
β) Mod. Composition musicale réunissant des airs, des motifs empruntés à des opéras, à des œuvres connues. Synon. pot-pourri.Ce procédé [la répétition d'un dessin d'orchestre] qui convient au développement d'une phrase musicale, et plus spécialement à l'enchaînement des motifs, choisis pour établir une fantaisie ou une sélection sur des motifs d'opéra ou autres (Dureau, Instrument. et orchestr.,1905, p. 15).Il [Mozart] improvisa (...) une sorte de fantaisie ou de souvenir sur des airs que tout le monde fredonnait (Boschot, Mus. et vie,1931, p. 134).Il [Steibelt] passe pour être l'inventeur d'un genre de morceau de piano appelé « fantaisie » consistant à faire entendre différents motifs d'un opéra avec des variations (Rougnon1935, p. 368). ♦ Fantaisie sur. Variation libre sur un thème emprunté à un opéra ou un autre ouvrage. Le programme d'orchestre comprenait l'ouverture d'Egmont, une valse de Waldteufel, le Pèlerinage de Tannhäuser à Rome, l'ouverture des Joyeuses commères de Nicolaï, la marche religieuse d'Athalie, et une fantaisie sur l'Étoile du Nord (Rolland, J.-Chr.,Révolte, 1907, p. 387).Fantaisie de Leubach, (...) sur la Flûte enchantée (Mathis-Lussy, Rythme mus.,1911, p. 68). 2. P. ext., usuel. Parti pris d'originalité et de nouveauté. Anton. classicisme.Il [l'hôtel de Nana] était de style Renaissance, avec un air de palais, une fantaisie de distribution intérieure, des commodités modernes dans un cadre d'une originalité voulue (Zola, Nana,1880, p. 1347).Mme Henningsen fumait beaucoup, se fardait avec rage, s'enveloppait de costumes d'une fantaisie arrogante (Duhamel, Terre promise,1934, p. 101). a) Objet de fantaisie, p. ell. emploi abs. fantaisie (au sing. ou au plur.). Article sans grande utilité et valeur, mais original et plaisant. J'avais su joindre une clientèle élégante qui s'approvisionnait d'objets de fantaisie dans lesquels le bénéfice est presque arbitraire (Reybaud, J. Paturot,1842, p. 157).Des cartonniers, des dossiers; pas un bibelot d'art, pas une fantaisie [dans un cabinet de travail] (Vogüé, Morts,1899, p. 124).Le sac était beau. Je l'avais choisi, à mon retour du restaurant, dans le meilleur magasin de fantaisies pour dames de l'avenue de la Victoire (Romains, Hommes bonne vol.,1939, p. 199).Cf. aussi albâtre ex. 23. ♦ En partic. Bijou (de) fantaisie. Bijou d'imitation. Les mille bijoux de fantaisie qui peuplaient ses coupes, ses écrins, ses étagères (Dumas père, Monte-Cristo,t. 2, 1846, p. 451).Elle désirait follement, depuis quinze jours, une parure de fantaisie, vue avec sa mère à la vitrine d'un bijoutier du Palais-Royal (Zola, Pot-Bouille,1882, p. 233). b) De fantaisie, loc. à valeur adj.; fantaisie, en appos. invar. [en parlant d'un objet fabriqué]
α) Qui diffère du modèle ordinaire ou réglementaire par un souci d'originalité, de nouveauté et parfois de raffinement. Cravate, gilet, soie (de) fantaisie. Elle se garnit d'une frange de fantaisie en soie avec glands et filet (Mallarmé, Dern. mode,1874, p. 796).Il réclamait opiniâtrement des revers à la mode, des boutons de fantaisie, des poches innombrables (Duhamel, Notaire Havre,1933, p. 61): 3. Il a mis un costume splendide, gris perle. Il porte un chapeau de paille fendu qui a la forme d'un chapeau mou. Souliers éclatants, canne fantaisie.
Pagnol, Marius,1931, I, 5, p. 46.
