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EXPÉRIENCE, subst. fém.
A.− [L'expérience est un fait vécu]
1. Fait d'acquérir, volontairement ou non, ou de développer la connaissance des êtres et des choses par leur pratique et par une confrontation plus ou moins longue de soi avec le monde. Mais les meilleurs de mes amis devaient redouter, à leur insu, le signe dont m'avait marqué ma première enfance, mon expérience enfantine de la misère, de son opprobre (Bernanos, Journal curé camp.,1936, p. 1211):
1. Dans la langue française, le mot expérience a deux significations distinctes; expérience, au singulier, signifie d'une manière générale et abstraite, l'instruction acquise par l'usage de la vie. Quand on applique à un médecin le mot expérience pris au singulier, il exprime l'instruction qu'il a acquise par l'exercice de la médecine. Il en est de même des autres professions, et c'est dans ce sens qu'on dit qu'un homme a acquis de l'expérience, qu'il a de « l'expérience ». Ensuite, par extension, on a donné dans un sens concret le nom « d'expérience » aux faits qui nous fournissent cette instruction expérimentale des choses. C. Bernard, Princ. méd. exp.,1878, p. 45.
SYNT. a) Expérience amoureuse, sexuelle; expérience poétique; première expérience; expérience vécue; champ d'expérience; vérité d'expérience; expérience passe science. b) Faire l'expérience de, tenter l'expérience de qqc., prendre de l'expérience.
Loc. adv. Par expérience. Mon dessein formé était de conduire cette liaison avec ménagement jusqu'à ce qu'elle se relâchât peu à peu, (...) instruit par expérience à ne plus briser dans la blessure (Sainte-Beuve, Volupté, t. 2, 1834, p. 127).
Rem. On rencontre fréquemment chez Stendhal l'expr. se mettre en expérience dans le sens de « se mettre à l'épreuve ». J'ai beau me mettre en expérience (Stendhal, Rome, Naples et Flor., t. 1, 1817, p. 403).
Spéc. Épreuve dont on peut tirer une leçon de sagesse. Une précoce expérience l'avait rendu chauve avant l'âge; il connaissait la vie et avait pleuré dans son temps, mais sa douleur portait cuirasse; il était matérialiste et attendait la mort (Musset, Confess. enf. s.,1836, p. 48).
2. Résultat de cette acquisition; ensemble des connaissances concrètes acquises par l'usage et le contact avec la réalité de la vie, et prêtes à être mises en pratique. Homme d'expérience; parler, savoir d'expérience; transmettre l'expérience. Notre raison un pilote sans expérience, notre cœur une boussole sujette à toutes les variations (Bern. de St-P., Harm. nat.,1814, p. 284).Cf. supra ex. 1 :
2. ... il faut (...) accepter [le mot] comme permanent, compter avec lui, et en acquérir une expérience et une habitude qui puissent, au moins, déjouer ses effets (car, quant à la nature, elle est trop faussée en moi, et monstrueuse, pour que je me laisse aller à ses voies). Mallarmé, Corresp.,1869, p. 295.
3. PHILOS. Connaissance acquise soit par les sens, soit par l'intelligence, soit par les deux, et s'opposant à la connaissance innée impliquée par la nature de l'esprit. Il [Brunschvicg] n'oppose pas objectivité à subjectivité, et rend au contraire solidaires esprit et expérience (Ruyer, Esq. philos. struct.,1930, p. 278):
3. L'incroyant, disais-je, raisonne de la manière suivante : « je suis dans des conditions normales d'expérience, et pourtant je n'ai pas l'expérience de Dieu; mais cette expérience, si elle est réelle, doit être objective, c'est-à-dire appartenir à tout être normal; ce n'est pas le cas; donc ce n'est pas une expérience réelle ». Marcel, Journal,1919, p. 221.
Rem. Sans être une connaissance innée, l'expérience peut, dans certains domaines, être une appréhension immédiate de réalités considérées comme évidentes. Il y a quelque chose de plus singulier encore dans le sens de la vue, c'est que nous avons l'expérience irrécusable que la sensation visuelle nous trompe quelquefois complètement (Destutt de Tr., Idéol., 1801, p. 127).
B.− [L'expérience est un fait observé]
1. Épreuve destinée à vérifier une hypothèse ou à étudier des phénomènes.
a) Observation de faits naturels. Si l'univers est infini, nous ne saurions en avoir jamais la preuve par l'observation et l'expérience, lesquelles ne pourront jamais atteindre que le fini (E. Borel, Paradoxes infini,1946, p. 8).
b) Observation de faits provoqués. Expérience de chimie; verre à expérience. Les expériences faites sur les animaux vivans (Cabanis, Rapp. phys. et mor.,t. 1, 1808, p. 145).L'expérience est une observation provoquée dans le but de faire naître une idée (C. Bernard, Introd. ét. méd. exp.,1865, p. 36).
Expr. Mettre en expérience. Mettre en observation. Il mit le pendule simple en expérience les 27, 28 et 29 août, et il observa le nombre des oscillations dans un temps limité pour déterminer la force de gravitation des corps aux différentes latitudes (Voy. La Pérouse,t. 2, 1797, p. 17).
2. P. ext. Mise à l'essai de tout ce qui est nouveau dans son usage et dans sa pratique :
4. Je n'ai pas pu me rendre compte de ce que ce climat, par ailleurs le plus salutaire pour moi que je sache, pourrait donner au point de vue travail. J'en ferai l'expérience l'an prochain... Du Bos, Journal,1926, p. 90.
Rem. Le mot est parfois suivi d'un n. propre (ou plus rarement d'un n. commun) en appos. qui joue le rôle d'un adj. (et peut avoir une double valeur : l'expérience faite avec qqn [ou rarement de qqc.] ou l'expérience faite par qqn). L'expérience Le Corbusier, à Marseille, a fait couler beaucoup d'encre (P. Hamelet ds Figaro, 19-20 janv. 1952, p. 1, col. 7-8).
Prononc. et Orth. : [εkspeʀjɑ ̃:s]. Cf. é-1. Ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. Ca 1265 « connaissance acquise par la pratique » (Brunet Latin, Trésor, éd. Carmody, II, XXXI, 24 : longue experience); 2. 1663 « fait de provoquer une observation dans l'intention d'étudier certains phénomènes » (Pascal, Traité de la pesanteur de la masse de l'air, ds Œuvres complètes, éd. L. Lafuma, p. 245). Empr. au lat. class. experientia « essai, épreuve, tentative ». Fréq. abs. littér. : 9 343. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 9 009, b) 8 676; xxes. : a) 9 760, b) 21 531. Bbg. Quem. DDL t. 1.