| ENVOYER, verbe trans. I.− [Le compl. désigne une pers.] Faire aller, partir vers un lieu, une situation, un travail. Envoyer qqn en corvée, en courses; envoyer un enfant en vacances, à la montagne. Si le ministre de la guerre (...) n'envoie sur le champ des hommes de l'art tracer un camp dans la position la plus propre à arrêter l'ennemi (Marat, Pamphlets, Marat, l'ami du peuple, aux braves Parisiens, 1792, p. 302).Dès que nous pûmes courir, il nous envoya à l'école (Pesquidoux, Livre raison,1932, p. 93): 1. ... j'avais tout d'abord songé à envoyer en Russie une mission spéciale composée d'officiers et d'ingénieurs français...
Joffre, Mémoires,t. 2, 1931, p. 176. − Envoyer + attribut du compl. d'obj. dir.J'ai eu une tentation (...) de l'envoyer ambassadeur en Russie (Chamfort, Caract. anecd.,1794, p. 116).Je l'envoie en éclaireur franchir les rangs de l'ennemi (Saint-Exup., Citad.,1944, p. 745). − Vieilli. Envoyer qqn pour + inf.Ceux qu'on envoie pour administrer les colonies (Baudry des Loz., Voy. Louisiane,1802, p. 282). − Fam. [Le suj. désigne une maladie] Envoyer qqn au lit. L'obliger à se coucher. Dimanche soir si après son départ le mal ne m'avait terrassé au point de m'envoyer au lit (Du Bos, Journal,1927, p. 282). A.− [Avec une idée de mission à remplir ou d'objectif à atteindre] 1. Domaine relig.[Le suj. ou le compl. d'obj. dir. désignent une puissance surnaturelle ou le destin] Jésus dira qu'à l'époque de la palingénésie, « le fils de l'homme enverra ses anges,... » (P. Leroux, Humanité,t. 2, 1840, p. 854).Jeanne (...) avait rêvé cet homme, (...) ce protecteur que lui enverrait la providence (Ponson du Terr., Rocambole,t. 1, 1859, p. 301). ♦ Loc. fam. C'est le ciel qui vous envoie. Vous arrivez au moment opportun. Rem. Attesté ds Rob., Lar. encyclop. et Lar. Lang. fr.; non attesté ds la documentation. 2. Domaine profane − Envoyer qqn chez, à qqn.Maurice, s'écria le moribond (...) voici sept ou huit fois que je vous envoie chez mon avoué (Balzac, Gobseck,1830, p. 431).Je vais tâcher de t'envoyer des clientes, de lancer un peu ta maison, et puis tu verras, tout s'arrangera (Druon, Gdes fam.,t. 2, 1948, p. 189). ♦ Emploi pronom. réciproque. Les peuples italiens se liguaient entre eux, et s'envoyaient des ôtages (Michelet, Hist. rom.,t. 2, 1831, p. 170). − Absol., vieilli. Il [Cabarrus] est arrêté en route; impossibilité d'aller plus avant. Il parlemente, s'obstine; bref, on envoie à Madrid (Delacroix, Journal,1854, p. 180).Le préfet envoya aussitôt au maréchal Victor, commandant le corps d'armée, pour se plaindre et demander justice des soldats qui avaient vexé et violenté les habitants (Sainte-Beuve, Nouv. lundis,t. 8, 1863-69, p. 183). ♦ Mod. Envoyer + inf.On peut envoyer chercher le maire (Audiberti, Ampélour,1937, p. 107).J'envoyai prévenir M. Paul Reynaud (De Gaulle, Mém. guerre,1954, p. 67). 3. Domaine pol.,,Nommer pour une fonction. Paris envoie tant de députés à la Chambre`` (Ac. 1878-1932) : 2. Qu'on fasse donc élire au plus tôt une chambre et un sénat qui nommeront leurs présidents, enverront à l'Élysée un politique dépourvu de relief...