β) Emplois spéc. − ALIM. Pain (de) fantaisie. Pain de luxe vendu à la pièce, et non au poids. Il tient dans ses bras une boîte de biscuits, de grande dimension, un pain de fantaisie et une bouteille de champagne (Barbusse, Feu,1916, p. 90). ♦ [En parlant gén. d'un alcool] Qui imite un produit sans en respecter la composition. Kirsch, rhum fantaisie. En raison de son prix, on substitue parfois au miel des miels de fantaisie ou miels artificiels, obtenus par chauffage à l'ébullition de sirops concentrés de sucre ordinaire additionnés d'acide acétique ou d'acide citrique : sous l'action de l'acide, le saccharose est partiellement transformé en glucose (Brunerie, Industr. alim.,1949, p. 30). − ART MILIT. [En parlant d'un uniforme] Qui n'est pas conforme au modèle réglementaire usuel. Les étalages où sont exposés des vareuses et des képis de fantaisie (Barbusse, Feu,1916, p. 323).Des aspirants passent, en uniforme de fantaisie (Sartre, Mort ds âme,1949, p. 236). Rem. La docum. atteste le synon. arg. fantoche, adj. Il retaille dans les capotes du gouvernement des tuniques fantoches de danseuse avec des cols aviateur (Arnoux, Cabaret, 1919, p. 177 ds Esnault, Notes compl. Poilu, [1919], 1956). Tenue fantoche (...) [uniforme] non réglementaire (Coindreau, Argot Baille, 1957, p. 141). − TYPOGR. Caractère de fantaisie. Caractère d'imprimerie, différent par la forme et la taille des caractères courants, servant généralement à composer des titres. Dauriat et Ladvocat, les premiers, inventèrent ces affiches par lesquelles ils captèrent l'attention de Paris, en y déployant des caractères de fantaisie, des coloriages bizarres, des vignettes (Balzac, Illus. perdues,1843, p. 411). B.− Cour. [À propos du caractère et, p. méton., du comportement d'une pers.] 1. Au sing. Détermination d'une personne à agir à sa guise. Ils n'imaginent que de se soumettre, sans réflexion comme sans réserve, à la fantaisie de tous ou à la fantaisie d'un seul, qui s'est attiré leur aveugle confiance (Destutt de Tr., Comment. sur Esprit des lois,1807, p. 229).Le roi Hilperik, sorte d'esprit fort à demi sauvage, n'écoutait que sa propre fantaisie (Thierry, Récits mérov.,t. 2, 1840, p. 327).Il y a aussi d'autres familles où la fantaisie de chacun est une chose sacrée, chose aimée, et où nul ne songe jamais que sa joie puisse être importune aux autres (Alain, Propos,1907, p. 10): 4. C'était [le fils de Racine] un garçon plaisant et de bonne mine, chez qui son père blâmait une certaine fantaisie, un penchant à satisfaire toujours sa propre volonté « au hasard de tout ce qu'il en pouvait arriver ».
Mauriac, Vie Racine,1928, p. 248. − P. ext., au sing. ou au plur. Idée saugrenue; envie subite et passagère, souvent irraisonnée. Fantaisie bizarre, folle, passagère; avoir la fantaisie de; résister aux, à des fantaisies. Synon. caprice, désir, lubie, toquade (fam.).Tu n'as jamais eu que des caprices, des toquades, des fantaisies de mauvais sujet d'homme (E. de Goncourt, Faustin,1882, p. 287).Il s'obstinait à lui imposer ses idées, ses passions d'art, jusqu'à ses fantaisies et ses caprices (France, Lys rouge,1894, p. 174).Qu'est-ce que c'est que cette fantaisie? dit ma mère. Tu salues le drapeau à présent? C'est tout à fait inutile (Green, Journal,1932, p. 91): 5. Aussi, Thérèse se prêta-t-elle à l'accomplissement d'une fantaisie que Châteaubedeau eut le toupet de lui proposer, et qui consistait à être introduit subrepticement dans la chambre de Madame de Chamarante.
Boylesve, Leçon d'amour,1902, p. 76. ♦ Loc. Passer une fantaisie (à qqn); se passer, se payer une (petite) fantaisie. Satisfaire un caprice. Ils cherchaient encore à l'amuser et lui passaient toutes ses fantaisies (Alain-Fournier, Meaulnes,1913, p. 227). ♦ En partic. Amour passionné, mais éphémère; p. méton. personne aimée. Un petit carnet à fermoir d'or, reste de ses anciennes fantaisies ou peut-être même tendre souvenir de quelques-unes de ces femmes mystérieuses et voilées qui frappaient à la petite porte (Dumas père, Monte-Cristo,t. 2, 1846, p. 635).Peut-être n'était-elle pour lui qu'une fantaisie violente et sincère (France, Lys rouge,1894, p. 217): 6. − Eh! mon Dieu, une passion a conduit là Roguin, dit Claparon. Quel est le vieillard qui peut répondre de ne pas se laisser dominer, emporter par sa dernière fantaisie? Personne de nous, qui sommes sages, ne sait comment il finira. Un dernier amour, eh! c'est le plus violent. Voyez les Cardot, les Camusot, les Matifat!... vous ont des maîtresses!
