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ÊTRE1, verbe intrans.
1reSection. Emploi abs., au sens fort. Exister. Cf. avoir, devenir, paraître.
I.− [D'un point de vue abstr.]
A.− [Dans un cont. relig. judéo-chrét., philos. ou littér., avec une idée d'éternité, d'absence de commencement et de fin; p. réf. à la célèbre définition de Dieu dans l'Exode (III, 14)] Dieu se nomme « celui qui est » ou, plus concrètement : Eyé, « je suis » (Weill, Judaïsme,1931, p. 98):
1. Il [Dieu] dit : Je suis. C'est tout. C'est en bas qu'on dit : j'ai. Hugo, Dieu,1885, p. 149.
2. « On ne se plonge jamais deux fois dans le même fleuve ». Je ne le sais que trop. Il n'y a que l'Éternel qui soit. Ce nom d'Éternel est le plus beau qu'on ait donné à Dieu. Green, Journal,t. 2, 1937, p. 106.
B.− [Dans un cont. philos. et littér., sans idée d'éternité] Commencer d'être. L'homme est incessamment et nécessairement opposé à ce qui est par le souci de ce qui n'est pas! (...) il enfante laborieusement, ou bien par génie, ce qu'il faut pour donner à ses rêves la puissance et la précision mêmes de la réalité (Valéry, Variété I,1924, p. 36):
3. ... le passé n'est plus, l'avenir n'est pas encore, quant au présent instantané, chacun sait bien qu'il n'est pas du tout, il est la limite d'une division infinie, comme le point sans dimension. Sartre, Être et Néant,1943, p. 150.
[Être au passé simple, avec valeur inchoative] :
4. Chair, mystère plus noir et plus mélancolique Que tous autres, pourquoi toi? Mais Dieu te voulut, Et tu fus, et tu vis, comment? au vent oblique Des funestes saisons et du mal qui t'élut. Verlaine, Poèmes divers,1896, p. 168.
II.− P. ext. [D'un point de vue concr.]
A.− [En parlant d'un être vivant]
1. Être au monde; vivre en général :
5. Tout passe, ils [ces arbres] sont debout, dix races ont été; Et moi qui, jeune encor, sous leur ombre ai chanté, Moi-même dans la tombe ils me verront descendre... L. de Fontanes, Œuvres,t. 1, La Forêt de Navarre, 1821, p. 3.
[Avec valeur intensive] Cf. exister C.Pour sa fille et pour son fils, c'étoit déjà comme s'il n'avoit jamais été (Chateaubr., Génie,t. 1, 1803, p. 421).
N'être plus. Être mort :
6. Première séance (...) pour le jury de l'Exposition de 1855. J'y ai vu le pauvre Visconti à deux heures (...) à cinq heures, il n'était plus! Delacroix, Journal,1853, p. 141.
Expr. proverbiale. On ne peut pas être et avoir été :
7. Une tristesse indéfinissable, poignante, irrésistible, m'étreignait le cœur, la tristesse des existences accomplies, qui se débattent encore dans les souvenirs comme on se noie dans une eau profonde. De ma place, je voyais passer sur la route les voitures, brillantes et rapides, allant de Nice à Monaco. Et, dedans, des femmes jeunes, jolies, riches, heureuses; des hommes souriants et satisfaits. Elle suivit mon regard, comprit ma pensée et murmura avec un sourire résigné : « On ne peut pas être et avoir été ». Maupass., Contes et nouv.,t. 1, J. Romain, 1886, p. 1294.
2. Vivre une vie pleinement humaine. La volonté d'être; le bonheur d'être. « La Difficulté d'être » (J. Cocteau, 1947).Son œuvre [de MmeJuliette Lamber] est presque tout entière une apothéose de la terre et de la vie terrestre. Croyance passionnée à la bonté des choses; ivresse d'être et de sentir; libre vie qui, pour être heureuse, n'en est pas moins noble (Lemaitre, Contemp.,1885, p. 133):
8. Brusquement, Paris, 1896-1902. Luttes et crises − politiques, morales, esthétiques. Tout à la fois. En ces troubles années, petits provinciaux découvrant la ville, nous nous battions pour nos vérités, pour nos raisons d'être − et aussi pour nous faire d'autres yeux, d'autres oreilles, une façon neuve de sentir le monde. L. Febvre, Combats pour hist.,1935, p. 46.
9. Délicieuse angoisse d'être, proximité exquise d'un danger dont nous ne connaissons pas le nom, vivre, alors, est-ce courir à sa perte? Camus, Été,1954, p. 188.
Se montrer, se comporter, dans des circonstances particulières, dans ses relations avec autrui. Ce n'est pas dans sa manière d'être; changer sa manière d'être; cet acte reflète une singulière façon* d'être. P. ext. La manière d'être d'une époque.
Rem. 1. Raison d'être, au sing. et au plur., peut être compris de deux manières : a) raison de vivre (cf. supra) et dans ce cas concerne plus particulièrement l'homme; b) raison d'exister, d'être là, à cet endroit, à ce moment-là et dans ce cas concerne la fonction, la définition même d'une chose. L'argent a été aussi victime du papier-monnaie : en effet, l'établissement, parallèlement à la monnaie d'or, de billets de banque convertibles, a fait perdre à la monnaie d'argent sa raison d'être (Lesourd, Gérard, Hist. écon., 1968, p. 47). 2. Manière d'être s'emploie également quoique plus rarement en parlant d'une chose. La manière d'être du cuivre [à l'état natif], parfois soudé, mais non combiné à l'argent natif et souvent adhérent à des cristaux de calcite, ne laisse guère de doute sur l'espèce de galvanoplastie naturelle qui a amené le métal à cet état (Lapparent, Minér., 1899, p. 595).
B.− [En parlant d'une chose] Exister, être réellement comme le vérifie l'expérience; en partic. être conforme à la réalité. Ce temps n'est plus; le temps n'est plus où... :
10. Le procès de l'intellectualisme n'est pas le sujet que je veux traiter : je veux parler de la science et pour elle, il n'y a pas de doute : par définition, pour ainsi dire, elle sera intellectualiste ou elle ne sera pas. Ce qu'il s'agit précisément de savoir, c'est si elle sera. H. Poincaré, Valeur sc.,1905, p. 217.
11. « Ce qui se passe là, devant moi », se dit tout à coup Antoine, « aurait été jadis absolument imprévisible... Daniel, infirme, mal tenu, métamorphosé en bonne d'enfant!... Et ce petit, qui est le fils de Jenny et de Jacques!... Pourtant, cela est. Et c'est à peine si je m'étonne... Tant la réalité a d'évidence... Tant cette évidence s'impose!... Dès que les choses sont arrivées, nous ne pensons même plus qu'elles auraient pu ne pas être... ou qu'elles auraient pu être toutes différentes... » Martin du G., Thib.,Épil., 1940, pp. 830-831.
[Pour rappeler une situation bien établie; en début de phrase ou en incise] Loc. Cela étant; ce* étant (rare); (et) si cela était; (et) quand cela serait. Je ne sais pas si tu as besoin d'argent; car tu ne m'a jamais parlé de tes affaires. Si cela était, tu en demanderais à mon frère qui a 200 louis à moi (Napoléon Ier, Lettres Joseph.,1796, p. 29).Maurice (...) Monsieur, vous êtes le chevalier de Maison-Rouge? (...) Le chevalier. Et quand cela serait? (Dumas père, Chev. Maison-Rouge,1847, V, 11, p. 110):
12. Le propre de toutes les disputes philosophiques est de laisser chacun des philosophes précisément dans les opinions qu'il avait auparavant. Cela étant, il vaut bien mieux ne pas disputer puisque ainsi on arrive au même résultat sans faire d'effort. Tocqueville, Corresp.[avec Gobineau], 1843, p. 67.
III.− En partic., formes figées de être
A.− Soit, subj. lexicalisé
1. Ainsi soit-il (v. amen).[Pour exprimer qu'un souhait ou un ordre se réalise]
a) [Sert à conclure une prière] Sainte Marie, Mère de Dieu, priez pour nous, pauvres pécheurs, maintenant et à l'heure de notre mort, Ainsi soit-il! (2epartie de la prière dite Ave Maria).
b) P. ext., fam. et qqf. p. plaisant. [Pour conclure un discours, un raisonnement] :
13. − Oui : c'est tout à fait ça! Bientôt il nous reviendra, guéri! − Plus étonnant que jamais! − Solide comme le fer! − Aussi dur qu'un granit. − Toujours affable! − Ainsi soit-il! Les bons vents l'accompagnent et qu'il pense à nous! Cladel, Ompdrailles,1879, p. 87.
14. Je saurai dire : « Ainsi soit-il », à quoi que ce soit qui m'advienne, fût-ce à ne plus être, à disparaître après avoir été. Mais à présent je suis et ne sais trop ce que cela signifie. Je voudrais tâcher d'y voir clair. Gide, Feuillets d'automne,1949, p. 308.
2. [Pour exprimer une hypothèse ou une supposition (principalement dans les énoncés mathématiques); la forme peut se présenter au sing. ou au plur.] Synon. étant donné.Soit n un entier naturel et A un nombre réel différent de zéro (J. Commeau, Math. Élémentaires, Analyse,Paris, Masson, 1965, p. 247):
15. Soient x et y les bornes d'entrée et de sortie d'un dipôle entre lesquelles existe un contact A qui peut être ouvert ou fermé. G. Casanova, L'Algèbre de Boole,Paris, P.U.F., 1972, p. 90.
Soit à + inf.Représenter une droite perpendiculaire à l'un quelconque des plans bissecteurs : 1oSoit d'abord à représenter une droite perpendiculaire au premier plan bissecteur (X. Antomari, Cours de géom. descriptive,Paris, Libr. Vuibert et Nony, 1910, p. 39).
P. ext. :
16. Tel ouvrage allemand de premier ordre est lourd et insupportable en français (...). Soit, par exemple, l'admirable introduction de G. de Humboldt à son essai sur le kawi, où se trouvent réunies les plus fines vues de l'Allemagne sur la science des langues, cet essai serait traduit en français qu'il n'aurait aucun sens et paraîtrait d'une insigne platitude : et c'est là ce qui en fait l'éloge ... Renan, Avenir sc.,1890, p. 498.
3. [Pour expliciter un cont.] Synon. c'est-à-dire*, à savoir.La production globale de cette usine est de 5 000 unités par mois soit le tiers de la production nationale :
17. Ils [des phénomènes périodiques ou pseudo-périodiques variés] sont en quelque sorte prévisibles. Si, par exemple, il s'agit du do au-dessus du la du diapason (440) soit 1 056 périodes par seconde, dans ce dixième il y aura 105 de ces périodes, ce qui est largement suffisant pour identifier la hauteur de ce son. Schaeffer, Rech. mus. concr.,1952, p. 52.
B.− [Autres emplois mentionnés à leur rang alphabétique]
1. [Pour exprimer le consentement, la concession] Soit (!), adv. d'affirmation. Admettons qu'il en soit ainsi.
2. [Pour exprimer l'alternative] Soit*... soit, soit*... ou.
3. Peut-être*, adv. (Comme) cela peut être.
2eSection. Premier élément d'une expression binaire.
I.− [Affirme ce que quelqu'un ou quelque chose est, dans son essence, sa réalité, son apparence; ou sert à traduire une modalité de jugement sur quelqu'un ou quelque chose]
A.− [Copule de prédicat attributif]
1. [L'attribut est un adj.]
a) [Le suj. est un animé (divin, humain, animal)] Dieu est éternel, l'homme est mortel; je ne tiens pas à lui être agréable; ne vous faites pas plus mauvais que vous n'êtes. Il n'y a qu'une manière d'être libre, c'est de le vouloir. La liberté se prend, ne se mendie pas (Fondateurs 3eRépubl., Ferry, 1865, p. 312).C'est un caniche. Il est blanc, et comme tous les chiens blancs en France, il a nom Black (Giraudoux, Siegfried et Lim.,1922, III, 5, p. 146):
18. Les gens de lettres sont rarement jaloux des réputations quelquefois exagérées qu'ont certains ouvrages de gens de la cour; ils regardent ces succès comme les honnêtes femmes regardent la fortune des filles. Chamfort, Max. et pens.,1794, p. 72.
19. M. Thibault songeait au fugitif. « Au moins s'il est dehors, il n'aura pas trop froid. » L'émotion amollit ses jambes. Il s'arrêta et se tourna vers son fils. L'attitude d'Antoine lui rendait un peu d'assurance. Il avait de l'affection pour son fils aîné; il en était fier; et il l'aimait particulièrement ce soir, parce que son animosité vis-à-vis du cadet s'était accrue. Martin du G., Thib.,Cah. gr., 1922, p. 588.
Fam. [Avec inversion du suj. dans une tournure exclam.] Est-il drôle! :
20. Ce fut une protestation comique de la part de ces messieurs. Philippe leur cria de ne pas se gêner. Vandeuvres demanda s'il fallait sortir. Georges était venu prendre Satin par la taille et l'avait ramenée à sa place. − Êtes-vous bêtes! dit Nana, vous la faites rougir, cette pauvre mignonne... Va, ma fille, laisse-les blaguer. Ce sont nos petites affaires. Zola, Nana,1880, p. 1367.
Rem. Les dict. enregistrent le proverbe : il faut être tout un ou tout autre « il faut choisir un parti et le suivre ».
b) [Le suj. est un inanimé] Le silence est profond; la terre est ronde; quel est le résultat de vos réflexions? La littérature française est si belle, les Français ont tant de trésors, qu'ils sont comme les gens fort riches, ils ignorent leurs trésors (Stendhal, L. Leuwen,t. 3, 1835, p. 18).Allons, prends une chaise, vieux, assieds-toi. Quel dommage que tu ne puisses pas goûter de ce pâté, il est délicieux! (Erckm.-Chatr., Ami Fritz,1864, p. 27):
21. Il allait très vite, singulièrement vite sur ce mauvais sentier qu'il n'avait cependant suivi qu'une fois − plus vite qu'elle − avec une assurance de somnambule. L'air était calme autour d'eux, et si froid, qu'ils avaient l'impression d'une sorte de résistance imperceptible, ainsi que d'une légère soie qui se déchire. Bernanos, Crime,1935, p. 741.
c) [Le suj. est un neutre] Rien n'est trop beau pour lui. Cf. également infra : c'est et il est.Rien n'est plus cher pour une nation que les réputations à créer (Constant, Principes pol.,1815, p. 50):
22. Les grandes puissances représentent à la fois une population nombreuse, une civilisation développée, une grande force politique. C'est à elles qu'incombent les plus grandes responsabilités. Cela est particulièrement manifeste en cas de crise internationale, et notamment s'il s'agit d'appliquer les sanctions de l'article 16. Cons. S.D.N.,1938, p. 13.
d) [Le suj. est un inf. employé seul ou suivi d'un compl.] Agir était plus atroce que Paulina n'avait pu l'imaginer (Jouve, Paulina,1925, p. 206):
23. Se lamenter d'avoir une mauvaise épouse est aussi sot, aussi pitoyable que se lamenter d'avoir une sale gueule... Vailland, Drôle de jeu,1945, p. 119.
EXPR. [À demi figées placées en position marginale ou en incise] a) Quel(le,s) qu'il (elle,s) soi(en)t; quel que fût l'avenir du monde; quelle que fût sa nature, quelle que soit l'époque. b) Si particulier qu'il soit, si intelligent qu'il fût par ailleurs. c) [En construction sub. par que relatif ou comme] Sotte qu'elle est, méchant que tu es; malheureux, intelligent comme* il est. d) [Avec inversion du suj.] Si malin, si heureux soit-il; maudit soit-il; fût-il riche, fût-elle la plus jolie.
Rem. 1. On rencontre dans la docum., le tour expressif et fam., utilisé dans le style direct, consistant à préciser le suj. réel en fin de phrase par le nom qu'il représente par anticipation. Il est très bon ton ragoût. Madame va en manger avec moi. N'est-ce pas, Madame? (Zola, Assommoir, 1877, p. 469). Arrivé au porte-monnaie, il [Volpatte] le considéra d'un air plein de pitié. − Il est salement plat, le frère (Barbusse, Feu, 1916, p. 194). − « Dis donc, il est beau ton petit, Marie-Jeanne! » Marie-Jeanne, la gorge gonflée de joie, souriait humblement (Queffélec, Recteur, 1944, p. 165). Ce tour s'emploie dans des constructions pop. : il est en voyage le père; elle est à Paris la petite; il est arrivé le colis. 2. Le redoublement du suj. (gén. un pronom personnel à la forme tonique, repris par la forme atone) peut avoir lieu en début de phrase dans des énoncés du type : eux, ils sont très beaux. Elle [la femme aimée], elle était l'âme qui m'avait donné la force de le subir... (J. Bousquet, Trad. du silence, 1935-36, p. 182). Cf. également infra c'est A II b.
