| ESTIMER, verbe trans. A.− [Avec une idée d'évaluation plus ou moins exacte] Faire une estimation, une estime (cf. ces mots A). 1. Déterminer le prix, la valeur financière qui doit être attribué(e) à telle chose. Estimer des immeubles, le prix/la valeur de (telle chose), estimer à (tant de) francs (telle chose), faire estimer (telle chose). (Quasi-)synon. expertiser, priser.La charge n'était pas cotée, n'étant jamais sortie de la famille; mais, d'après le produit des cinq dernières années, on ne pouvait l'estimer moins de trois cent mille écus (About, Nez notaire,1862, p. 7).Prix convenu et dont nous estimons, l'un et l'autre, ce petit travail artistique (Villiers de L'I.-A., Corresp.,1886, p. 112).Cf. aussi estimatif ex. − Emploi abs. Tu gardes à ton doigt un diamant de quatre à cinq mille francs! − Peste! Tu estimes juste! Pourquoi ne te fais-tu pas commissaire-priseur! (Dumas père, Monte-Cristo,t. 2, 1846, p. 336). 2. Évaluer approximativement une quantité nombrable (notamment le chiffre d'une population, par référence à des données incomplètes prélevées sur des échantillons d'observation). Estimer les dépenses nécessaires; estimer le nombre, le poids de...; estimer qqc. à (tant de ...). En 1769, Cook l'estimait [la population maorie] à quatre cent mille habitants (Verne, Enf. cap. Grant,t. 3, 1868, p. 83).Par additions successives, dont approximativement on peut estimer les dates (Vidal de La Bl., Princ. géogr. hum.,1921, p. 80): 1. Supposons (...) qu'il s'agisse de mesurer une certaine grandeur, et que cette grandeur doive être estimée à vue, sans le secours d'aucun instrument (...) Nous sommes bien certains, avant toute expérience, qu'une pareille estime sera entachée d'erreur ...
Cournot, Fond. connaiss.,1851, p. 126. − Emploi pronom. réfl. Vespuce dit qu'en quittant la nouvelle terre, il s'estimait à treize cents lieues de la côte d'Éthiopie (Voy. La Pérouse,t. 1, 1797, p. 75). 3. Au fig. a) [L'obj. est un subst.] Déterminer, marquer (par un jugement favorable ou défavorable) la valeur que l'on attribue ou doit attribuer à telle personne ou à telle chose abstraite. Pendant cette délibération, où l'amour paternel estimait toutes les probabilités, discutait les bonnes comme les mauvaises chances et tâchait d'entrevoir l'avenir en en pesant les éléments (Balzac, Enf. maudit,1831-36, p. 413).Les années, nous les estimons comme les fruits : à la saveur et au poids. Nous oublions que la pulpe n'est pas la graine (H. Bazin, Mort pt cheval,1949, p. 131): 2. − Je ne suis plus étonné de ta méchante opinion sur les femmes, si tu les juges toutes par de pareilles [filles]. C'est absolument comme si on estimait le beau climat de la France par le ciel pleurnicheur de Paris.
Borel, Champavert,1833, p. 169. ♦ Estimer (qqn, qqc.) à son juste mérite, à sa (juste) valeur. Lecture de Arsène Guillot (...) Pourquoi cela n'est-il pas plus connu? Taine lui-même (...) ne paraît pas l'avoir compris ni estimé à sa valeur (Gide, Journal,1909, p. 276). b) [Dans diverses constr.] Avoir une opinion sur, juger, croire. − Estimer + subst. obj. + subst. attribut du compl. d'obj. vx.Édouard VII estima nos divisions une bonne chose (Maurras, Kiel et Tanger,1914, p. 146): 3. Vous étiez assez d'avis que c'était une salamandre. Nous l'avons mise au bûcher, pour voir. Elle a grillé... C'était donc bien une ondine (...). Hier également, cher Président, avec cette Gertrude (...). Vous l'estimiez une ondine. Nous l'avons fait jeter sous l'eau, tenue par un fil d'acier. Elle s'est noyée. C'était donc bien une salamandre.
