| ESSAI, subst. masc. I.− Action d'essayer. A.− [L'obj. de l'essai est un contrôle avant emploi] 1. [En parlant d'une chose concr.] Première(s) épreuve(s) en vue de contrôler les qualités ou les défauts d'une chose avant son utilisation permanente. Essai concluant, démonstratif, périodique. Tout était terminé dans la première semaine d'octobre, et il fut convenu qu'on ferait l'essai du bateau aux abords de l'île, afin de reconnaître comment il se comportait à la mer et dans quelle mesure on pouvait se fier à lui (Verne, Île myst.,1874, p. 331).Le renouvellement de l'industrie exige de nombreux essais, d'audacieuses recherches qui ne se peuvent instituer qu'aux laboratoires (Valéry, Variété II,1929, p. 101). SYNT. Essai au chalumeau, de laboratoire, d'un produit; appareil, pièce d'essai; atelier, laboratoire d'essai; service des essais; banc* d'essai; ballon* d'essai; avion, pilote*, vol* d'essai; piste d'essai; faire un essai, procéder à un essai, soumettre qqc. à différents essais. Tube à essai. Tube cylindrique, en verre, fermé à une extrémité, employé dans les expériences de physique ou de chimie. Un tube capillaire, muni à sa partie supérieure d'une boule, plonge dans un tube à essai placé lui-même dans une jaquette thermostatique (Chartrou, Pétroles natur. et artif.,1931, p. 117).À l'essai. Lors d'un essai. À l'essai, les ailes de l'aérostat se brisèrent (Chateaubr., Mém.,t. 2, 1848, p. 434).− Spécialement a) MINÉRALOGIE ♦ Analyse permettant de contrôler la nature d'une roche, d'un minerai, etc... Essai docimasique : 1. ... j'allai sur cette montagne pour en détacher quelques morceaux que j'envoyai au secrétaire de notre société philosophique de Philadelphie; mais après plusieurs essais, je trouvai que ces pierres ne contenoient qu'un peu de soufre et du mica...
Crèvecœur, Voyage,t. 2, 1801, p. 45. ♦ ,,Épreuve qu'on fait de la pureté de l'or et de l'argent, à l'aide de la pierre de touche`` (Ac.). b) [En parlant d'un mets, d'une boisson] Épreuve consistant à goûter les aliments afin de démontrer qu'ils ne contiennent aucune substance toxique : 2. ... l'idée que ces mets renfermaient peut-être quelque narcotique qui la livrerait sans défense aux entreprises l'arrêta, et elle repoussa l'assiette où déjà elle avait plongé sa cuiller. Le laquais en livrée grise parut deviner cette appréhension, et il fit devant Isabelle l'essai du vin, de l'eau et de tous les mets placés sur la table.
Gautier, Fracasse,1863, p. 374. c) [En parlant de chaussures, d'un vêtement, etc.] Action de passer des chaussures, un vêtement, etc., afin de voir s'ils conviennent. Synon. essayage : 3. « Quand une femme est arrivée à un moment où l'essai de ses robes ne lui prend plus tout son temps, où l'amour ne l'amuse plus, où la religion ne s'en est pas emparée, elle a besoin de s'occuper d'une maladie et d'occuper un médecin de sa personne ».
Goncourt, Journal,1893, p. 424. 2. P. anal. [En parlant d'une pers.] Période d'essai; engager, mettre à l'essai. Placer quelqu'un pour une période déterminée dans une fonction en vue de vérifier ses aptitudes avant un engagement définitif. Malgré mes bonnes dispositions, il me fut vraiment difficile d'être embauché, même à l'essai (Céline, Mort à crédit,1936, p. 184): 4. « Monsieur le médecin-chef, je vous promets que désormais je vous donnerai toute satisfaction. Je pourrais peut-être rester huit jours encore à titre d'essai. »
Montherl., Songe,1922, p. 72. 5. Permettez-moi de vous faire observer (...) qu'un employé pris à l'essai pendant un mois peut être congédié sans grand dommage s'il ne convient pas aux besoins du service.