2. [L'attribut est un subst.]
a) [Subst. sans article ni adj. déterminatif]
α) [Le subst. concr. ou abstr., sert à exprimer une manière d'être, avec valeur de quasi-adj. qualificatif] Être vainqueur, victime; être bon copain; être gens de parole; être bon père; en bon mari qu'il est; être poire, vache (pop.). Ce nom, c'était Héloïse. Elle était femme, et elle écrivait en latin; elle était abbesse, et elle avait un amant! (Toepffer, Nouv. genev.,1839, p. 88):
24. Jean Valjean n'avait jamais rien aimé. Depuis vingt-cinq ans il était seul au monde. Il n'avait jamais été père, amant, mari, ami. Au bagne il était mauvais, sombre, chaste, ignorant et farouche. Le cœur de ce vieux forçat était plein de virginités. Hugo, Misér.,t. 1, 1862, p. 524.
25. Cela c'était du temps de mon père, quand il était petit garçon. Mais quand j'étais petit, grand-père racontait que du temps de son père à lui le tombeau servait de poste à feu où l'ancêtre et des voisins de ce temps-là, tous des campagnards comme nous le sommes restés, allaient s'embusquer pour tirer les oiseaux au moment de leur passage, au printemps et en automne. Cendrars, Bourlinguer,1948, p. 149.
Rem. À noter des expr. où le nominal neutre ou l'adv. prend valeur d'épithète. Ce sont des expr. cour. du type : il n'est rien de tout cela; elle est tellement plus que tout cela.
En partic. [Le subst. attribut désigne une catégorie mentale ou une valeur sociale ou morale] Être signe, source de; être occasion à; ce travail est œuvre de charité; ce châtiment est justice; le dimanche est jour de repos; la forêt était autrefois terre de chasse. Le génie, c'est d'avoir à la fois la faculté critique et les dons du simple. Le génie est enfant; le génie est peuple, le génie est « simple » (Renan, Avenir sc.,1890, p. 469).La croyance est rencontre : elle est rencontre de l'homme avec la vérité comme avec les autres hommes (Lacroix, Marxisme, existent., personn.,1949, p. 118):
26. Dieu est esprit et vérité. Il voit tout, il sait tout, il contient en lui toutes choses. Dieu est justice : il punira toutes les fautes. Dieu est bonté : il pardonne au repentir. Enfin Dieu est miséricorde : il a pitié de tous nos maux. Joubert, Pensées,t. 1, 1824, p. 126.
β) [Le subst. exprime une profession, un rôle, un rang dans la société] Être médecin, paysan. Il est grave : il est maire et père de famille (Verlaine, Poèm. saturn.,1866, p. 77).F... − Je ne suis pas noble. Mon père est mort aux galères. Ma mère est blanchisseuse. Blanchisseuse de fin, il est vrai (Audiberti, Mal court,1947, III, p. 191).
SYNT. Être avocat, écrivain; être danseuse; il est, de son métier, ébéniste; être soldat, officier; être conseiller d'État, préfet, président; être roi, comte; être élève, professeur; être prêtre; être domestique; être locataire, propriétaire.
b) [Subst. avec article ou adj. déterminatif]
α) [En réponse à la question qu'êtes-vous? Article gén. indéf. Appartenance à une catégorie d'êtres; le contenu de l'énoncé est non réversible] La liberté est un mêts qui ne convient pas à tous les estomacs (Baudry des Loz., Voy. Louisiane,1802, p. 108).Le soleil est un globe immense qui, par les jets de sa lumière, électrise tous les corps planétaires (Bern. de St-P., Harm. nat.,1814, p. 342).En l'an 3000 avant notre ère déjà, les Égyptiens étaient un peuple civilisé (Lowie, Anthropol. cult.,1936, p. 18):
27. Jouir est une science, et l'exercice des cinq sens veut une initiation particulière, qui ne se fait que par la bonne volonté et le besoin. Baudel., Salon,1846, p. 98.
28. Ce méchant bouquin, dont se servit ma mère pour m'enseigner l'art si difficile de la lecture, ce livre qu'elle-même possédait déjà, du temps qu'elle était écolière, me fait donc songer qu'elle a été une petite fille. Coppée, Bonne souffr.,1898, p. 90.
En partic. [Dans des raisonnements de type syllogistique] :
29. − Je ne voudrais pas, mon lieutenant, que vous me preniez pour un homme qui se monte la tête. Il y a des choses que je me dis depuis longtemps. Mais n'est-ce pas? on ne veut pas se l'avouer. On a déjà tant de sujets de ne pas être gai. On ne cherche pas à se rentrer la tête sous l'eau... Les poilus sont des sacrifiés... Voilà... Quand je dis ça, je le dis pour vous comme pour nous, mon lieutenant... Je ne suis pas assez bête. Vous êtes un poilu comme nous. Alors vous aussi, vous êtes un sacrifié. Romains, Hommes bonnes vol.,1938, p. 124.
β) [En réponse à la question qui êtes-vous? Article gén. défini. Jugement d'identification, le contenu de l'énoncé est réversible sous une forme le plus souvent légèrement modifiée] Cet enfant est votre fils; il est l'homme de ma vie (l'homme de ma vie [c']est lui, cf. infra 3esection I A 2 b); vous serez mon héritier. Le souvenir est, dit-on, le seul bien des amans malheureux : soit; mais avouons qu'il est le seul mal des amans heureux (Bichat, Rech. physiol. vie et mort,1822, p. 63).M. Salle est cet ancien avocat à qui un membre du conseil de guerre de 1894 a confié que Dreyfus avait été condamné sur une pièce secrète soustraite à son examen (Clemenceau, Vers réparation,1899, p. 50).Napoléon est vraiment le premier homme moderne (J.-R. Bloch, Destin S.,1931, p. 259):
30. Jésus est l'équilibre du monde, il est l'accomplissement de tout ce qui est humain et de tout ce qui est divin, il est l'anneau qui manquait, l'anneau de l'ancienne et de la nouvelle alliance, il est la rencontre de l'homme avec Dieu, la rencontre unique d'où a jailli l'étincelle de la charité. Psichari, Voy. centur.,1914, p. 218.
31. La notion de bénéfice a fait couler beaucoup d'encre; aujourd'hui encore, mais moins que dans le passé, le salarié y voit la cause de beaucoup de ses difficultés. Devenir le propriétaire ou le copropriétaire de l'entreprise a été longtemps l'ambition des travailleurs. « Tous patrons » était le signe d'une époque où l'état de salarié était sans espoir. Univers écon. et soc.,1960, p. 4404.
SYNT. et EXPR. Être l'espoir, le modèle de, le moyen de / pour, l'objet, l'œuvre, le refuge, le résultat, le symbole, le théâtre de; être le berceau de; être l'auteur de; Pierre est la bonté, l'innocence même; il est notre chef; tu seras la mère de mes enfants; quand on est l'homme (étant l'homme) que vous êtes.
c) [Pour exprimer le caractère absolu d'une affirmation; l'attribut reprend le mot employé comme suj.] Les affaires sont les affaires; Dieu est Dieu; la guerre est la guerre; un homme est un homme; un sou est un sou; un ordre est un ordre; une parole est une parole. Blanche, sa [de M. de Saint-Genis] mère est sa mère. Si elle a des défauts, je ne veux pas les voir (Becque, Corbeaux,1882, II, 5, p. 121).
Rem. Lorsque l'attribut est un nom propre on peut rencontrer des énoncés de 2 types a) [Inclusion simple : qqn de la valeur de (Shakespeare, Hugo)] N'est pas Shakespeare qui veut. Il m'est impossible de te confondre avec le littérateur littéraire, dont, fût-il un Hugo, le vrai portrait se vit à maint exemplaire dans les réceptions du sabbat chez H. (Valéry, Corresp. [avec Gide], 1899, p. 365). b) [Double inclusion c'est-à-dire identité] C'est la période dans laquelle on invente Hamlet, si l'on s'appelle Shakespeare; le Cid, si l'on se nomme Corneille; les Brigands, si l'on est Schiller (Dumas père, C. Howard, 1834, avertissement, p. 206). Comme toujours, il [Bloch] choisit le parti de l'action. Il se jeta dans la résistance. Son centre d'opération fut la ville même où il était né, Lyon. Et il cessa d'être Marc Bloch pour devenir à la fois le « Maurice Blanchard » de sa fausse carte d'identité, et « Narbonne » (L. Febvre, Combats pour hist., Bloch et Strasbourg, 1939-45, p. 405).
3. [L'attribut est un nom. ou un pron.]
a) [Le nominal ou le pronom a une valeur qualificative] Il n'est plus ce qu'il a été; notre sentiment est ce qu'il était hier; il est ce qu'il est. Faible soulagement! Lamontette sentit bientôt qu'il était ce que j'avais été (Restif de La Bret., M. Nicolas,1796, p. 140).Malatesta. − Il ne s'agit pas seulement de vivre, mais de vivre en étant et en paraissant tout ce qu'on est (Montherl., Malatesta,1946, I, 8, p. 459):
32. chantecler. − Je t'adore, Soleil! Tu mets dans l'air des roses Des flammes dans la source, un dieu dans le buisson! Tu prends un arbre obscur et tu l'apothéoses. O Soleil! toi sans qui les choses Ne seraient que ce qu'elles sont! E. Rostand, Chanteclerc,1910, I, 2, p. 28.
Être soi ou soi-même. Être fidèle à ce qu'on a toujours été; devenir soi-même, s'affirmer. Françoise n'avait pas osé être elle-même, et elle comprenait dans une explosion de souffrance que cette hypocrite lâcheté l'avait conduite à n'être rien du tout (Beauvoir, Invitée,1943, p. 297).
Être quelqu'un (d'important). [M. Ferdinand Brunetière] est quelqu'un; son avis compte, on sent qu'il n'est jamais négligeable. En un mot, il a l'autorité (Lemaitre, Contemp.,1885, p. 217).
En partic. Être qqc. pour qqn; votre présence est un véritable réconfort pour elle; je sais ce que vous êtes pour moi; que crois-tu être pour lui?; vous ne m'êtes plus rien :
33. « Oh! oui, − dit-il en tombant à ses genoux, − oh! oui, vous êtes tout pour moi... vous êtes la seule qui m'ayez témoigné de l'intérêt... je vous aime de toute la tendresse que j'ai dans le cœur, je vous aime comme une mère, comme une sœur, comme une amie... » Sue, Atar Gull,1831, p. 33.
b) [Le pronom exprime une identité] Qui êtes-vous?; qui que vous soyez; votre prix sera le mien; mon opinion est la même que la vôtre. Carus distingue divers degrés du rêve prophétique. Les plus simples de ces songes sont ceux qui présagent des modifications dans l'organisme du rêveur (Béguin, Âme romant.,1939, p. 141):
34. Si j'avais été à l'égard de mon pauvre mari celle que j'aurais dû être, je me serais moins scandalisée au début, j'aurais été plus indulgente, et bien des malheurs ne seraient pas arrivés. Gobineau, Pléiades,1874, p. 176.
c) [Le pronom neutre représente]
α) [un antécédent immédiat placé en position marginale (subst., adj., part. passé passif)] Méchante, elle l'est; trompé, il l'est :
35. Ainsi se confirmaient déjà et menaçaient de se réaliser toutes les paroles de l'exécrable vieillard. Épouvanté, on le serait à moins, M. de La Seiglière ne rêvait plus que bouleversements et révolutions. Sandeau, Mllede La Seiglière,1848, p. 234.
Fam. [L'antécédent est sous-entendu] L'être. Être trompé. C'est notre sort... C'en est fait... je le suis (Boucher de Perthes, 1836ds Larchey, Excentr., 1865, p. 127).
Rem. Les dict. enregistrent un autre sens fam. : L'être, l'être encore « être encore vierge ».
β) [un antécédent placé en attribut dans une prop. antérieure] Il est très gai comme on peut l'être à son âge :
36. Le foible est toujours foible, il ne varie que dans sa foiblesse; mais le fort est foible quelquefois. Le sage paroît toujours semblable, il l'est autant que l'homme peut l'être, autant qu'il est bon que l'homme le soit; il maîtrise ses sensations ou se les déguise à lui-même. Senancour, Rêveries,1799, p. 79.
4. Cas partic. [Le suj. logique est un inf. ou une prop. sub. complétive; l'attribut est placé en tête de phrase de manière à être mis en relief, mais aussi parce que la lang. répugne d'ordinaire à mettre en tête de phrase une construction inf. ou une sub. complétive introduite par que] Être de + inf.; être que.Ma seule ambition est de devenir professeur [réversible en : devenir professeur est ma seule ambition]; mon unique désir est qu'il réussisse [réversible en : qu'il réussisse est mon unique désir]. Une autre circonstance que vous ignorez, et qui jusqu'à ce jour a retardé son voyage, est qu'il manque d'argent (Lemercier, Pinto,1800, II, 6, p. 55).La morale d'un loup est de manger des moutons, comme la morale des moutons est de manger de l'herbe (France, Vie fleur,1922, p. 470).
SYNT. et EXPR. a) L'essentiel, le plus sûr est de (cf. de II B 1 d); mon premier geste, mouvement, réflexe a été de; son unique ressource, le tout était de; mon rêve serait de; le but de la conversation fut de; son devoir, son métier est de. b) Ma conception, ma conviction, mon opinion est que; le seul espoir qui reste est que.
Rem. À noter l'expr. si tant est que; tant étant ici un archaïsme synon. de cela : si cela est que.
B.− [Être est suivi d'un adv., d'une loc. adv., ou d'un syntagme prép.]
1. [Pour indiquer une situation dans l'espace]
a) [D'un point de vue concr.] Être là; être ailleurs, dehors; y être; ici, à cette place où nous sommes; vous êtes ici chez vous; je serai à mon hôtel, chez moi à partir de 20 heures. Monsieur est à la chasse, madame en ville, et Joseph en course (Mirbeau, Journal femme ch.,1900, p. 156).La nuit, qui était partout, ouvrait, entre les maisons de plâtre qui flanquent la chaussée, de grands carrés sombres (Carco, Équipe,1919, p. 15):
37. Il y avait huit jours que M. de Kergaz, sa femme et le vicomte Andrea étaient arrivés à Kerloven. Ils étaient allés, le dimanche, à la messe du village, Armand donnant le bras à sa femme. − Quand nous serons en Bretagne, lui avait dit Andrea, vous saurez tout. Et ils étaient à Kerloven depuis huit jours, et Andrea ne paraissait point disposé à ouvrir la bouche. Ponson du Terr., Rocambole,t. 3, 1859, p. 488.
38. Il y en a qui se croient pas mal forts et qui pensent qu'ils peuvent se passer de l'aide du bon Dieu quand ils sont dans leur maison ou sur leur terre; mais dans le bois... Hémon, M. Chapdelaine,1916, p. 144.
SYNT. et EXPR. a) Être au salon, à table, à son bureau; être à la campagne, à l'hôpital, à la maison; être à la messe, à vêpres; être dans son bain; être dans son bureau; être en prison, en France; je serai entre Paris et Lyon à cette heure-là. b) Ce village est après, avant, auprès de, à côté de tel autre; cette maison est dans le voisinage; cette maison est contre, devant, derrière l'église; la voiture est en bas; les clés sont après la porte (fam.); les documents sont en lieu sûr. c) À combien sommes-nous de la ville la plus proche? Ce village est à 60 km de la préfecture. [Parallèlement expression de la distance en temps]. Mon atelier est à 5 minutes de chez moi; nous sommes à 10 minutes de la gare.
b) Au fig. Nous sommes loin de notre sujet; ce travail est au-dessous de tout; cet événement est encore dans toutes les mémoires; ma vie est entre vos mains; ce refrain est encore sur toutes les lèvres. L'artiste est en dehors de la politique (Karr, Sous tilleuls,1832, p. 283):
39. Le bonheur a marché côte à côte avec moi; Mais la fatalité ne connaît point de trêve : Le ver est dans le fruit, le réveil dans le rêve, Et le remords est dans l'amour; telle est la loi. − Le bonheur a marché côte à côte avec moi. Verlaine, Poèmes saturn.,1866, p. 82.