Giraudoux, Ondine,1939, III, 3, p. 180. − Estimer + adj. (attribut du compl. d'obj.) ou adv. + constr. inf.; estimer + subst. (ou équivalent) + adj. (attribut du compl. d'obj.) ou loc. adverbiale.Estimer (...) beau, coupable, digne, indispensable, juste, nécessaire, préférable (...). Il trouvait ces biens mal acquis. Il n'estimait pas honorable de faire par surprise de grands gains n'impliquant aucun travail (Renan, Souv. enf.,1883, p. 91).Elle estimait avoir largement fait son devoir envers ces deux petites créatures sans intérêt (...) Elle n'était pas loin d'estimer tout cela fort moral, et de penser qu'en cette affaire, elle avait le beau rôle (Druon, Gdes fam.,t. 2, 1948, p. 166). ♦ Emploi pronom. réfl. Elle était, à ses propres yeux, du moins, la plus excitante princesse du monde et il fallait renoncer de bonne grâce à trouver une femme qui s'estimât plus exquise (Bloy, Femme pauvre,1897, p. 248). − Estimer + inf. ou constr. inf.Il signifia rudement à sa femme qu'il faisait ce qu'il estimait devoir être fait (Aymé, Jument,1933, p. 187). − Estimer + prop. complétive introduite par que (à l'ind. si la tournure est affirmative, au subj. si elle est négative, à l'ind. ou au subj. si elle est interrogative).Il estimait à juste titre que sa sécurité dépendait pour une grande part du secret de son domicile (Vailland, Drôle de jeu,1945, p. 178). B.− [Avec une valorisation affective] Accorder de l'estime (cf. ce mot B), apprécier positivement une personne ou une chose qui mérite l'admiration, le respect intellectuel ou moral. 1. [Le compl. d'obj. dir. désigne (un aspect d') une pers.] Éprouver, manifester un sentiment favorable pour les qualités, les mérites de. Estimer le courage, l'esprit de (telle pers.). C'est une très-bonne marque d'être aimé et estimé de ses domestiques (Sénac de Meilhan, Émigré,1797, p. 1560).Suivant son caractère, l'homme veut être aimé ou craint, admiré ou obéi, envié ou estimé, mais c'est toujours l'opinion des autres ou, à la limite, l'opinion d'un autre, qui le préoccupe (Univers écon. et soc.,1960, p. 6210).Cf. aussi bonté ex. 9 : 4. ... nul praticien n'était plus en faveur auprès de ses malades, nul maître plus estimé de ses confrères ni recherché avec plus de ferveur par les élèves, ni davantage respecté par la jeunesse intransigeante des hôpitaux.
Martin du G., Thib.,Consult., 1928, p. 1065. − Emploi pronom. réfl. Jusqu'ici je me suis principalement estimé parce que je n'étais pas un égoïste uniquement occupé à bien jouir du gros lot qu'il a reçu du hasard (Stendhal, L. Leuwen,t. 1, 1835, p. 275). − Emploi pronom. réciproque. La guerre est un jeu contre la mort, où les adversaires s'estiment et s'admirent (Alain, Propos,1933, p. 1188). 2. [Le compl. d'obj. dir. désigne une chose] Avoir une opinion avantageuse pour telle chose. Le vin est semblable à l'homme : on ne saura jamais jusqu'à quel point on peut l'estimer et le mépriser, l'aimer et le haïr, ni de combien d'actions sublimes ou de forfaits monstrueux il est capable (Baudel., Paradis artif.,1860, p. 325): 5. Quelle que soit la forme artistique qu'il [le « modernisme »] revête, il l'appuie sur ces principes avoués ou latents que le moderne, le plus moderne possible, le plus différent du traditionnel doit être recherché ou estimé comme le but le plus enviable de l'art ...
Thibaudet, Réfl. litt.,1936, p. 104. SYNT. (relatifs à B 1 et B 2). Estimer fort, (très/trop) haut, infiniment, sincèrement; raisons d'/pour estimer; paraître, savoir estimer; apprendre à estimer. Prononc. et Orth. : [εstime], [e-], (j')estime [εstim]. Ds Ac. 1694-1932. Étymol. et Hist. 1. Fin xiiie-début xives. « juger, déterminer la valeur de quelque chose » (Gloss. rom., ms. Bibl. royale, 9543 ds T.-L.); 2. ca 1500 « faire cas de » (Ph. de Commynes, Mémoires, I, IV, éd. J. Calmette et G. Durville, t. 1, p. 29). Réfection sav., d'apr. le lat. class. aestimare « évaluer, apprécier » du verbe esmer (ca 1135, Couronnement Louis, 2272 ds T.-L.) confondu partiellement puis totalement avec aimer* (cf. en dernier lieu, D. McMillan ds Trav. Ling. Litt. Strasbourg, t. 9, 1, 1971, 209-228). Fréq. abs. littér. : 3 220. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 4 763, b) 3 556; xxes. : a) 4 098, b) 5 261. |