Duhamel, Combat ombres,1939, p. 93. B.− [L'obj. de l'essai est une (première) réalisation] 1. Fait de s'engager dans une action sans être absolument sûr de l'appropriation du moyen utilisé, ou du succès d'une technique estimée plus ou moins aléatoire. Essai infructueux, malheureux, périlleux, timide; effectuer, risquer un essai. Je suis parvenu, après plusieurs essais, à exécuter beaucoup de choses en cuivre (Crèvecœur, Voyage,t. 2, 1801, p. 341).Vous pourriez essayer d'en faire votre secrétaire, il a de l'énergie, de la raison; en un mot, c'est un essai à tenter (Stendhal, Rouge et Noir,1830, p. 212). ♦ Coup d'essai. Première tentative effectuée dans un domaine particulier. Après avoir décacheté l'enveloppe avec une habileté qui prouvait qu'il n'en était pas à son coup d'essai, Fraisier fut plongé dans un étonnement profond (Balzac, Cous. Pons,1847, p. 260). 2. SP. Fait de s'engager dans une action en utilisant une technique éprouvée, dont le succès peut être compromis par des défaillances momentanées. a) ATHLÉTISME. Chacune des trois tentatives auxquelles a droit un athlète dans une épreuve sportive : 6. Un jour qu'elle concourait en finale dans un championnat de saut en hauteur, la barre étant à 1 m 32, par deux fois elle avait failli. Au troisième essai (...) elle accrochait de nouveau et roulait sur le sable, où elle demeurait inerte.
Montherl., Songe,1922, p. 180. b) AUTOMOB. Épreuve préliminaire obligatoire à une course automobile : 7. Les essais de qualification, appelés également essais officiels, se déroulent pendant les jours qui précédent la compétition. Deux séances d'essais au moins sont prévues, au cours desquelles chaque concurrent effectue plusieurs tours du circuit, toujours sous le contrôle des chronométreurs.
Encyclop. Alpha-auto, Paris, éd. Atlas, p. 2655. c) HIPPISME. Galop d'essai. Course permettant d'apprécier les performances actuelles d'un cheval entraîné. Les chevaux étaient remontés à droite, et ils partirent pour le galop d'essai, passant débandés devant les tribunes (Zola, Nana,1880, p. 1400). − P. métaph. [En parlant d'une pers.] :
8. ... à voir les organes de la Résistance si prompts à aboyer aux chausses des ministres résistants (sans même leur laisser le loisir de faire leur galop d'essai), les étrangers seraient en droit de croire que la France est demeurée ce royaume divisé contre lui-même dont il est écrit qu'il périra.
Mauriac, Bâillon dén.,1945, p. 417. II.− P. méton. A.− Vieilli, littér. Avant-goût (cf. ce mot ex. 2), commencement d'une expérience : 9. Au-delà s'élève une double rangée de collines dorées, derniers mouvements du sol, qui, douze lieues plus loin, vont expirer dans la plaine immense et plate du petit désert d'Angad, premier essai du grand désert.