40. Dans le train, Mmede Séryeuse relisait : « Madame, La hâte avec laquelle je vous fais remettre cette lettre vous prépare déjà à ce que je viens vous dire. Pourtant, combien vous êtes loin de la vérité, comme il y a peu de jours, moi-même je l'étais! ... » Radiguet, Bal,1923, p. 166.
SYNT. et EXPR. Être à côté de la vérité, au-dessus des préjugés; être dans ses idées, dans les nuages; être dans la main de Dieu; cette décision est dans l'air; être sous le charme; être sous la domination, la tutelle de qqn; être sur la bonne voie, sur un coup, sur la piste d'une découverte, sur un sujet.
Être ailleurs. Avoir l'esprit ailleurs; ne pas prêter attention. Qu'a-t-elle aujourd'hui? Elle ne suit pas, elle est ailleurs. Cf. absent.
Fam. Être un peu là. Manifester de grandes capacités :
41. chichinette (à sa bonne). − ... t'as même gardé (...) le je-ne-sais-quoi. C'est tout à fait l'avis de Léon (...). Comme il disait : « Éponine, il y a ça de bon avec elle, elle n'en fout pas une datte (...) mais pour la chose physique, à faire dégobiller les ours, on peut dire qu'elle est un peu là ... » Courteline, Les Linottes,Le Madère, 1897, p. 213.
c) En partic. [Être est précédé du pron. adv. y]
α) Se trouver en un lieu. Y être; y être (pour qqn). − Monsieur Lorrain, vous me ferez le plaisir de dire que je n'y suis pas (Karr, Sous tilleuls,1832, p. 232):
42. Il [Courtial] gueulait encore du tréfonds de la cave... Et surtout pas d'importuns! Pas d'emmerdeurs! Pas d'ivrognes! T'entends, je n'y suis pour personne! Je m'isole! Je m'isole absolument! ... Je resterai peut-être parti deux heures! ... peut-être deux jours! ... Mais je veux pas qu'on me dérange! Céline, Mort à crédit,1936, p. 439.
β) Au fig. Comprendre (un propos, une situation, etc.), suivre (un développement, etc.). Une terrible cacophonie ne tarda pas à s'ensuivre, et bientôt les musiciens cessèrent de jouer. « Eh! cher maître (...) arrêtez-vous donc! nous n'y sommes plus! » (Berlioz, Grotesques mus.,1869, p. 37).Henri dit gaiement : − Vous n'y êtes pas du tout; mais il y a de l'espoir. − Vous croyez? − J'en suis sûr. Asseyez-vous là, que je vous explique un peu le personnage (Beauvoir, Mandarins,1954, p. 274):
43. Un soir que je passais par la rue de Bièvre (j'avais été demeurer dans celle des Bernardins qui en est proche), de loin j'aperçus à la fenêtre une femme (j'ignorais si c'était la mère ou la fille), qui gesticulait, en parlant à un grand clerc de procureur. Je la fixai, en avançant toujours. Je crus voir la mère, qui faisait des signes très intelligibles au jeune clerc; celui-ci lui répondait sur le même ton. Je passai sans regarder la femme en face. « J'y suis enfin, » pensai-je; « elle a d'autres vues pour sa fille! M'y voilà! » Restif de La Bret., M. Nicolas,1796, p. 196.
Fam. Ne pas être dans le coup. Ne pas comprendre.
[Dans un cont. de maladie] N'y être plus; la tête n'y est plus. Pauvre garçon! il ne vous entend pas, il n'y est plus! (Augier, Beau mar.,1859, IV, p. 172).[Pour excuser un ouvrier insolent :] c'est pas un mauvais garçon, seulement quand il a un verre de pichenet dans le fusil, il n'y est plus (Poulot, Sublime,1872, p. 134):
44. On a craint pour moi une fièvre cérébrale (...). Mon corps était bien au lit sous l'apparence du sommeil, mais mon âme galopait dans je ne sais quelle planète. Pour parler tout simplement, je n'y étais plus et je ne me sentais plus. Sand, Corresp.,t. 1, 1830, p. 107.
γ) Fam. [Pour constater l'aboutissement ou le résultat d'un effort, etc.] Y être. Être prêt. C'est prêt! Y êtes-vous, là-haut? cria la Maheude (Zola, Germinal,1885, p. 1205):
45. − Quelle heure qu'il est? demanda-t-il. − Eh! fit l'autre, je le sais t'y, moi! Dans les onze heures minuit, p't-êt' bien! Voyons, sacré lambin, y es-tu? Qué'q' tu cherches encore? Courteline, Train 8 h 47,1888, 2epart., 2, p. 112.
Ça y est. Cela est terminé, cela est prêt. Cf. cela et y.
[Pour exprimer un dénombrement] Le compte y est. Cf. compte ex. 5.
δ) Y être pour qqc. Cf. infra être pour.
EXPR. Tant qu'il y est, était (fam.); pendant que nous y sommes; le cœur n'y est plus; le ton n'y était pas.
d) [Aux temps passés, dans le style dir. et le lang. fam. être, suivi d'un compl. ou d'un adv. de lieu, s'emploie comme substitut de aller] Il a été trop loin; elle a été hier au bal; Pierre a été à la porte et l'a ouverte. J'avais été au temple avec ma mère; puis, à la sortie, je l'avais laissée (Lacretelle, Silbermann,1922, p. 32).Le cirque... − Tiens!... tu fais bien de me le dire!... C'est justement là que j'allais te mener... − J'm'en doutais, et j'y ai été trois fois... (Gyp, Souv. pte fille,1928, p. 260):
46. ... on a été manger quelque chose à la Reine des Rascasses, une maison très distinguée; après, on est retourné au Bar du Cygne et de la Galère, après... je ne me rappelle plus. On a été partout; au Pavé d'amour, bien sûr. Mille, Barnavaux,1908, p. 55.
[Souvent sans expression du lieu, suivi d'un inf.] Le Cardinal. − Prenez garde à Lorenzo, duc. Il a été demander ce soir à l'évêque de Marzi la permission d'avoir des chevaux de poste cette nuit (Musset, Lorenzaccio,1834, IV, 10, p. 240).Autrefois je barbouillais du papier avec mes filles, Atala, Blanca, Cimodocée; chimères qui ont été chercher ailleurs la jeunesse (Chateaubr., Rancé,1844, p. VIII).La nourrice. − La nuit! C'était la nuit! Et tu veux me faire croire que tu as été te promener, menteuse! D'où viens-tu? (Anouil., Antig.,1946, p. 139).Cf. ex. 46.
[Avec en exprimant le lieu d'où l'on part] Emploi abs. Les groupes murmurèrent et s'en furent (Adam, Enf. Aust.,1902, p. 159).Il courba le dos, et s'en fut (Bernanos, Soleil Satan,1926, p. 190).
Rem. Cf. en pron. II B 2 d, rem. sur s'en aller.
Fam. Ça a été. Synon. ça a marché (fam.).Cf. ça va (fam.).« Y a pas eu d'alerte, rien. Pour aller, ça a été... » (Barbusse, Feu,1916, p. 172):
47. Elle hochait la tête, en avançant les lèvres, comme une personne qui voudrait bien en savoir plus long, mais qui n'ose pas interroger. Elle demanda seulement : − Comme ça, la Picardie, ça n'a pas été? Bazin, Blé,1907, p. 376.
2. [Pour indiquer une situation dans le temps]
a) [Suivi d'une prép.]
Être au début de l'hiver, dans l'hiver (fam.), en hiver; être au mois de décembre; mon rendez-vous est à 16 heures. On était au 24 octobre. Ce jour-là, Pencroff était allé visiter les trappes, qu'il tenait toujours convenablement amorcées (Verne, Île myst.,1874, p. 207):
48. Le temps, changé, était devenu calme, brumeux, morne. L'alizé austral était mort à son tour, et la limpidité des tropiques était perdue. Une grande fraîcheur humide surprenait nos sens. On était en août, et c'était le froid de l'autre hémisphère qui commençait. Loti, Mon frère Yves,1883, p. 78.
Être à l'âge de, où; être sur ses quinze ans. Honorine est dans sa quatre-vingt-septième année, mais elle ne peut pas dire l'âge de son frère, qui vient de mourir (Renard, Journal,1901, p. 683).Mon petit, tu es dans l'âge où l'on croit que la vie n'a que des sourires et des caresses (France, Pt Pierre,1918, p. 176).
Être à la mort (au moment de la mort). Sa grand' mère la [Catherine] réclama d'urgence, affirmant qu'elle était à la mort (Triolet, Prem. accroc,1945, p. 168):
49. Dimanche 25 novembre. Rod (...) raconte un dîner de l'année dernière avec le ménage Forain, arrivé à huit heures dans la maison où l'on dînait, et la femme à son entrée s'écriant : « Pardon, nous sommes en retard... C'est que ma belle-mère est à l'agonie! » Goncourt, Journal,1894, p. 667.
Être sur la fin, sur le retour. Le vice-roi est sur le départ. Il entre par la porte fixe gauche et sans s'arrêter, sans se retourner, il sortira par la porte fixe droite (Claudel, Soulier,1944, 2epart., 7, p. 1071).
[Périphrase exprimant l'aspect duratif d'une action] Être en voie de; cette affaire était sur le point d'être conclue; je suis en train de travailler. Tu sais combien la jeune Hélène me plut. J'avais été bien près de l'aimer (Krüdener, Valérie,1803, p. 135).
b) [Sans prép.]
[Avec adv. en emploi abs.] Fam. Vous avez été bien (trop) longtemps; ne sois pas longtemps. Victor rentre et s'assied. − Je n'ai pas été long-temps, et pourtant j'ai conclu une bonne affaire (Leclercq, MmeSorbet,1835, 7, p. 161).
[Avec adv. déterminé] Être longtemps à, avant de, sans; nous serons longtemps avant de connaître la vérité sur cette affaire; il était longtemps à, avant de se décider; elle fut longtemps à s'endormir. Eutrope Gagnon s'en alla bientôt; les Chapdelaine, restés seuls, furent longtemps sans parler (Hémon, M. Chapdelaine,1916, p. 145):
50. J'étois si fâché contre votre dernière petite lettre, chère sœur, que je voulois être encore longtemps sans vous écrire, mais je n'ai pu tenir à ma grande colère... Chateaubr., Corresp.,t. 1, 1789-1824, p. 354.
Rem. On rencontre ds la docum. des expr. du type (n')être (pas) long à + inf. où l'adj. attribut a une valeur quasi-adv. Il ne sera pas long à deviner ce dont il est question. Jean. − Veux-tu que je vous laisse seules, pour que vous fassiez la paix à votre tour? ... Elle. − Oh! ne blague pas! ... Tu vois! Tu vois, elle n'a pas été longue à se venger! ... Ah! je prévois un malheur pour tantôt! (Guitry, Veilleur, 1911, II, p. 12).
[Avec un nom] J'ai été un moment à comprendre tes gentillesses; j'ai ri de tes souvenirs. Vous autres femmes, vous avez de la mémoire (Napoléon Ier, Lettres Joséph.,1808, p. 158).
3. [Pour indiquer un état ou p. ext. une manière d'être]
a) [Avec une idée de durée] Être en train de.
Être à + inf.Être (sans cesse, toujours) à faire qqc.; je suis là à t'attendre, à ne rien faire; vous êtes là à boire mes paroles. Lettre XXXIX. De la Brenta, le... Aujourd'hui, pour la première fois, je suis sorti de ma chambre; j'ai été dans le cabinet du comte; il était à écrire; il ne m'a pas remarqué (Krüdener, Valérie,1803, p. 166).Vous croyez que c'est lui qui l'a tuée?... Qui aurait pensé ça hier au soir, alors que nous étions à bavarder gentiment tous les trois?... (Simenon, Vac. Maigret,1948, p. 99):
51. Je reconnaissais cette heure inutile, vestibule profond du plaisir, et dont j'avais appris à Balbec à connaître le vide sombre et délicieux, quand, seul dans ma chambre comme maintenant, pendant que tous les autres étaient à dîner, je voyais sans tristesse le jour mourir au-dessus des rideaux, sachant que, bientôt, après une nuit aussi courte que les nuits du Pôle, il allait ressusciter plus éclatant dans le flamboiement de Rivebelle. Proust, Guermantes 2,1921, p. 390.
Être à + subst. :
52. − Madame la comtesse, dit Morcef, était à sa toilette lorsque le vicomte l'a fait prévenir de la visite qu'elle allait avoir le bonheur de recevoir; elle va descendre, et dans dix minutes elle sera au salon. Dumas père, Monte-Cristo,t. 1, 1846, p. 608.
b) [Sans idée de durée]
α) [Pour indiquer une situation, une manière d'être, une disposition de qqc. ou de qqn] Être dans une situation désastreuse; être en mauvais état.
En partic. [Pour indiquer l'état de santé de qqn] Être bien, mal, très mal, au plus mal, mieux; être dans le coma; être en santé, en vie; être sur pied :
53. L'empereur, sur les quatre heures, a voulu essayer son anglais; mais il n'était pas bien; tout dans la journée lui avait paru mauvais, disait-il, rien ne lui avait réussi. La promenade du jardin ne l'a point remis; il n'était pas bien à dîner; il n'a pu faire ses parties d'échecs accoutumées; il s'est retiré souffrant aussitôt après la première partie. Las Cases, Mémor. Ste Hélène,t. 1, 1823, p. 381.
Au fig. Être au courant de, au fait de; être dans l'embarras, la misère, la servitude; être en contact avec, en possession de. Appliquer loyalement la constitution et (...) donner enfin à la France le gouvernement du pays par le pays (...) puisqu'on était en république (Fondateurs 3eRépubl., Gambetta, 1877, p. 105).Christophe ne pensait à rien. Il était dans la béatitude. Il n'en sortait que pour faire part de sa joie à ceux qu'il rencontrait (Rolland, Nouv. journée,1912, p. 1444).
Fam. Être dans le coup. Participer.
SYNT. (usuels). Être à bonne école, aux cents coups, à la charge de qqn; être à foison; être à la disposition de; être à la mode; être dans une grande détresse, dans une inquiétude extrême; être dans de beaux draps, dans ses petits souliers (fam.); être dans son droit, dans son tort; être en abondance, en surnombre, en/de trop; être en droit de; être en règle; être en société; être en plein essor, en pleine maturité; être en chômage, en congé, en retraite; être en difficulté; être en amitié, en disgrâce, en froid, en guerre, en quarantaine.
Rem. On rencontre ds la docum. les formules figées placées en position marginale ou en incise, pour exprimer l'état, la manière d'être, la situation de qqc. ou de qqn. Qui mieux (pis, plus) est. Ce qui est mieux (pis, plus).
β) En partic.
[Pour exprimer l'état d'une relation entre deux pers.] Être avec (qqn).
Être en compagnie de quelqu'un. Il était avec nous il y a une minute. Spéc., fam. Vivre maritalement. Elle est avec lui depuis un an.
Être en sympathie avec quelqu'un; en partic., le soutenir, être de son côté, de son parti. La chance, Dieu, les dieux est (sont) avec nous; la paix soit avec toi; qui n'est pas avec moi est contre moi (cf. avec ex. 7).Les paysans armés du second bistrot se levèrent lentement. Amis! crièrent les gardes, bloquant d'un coup leurs freins. Nous sommes avec vous! (Malraux, Espoir,1937, p. 502).
[Pour exprimer, avec une imprécision volontaire, les activités, la profession ou l'état (social) de qqn] Être dans.Être dans les affaires, dans les assurances, dans la chaussure (fam.), dans la coiffure, dans le commerce, dans l'édition, dans la restauration. Cf. dans I B 1 :
54. Que me cachez-vous? Les affaires ne vont pas? Et ils sont tous là, autour de toi, la langue tirée : le gendre qui est dans les rhums et le petit-gendre qui ne fait rien, et notre fils Hubert, l'agent de change... Mauriac, Nœud vip.,1932, p. 39.
Rem. On rencontre ds la docum. le tour. Être dans l'intention de. Ses talents de ménagère [de Madame Bordin] étaient connus, et elle avait une petite ferme admirablement soignée. Foureau interpella Bouvard : − « Est-ce que vous êtes dans l'intention de vendre la vôtre?Mon dieu, jusqu'à présent, je ne sais trop... » (Flaub., Bouvard, t. 1, 1880, p. 49).