Balzac, C. Birotteau,1837, p. 243. 2. Qualité d'une personne qui se singularise par son esprit imaginatif et un comportement imprévu et amusant. Synon. originalité.Elle s'enveloppait d'une fantaisie malicieuse, s'abritait derrière un paradoxe léger (Goncourt, Mme Gervaisais,1869, p. 45).La fantaisie du mari, le peintre, que sa situation d'artiste mondain forçait tout de même de temps à autre à quelques actions insolites (Céline, Voyage,1932, p. 499).Madame Mabille − à qui elle attribuait des trésors de charme, de sensibilité, de fantaisie (Beauvoir, Mém. j. fille,1958, p. 117): 7. Vos livres, votre vie m'ont enseigné mille choses précieuses, la curiosité, la fantaisie, la facilité, le détachement, le jeu, mais aussi la ferveur et la sincérité.
Guéhenno, Journal« Révol. », 1938, p. 227. − P. méton., gén. au plur. Manifestation de cette qualité. Ici commence le premier Livre des Fantaisies de Gaspard de la Nuit (Bertrand, Gaspard,1841, p. 68).Elle n'eut plus aucune de ses fantaisies de malicieuse écolière (Rolland, J.-Chr.,Matin, 1904, p. 195). Prononc. et Orth. : [fɑ
̃tεzi] ou p. harmonis. vocalique [fɑ
̃te-]. Ds Ac. 1694-1932. Étymol. et Hist. 1. Ca 1200 fantasie « imagination » (Moralités sur Job, 338, 31 ds T.-L.); ca 1450 fantaisie (Myst. Viel Testament, éd. J. de Rothschild, t. III, XXIV, 17788); 2. fin xves. « caprice, humeur » (Cent quarante-cinq Rondeaux d'Amour, éd. E. M. Bancel, p. 114 ds IGLF : Ma fantaisie à ce faire m'enhorte); p. ext. 1585 « morceau de musique qu'on appelle aussi caprice » (A. du Verdier, Bibliothèque, p. 499 ds La Curne); 1718 loc. adj. de fantaisie (Ac. : portrait de fantaisie). Empr. au b. lat. phantasia « imagination », « idée, conception de l'esprit » en lat. class., empr. au gr. φ
α
ν
τ
α
σ
ι
́
α « apparition ». Fréq. abs. littér. : 2 493. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 3 498, b) 4 596; xxes. : a) 3 710, b) 2 922. DÉR. Fantasier, verbe trans.[Correspond à fantaisie A] . Imaginer, rêver quelque chose. Je ne veux pas oublier, effacer cette histoire de ma mémoire. L'ai-je fantasiée? (Arnoux, Paris,1939, p. 315).P. ext. Troubler par des rêveries. Il ne put fermer l'œil, soit qu'il n'eût point l'habitude de dormir hors de son lit, soit que le voisinage de jolies femmes lui fantasiât la cervelle (Gautier, Fracasse,1863, p. 36).Il me restait de la faiblesse et une espèce de vertige ensommeillé qui me fantasiait un peu l'entendement (Arnoux, Calendr. Fl.,1946, p. 122).Emploi pronom. Être égaré par son imagination. À l'âge de vingt-trois ans, Naudé nous paraît déjà dans ce livre ce qu'il sera toute sa vie, revenu et guéri de l'ambition des nouveautés où il s'était fantasié d'abord (Sainte-Beuve, Portr. littér.,t. 1, 1844, p. 477).− [fɑ
̃tazje]. Je me fantasie [fɑ
̃tazi]. − 1resattest. 1458 réfl. « se laisser aller à son imagination » (A. Greban, Myst. de la Passion, éd. O. Jodogne, 27100) − 1660, Oudin, repris comme ,,vx`` dep. Trév. 1752; de l'a. m. fr. fantasie (fantaisie), dés. -er. BBG. − Gall. 1955, pp. 68-69. − Klein (J.-R.). Le Vocab. des mœurs de la Vie parisienne sous le Second Empire. Louvain, 1976, pp. 111-112. − Paré (G.). Le Vocab. scolastique. Paris, 1941, p. 50. − Teppe (J.). De qq. appellations (peu) contrôlées. Vie Lang. 1966, pp. 706-707. |