De Gaulle, Mémoires de guerre,1959, p. 261. B.− Péjoratif 1. [Avec une idée d'action pénible] Loc. Envoyer qqn à la mort, à l'échafaud, à la guillotine, dans l'autre monde, ad patres. Le faire mourir ou l'exposer à un grand péril. Vous venez d'avouer que vous aviez assassiné Venture. Le témoignage du docteur et celui de monsieur suffiront pour vous envoyer à l'échafaud (Ponson du Terr., Rocambole, t. 5, 1859, p. 424). − Fam. Envoyer qqn sur les roses, au (à tous les) diable(s), au bain, à la balançoire, aux pelotes; envoyer qqn promener, paître, bouler, dinguer, balader. Se débarrasser de façon expéditive et cavalière d'une personne gênante. Il était moins cinq que je l'envoie paître (Proust, J. filles en fleurs,1918, p. 888).Ils m'envoient promener exactement comme on envoie promener son père (Green, Journal,1947, p. 135). 2. [Avec une idée d'action violente; souvent suivi d'un inf.] Faire aller violemment quelqu'un à terre ou contre un obstacle en le frappant. Elle voit un apprenti qui envoie d'un grand coup de pied un chat dans la rue (France, Bonnard,1881, p. 493).D'un estoc de ce fort bâton pointu, il l'envoya (...) rouler par la salle (Pourrat, Gaspard,1925, p. 147).Gomar l'envoya s'affaler contre le mur, d'un revers de main (Van der Meersch, Empreinte dieu,1936, p. 127). II.− [Le compl. désigne des choses] Faire partir quelque chose. A.− [Le suj. désigne une pers.] 1. [À travers l'espace] Faire partir à une certaine distance une chose à laquelle on a communiqué une énergie. a) [Le compl. d'obj. dir. désigne qqc. de concr.; avec ou sans violence] Envoyer une balle dans l'épaule de qqn; envoyer des obus, une pierre dans une vitre, un ballon dans les buts. Ne serait-ce pas le cas de tout prendre par les quatre coins, et d'envoyer pêle-mêle au plafond la nappe et le festin (Hugo, Homme qui rit,t. 2, 1869, p. 39).Le vieux empoignait son sabot, et faisait mine de le lui envoyer par la tête (Pourrat, Gaspard,1930, p. 176).Le dilettante Horia Pietraru qui, à dix-huit ans, envoyait le poids de 7 kg 27 g à plus de 14 mètres (L'Œuvre,11 mars 1941). ♦ Emploi pronom. réfl. indir. et réciproque. La malheureuse femme (...) s'est envoyé une balle dans le cœur (A. Daudet, Pte paroisse,1895, p. 172).Des débardeurs (...) s'envoient à la figure des merlans pourris (Morand, Londres,1933, p. 304). − Loc. fam. Envoyer qqn promener, au (à tous les) diable(s). S'en débarrasser, l'abandonner. Les matins, je me débats avec Poussin (...) Tantôt je veux envoyer tout promener, tantôt je m'y reprends avec une espèce de feu (Delacroix, Journal,1853, p. 43).Je crevais la faim. Alors, j'ai envoyé la peinture à tous les diables, et j'ai cherché un emploi (Zola, Th. Raquin,1867, p. 27). − Spéc., MAR. ou ARM. Envoyer les couleurs. Hisser le pavillon national afin de lui rendre les honneurs. Envoyez! Mot d'ordre donné pour hisser les couleurs : 3. Mikkelsen me montra le Cap Dalton et les terres qui lui succédaient. (...) Malgré l'heure matinale je fis envoyer les couleurs, saluant la mémoire de nos braves compatriotes morts en la découvrant.