[Pour exprimer la manière d'être extérieure et en partic. l'apparence vestimentaire de qqn] Être en.Être en habit; être en haillons, en loques :
55. − Et maintenant, me diras-tu pourquoi tu es en frac? − Papa, je vais dans le monde. − Eh bien! vas-y, mon enfant, c'est de ton âge... Mais je ne t'y accompagne pas. D'ailleurs, on ne m'a pas invité; ce qui me prouve bien que tu fréquentes des rastaquouères... Miomandre, Écrit sur eau,1908, p. 36.
Être en blanc. Être de blanc vêtu.
Être en marin. Porter l'uniforme de marin.
Être en arlequin, en bergère. Porter le déguisement d'arlequin, de bergère.
SYNT. Être en costume, en jaquette, en gilet; être en bottes, en souliers vernis; être en chemise, en jupon; être en cheveux; être en bourgeois; être en grand deuil.
Être sans.N'avoir pas, manquer de. Être sans forces, sans ressources; être sans argent, sans le sou. Fam. Être sans un [sans un sou] :
56. − Écoute-moi, reprit Hulot. Peux-tu me loger dans une chambre de domestique, sous les toits, pendant quelques jours? Je suis sans un liard, sans espérance, sans pain, sans pension, sans femme, sans enfants, sans asile, sans honneur, sans courage, sans ami, et pis que tout cela! sous le coup de lettres de change... Balzac, Cous. Bette,1846, p. 320.
Être sans nouvelles de qqn. Depuis quinze jours, elle était sans nouvelles de son gosse. Elle ouvrit fébrilement le télégramme (Dabit, Hôtel Nord,1929, p. 135).
[Le suj. désigne une chose] Être sans prix. Volé! Je suis volé, Jules... et perdu! (Il m'expliqua le fait.) Ce livre est sans prix, introuvable (Toepffer, Nouv. genev.,1839, p. 169).
[Périphrases négatives pour renforcer l'affirmation]
N'être pas sans + inf.Vous n'êtes pas sans savoir (= vous savez sûrement) ; vous n'êtes pas sans avoir entendu parler de; nous ne sommes pas sans éprouver une certaine crainte, émotion, gêne devant... L'oubli n'est pas sans altérer profondément la notion du temps (Proust, Fug.,1922, p. 593):
57. Une autre brimade, et qui celle-là nous touchait davantage, consistait à nous imposer de baraque en baraque des déménagements perpétuels. Les Allemands n'avaient pas été sans s'aviser de l'étrange répugnance des Français à transporter leurs pénates, et ils en jouaient sans vergogne. Ambrière, Gdes vac.,1946, p. 264.
Rem. On observe dans la langue parlée la formule fautive vous n'êtes pas sans ignorer que née du croisement des deux formes équivalentes : vous n'êtes pas sans savoir que, vous n'ignorez pas que. N'être pas sans + subst. N'être pas sans beauté, grandeur, intérêt, naïveté, vraisemblance; l'absorption de ce médicament n'est pas sans danger; cette décision ne sera pas sans conséquence; ce fait n'est pas sans analogie avec; ce n'est pas sans une vive satisfaction, sans une certaine émotion que. Pour moi je n'étais pas sans inquiétude, et j'attendais avec impatience que les troupes commençassent à défiler (Delécluze, Journal, 1827, p. 446) :
58. « Le service militaire a du bon! » On a vu où cet adage sournois menait l'Europe. En outre on se refusait à reconnaître que le service militaire a pour résultat d'entretenir ou de développer mensonge, saleté, paresse, grossièreté, ivrognerie et débauche. Mais enfin, à ce prix, il munissait le jeune homme d'une certaine correction physique, d'une certaine souplesse qui n'étaient pas sans agrément. J.-R. Bloch, Dest. du S.,1931, p. 126.
Rem. Être est très souvent suivi de comme, adv. de comparaison. a) [Pour exprimer la manière d'être] Je suis comme je suis; voilà comme je suis; je suis comme cela, comme tout le monde; je prends les gens comme (tels qu') ils sont. b) [En partic. dans la figure de style dite comparaison] Ne soyez pas comme les moutons qui, lorsque le loup a enlevé l'un d'eux, s'effraient un moment et puis se remettent à paître (Lamennais, Paroles croyant, 1834, p. 99). Les pays sont comme les fruits, les vers sont toujours à l'intérieur (Giraudoux, Siegfried, 1928, I, 6, p. 39). Tous les mots de la langue sont comme des poissons dans une rivière. Les uns sont faits pour manger les autres (Bousquet, Trad. du silence, 1935-36, p. 94). Les mythes sont comme de grands rêves où l'âme humaine cherche à établir une communication et une connivence avec une âme cachée (Durry, Nerval, 1956, p. 150). c) [Pour exprimer un jugement de valeur atténué] Synon. pour ainsi dire. Il était comme égaré, mort, perdu; vous êtes comme un père pour moi. Je suis comme enfermé dans ma propriété de percevoir (Valéry, Variété I, 1924, p. 141).
c) [Être est suivi d'un adv. de quantité ou d'un numéral] Combien sommes-nous? Nous sommes huit; nous sommes autant qu'hier. Nous arrivons au bas du pic.Vous n'y monterez pas, me dirent-ils; non, vous n'y monterez pas : nous sommes trois et vous êtes seul (Dusaulx, Voy. Barège,t. 1, 1796, p. 138):
59. La noce tourna à droite, descendit dans Paris par le faubourg Saint-Denis, Coupeau et Gervaise marchaient de nouveau en tête, courant, devançant les autres. M. Madinier donnait maintenant le bras à Madame Lorilleux, maman Coupeau étant restée chez le marchand de vin, à cause de ses jambes. Puis venaient Lorilleux et Madame Lerat, Boche et Madame Fauconnier, Bibi-La-Grillade et Mademoiselle Remanjou, enfin le ménage Gaudron. On était douze. Ça faisait encore une jolie queue sur le trottoir. Zola, Assommoir,1877, p. 442.
Rem. Être à + numéral présente une ambiguïté. Être à huit, p. ex., peut signifier « être huit, être au nombre de huit » ou « (en) être au chiffre ou au nombre 8 » (infra en être à).
d) Spéc., MATH. [Pour exprimer la situation de proportion dans un rapport, une relation] Nous y [dans l'analyse de la distinction de la gauche et de la droite] trouvons (...) deux idées : 1 dédoublement d'un être complet en deux parties distinctes l'une de l'autre, tout au moins par l'inversion de leur orientation; et 2 l'existence d'une relation involutive entre les deux parties, telle que A soit à B ce que B est à A, le symétrique du symétrique redonnant l'élément initial (Gds cour. pensée math.,1948, p. 59).
Au fig. Rome chrétienne a été pour le monde moderne, ce que Rome payenne fut pour le monde antique, le lien universel (Chateaubr., Génie,t. 2, 1803, p. 537, 538).Le mal est à l'amour ce qu'est le mystère à l'intelligence (S. Weil, Pesanteur,1943, p. 81).
4. [Pour indiquer une relation d'appartenance entre qqn et qqn ou qqn et qqc.] Être à + subst. ou pron.
a) Être à.Appartenir à.
α) Au sens fort. Être à qqn; ce qui est à toi est à moi; tout est à nous; ma vie est à qui veut la prendre. Au fig. L'avenir, la victoire est à nous. Tiens, papa, si M. Teissier était un autre homme, un homme juste, après le mérite que tu as eu et la peine que tu t'es donnée, voici ce qu'il te dirait : cette fabrique m'a appartenu d'abord, elle a été à tous deux ensuite, elle est à vous maintenant (Becque, Corbeaux,1882, I, 1, p. 61):
60. le frère mineur. − Eh bien, ce que vous ne pouvez leur donner, qu'ils le prennent! le pape pie. − C'est une chose défendue que de prendre ce qui n'est pas à soi. le frère mineur. − Cela sera à eux une fois qu'ils l'auront pris. Hélas, cela fera partie de toutes ces choses qui sont tellement à eux et qui les rendent si contents. Claudel, Père humil.,1920, II, 1, p. 518.
Être à qqn.Appartenir à quelqu'un à qui on s'est donné ou à qui on veut se donner par amour :
61. − Sois à moi, dit Stephen; au milieu du monde, seuls tous les deux, que nous importe l'univers? Et il lui donnait les noms les plus tendres. Et son éloquence et ses baisers vainquirent Magdeleine. − À toi, Stephen, je suis à toi! Et Stephen la prit dans ses bras, et, sous ces mêmes tilleuls où autrefois elle avait promis d'être à lui, elle tint sa promesse. Karr, Sous tilleuls,1832, p. 302.
Rem. 1. La langue parlée utilise fréquemment l'expr. La parole est à M. Untel, à vous; c'est à vous, p. ell. de c'est : à vous pour exprimer un tour dans l'ordre des interventions au cours d'un débat, d'une conférence, etc. 2. On rencontre ds la docum. le sens vx être à qqn. Être de ses partisans, de sa cour ou plus gén. être à son service. Le comte de Cruas est à son Éminence, Mon cher... Il sera bon d'avoir un gendre au cardinal (Augier, Diane, 1852, II, p. 33). 3. Qq. dict. enregistrent le sens ,,vieilli`` n'être plus à soi. Ne plus se contrôler.
β) P. ext. Accorder son temps et son attention à quelqu'un ou à quelque chose.
[Dans la conversation fam.] Je suis à vous dans un instant; je suis à vous. Qu'avez-vous à me dire?
Rem. La formule fam. de conclusion épistolaire, je suis (bien) à vous, est gén. employée sans la copule. Bien à vous. Je charge madame la baronne d'embrasser M. le baron. Je suis tout à vous, chère madame, et vous baise les mains (Flaub., Corresp., 1871, p. 217).
[Avec un compl. indiquant une occupation] Être à qqc.; n'être à rien; être à ce qu'on dit, à ce qu'on fait. M. de Camors (...) fit un whist avec le général. Il remarqua que M. de Campvallon n'était pas à son jeu, et vit même sur ses traits l'empreinte d'une préoccupation profonde (Feuillet, Camors,1867, p. 335).
5. [Pour indiquer une tendance ou une orientation]
a) [En parlant du développement d'une tendance inhérente à une chose naturellement changeante] Le temps est au beau, à l'orage, à la pluie; le vent est à la tempête; les prix des légumes sont à la baisse; la mode est à l'antiquité :
62. Une question très grave agitait alors l'Europe : on parlait de bruits de guerre, de rupture prochaine. Les notes échangées entre les cabinets devenaient chaque jour plus menaçantes. Nous étions à la baisse, mon agent de change et moi, sans cependant y marcher avec une grande hardiesse. Il était de notoriété publique que le banquier qui règne sur les emprunts allait frapper un coup à la hausse, et la prudence conseillait de se tenir sur la défensive. Reybaud, J. Paturot,1842, p. 404.
P. ext. Être à la joie; l'humeur, l'atmosphère est à l'orage. Hier, je suis allé passer la soirée dans une maison où tout est à la guerre, même la femme avec son mari (Balzac, Œuvres div.,t. 2, 1830-35, p. 71):
63. Castelnau se plaignait aussi de défaillances chez certains généraux, mais il les excusait en raison de la gravité des circonstances dans lesquelles ils étaient placés. Je répondis que l'heure n'était pas à la pitié, que l'intérêt général primait toute autre considération, et qu'il fallait impitoyablement retirer leur commandement à ceux qui n'étaient pas capables de l'exercer. Joffre, Mém.,t. 1, 1931, p. 445.
b) [En parlant de la manifestation d'une tendance morale inhérente à un être] Être + homme + à + inf.(N')être (pas) femme, homme à s'arrêter en si bon chemin, à battre en retraite, à s'embarrasser pour si peu, à oublier qqc. :
64. Si nous étions gens à étudier sérieusement les questions, − et je souhaite que cette envie nous vienne, − nos architectes auraient bien vite reconnu que l'art du Moyen Âge, appliqué à l'architecture privée comme à toute autre, n'est pas affaire de profils et de quelques formes banales qui traînent dans les recueils archéologiques, mais avant tout, un principe de liberté dans les moyens d'exécution qui peut s'adapter aussi bien aux besoins des gens du xivesiècle qu'à ceux du xixe. Viollet-Le-Duc, Archit.,1872, p. 376.
[Pour exprimer le déploiement possible d'une capacité estimée, inhérente à qqn] Être à même de :
65. clotilde. − Qu'est-ce que vous voulez, Monsieur? Je ne connais personne... J'ai tout de même une position irrégulière, et les gens convenables qui pourraient me conseiller, je ne suis pas à même de les connaître, de les fréquenter. T. Bernard, M. Codomat,1907, I, 5, p. 148.
6. [Pour exprimer l'origine, la provenance, la conformité avec un modèle et p. ext. la caractéristique ou le caractère inhérent à qqn ou qqc., la qualité d'élément ou de membre d'un groupe]
a) [D'un point de vue concr.]
[Provenance matérielle] Être de*, en* bois, métal; être d'ivoire, de terre; être de cuir, de caoutchouc. Loc. verbale : être du bois dont on fait les flûtes.
Être constitué, composé de. Son capital est de trois cent mille francs; le délai est de quatre jours; le nombre officiel des victimes est de quatre-vingts.
[Provenance dans l'espace] Être de la région, être du midi; ces légumes sont de notre jardin. Cf. de I A 2 b ex. 19.
[Provenance dans le temps] (N')être (pas) d'hier; ce bronze est de l'époque gallo-romaine; ce château est du Moyen Âge.
[Provenance quasi-biologique] :
66. panisse. − On dira : « S'il l'a quittée, c'est qu'il [Marius] a vu qu'il n'était pas arrivé le premier. » Ou alors « qu'il n'était pas sûr que l'enfant soit de lui » ... Et on dira aussi : « D'ailleurs, c'est l'habitude dans la famille. Il y a déjà eu sa tante Zoé qui n'a jamais eu le temps de remettre ses pantalons... » Et voilà le calvaire que tu [César] prétends imposer à ces deux femmes? Pagnol, Fanny,1932, II, 8, p. 159.
Au fig. Cette toile est de Rembrandt; cette lettre est de mon père. [Mon courage] M'enseigna que le trait qui m'avait fait amant Ne fut pas de cet arc... (Moréas, Énone,1894, p. 152).Il regarde l'affiche de « Poil de Carotte. » − Ah! c'est de vous aussi, cette pièce? − Oui, c'est de moi (Renard, Journal,1901, p. 635).
b) [D'un point de vue abstr.]
[Provenance du caractère ou du tempérament d'un individu; caractéristique, partie inhérente à un individu en soi composite] Cette action, cette décision est d'un homme sage; cela est d'un bon fils; cela est, c'est (bien) de lui (fam.). Cf. de I C 5 b :
67. ... le pieux Paul IV songeait à faire repiquer le mur sur lequel il [Michel-Ange] avait peint jadis le Jugement dernier. Il n'était pas d'un vieux prêtre de sentir que l'indécence est impossible dans ce sujet. Stendhal, Hist. peint. Ital.,t. 2, 1817, p. 305.
P. ext. Cela est de son caractère; cela est de la nature humaine; il est de la bonté d'un père de; cela n'est pas de mon ressort. Je vais porter l'Ordonnance aux Tuileries et la faire signer, mais il est de ma tendre amitié de tout vous dire, pour prévenir le mal que je puis vous faire (Chateaubr., Corresp.,t. 4, 1789-1824, p. 1).
[En rapport inverse du précédent; pour exprimer le caractère inhérent ou non à qqn ou qqc., équivaut à avoir] Être d'esprit très libéral, de première force, de grande qualité; être de nature étrange; cet enfant est d'un caractère taciturne; c'est de famille (fam.); cette œuvre est d'une grande beauté.