Fromentin, Été Sahara,1857, p. 5. − Spécialement ♦ ,,Petite portion de quelque chose, qui sert à juger du reste. Envoyer des essais de vin. Prendre des essais de poudre à tirer`` (Ac. 1835, 1878). Synon. échantillon. ♦ ,,Petites bouteilles où il ne tient du vin qu'autant qu'il en faut à peu près pour l'essayer; petites tasses où l'on met du vin pour le goûter`` (Ac. 1835, 1878). Cf. aussi France 1907. B.− 1. [En parlant d'une peinture, d'une œuvre mus. ou littér.] Première production de quelqu'un qui débute dans une activité artistique. Notre globe est un monde barbare, je veux dire jeune encore, monde d'ébauche et d'essai, livré aux cruelles servitudes (Michelet, Oiseau,1856, p. 105): 10. ... peu après [le Salon de 1866], voyant les essais de plein-air de Monet, il [Manet] s'écriait avec humeur :
« Voyez ce jeune homme qui veut faire du plein-air; est-ce que les anciens s'occupaient de cela? »
Mauclair, Maîtres impressionn.,1904, p. 15. 2. [En parlant d'une œuvre littér.] Ouvrage dont le sujet, sans viser à l'exhaustivité, est traité par approches successives, et généralement selon des méthodes ou des points de vue mis à l'épreuve à cette occasion. Essai poétique, essai sur l'entendement humain. Un essai est un livre pour faire des livres; il ne peut passer pour bon qu'en raison du nombre de fétus d'ouvrages qu'il renferme (Chateaubr., Essai Révol.,t. 2, 1797, p. 278). − Au plur. Titre d'ouvrage. Lu hier soir, dans les « Essais de critique et de morale » de Renan, l'essai que je ne connaissais pas sur Lamennais (Du Bos, Journal,1922, p. 185). C.− SP. (rugby). Avantage obtenu en réussissant à placer le ballon derrière la ligne de but du camp adverse. Marquer, transformer un essai. Le score [du match de rugby], d'ailleurs, n'était pas écrasant : deux essais contre un (L'Œuvre,10 mars 1941). − P. métaph. Au royaume des aveugles, les borgnes marquent les essais et les transforment (Arnoux, Solde,1958, p. 44). Rem. La plupart des dict. enregistrent les sens suivants en vén. a) Écorchure que font aux branches faibles et flexibles les cerfs qui sont près de toucher au bois. b) Donner de l'essai. [Le suj. désigne un sanglier] Frapper avec ses défenses contre de jeunes arbres. Prononc. et Orth. : [esε]. Sous l'infl. de la graph. avec 2 s donnant l'illusion d'une syll. initiale entravée, Fér. 1768, Fér. Crit. t. 2 1787, Land. 1834, Gattel 1841, Littré transcrivent [εs(s)ε]. Noter que seul Littré transcrit [ss] justifiant ainsi le timbre ouvert de l'initiale. Ds Warn. 1968 [εsε] est une var. à côté de [esε]. Ces rem. valent pour tous les mots de ce type ayant e + 2 s à l'initiale. Cf. essaim, essence, etc. Toutefois Littré ne transcrit pas systématiquement [ss]. Il note [s] dans le reste de la famille (essayage, essayer, essayiste), dans essieu, essart... tout en conservant le timbre ouvert de l'initiale. Gattel 1841, s'il donne [εsε], donne aussi [esε]. Il convient donc de considérer la position adoptée ds les dict. pour chaque famille de mots. Essai est admis ds Ac. 1694-1932. Étymol. et Hist. 1. a) Ca 1140 « épreuve, tentative » (Pèlerinage Charlemagne, 510 ds T.-L.); b) 1176 « opération par laquelle on s'assure des qualités d'une chose (ici de l'or) » (Chrétien de Troyes, Cligès, éd. A. Micha, 4202 : Por ce toche an l'or a l'essai); c) 1168-91 « action d'affronter qqc. pour la première fois » (Id., Perceval, éd. F. Lecoy, 514); 2. 1580 p. ext. (titre des Essais de Montaigne). Du b. lat. exagium « pesage, poids ». Fréq. abs. littér. : 2 267. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 3 747, b) 2 159; xxes. : a) 2 290, b) 3 909. Bbg. Blinkenberg (A.). Quel sens Montaigne a-t-il voulu donner au mot Essais ds le titre de son œuvre? In : [Mél. Roques (M.)]. Baden-Paris, 1950, t. 1, pp. 3-14. − Henry (A.). Oil essaie et anc. fr. faire essaie. Rom. Philol. 1949/50, t. 3, pp. 139-149. − Telle (E. V.). À propos du mot essai chez Montaigne. Bibl. d'Human. et Renaissance. 1968, t. 30, pp. 225-247. |