| EXILER, verbe trans. A.− Emploi trans. 1. Frapper quelqu'un d'exil, le contraindre à quitter sa patrie et à vivre à l'étranger. Exiler une personne de France. On ne se laisse pas bêtement exiler comme Caton, ni lapider comme Étienne, ni brûler vif comme Jeanne d'Arc (Hugo, Misér.,t. 1, 1862, p. 43).En proie à ses furies, elle [l'Allemagne] brûlait les bibliothèques, exilait ou torturait ses fils les plus illustres (Mauriac, Journal 2,1937, p. 134): 1. Les lettres de cachet permettaient au pouvoir royal, et par conséquent ministériel, d'exiler, de bannir, de déporter, d'enfermer pour sa vie entière, sans jugement, un homme quel qu'il fût.
Staël, Consid. Révol. fr.,t. 1, 1817, p. 222. − P. ext., vx. Éloigner quelqu'un a) de la Cour, d'une ville. Exiler qqn dans ses terres, en province. J'ai reçu une lettre de cachet qui exile la marquise de Prie à sa terre (Dumas père, Mllede Belle-Isle,1839, IV, 4, p. 80). b) de la présence d'une personne. Mais pourquoi m'exiler à jamais, pourquoi me chasser des lieux que vous habitez? (Genlis, Chev. Cygne,t. 1, 1795, p. 157). ♦ P. métaph. [Le compl. dir. désigne un obj.] C'était sans doute afin d'oublier ces scènes de tendresse que la femme abandonnée avait exilé ces meubles de sa pièce intime (Bourget, Crime am.,1886, p. 296). 2. Au fig. a) Chasser, proscrire, bannir. Exiler qqn de son cœur. La conversation banale, d'où les sujets intimes sont exilés (Amiel, Journal,1866, p. 329).J'ai voulu vérifier que la vie d'un homme restait un bien à partager, même si elle était exilée de partout (J. Bousquet, Trad. du silence,1935-1936, p. 71).Nous avons exilé la beauté, les Grecs ont pris les armes pour elle (Camus, Été,1954, p. 108): 2. Cérisy, l'homme qui se trouvait en face d'elle, quinquagénaire élégant, chauve, l'air d'un dromadaire désabusé, la jugeait désirable [Clara]; mais il ne la désirait pas; il avait depuis longtemps exilé les passions.
Arnoux, Paris-sur-Seine,1939, p. 270. b) Priver. Exiler qqn des traditions de sa race. Cette mélancolie sans remède d'un vouloir qui ne veut pas exile l'homme de son entreprise essentielle : se faire (J. Vuillemin, Être et trav.,1949, p. 165): 3. La religion de la promesse dénonce sans arrêt le faux spiritualisme d'une dévotion et d'un culte qui exileraient l'homme de ses biens et de ses besoins terrestres...
Univers écon. et soc.,1960, p. 6410. B.− Emploi pronom. réfl. 1. Quitter délibérément son pays, partir. S'exiler de France; s'exiler en Amérique. (Quasi-)synon. s'expatrier.De grandes dames s'exiloient de la ville et de la cour, et partoient pour le Canada (Chateaubr., Génie,t. 2, 1803, p. 517). ♦ En partic. [En parlant d'un éloignement temporaire] C'était de ces marins qu'on appelle là des « Islandais », qui s'exilent tous les étés, six mois durant, pour aller faire la grande pêche dangereuse dans les mers froides (Loti, Mon frère Yves,1883, p. 95). − P. ext. Quitter la ville, la vie mondaine. S'exiler de Paris; s'exiler dans un coin de province. Il s'exila des salons qu'il avait fréquentés, et finit par se concentrer dans une vie taciturne et solitaire (Toepffer, Nouv. genev.,1839, p. 428). 2. Au fig. Se retirer, se replier. S'exiler dans le silence, dans le refus. Je pousse mes verrous, je m'exile de nouveau dans le travail (Zola, Hérit. Rabourdin,préf., 1874, p. ix).Les athlètes, debout, désénervés s'exilaient dans le songe indifférent au monde extérieur (Arnoux, Paris,1939, p. 207): 4. Il est dépaysé parce qu'il s'exile au milieu des choses; ce ne sont pas les choses qui n'ont plus de sens, c'est lui qui ne les utilise plus; ce n'est pas le monde qui recule devant lui, c'est lui qui le fuit éperdument.
Mounier, Traité caract.,1946, p. 357. Rem. On rencontre ds la docum. exilant, ante, part. prés. adj. Qui exile. Sulamites De province aux rites Exilants des soirs! (Laforgue, Complaintes, 1885, p. 88). Prononc. et Orth. : [εgzile], (j')exile [εgzil]. Cf. é-1. Ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. 1erquart xiies. eissilled « banni » (Lois de Guillaume le Conquérant, éd. John E. Matzke, 36); 1155 essilat (Wace, Vie de St Nicolas, éd. Ronsjö, 644). Soit dér. de exil* dans ses différentes formes; soit issu du b. lat. exiliare « bannir » avec réfection d'apr. exil. Fréq. abs. littér. : 297. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 593, b) 516; xxes. : a) 275, b) 314. |