Rem. On rencontre également ds la docum. le tour emphatique à la forme exclam. être de + adj. substantivé et être de + subst. abstr. désignant une qualité. Être d'un blanc, d'un lourd, d'un simple, d'un vieux! être d'une fraîcheur, d'une vérité! Cf. de II A 2a.
c) [Qualité de membre ou élément d'un groupe (de toute nature)] Être de la classe 40, de la même promotion; vous êtes de mes amis. Vieilli. Il est d'Église, d'Épée, de Robe (Ac.). Notre pauvre maman, dit Zoé, avait la manie des raccommodages. Ce qu'on faisait de reprises à la maison!... − Oui, elle était d'aiguille (France, Bergeret,1901, p. 48):
68. Les Académies vivent de gloire, j'admire souvent leur sobriété, mais cette fois l'Académie Française sera gourmande, et vous [Jules Janin] nommera. J'en suis sûr, et tellement sûr qu'en entendant sonner quatre heures, je déclare la chose faite, et je vous écris pour vous remercier de la bonté que vous avez d'être notre confrère. Je tiens à ce que vous soyez de l'Académie puisque j'en suis, à ce qu'il paraît. Hugo, Corresp.,1865, p. 490.
SYNT. a) Être de la même espèce, de la même race; être du même bord; être de la famille, de la maison. b) Être de la police; être de la cloche, de la haute (arg.); être du bâtiment, du métier; être de la vieille école.
Rem. On rencontre ds la docum. les expr. a) arg. Être de la jaquette, de la pédale. Être homosexuel (cf. infra e α rem.). b) Être de ce monde. α) Vivre. Lorsque Madame était encore de ce monde. β) Appartenir à. La perfection n'est pas de ce monde. c) Être de son temps, de son siècle. Un grand esprit est de tous les temps; mais M. Pierre Hamp, lui, n'appartient qu'au nôtre (Mauriac, Journal 2, 1937, p. 157). En rapport inverse du précédent. − On a vieilli tous les deux, et ces folies ne sont plus de notre âge... Mais elles redeviennent de celui de nos successeurs (Miomandre, Écrit sur eau, 1908, p. 209).
P. ext. Participer à. Être d'une fête, être du voyage; être de la noce. Serez-vous des nôtres ce soir? Lorsque Pauline (...) se remit à accompagner Lazare, elle sentit tout de suite, entre ce dernier et Louise, un air nouveau, des regards, des rires dont elle n'était pas (Zola, Joie de vivre,1884, p. 907):
69. − J'm'en rappellerai, moi, d'la saucisse de Montmirail... tu pouvais pas t'déplacer, les obus te pistaient... ah! les tantes... Demachy avait repris sa mine grave et regardait ces hommes avec envie. − J'aurais bien voulu y être, dit-il... être d'une victoire Dorgelès, Croix de bois,1919, p. 17.
P. méton. Être de ceux, celles; du nombre de ceux, celles qui. Être du même bord. Il [le jeune homme] était de ce petit nombre d'êtres qui vivent sans bruit et savent gré aux autres de ne pas s'apercevoir de ce qu'ils valent (Musset, Confess. enf. s.,1836, p. 299).
Être de l'avis [de l'opinion de ceux qui], être d'avis que; m'est avis que (fam.). Être partisan de cette opinion.
[Avec l'idée de tour à l'intérieur d'une occupation qui requiert le concours de beaucoup] Être de garde, de semaine, de service; être de corvée :
70. − C'est bon. Tu prendras le quart demain matin avec le mousse. − C'est que je préférerais être de quart la nuit. − Pourquoi? − Parce que je ne dors pas la nuit. Cendrars, Bourlinguer,1948, p. 172.
Rem. Être de + subst. peut signifier également, selon le cont., « être de corvée ». Être de noce, être de courses. Quelle est cette tenue, monsieur Vatel? êtes-vous d'enterrement, ou la marée manque-t-elle? (Augier, Gendre M. Poirier, 1854, p. 288).
d) [Conformité de quelque chose, à une norme, à une règle]
N'être pas de, du jeu. N'être pas conforme aux règles du jeu :
71 ... la gêne des artistes à introduire ces chants [de Beethoven] dans leur programme de concert. Ces chants ont beau y apparaître, de loin en loin; ils n'y sont jamais devenus familiers. Ils écrasent le chanteur et, l'on pourrait presque dire, l'auditeur. Ils ne sont plus de l'art. Quand ils sont bons, ils sont au-dessus de l'art. Quand ils sont mauvais, ils sont au-dessous. Ce n'est plus de jeu! Ils rompent le jeu... Beethoven parle. Qui oserait se substituer à lui? Rolland, Beethoven,t. 1, 1937, p. 182.
Rem. Ac. 1835, 1878 enregistre le sens fig. et fam. ,,Cela n'en est pas ou celui-là n'en est pas quand une personne fait ou dit quelque chose qui ne doit pas se faire ou se dire et à quoi on ne s'attend pas. Il ne s'agit que de jeux, les coups n'en sont pas``.
(N')être (pas, plus) de saison. En harmonie avec la saison. De mêmen'être plus de mode; une telle familiarité n'est pas de mise :
72. Le visage de la jeune femme flamba. La plaisanterie n'était pas de saison : Venant le vit bien. Didace se leva de table et sortit. Z'Yeux-Ronds, toujours en jeu, sauta au milieu de la place pour le suivre. D'un coup de pied, Amable envoya le chien s'arrondir dans le coin. Guèvremont, Survenant,1945, p. 48.
Spéc. Être de qqc. à qqn. Avoir quelque prix pour quelqu'un; l'intéresser. Cf. infra vous ne n'êtes plus rien et ex. 33 :
73. Rien n'est plus naturel que de s'interroger sur ce que veut, à ce point de vue, réaliser cette grande force neuve qui s'appelle la France libre, en attendant que, par la victoire, elle se confonde avec la France tout court. Il est vrai qu'à cette question : « Que veut la France libre? » certains, qui ne lui sont de rien, se hâtent souvent de répondre à sa place. De Gaulle, Mém. guerre,1954, p. 630.
Rem. 1. On rencontre ds la docum. l'expr. n'être de rien à qqn. N'être rien pour lui, ni par parenté ni par amitié. − Ta, ta, ta, ta, dit le tonnelier sur quatre tons chromatiques, le fils de mon frère par-ci, mon neveu par-là. Charles ne nous est de rien, il n'a ni sou ni maille; son père a fait faillite; et, quand ce mirliflor aura pleuré son soûl, il décampera d'ici; je ne veux pas qu'il révolutionne ma maison (Balzac, E. Grandet, 1834, p. 110). 2. La docum. enregistre les constr. demi-figées suiv. a) gallicisme. [Pour exprimer l'inhérence jusqu'à l'identité] Si j'étais (que) de vous, de Untel, plus cour. si j'étais vous. Cf. de II B 2 a. b) Comme si de rien n'était. Sans avoir l'air d'être concerné (en quelque chose). Un jour (c'était le lundi de Pâques, elle s'en était toujours souvenue, la pauvre Pierrette et me l'a raconté souvent); un jour donc qu'elle était assise devant la porte de monsieur le curé, travaillant et chantant comme si de rien n'était, elle vit arriver vite, vite, un beau carrosse dont les six chevaux trottaient dans l'avenue, d'un train merveilleux (Vigny, Serv. et grand milit., 1835, p. 101). c) Quant* à, pour* ce qui est, était de + inf. ou subst.
e) [Cas partic. de être de avec pron. adv. : en être]
α) [Pour exprimer la qualité d'élément d'un groupe] Malatesta. − Et toi, me tutoyer, tu l'oses! Qui es-tu donc? Ah! mais je te reconnais. Tu en étais, de ce tribunal (Montherl., Malatesta,1946, II, 4, p. 469):
74. fanny. − Je pense à ma mère et à ma famille. césar. − Je me fous de ta mère et de la famille. Ta famille, c'est Marius et ton petit, et moi. Quant à ce monsieur, qu'il se taise, il n'en est pas. Allons, viens à la maison. Pagnol, Fanny,1932, II, 8, p. 157.
Participer à. C'est pour demain, en êtes-vous? Et une fois quitte, que faites-vous ce soir? − Le tour de quelques dancings, avec Conan. Vous en êtes?... (Vercel, Cap. Conan,1934, p. 43).
Rem. Les dict. enregistrent le sens vulg. [Avec imprécision par tabou] En être « être homosexuel ». Cf. Proust, Sodome, p. 941.
β) [Pour marquer un moment ou une étape dans le déroulement ou l'évolution de quelque chose] Où en êtes-vous? voilà où nous en sommes; j'en suis au début; j'en suis là; nous (en) étions au dessert quand il est arrivé; il en est à son cinquième verre de vin. Je voudrais bien savoir aussi où vous en êtes de vos travaux. J'y pense souvent et en attends le résultat avec une vive impatience. Pour les miens (...) j'aurai fini mes deux derniers volumes dans trois mois à peu près (Gobineau, Tocqueville, Corresp.[avec Tocqueville], 1854, p. 215).Nous en sommes en médecine où la chimie en était il y a deux siècles. Nous en sommes à la période empirique, à la période des doctrines individuelles (Bernard, Princ. méd. exp.,1878, p. 178):
75. ... on en était encore à l'équipement au gaz d'éclairage qui n'était pas distribué dans toutes les villes d'Italie que déjà mon père achetait les chutes d'eau dans les Alpes et rêvait de l'électrification de la péninsule! Cendrars, Bourlinguer,1948, p. 111.
Autres expr. usuelles. En être à ce point; en être réduit au point où j'en suis; il n'(en) est pas où il croit; en être à ses débuts, à sa première affaire, à son premier essai; nous en sommes à l'heure où; (dans un comptage) nous en sommes à cinquante.
En être à + inf.J'en suis encore à me demander ce qui me vaut cet honneur; j'en suis à compter les minutes; il en est à maudire le jour où il est né. Comme de vrai, il [Franz] en était à se traîner aux genoux de sa maîtresse, et à lui protester par les plus solennels serments qu'il l'épouserait (Bourges, Crépusc. dieux,1884, p. 92):
76. Jerphanion regardait, fort démoralisé lui-même, les bras coupés. La position qu'on venait de lui remettre avait tellement l'air d'une plaisanterie, que l'on en était à se demander si le guide ne vous y avait pas menés par erreur. Romains, Hommes bonne vol.,1938, p. 149.
[Pour exprimer la confusion, le désordre]
Hé, où en sommes-nous (Ac.). Où en sommes-nous grand Dieu! :
77. − Je... me fiche du... docteur, bredouilla le malade d'une voix pâteuse. Restez là une minute... voyons... voyons... où en sommes-nous?... sacrée grippe! je me sens de mieux en mieux, et... pas capable de joindre deux idées ensemble... ça colle au cerveau comme un caramel au palais... Bernanos, Crime,1935, p. 838
Ne plus savoir où l'on en est :
78. champbourcy. − Neuf, dix... mais non! trois quatre... vous m'embrouillez, père Colladan. colladan. − Je ne vous parle pas. champbourcy. − Vous ne me parlez pas, mais vous me dites : « Sept, huit, » ça me fait dire : « Neuf, dix... » je ne sais plus où j'en suis. Labiche, Cagnotte,1864, I, 2, p. 21.
En être là. J'en étais là de mes conjectures quand plusieurs incidents que je ne vous dis pas m'ouvrirent tout à fait les yeux (Fromentin, Dominique,1863, p. 226):
79. Elle se leva et repoussa sa chaise : « tu avoues! tu verrouilles tes tiroirs, à cause de moi. Nous en sommes ! − C'est pour t'éviter des tentations, dit-il; cette fois la gaieté de sa voix sonnait tout à fait faux. Beauvoir, Mandarins,1954, p. 262.
Autres expr. usuelles. Si on m'avait écouté, on n'en serait pas là (fam.); Dieu merci, nous n'en sommes pas là; tout le monde en est là; il en était là de sa tâche quand la mort le surprit.
Attacher de l'importance à quelque chose. Il n'en est pas à une erreur près, à cent francs près, à cela près.
En être de, pour sa peine, pour son temps. Perdre son temps, sa peine. J'en suis pour ce que j'ai dit. Ceux-là avaient peu reçu et beaucoup dépensé. Ils en étaient du leur et réclamaient leur paiement (France, J. d'Arc, t. 1, 1908, p. 387):
80. ... tu peux garder ce que tes hommes m'ont volé, car c'est tout ce que tu auras de moi. Je suis pauvre, mon père n'a rien, mes frères mangent souvent leur pain sec, je ne connais ni banquiers ni ambassadeurs, et si tu me nourris dans l'espoir d'une rançon, tu en seras pour tes frais, je te le jure! About, Roi mont.,1857, p. 102.
Rem. Dans le même sens, fam. j'y suis de ma poche. [La Couteau] : − (...) Et puis, si vous n'avez plus confiance en moi, dites-le : vous enverrez votre argent directement (...) et moi, ça me soulagera beaucoup, car, dans tout cela, j'y suis de mon temps et de ma peine (Zola, Fécondité, 1899, p. 298).
7. [Pour exprimer la finalité, la destination de quelque chose (ou de quelqu'un)]
a) Être pour
[Destination simple] Cet argent est pour acheter une maison; ce pain est pour mes enfants; ma première pensée sera pour vous; tout le plaisir est pour moi; ma fille n'est pas pour cet homme.
Soutenir quelqu'un ou quelque chose; être en faveur de. Je suis pour ce candidat, pour la paix dans le monde, pour cette hypothèse; Dieu, le bon droit, la loi est pour nous. Abs. Je suis pour. Anton. être contre* :
81. Marianne approuve, de temps en temps, par des mouvements de tête, des gestes silencieux, ces discours violents... elle aussi, sans doute, la République la ruine et la déshonore... elle aussi est pour le sabre, pour les curés et contre les juifs... dont elle ne sait rien d'ailleurs, sinon qu'il leur manque quelque chose, quelque part. Mirbeau, Journal femme ch.,1900, p. 121.
Avoir une part ou une participation à/dans quelque chose. Être pour qqc. dans.La maladie est pour beaucoup dans son comportement; il n'est pour rien là-dedans. Il est si facile de ne point profaner le trésor de joies qui n'appartient qu'à l'amour, à ce sentiment divin que cet enfant et moi nous partageons!... le reste? − est-ce que cela nous regarde? − le cœur y est-il pour quelque chose? le plaisir pour quelque chose? l'« ennui même » pour quelque chose?... (Villiers de L'I.-A., Contes cruels,1883, p. 340):
82. Gondran allait entrer aux Monges. Il fait un saut en arrière pour bien se dégager de la porte, pour bien faire voir qu'il n'y est pour rien, qu'il n'est pas entré, que Janet est mort de la mort, tout simplement. Giono, Colline,1929, p. 186.
Rem. La participation peut être indiquée de manière précise dans le cont. : être pour un tiers, pour moitié (dans une affaire, une découverte).
Vieilli. Être pour + inf.Être sur le point de. Le temps est pour changer. Tu diras à ton père de m'écrire lorsqu'il sera pour partir, afin que j'aille au-devant de vous à la diligence (Sand, Corresp.,t. 2, 1842, p. 240).Lucette. − Tout ce que je sais, c'est qu'ils [ma sœur et Budor] étaient pour se marier ensemble (...). Papa ne voulait pas... maman non plus... (Labiche, Pied ds crime,1866, II, 5, p. 375).
[Pour exprimer la conséquence] Être de nature à, afin de (avec une négation). Ces nouvelles n'étaient pas pour me surprendre; vos manœuvres ne sont pas pour m'intimider :
83. ... les Britannicus et les Bajazet, ces amants captifs et timides, n'étaient pas pour me convenir. La pourpre du jeune César me séduisait bien davantage! mais quel malheur ensuite de ne rencontrer à dire que de froides perfidies! Nerval, Filles du feu,Dédicace à A. Dumas, 1854, p. 499.
b) Fam. Être après
Être occupé à. Être après qqc.L'enfant est après son dessin :
84. Philippe Goutay, au comptoir, rinçait des verres. On fit les présentations. MmeGoutay apparut sur le seuil de la cuisine. Elle s'excusa d'être surprise en souillon. − J'étais après la vaisselle, dit-elle. Je cours changer de tablier et je vous suis. Dabit, Hôtel Nord,1929, p. 10.
Harceler (sans cesse) qqn. Être après qqn.[Bélisaire :] Personne ne l'aimait dans le quartier, ce grand rouge-là [un sergent de ville]! Les chiens, les enfants, tout le monde lui était après (A. Daudet, Contes lundi,1873, p. 230):
85. Le jour, elle [Agnès] est assez tranquille; mais quand la nuit vient, c'est un train, un vacarme... On diroit que tous les démons sont après elle; ah! c'est une véritable réprouvée. Le médecin que votre charité a envoyé ici n'en espère presque rien; cependant il vient tous les jours. Cottin, Mathilde,t. 5, 1805, p. 230.
II.− [Être en fonction d'auxil. des formes composées des verbes]
A.− [Auxil. des temps composés actifs de certains verbes intrans.]
1. [Avec une valeur temporelle du passé] J'en étais là de ma lettre, ma chère cousine, et de mes tristes complaintes, lorsque le commandeur est entré chez moi avec le bruit d'un ouragan (Sénac de Meilhan, Émigré,1797, p. 1713).Un soir, bien tard, il [Santos] était venu, avenue de Wagram, rapporter à la Chica un bracelet qu'elle avait laissé tomber, cette sotte, en jouant au tennis, dans le parc Saint-Augustin (Larbaud, F. Marquez,1911, p. 186):
86. ... on a vu que l'un de ces pavillons, un peu plus blanc que les autres, brillait de toutes ses lumières à toutes les fenêtres, au premier comme à l'entresol. On a été sonner à la porte. Notre cheval toujours derrière nous. Un homme épais et barbu nous ouvrit. « Je suis le maire de Noirceur − qu'il a annoncé tout de suite, sans qu'on lui demande − et j'attends les Allemands! » Et il est sorti au clair de lune pour nous reconnaître le maire. Quand il s'aperçut que nous n'étions pas des Allemands nous, mais encore bien des Français, il ne fut plus si solennel, cordial seulement. Et puis gêné aussi. Céline, Voyage,1932, p. 57.
87. Quant à sœur Aurélie, elle était toujours séparée de lui [le malade] par son guichet. C'était inexact. Un détail lui revenait. Quand il était parti, elle se trouvait à l'extérieur de son bureau et elle l'avait reconduit jusqu'à la porte. Simenon, Vac. Maigret,1948, p. 15.
2. [Avec une valeur aspective pour marquer le résultat d'une action] Aussitôt que mon oncle fut sorti, je me jetait sur l'in-folio; mais je tombai dans une autre perplexité (Toepffer, Nouv. genev.,1839, p. 167).De quelle planète est tombé, au milieu d'un paysage d'azur, cet être étrange [La Joconde] (Gautier, Guide Louvre,1872, p. 26):
88. − J'étais là lorsque Rodolphe est rentré, dit Marcel à Mimi essoufflée d'avoir parlé aussi longtemps. Comme il prenait sa clef chez la maîtresse d'hôtel, celle-ci lui a dit : − La petite est partie. Murger, Scènes vie boh.,1851, p. 253.
89. Au Mexique plus encore qu'au Pérou, les massacres rituels qui ne cessaient pas avaient plongé les peuples dans une torpeur hébétée qui les rendit incapables de résister plus de deux ans à l'effort de l'envahisseur. Ils ne retrouvèrent un reste d'énergie que pour aider Cortez à chasser de Tenochtitlan les Aztèques qui les tenaient depuis deux siècles sous le joug. À tout prendre, la religion de Torquemada immolait moins de victimes que celle de Montezuma. Et d'ailleurs, sur ce sol, il était passé de si profonds flots d'hommes, depuis mille ans, qu'une indifférence absolue venait à ses plus anciens possesseurs, du maître auquel il fallait payer, au nom du dieu qu'il apportait, l'impôt d'or et de sang. Faure, Hist. art,1912, p. 239.
Rem. 1. Le part. passé s'accorde en genre et en nombre avec le suj. du verbe. 2. Dans le lang. fam. et pour certains verbes, l'auxil. avoir est quelquefois utilisé à la place de être pour insister sur le procès en tant que tel. Ex. : j'ai monté [l'escalier] trop rapidement au lieu de je suis monté.
B.− [Auxil. des temps composés des verbes pronom. ou à la forme pronom.] Deux détenus se sont évadés cette nuit; un doute s'était soudain emparé de son sprit. Nous faisions les cent pas, le long des parapets, sous la lune, examinant attentivement la terre, le ciel et les eaux et écoutant avec anxiété les moindres bruits de la nuit, la respiration de la mer, le vent du large qui commença à chanter vers trois heures du matin. Mrs Édith, qui s'était levée, vint alors rejoindre Rouletabille sous sa poterne (G. Leroux, Parfum,1908, p. 56):
90. La langue ecclésiastique s'est stabilisée sans cesser pour cela d'être une langue vivante (mais non mobile), puisqu'elle était écrite et parlée, et l'est encore. Potiron, Mus. église,1945, p. 29.
Rem. 1. Le part. passé s'accorde en genre et en nombre avec le pronom quand celui-ci est compl. d'obj. dir. du verbe : elle s'est suicidée par le gaz. Il ne s'accorde pas avec le pronom a) Quand celui-ci est obj. indir., ce qui est le cas quand il y a un compl. d'obj. dir. autre que le pronom. L'insuccès du concours étant le seul but que s'était proposé l'Académie (Proudhon, Syst. contrad. écon., t. 1, 1846, p. 28). Cher vieux, Vallette me dit que je t'ai omis sur la liste des envois. 1. Tu as un exemplaire de luxe!! 2. Excuse un oubli que le 1 a je pense motivé, m'étant fait une petite liste personnelle où te voir une fois suffisait (Gide, Corresp. [avec Valéry], 1897, p. 299). Si cet obj. est placé avant le verbe, le part. passé s'accorde avec lui comme si l'auxil. était avoir : la peine qu'il s'est donnée; la tâche que s'était proposée l'Académie; la petite liste que je m'étais faite. b) Quand le verbe pronom. en construction indir. est intrans. et ne peut donc pas avoir de compl. d'obj. dir. Plusieurs directeurs se sont succédé à la tête de cette entreprise; ils se sont plu dès le premier instant. 2. Lorsque le part. passé est suivi d'un inf. a) Il s'accorde avec le suj. implicite de cet inf. si ce suj. est le même que celui du verbe introducteur. Là-dessus, le vieil Arribial, tout pantois et tout crispé, s'étant laissé choir sur un banc de marbre scellé dans le maçonnage, enfonça ses mains en sa crinière épaisse, et songea... (Cladel, Ompdrailles, 1879, p. 340). Rieux descendait déjà et deux hommes passèrent devant lui quand il fut dans la rue. Apparemment, ils allaient vers les portes de la ville. Certains de nos concitoyens en effet, perdant la tête entre la chaleur et la peste, s'étaient déjà laissés aller à la violence et avaient essayé de tromper la vigilance des barrages pour fuir hors de la ville (Camus, Peste, 1947, p. 1303). b) Dans le cas contraire il reste invar. Elle s'est laissé entraîner, persuader, surprendre. Ce général [M. Zwlinden] nous faisait la grâce d'accepter le portefeuille de la Guerre pour donner un coup de main aux complices de Henry. Mais comme il pensait bien que cela ne durerait guère, il stipula qu'il lui serait permis de ne pas se donner de successeur, afin de reprendre sa place dès que Brisson, s'étant vu berner, lui signifierait l'ordre de départ (Clemenceau, Vers réparation, 1899, p. 213). On a vu − rarement − des chefs de guerre se rendre avant tout combat ou à la suite d'un simulacre de combat, après s'être laissé persuader par leur adversaire qu'ils étaient dans une situation désespérée (Billotte, Consid. strat., 1957, p. 4002). 3. La forme pronom. peut avoir une valeur passive, en tournure personnelle ou impersonnelle. Cela ne s'est encore jamais vu, dit, passé ainsi; ce lot de marchandises s'est bien vendu; il ne s'en est vendu que deux ou trois exemplaires. La situation ne serait pas la même si le chemin de fer s'était construit selon des normes économiques et géographiques, comme aux États-Unis (Pineau, S.N.C.F. et transp., 1950, p. 47).
C.− [Auxil. des temps simples ou composés des verbes à la forme passive (généralement suivie d'un compl. d'agent)] Neptune était nommé Poséidon par les Grecs (Divin.1964, p. 224):
91. Marianne comment peux-tu parler de ta souffrance? Tu aimes et tu es aimée de l'être que tu aimes... Qu'oses-tu demander d'autre au destin? Qu'exiges-tu de plus que ce bonheur inimaginable? Mauriac, Mal Aimés,1945, I, 3, p. 172.
[Passif sans compl. d'agent] :
92. Il [le brancardier R. Vanier] est né d'une famille modeste à Montfort-L'Amaury. Un de ses frères, séminariste, caporal téléphoniste au 146erégiment, a été tué le 2 mars devant Douaumont : la jambe brisée par un obus, il a été transporté au ravin des Fontaines où il a expiré peu après. Son corps est resté là. Bordeaux, Fort de Vaux,1916, p. 252.
Rem. 1. Le passif se reconnaît notamment à ce fait que dans la forme composée l'auxil. ne garde pas sa valeur temporelle propre (cf. supra ex. 92). 2. La lang. parlée (très) familière connaît la tournure usuelle du type : cette robe a besoin de laver au lieu de cette robe a besoin d'être lavée. 3. À noter les formes cour. suiv. : étant donné(e, s), entendu que (cf. donné II B et entendu II C 2), cela étant dit; soi dit en passant.
Rem. gén. On attribue parfois au verbe être suivi de à + inf. actif, une valeur d'auxil. de modalité, la « modalité » (en réalité rendue plutôt par la prép. à étant celle de destination et/ou d'obligation inhérente ou extérieure, l'inf. de forme active prenant alors une valeur passive; la tournure équivaut à la construction devoir + inf. passif). Cette idée est à creuser, à développer (doit être creusée, développée); ce devoir est à refaire; cet exemple est à méditer; cet homme est à ménager; cela est, c'est à prendre ou à laisser; l'occasion est à saisir; cf. également à I A 1 b ex. 8. Cavalier hors de pair [Jacques d'Arblade], ayant monté dès sa petite enfance, à cru, sur tout ce qui pouvait s'enfourcher; possédant le sens inné du cheval, ce je ne sais quoi qui fait deviner l'humeur d'un animal, comment se servir de lui et jusqu'où; s'étant rompu, affiné dans l'art équestre par une longue et savante pratique, partout où une leçon était à recevoir, une théorie à approfondir; alliant enfin, en selle, le doigté à la force et l'instinct à l'expérience, il résolut de tirer parti de ces dons et d'aborder la vie sur ses étriers, et plus outre la fortune (Pesquidoux, Livre raison, 1928, p. 179). Dans un sens plus atténué, la valeur modale correspond à celle de la construction pouvoir + inf. passif. Cet accident était à prévoir; le prix est à débattre; cet appartement est à louer. Allons voir tout de suite si elle [la maison] est à louer. La maison était vacante et à louer deux mille francs (Dumas fils, Dame Camélias, 1848, p. 181). Laurency, profondément offensé. − Ma fille n'est pas à vendre, sidi... son mariage ne sera pas un marché, mais un choix (H.-R. Lenormand, Simoun, 1921, 5etabl., p. 58). La copule disparaissant, la tournure à + inf. peut s'employer en construction dir. avec un subst. antécédent : occasion à saisir, prix à débattre, appartement à louer, à vendre. L'usage impose le plus souvent cette tournure moyennant une transposition p. ex. de cette idée est à creuser en c'est une idée à creuser. Autres constr. cour. Être à battre, à blâmer, à craindre, à embrasser, à tuer, etc., le plus souvent en tournure impersonnelle avec il : il est à craindre, à croire, à espérer, à penser, à présumer, à prévoir, à souhaiter que.
3eSection. Second élément d'une expression binaire.
I.− [L'expr. est introd. par ce]
A.− [Pour souligner ou marquer l'identité précise entre le signifié désigné par ce et le signifiant explicite]
1. [Dans l'interr. dir.] Forme inversée de c'est. Est-ce (le plus cour.), était-ce; sera-ce (rare), sont-ce (rare), etc. Fi donc, fi, monsieur! Sont-ce là des manières et des chants dignes du génie de la nature qui vous voit et vous entend? (Dusaulx, Voy. Barège,t. 1, 1796, p. 250):
93. ... le xviiiesiècle : qui a tenu la haute main de l'humanité durant ce grand siècle? Quels sont les noms qui frappent à la première vue jetée sur l'histoire de cette époque? Est-ce Choiseul? Est-ce Richelieu? Est-ce Maupeou? Est-ce Fleury? Non; c'est Voltaire, c'est Rousseau, c'est Montesquieu, c'est toute une grande école de penseurs qui tient puissamment le siècle, le façonne et crée l'avenir. Renan, Avenir sc.,1890, p. 451.
94. ... le responsable désigné lui disait [à Marat] avoir recruté dix, vingt, cinquante partisans, il ne les voyait jamais, c'eût été contraire aux règles de sécurité, l'autre pouvait aussi bien les avoir inventés de toutes pièces, par vantardise ou pour toucher des subsides, étaient-ce bien eux qui avaient fait le sabotage dont leur chef revendiquait le mérite? Vailland, Drôle de jeu,1945, p. 179.
Rem. Le lang. fam. utilise peu ce type de forme inversée. On rencontre, en partic., dans la lang. parlée la constr. c'est, suivie de l'énoncé et d'un point d'interr. C'est grave? C'est elle? C'est bien vous que j'ai rencontré il y a quelques jours? (cf. ex. 97).
a) [En combinaison avec un pron. interr. qui précède et un pron. rel. qui suit est-ce] Qui est-ce qui a fait cela? Qui est-ce que tu as rencontré? Qu'est-ce qui t'a mis dans cet état? De même Quand, où est-ce que...? Qu'est-ce que c'est qu'un cardinal? C'est un prêtre habillé de rouge, qui a cent mille écus du roi, pour se moquer de lui au nom du pape (Chamfort, Max. et pens.,1794, p. 79).Démétrios! Qu'est-ce que j'entends? D'où t'est venu ce ton-là? Est-ce bien toi qui parles? Explique-moi! Je t'en conjure! Qu'est-il arrivé entre nous? C'est à se briser la tête contre les murailles... (Louÿs, Aphrodite,1896, p. 200):
95. le professeur. − Élève Hamlet! l'élève hamlet (sursautant). − ... Hein... Quoi... Pardon... Qu'est-ce qui se passe... Qu'est-ce qu'il y a... Qu'est-ce que c'est? ... le professeur (mécontent). − Vous ne pouvez pas répondre « présent » comme tout le monde? Pas possible, vous êtes encore dans les nuages. Prévert, Paroles,1946, p. 68.
b) Est-ce que. Loc. interr. utilisée dans la lang. parlée pour éviter l'inversion du suj. ce :
96. Enfin, j'évalue bien à deux millions la perte éprouvée par l'industrie et le commerce... Hein? Qu'est-ce que vous en dites? Nous voilà au chiffre de cinq millions, pour une ville de treize mille habitants! Et vous nous demandez encore quarante-deux mille francs de contribution, je ne sais sous quel prétexte! Est-ce que c'est juste, est-ce que c'est raisonnable? M. de Gartlauben hochait la tête, se contentait de répondre : − Que voulez-vous? C'est la guerre, c'est la guerre! Zola, Débâcle,1892, p. 559.
97. Il [Brogan] sourit : « J'ai des amis qui se sont mis à écrire quand ils ont vu que je gagnais de l'argent rien qu'en restant assis devant ma machine, mais ils ne sont pas devenus des écrivains. − Est-ce qu'ils ont gagné de l'argent? » Il se mit à rire franchement : « Il y en a un qui a tapé cinq cents pages en un mois; il a dû payer gros pour les faire imprimer et sa femme lui a défendu de recommencer; il a repris son métier de pickpocket. − C'est un bon métier? demandai-je. − Ça dépend. À Chicago il y a une grosse concurrence. Beauvoir, Mandarins,1954, p. 305.
c) Ne serait-ce que, ne fût-ce que (= quand ce ne serait que). Loc. à valeur restrictive et conditionnelle, toujours au sing., en position marginale ou en incise. Ne serait-ce, ne fût-ce que pour lui, que pour lui faire plaisir :
98. Je soulève doucement le voile qui couvrait un visage aimé. Je pense avec un sourire : « Mon amour pour elle, vraiment, ne faisait qu'un avec le sentiment que j'ai de l'absolu. Quel dommage qu'elle n'en sache rien! Si elle avait, ne fût-ce qu'un instant, compris mon amour, elle n'aurait jamais pu s'en distraire, même pour danser. » J. Bousquet, Trad. du silence,1935-36, p. 68.
Fût-ce. Même sens. Charité. − On se fait beaucoup d'illusions sur l'étendue de cette vertu (...). Ne jamais médire. Ne jamais parler en mal de qui que ce soit, fût-ce d'un enfant, à moins que cela ne soit utile (Dupanloup, Journal,1851-76, p. 60).Pourtant elle n'achetait pas le journal, par défiance (...) et par une sorte de point d'honneur qu'elle se faisait de n'être pas volée, fût-ce d'un sou (France, Anneau améth.,1899, p. 367).
d) N'est-ce pas. Loc. placée dans le discours dir. pour demander l'adhésion de l'interlocuteur ou solliciter son attention :
99. − Voyons donc, que diable! Assieds-toi. J'éprouve un véritable chagrin. − Quel chagrin? − De ce que tu ne puisses pas vider un verre de vin avec moi et goûter ces beignets : quelque chose d'extraordinaire! David s'assit en riant à son tour. − Tu les as inventés, n'est-ce pas? dit-il. Tu fais toujours des inventions pareilles. − Non, rebbe, non; ce n'est ni moi ni Katel. Je serais fier d'avoir inventé ces beignets, mais rendons à César ce qui est à César : l'honneur en revient à la petite Sûzel... Tu sais, la fille de l'anabaptiste! Erckm.-Chatr., Ami Fritz,1864, p. 86.
Rem. Les dict. enregistrent la loc. si est-ce que (vx) appartenant à une lang. littér. cultivant l'arch., et placée dans le discours pour marquer une opposition à ce qui vient d'être dit; synon. ou expr synon. néanmoins, si tant est que, c'est pourtant un fait.
2. [Réponse réelle ou supposée à la question portant sur ce qui est désigné par ce] C'est nous, ce sont eux. Non, il ne faut pas quitter le pays; c'est une maladresse; ce serait faire dire à tout le monde qu'on avait raison contre nous, et donner gain de cause aux bavards (Musset, Confess. enf. s.,1836, p. 264).Mon oncle et ma tante habitaient avec leurs cinq enfants rue de Lecat. C'était une de ces tristes rues de province, sans magasins, sans animation d'aucune sorte, ni caractère, ni agrément (Gide, Si le grain,1924, p. 411).Cf. également ex. 93 et 94 :
100. Un des mérites les plus éminents de MmeJuliette Lamber, c'est sa passion des beaux paysages et sa puissance à les décrire. Ses tableaux ont de l'éclat et un pittoresque grandiose. Ce sont des paysages du Midi, chauds et lumineux; et ils sont vivants, vraiment pleins de dieux, la nature y ayant des formes vaguement animales et respirantes... Lemaitre, Contemp.,1885, p. 134.
101. − Regarde, Papadakis, je t'ai bluffé, ma badine n'est pas une canne-épée. Elle est trop mince et beaucoup trop flexible. C'est une simple épine de rose. Il n'y a même pas une pointe au bout. Elle est si fragile qu'on ne pourrait administrer avec une fessée à un ange. Regarde, la résille est en or. Elle est infiniment précieuse. C'est du beau travail d'artiste. Cendrars, Bourlinguer,1948, p. 175.
Rem. On rencontre ds la docum. la constr. cour. de c'est, en phrase exclam. a) Avec valeur laud. exprimée par le 2eterme de la tournure. Ces Anciens, c'étaient des hommes. − Oh! C'est que Vincent, c'est quelqu'un! dit Lambert d'une voix mordante. Il sait tout, il juge tout le monde, il ne se trompe jamais et vous n'avez pas besoin de le payer pour qu'il vous donne des leçons (Beauvoir, Mandarins, 1954, p. 270). b) Avec inversion du second terme précédé de quel à valeur qualificative. Grand-père de Vandomme, par exemple, quel gaillard c'était! Toujours plein de bière, à ras bord, jusqu'à son bonnet de laine, mais serviable au pauvre monde (Bernanos, M. Ouine, 1943, p. 1431).
a) [Pour constater qu'une situation actuelle suggérée ou l'objet convenu implicite a tel caractère] Ce n'est rien, c'(en) est trop, c'est comme cela, c'est contre le règlement, c'est sans espoir, c'est justice, c'est dimanche, c'est (bien) l'heure, c'était le temps où, c'est mon tour. C'est l'automne, la pluie et la mort de l'année! La mort de la jeunesse et du seul noble effort Auquel nous songerons à l'heure de la mort : L'effort de se survivre en l'Œuvre terminée. Mais c'est la fin de cet espoir, du grand espoir, Et c'est la fin d'un rêve aussi vain que les autres Le nom de Dieu s'efface aux lèvres des apôtres Et le plus vigilant trahit avant le soir (Rodenbach, Règne silence,1891, p. 235).L'accident dont MlleGodreau a été victime s'est produit le 3 août... C'est bien cela? C'est cela... Le jour du concert... (Simenon, Vac. Maigret,1948, p. 73):
102. Une autre fois, j'osai parler d'amour à une paysanne, aussi pauvre que moi, et vêtue à peine de quelques haillons déchirés. Celle-là, ce fut autre chose, elle me regarda d'un air de profonde pitié, et elle était si affligée de ne pouvoir me trouver beau, que sans rien dire, elle en versa deux grosses larmes. Les anges sans doute les ont recueillies. Banville, Gringoire,1866, 5, p. 41.
103. Il [Philippe] haussa les épaules. − Est-ce que vous croyez, Suzanne, que je ne sente pas les choses qui vous touchent comme si elles se passaient dans l'intérieur même de mon être? Oh! J'ai tout compris : vous partez! C'est clair. Ce n'est que trop clair et c'est même horrible à penser. Alors je dis : quand partez-vous? − Qui parle de partir? Partir? J'irai à Paris demain. Duhamel, Suzanne,1941, p. 252.
b) [Précédé d'un terme (subst., pron., inf.) ou d'une prop. complète en position marginale, sert à réintroduire à l'intérieur de la phrase ce qui avait été détaché, en lui donnant la valeur de suj. dans une prop. à constr. attributive] Un enfant, c'est le sourire de la vie; elles, ce sont mes sœurs; le mieux, c'est de. Tout verbe exprime toujours un état, puisque tout verbe signifie toujours être quelque chose. Faire, c'est être faisant; aimer, c'est être aimant; avoir, c'est être ayant (Destutt de Tr., Idéol., 2, 1803, p. 53).Penser c'est, comme agir ou sentir, réagir au milieu (Lacroix, Marxisme, existent., personn.,1949, p. 103):
104. ... il ne saurait être question ni de prévoir l'acte avant qu'il s'accomplisse, ni de raisonner sur la possibilité de l'action contraire une fois qu'il est accompli, car se donner toutes les conditions, c'est, dans la durée concrète, se placer au moment même de l'acte et non plus le prévoir. Bergson, Essai donn. imm.,1889, p. 183.
c) [En corrélation avec qui, que, sert à mettre en relief le terme encadré par c'est et qui/que] C'est moi qui l'ai dit; c'est ce qui me détermine à penser que; c'est un homme qui a quelque chose à se reprocher; c'est d'en parler (de cela) qui me fait du bien; c'est ce que je pense de vous; c'était à moi qu'il en voulait; c'était de toi que je parlais. Cf. ce II A 1 b ex. 17 et 18.
d) [Sert à sélectionner ou mettre en relief celui, celle à qui il appartient de faire ceci ou cela] C'est à... de/à + inf.(cf. ce II A 1 a) :
105. Il [Alain] n'avait plus de nouvelles de Juliette Sancey. Il avait eu quelquefois la pensée, la tentation d'aller chez elle comme on l'y avait invité, de prendre de ses nouvelles. Il n'avait jamais osé. Il réveillerait sans doute chez Juliette des masses de souvenirs pénibles. Et d'ailleurs, pour elle comme pour lui, ces choses devaient être à présent tellement lointaines, − presque irréelles. À cela se mêlait l'orgueil, l'amour-propre. Il avait été utile, il avait servi. Ce n'était pas à lui à aller ainsi quémander en quelque sorte une récompense. C'était à eux de venir. Van der Meersch, Invas. 14,1935, p. 246.
[Avec une valeur de superl. ou une idée de primauté dans une situation où il y a rivalité entre plusieurs pers.] C'est, c'était à qui... Le despotisme a produit la corruption des mœurs, et la corruption des mœurs a soutenu le despotisme. Dans cet état de choses, c'est à qui vendra son âme au plus fort pour légitimer l'injustice et diviser la tyrannie (Robesp., Discours,Sur la constitution, t. 9, 1793, p. 497):
106. Paul et François ne se turent pas une minute. Chacun abandonnait une partie de sa personnalité, s'efforçait de ressembler à l'autre. C'était à qui cacherait son cœur. Radiguet, Bal,1923, p. 74.
e) C'est-à-dire*.
f) [Avec l'idée d'explication]
C'est que + ind., ce n'est pas que + subj. (loc. conj.).S'il a agi ainsi, c'est qu'il avait ses raisons; ce n'est pas qu'il soit méchant, mais... Cf. ce II A 2 ex. 34 et 35.
Rem. 1. Être peut être éventuellement omis pour marquer une rupture dans le niveau d'énonciation, le suj. parlant ou écrivant donnant, p. ex., son opinion au milieu d'un développement linéaire et mettant ainsi en évidence l'attribut, le jugement qu'il émet. Triste spectacle qu'une telle déchéance. 2. On rencontre encore la loc. si ce n'est « excepté, sinon » (cf. ce II A 1 d ex. 33) et si ce n'est que « excepté que, sauf que ».
[P. ell. du pron. ce, avec un suj. inversé « réel » et non repris dans la phrase] N'étai(en)t, n'eût été, n'eussent été. Si ce n'était, s'il n'y avait (cf. sans). N'était le portrait, elle était assez contente de la docilité de Max (Mérimée, A. Guillot,1847, p. 118).Edmond aurait certainement pris le parti de sa mère, n'eût été qu'il la trouvait sotte, et qu'il était d'une incroyance foncière (Aragon, Beaux quart.,1936, p. 201):
107. Une veste et un pantalon de toile rayée composaient toute sa toilette, et lorsque, après avoir entouré son cou d'un madras, couvert sa tête grisonnante d'un grand chapeau de paille, il sortit de sa dunette, la figure calme et reposée, l'air souriant, satisfait, les mains croisées derrière le dos... vrai, n'eussent été les feux dévorants de l'équateur qui faisait étinceler l'Océan comme un miroir au soleil, la chaleur étouffante et le plancher mobile du brick... on eût pris M. Benoît pour un campagnard, humant l'air parfumé du matin dans son bosquet de tilleuls fleuris... Sue, Atar Gull,1831, p. 2.
g) [Relie un suj. postposé (annoncé par le 2ece) à ce que attribut anticipé exclam.] Ce que c'est (que, quand). Ce que c'est que les liqueurs! (Labiche, Affaire rue Lourcine,1857, 15, p. 475).Madame Vigneron. − Je sais ce que c'est que de perdre son mari. J'ai passé par là (Becque, Corbeaux,1882, II, 1, p. 102).Hugo. − J'ai quitté ma famille et ma classe, le jour où j'ai compris ce que c'était que l'oppression (Sartre, Mains sales,1948, 2etabl., 4, p. 50).
Absol. (Voilà) vous savez ce que c'est. J'avais mené, dès mon adolescence, une vie de garçon. Vous savez ce que c'est. Libre et sans famille, résolu à ne point prendre de femme légitime, je passais tantôt trois mois avec l'une, tantôt six mois avec l'autre, puis un an sans compagne en butinant sur la masse des filles à prendre ou à vendre (Maupass., Contes et nouv.,t. 2, Ermite, 1886, p. 1055).
B.− [Dans la conversation fam., est relie ce (ce qu'on montre, l'objet en situation) à un attribut implicite et vague, le sens précis étant tiré de la situation; c'est reste au sing.] C'est combien? C'est trois francs. On lui donne un lit − ce sera trois francs (Vallès, Réfract.,1865, p. 122).
II.− [L'expr. est introd. par il impers.]
A.− Cour. [Constr. impers. simple; pour indiquer la situation dans un moment du temps]
1. [Il s'agit d'un moment précis dans le temps] Quelle heure est-il?; il est l'heure de partir; il est l'heure (absol.); il était moins une (fam.). Il était cinq heures lorsque je sortis du collège pour aller dîner chez M. M. (Jouy, Hermite,t. 4, 1813, p. 31):
108. Baïe, qui a la scarlatine, regarde l'heure à son petit coucou suisse. Elle ne sait pas bien la lire. Elle sait, par exemple, s'il est plus de deux heures, ou moins, et s'il est deux heures. Elle connaît l'heure, dit-elle, « quand il est juste ». Renard, Journal,1900, p. 607.
Rem. L'usage cour. préfère ce à il pour exprimer la précision. C'est l'heure, mais il est l'heure de partir.
2. [Le plus souvent suivi d'un adv., la localisation dans le temps étant alors plus vague] Il est encore trop tôt pour; demain il sera trop tard; il est grand matin; avant qu'il soit longtemps; faites cela pendant qu'il en est temps encore; il est temps de rentrer. Absol. Il est temps; il n'était que temps :
109. voix du général. − Il est par là, vous dites? petypon. − Nom d'un chien, cachons-la! (Il prend le tapis de table qui est sur la chaise du fond et en recouvre complètement sa femme. Paraît le général.) Ouf! Il était temps! Feydeau, Dame Maxim's,1914, I, 24, p. 26.
3. Dans un lang. recherché. Il n'est pas nuit, mais il n'est plus jour, et déjà les eaux brunissantes de la Néva annoncent l'heure du repos (J. de Maistre, Soirées St-Pétersb.,t. 1, 1821, p. 253).Il est crépuscule. Le soleil s'abîme derrière les monts, un vieux monument détache sa large silhouette noire sur le ciel (Valéry, Corresp.[avec G. Fourment], 1887-1933, p. 49):
110. Quand les chiens dépistés abandonnent la voie, Maladroit le chasseur s'il lâche aussi sa proie! Donc je poursuis la mienne, et, tant qu'il sera jour, Je courrai mon gibier, mon beau gibier d'amour. Brizeux, Marie,1840, p. 55.
B.− Lang. littér. recherchée. [Suivi d'un mot indéf. ou d'une négation] Il existe, il y a. Il fut une époque, un temps où; il en est peu, beaucoup, trop qui, que. Il n'est point ici-bas de bonheur sans mélange (Chênedollé, Génie homme,1807, p. 95).Il est des Songes vrais, s'il en est de menteurs (Fontanes, Œuvres,t. 1, Chant VIII, 1821, p. 336).Je veux qu'il soit un Dieu pour pouvoir blasphémer (Hugo, Han d'Isl.,1823, p. 515):
111. Les mots, en exprimant des pensées, en rappelant des souvenirs, intéressent nos cœurs et influent sur leurs affections; ils entraînent nos volontés comme notre pensée; il en est que l'on ne sauroit entendre sans une émotion profonde; d'autres, plus étonnans, semblent affoiblir les objets et nous les rendre indifférens. Senancour, Rêveries,1799, p. 228.
112. Ne te plains point, regarde : il n'est rien qui demeure, C'est ainsi que s'enfuit un nuage léger, C'est ainsi, chaque jour, que tourne d'heure en heure, L'ombre que font au sol les arbres du verger! Muselli, Travaux et jeux,1914, p. 28.
Rem. Cf. également en I A 2 b ex. 9 et I A 3 a.
1. [Pour introd. un conte, une histoire] :
113. ... l'écriture, c'est ce qui signale l'œuvre littéraire en tant que telle, mais ce signal est écriture dans la mesure où il est délibéré et où il proclame et affiche l'identité de l'œuvre et ses intentions. (...) dans certains emplois modernes, le passé-simple n'est pas la simple représentation d'un « temps », mais il donne ce temps comme imaginaire, objet d'une création romanesque; de même le « il était une fois » du conteur transporte immédiatement l'auditeur en littérature. Langage, Guiraud − Fonctions sec. langage, 1968, p. 456.
2. [En position marginale ou en incise; tour laud.] S'il en est, s'il en fut. La bande noire, bonne œuvre et sainte, s'il en est (Courier, Pamphlets pol.,Disc. souscr. acquis. de Chambord, 1821, p. 86).Swann qui est, d'ailleurs, un garçon d'esprit s'il en fut (Proust, J. filles en fleurs,1918, p. 472):
114. Il [Antricon-Balaston] avait une allègre figure très hâlée, un menton recourbé comme la carène d'un vaisseau, des yeux vairons, un sourire où vivait la malice indomptable de son âme; étique, il paraissait dodu; long, il paraissait bref. Un pareil trompe-l'œil provenait de sa conformation, irrégulière s'il en fut. Cladel, Ompdrailles,1879, p. 221.
3. [Encadré de la restriction ne... que, exprime l'identité absolue, la valeur de l'objet sélectionné] Il n'est vendange que d'automne (Colette, Naiss. jour,1928, p. 17).Je savais qu'il n'est de science que de ce qui se répète (Saint-Exup., Citad.,1944, p. 576):
115. Paradis d'ombre fraîche et de chaleur extrême, Où mûrit la grenade, et, non loin du jasmin, Cette double pastèque agréable à la main : Badoure, il n'est jardin que des fleurs où l'on aime. Toulet, Contrerimes,1920, p. 132.
C.− [Sert à exprimer un jugement de valeur, une appréciation]
1. [Constr. simple; le plus souvent suivi d'un adj.] Il est certain, évident, probable, vraisemblable que; il est bon, nécessaire de; il n'est que juste de; tant il est vrai que; il m'est très douloureux de vous annoncer que. Cette conduite [de Malek Adhel] renferme d'étranges mystères, repartit Richard d'un air mécontent (...). − Ce sont des mystères, il est vrai, répondit l'archevêque, mais des mystères de vertu, de générosité, que je me garderai d'approfondir par respect pour la main qui ne veut verser ses bienfaits qu'en se cachant (Cottin, Mathilde,t. 2, 1805, p. 192).Il fut impossible au vidame de Maulle de trouver ce qu'en termes de justice on nomme un alibi (Villiers de L'I.-A., Contes cruels,1883, p. 266):
116. Elle [Vanessa] parcourait la pièce noire d'un regard lent. − ... Marino dit qu'on ne peut t'arracher de l'Amirauté. Est-ce vrai? Elle s'établissait maintenant peu à peu, à mes yeux brouillés par la surprise, avec la fixité parfaite, la quiétude d'une flamme de bougie élevée dans une chambre calme. Dans le fouillis poussiéreux de la pièce, la carnation égale et très pâle de ses bras et de sa gorge suggérait à l'œil une matière extraordinairement précieuse, radiante, comme la robe blanche d'une femme dans la nuit d'un jardin. − Il est vrai que je n'en bouge guère. Et je me plais ici, c'est vrai. Gracq, Syrtes,1951, p. 85.
Rem. 1. Il est et c'est ne s'emploient pas indifféremment. Ce évoquant qqc. de connu, peut se passer de complément. Il, en revanche, annonce un sujet qui sera exprimé ultérieurement. Cf. dans l'ex. 116 l'opposition entre c'est vrai et il est vrai que. De même c'est impossible et il est impossible de/que. 2. Il est est plus rarement suivi d'un subst. ou d'un adv. Toutefois on rencontre couramment ds la docum. a) il est question de ou il est besoin de, s'il en est besoin et, p. ell. du pron., en constr. incise, si besoin est/ était (cf. besoin II D 2, ex. 20 à 24); b) toujours est-il + adj. + que ou toujours est-il que. Que les générations directes, qui font l'objet de ce chapitre, aient ou n'aient pas réellement lieu, ce sur quoi, maintenant, je n'ai point d'avis prononcé; toujours est-il certain, selon moi, que la nature en exécute de réelles au commencement de chaque règne de corps vivans, et que sans cette voie elle n'eût jamais pu donner l'existence aux végétaux et aux animaux qui habitent notre globe (Lamarck, Philos. zool., t. 2, 1809, p. 89). À Andernach, quatre compagnons ayant fait équipe eurent l'imprudence de laisser percer leur projet et furent dénoncés, on n'a jamais su exactement par qui. Toujours est-il qu'à l'heure fixée pour leur départ, dans la nuit du 28 au 29 mars 1941, comme ils enfilaient l'obscur couloir long de six mètres qui devait les conduire à la liberté, des gardiens embusqués sur leur passage les accueillirent d'un feu roulant (Ambrière, Gdes vac., 1946, p. 226).
2. [Pour marquer le caractère de qqc.]
a) Il est de. Il est de toute évidence, de toute nécessité, de tradition, de bon ton, d'usage, de/que :
117. Ils [Gérard et Hélène] se regardèrent un moment dans le fond des yeux. Hélène ne put s'empêcher de sourire; mais, redevenant promptement grave, elle reprit : − Je vous trouve sévère... Je sais qu'il est de mauvais goût de trop vanter ce qui nous touche de près; mais, bien que Georgette soit votre fiancée, il me semble que vous poussez la modestie un peu loin. Theuriet, Mariage Gérard,1875, p. 86.
[Pour exprimer le fait qu'un caractère est inhérent à qqn ou qqc.] Il est de mon devoir, de ma dignité, de mon honneur de; il est de l'équité, de la justice de. Tout pays policé renferme deux classes d'hommes. L'une s'instruit et raisonne, l'autre vit dans l'inscience. La première sera toujours estimée par cela seul qu'il est de sa nature de mépriser l'autre (Senancour, Rêveries,1799, p. 155).Il est de l'essence même de ce diabolique génie [Hitler] d'utiliser pour sa guerre la dégradation des autres (De Gaulle, Mém. guerre,1954, p. 422).
Rem. Dans le même sens et rare : il est essentiel à qqn de.
b) Il est dans, en. Il est dans la nature des choses de + inf.; il n'est pas en mon pouvoir de changer cet état de choses :
118. À la mort d'Émile Roux, l'Institut Pasteur de Paris rendit au professeur Bordet le plus bel hommage qu'il était en son pouvoir de lui rendre, lorsqu'il lui demanda de présider le conseil scientifique institué alors pour veiller, de façon permanente, sur les hautes destinées de la maison de Pasteur et de Roux. Ce que la Fr. a apporté à la méd.,1946, p. 62.
Expr. Il n'est pas en moi de. Il n'est pas en mon pouvoir; il n'est pas dans ma nature, dans mon caractère de faire cela :
119. ... sans cacher ma pensée, ni voiler mes paroles, j'ai dit sale débauche, infâme prostitution, et me voilà devant vous, Messieurs. Mais je suis du peuple; je ne suis pas des hautes classes, quoi que vous en disiez, monsieur le président; j'ignore leur langage, et n'ai pas pu l'apprendre. Soldat pendant longtemps, aujourd'hui paysan, n'ayant vu que les camps et les champs, comment saurais-je donner aux vices des noms aimables et polis? Peut-être aussi ne le voudrais-je pas, s'il était en moi de quitter nos rustiques façons de dire, pour vos expressions, vos formules. Courier, Pamphlets pol.,Procès, 1821, p. 128.
3. [Être sert à affirmer une réalité à propos d'une situation référée par en] Il en est (de). Qu'en sera-t-il?; il n'en sera que ce que vous voudrez; en serait-il autrement? quoi qu'il en soit/fût; (puisque, s')il en est (malheureusement, toujours) ainsi (de); je te dirai ce qu'il en est; il n'en fut rien :
120. Lorsque Philippe ressentait un vif désir, lorsqu'il cédait à quelque tentation, ses mouvements étaient bien visibles. Il ne dissimulait rien; il se comportait avec franchise et insouciance, comme s'il avait la garantie commode que toute faute peut être remise. Il n'en était pas de même pour moi. J'appréhendais sans cesse qu'une mauvaise action ne me fît dévier pour toujours de la voie étroite qu'un idéal sévère me présentait comme le juste chemin. Lacretelle, Silbermann,1922, p. 22.
Rem. À noter a) l'équivalence de être et de aller (emploi impers.). Il en va de même (ou ainsi) de (ou pour); il en va (tout) autrement (de ou pour + nom de pers.); cf. aller II A 2); b) forme vieillie il est ainsi avec omission de en, s.v. ainsi ex. 13 et 14.
[Tour littér. pour introd. une comparaison] Il en est (de) ... ainsi/comme. Il en est ici comme des volcans, dont il faut respecter le silence et l'immobilité (Dusaulx, Voy. Barège,t. 1, 1796, p. 228).Il en est de la toilette comme de toute passion; ce que l'on a sert tout au plus à faire ressortir ce qui manque (Reybaud, J. Paturot,1842, p. 203):
121. Thomas Gourvennec, Yves Lannuzel, François Guillerm, chacun accomplissait sa besogne. Sous la trame usée du ciel gris, l'aube s'efforçait de poindre au-dessus de l'horizon, qui luisait faiblement, comme une vieille jupe. La pointe du Raz retrouvait la place où on l'avait vue hier. Il en était des pêcheurs ainsi que de comédiens batteurs de province et qui, pour la millième fois, commencent la première scène du même drame. Les yeux ouverts, et tout en exécutant les gestes requis, ils s'efforçaient de ne pas prendre le travail trop à cœur, de somnoler encore, de se réserver... Queffélec, Recteur,1944, p. 71.
4. [Tours négatifs]
a) Il n'est que de + inf.Il est suffisant, il n'y a qu'à :
122. Pour comprendre à quel point nous avons appris à « abstraire » la musique, il n'est que de comparer le diagramme du son réel et sa représentation musicale. Où sont donc les notes et les accords dans l'enchevêtrement incroyable des oscillations? Schaeffer, Rech. mus. concr.,1952, p. 52.
b) Vieilli. Il n'est pas que + subj. (double négation).Il n'est pas que vous n'ayez entendu parler de :
123. À madame..., née Camille Il n'est pas, madame, que vous n'ayez gardé quelque souvenir de Stephen, ou, du moins, j'espère n'avoir pas besoin de vous rappeler le nom sous lequel vous l'avez connu. Karr, Sous tilleuls,1832, p. 313.
Rem. 1. Effacement possible de la copule. Être peut être supprimé du fait de son haut degré d'abstraction. a) C'est le cas lorsque la constr. attributive devient globalement obj. d'un verbe introducteur. Pierre est très savant devient Nous savons Pierre très savant. Temps et mode sont assurés par le verbe immédiatement antécédent. Cf. supra 2esection I B 4 a α rem. b) Le caractère figé de la phrase proverbiale entraîne fréquemment la suppression de la copule (être est dans ce cas intemporel ou omnitemporel). Tel père, tel fils = tel est le père, tel est le fils. Cette constr. inverse les termes du propos qui est le fils est tel que (est) le père. c) Dans le style télégraphique, temps et mode sont suffisamment inclus, c'est-à-dire présupposés et donc intuitivement compris dans la situation de communication entre expéditeur et destinataire du télégramme. Nous sommes bien arrivés devient bien arrivés, l'auxil. disparaît. De même la copule disparaît dans Pierre est l'heureux père d'un petit Bernard qui devient Pierre heureux père petit Bernard. L'ordre des mots et la ponctuation forte rendent aisée la compréhension du message. d) Rappel des indications ou exemples donnés dans le corps de l'article. α) Dans une répétition enchaînée de constr. identiques. Cf. supra 2esection I B 1 a et ex. 39 type Monsieur est à la chasse, Madame en ville, Joseph en course. β) Dans la lang. parlée, pour marquer un ordre dans les interventions au cours d'une conférence, d'un débat. La parole est à vous peut devenir à vous. Cf. 2esection I B 4 a α rem. γ) La formule de la concl. épistolaire je suis (bien) à vous devient bien à vous. Cf. 2esection I B 4 a β rem. δ) Dans la lang. comm., l'auxil. peut disparaître dans l'occasion est à saisir, cette maison est à vendre qui deviennent à saisir, à vendre, à louer. De même, ce devoir est à refaire devient à refaire. Cf. 2esection II rem. finale. ε) Dans un but stylistique, pour marquer une rupture dans le niveau d'énonciation. Cf. 3esection I A 2 f rem. Triste spectacle qu'une telle déchéance. 2. La docum. enregistre le sens mod. de étant, subst. masc., en philos. et en partic. dans la philos. de Heidegger. Ce qui est, l'étantrecouvre tous les objets, toutes les personnes dans un certain sens, Dieu lui-même. L'être de l'étantc'est le fait que tous ces objets et toutes ces personnes sont. Il ne s'identifie avec aucun de ces étants, ni même avec l'idée de l'étant en général (E. Lévinas, En découvrant l'existence avec Husserl et Heidegger, Paris, Vrin, 1974 [1932], p. 56).
Prononc. et Orth. : [ε:tʀ ̥], (je) suis [sɥi]. Homon. aîtres (ou êtres), hêtre. Ds Ac. 1694-1932.
Étymol. et Hist. A. 1. a) 842 suivi d'un compl. prép. donnant des indications sur l'état, la situation, la localisation ou toutes circonstances caractérisant l'état ou l'existence du suj. (Serments de Strasbourg ds Bartsch Chrestomathie, 2, 11); b) 1119 spéc. être à suivi d'un inf. « devoir être » est a preisier « doit être prisée » (Ph. de Thaon, Comput, éd. E. Mall, 137); c) 1174-76 être à « être en train de, être occupé à » (G. de Pont-Ste-Maxence, Saint Thomas, éd. E. Walberg, 5239); 2. a) 881-82 suivi d'un attribut indiquant une qualité, une caractéristique du sujet « présenter, avoir la qualité de » (Ste Eulalie ds Bartsch Chrestomathie, 3, 1); b) 881-82 suivi d'un attribut indiquant la qualité essentielle ou la situation du suj. (Ste Eulalie, ibid., 3, 12); c) 2emoitié xes. suivi d'un attribut indiquant la qualité de l'état ou de la situation du suj., sa manière d'être (St Léger, éd. J. Linskill, 160). B. Emploi abs. 1. 2emoitié xes. « exister, avoir réalité, être vrai (suj. animé) » (St Léger, 37); 2.a) 1130-40 « exister, avoir réalité, vivre (suj. animé) » (Wace, Ste Marguerite, éd. E. A. Francis, ms. M, 729 : Deus qui est e fu); b) fin xiies. au passé « avoir vécu, être mort » (Orson de Beauvais, 959 ds T.-L.). C. Pron. dém. suj. 1. a) ca 980 le pron. suj. remplace simplement un inanimé (Passion, éd. D'A. S. Avalle, 13-14); b) 2emoitié xes. le pron. suj. remplace un animé ou un inanimé mis en valeur par la constr. de type c'est (St Léger, 99); 2. ca 1170 le pron. dém. est en inversion dans les constr. interr. (Rois, éd. E. R. Curtius, I, VI, 4, p. 13). D. 1. Ca 980 à la 3epers. du sing. impers. pour introduire ou mettre en valeur un élément de la phrase (Passion, 151); 2. ca 980 id. avec le sens de « il y a », « on trouve » (Passion, 88). E. Auxil. 1. ca 980 du passif (Passion, 170); 2. ca 980 du passé des verbes pronom. (Fragment de Valenciennes ds Bartsch Chrestomathie, 4, 37); 3. ca 980 du passé de certains verbes intrans. (Passion, 325). Du lat. class. esse (lat. pop. *essĕre d'où l'inf. a. fr. estre) dont les formes conjuguées lat., avec des altérations dès le b. lat. et des réfections anal., ont donné plus ou moins régulièrement les formes fr., le part. passé et peut-être l'imp. et le futur mis à part (cf. E. R. Thurneysen, Das Verbum être und die fr. Conjugation, Halle, Karras, 1882). Il est admis que le part. passé esté, de même prob. que le part. prés. estant, a été empr. au verbe d'a. fr. ester issu du lat. stare « se tenir debout, se tenir, rester »; une même orig. pour l'imp. de type a fr. esteie qui a supplanté les formes de type iere ou ere a été envisagée (cf. Diez, Romanische Grammatik, 2eéd., t. 2, p. 211) puis rejetée pour des raisons phonét. en admettant une réfection sur l'inf. est(re) (cf. Diez, op. cit., 3eéd., t. 2, p. 229; Meyer-Lübke, Grammaire historique des langues romanes, t. 2, § 262); on peut cependant supposer que esteie représente stabam, mais avec une réfection pré-littér. sur le verbe avoir. Quant au rad. du futur ser(ai) qui a supplanté les formes en ier et er issues du lat., on l'explique par une constr. syntagmatique à partir de essere de type (es)sere + áio (parallèlement à essere + áio > estrai en a. fr.; pour les détails, v. notamment Fouché Morphol., 415-423).
STAT. − Été, part. passé. Fréq. abs. littér. : 69 902. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 115 464, b) 100 374; xxes. : a) 88 809, b) 91 565. Étant. Fréq. abs. littér. : 12 080. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 18 573, b) 18 433; xxes. : a) 17 380, b) 15 196.
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