Charcot, La Mer du Groënland,1929, p. 154. b) Fam. [Le compl. d'obj. dir. désigne un coup] Envoyer un coup de coude, de poing, de pied. Moi qui ai la main leste, j'ai parfois du mérite à ne pas lui envoyer une gifle quand il commence ses doléances à propos de tout (Triolet, Prem. accroc,1945, p. 348). ♦ Emploi pronom. réciproque. Des hommes s'envoyaient des bourrades dans le dos (Cendrars, Bourlinguer,1948, p. 42). 2. En partic. [Par un intermédiaire] Faire partir, parvenir quelque chose à quelqu'un par l'intermédiaire d'une personne ou d'un service public (P. et T., S.N.C.F., etc.). Envoyer une lettre, sa démission, de l'argent, ses condoléances. Messire de Luxembourg (...) envoya ordre au seigneur de Croy de lui livrer son frère le bâtard (Barante, Hist. ducs Bourg.,t. 4, 1821-24, p. 284).J'accepte avec empressement l'offre que vous voulez bien me faire, et je vous envoie tous mes vœux de succès (Hugo, Corresp.,1867, p. 85).Augustin et moi, (...) nous pensons de la même façon là-dessus... Envoyez du blé en Russie, MmeCavrois. Envoyez vos blés d'Artois! (Adam, Enf. Aust.,1902, p. 65): 4. ... je vous expédie par mandat postal la somme de 128 fr. 30 dont vous voudrez bien m'envoyer quittance pour solde de tout compte.
Bloy, Journal,1903, p. 199. SYNT. Envoyer une carte postale, un journal, un télégramme, un bouquet de fleurs, une invitation, un défi, un contre-ordre, sa photographie; envoyer ses respects, ses cordialités; envoyer copie de qqc.; envoyer qqc. en poste restante. ♦ Loc. fam. Il ne le lui a pas envoyé dire. Il le lui a dit sans intermédiaire et sans détours. Rem. Attesté ds Lar. encyclop., Lar. Lang. fr. et Rob.; non attesté ds la documentation. ♦ Emploi pronom. réciproque. Ils s'envoyaient par un messager de confiance de tendres billets griffonnés à la hâte (Maurois, Ariel,1923, p. 189). − P. anal. Faire parvenir, adresser à quelqu'un un signe ou la manifestation d'un sentiment. Envoyer un coup d'œil, un bonjour, des sourires, des insultes. Envoyer un baiser. Embrasser sa main en la dirigeant vers la personne à qui est destiné le baiser. Il [Bois-Doré] avait envoyé à celui qu'il appelait maître Jovelin un de ces regards affectueux qui ressemblaient à des prières plus qu'à des ordres (Sand, Beaux MM. Bois-Doré,t. 1, 1858, p. 74).Bongrand, la face congestionnée, le geste inquiet, (...) leur envoya un salut (Zola,
Œuvre,1886, p. 147): 5. Du train où j'y allais, j'en serais peut-être à mon quinzième vers aujourd'hui si j'avais su me retenir de leur envoyer leurs quatre vérités, à ces cochons-là.
Aymé, Uranus,1948, p. 240. ♦ En partic. et fam. Envoyer une maladie à qqn. La lui communiquer. « Va-t-en, ma petite mère, lui dis-je, n'entre pas. Je ne veux pas envoyer ma rougeole à Caroline » (Sand, Hist. vie,t. 2, 1855, p. 305). ♦ Emploi pronom. réciproque. Et toutes deux (...) s'envoyèrent à pleine gueule des hottées d'injures (Maupass., Contes et nouv.,t. 1, En fam., 1881, p. 364). B.− [Le suj. désigne une force surnaturelle ou une chose animée d'une force; l'obj. désigne une chose concr. à la disposition du suj. ou inhérente à lui] Faire parvenir. La marmite de fer, où cuit un ragoût de crabes au riz et au safran, lui envoie [à Dorothée], du fond de la cour, ses parfums excitants (Baudel., Poèm. prose,1867, p. 118).Elle [la mer asiatique] envoyait ensuite sur l'Afrique un bras qui submergeait le Sahara septentrional (Lapparent, Abr. géol.,1886, p. 188).Ainsi Dieu avait, par la mort du petit Nicolas, envoyé le signe et le commandement sans réplique (Arnoux, Crimes innoc.,1952, p. 290). C.− Familier 1. Emploi abs. Envoyez! (souvent la chose que l'interlocuteur tient en main). Donner, passer quelque chose. 2. Emploi pronom. réfl. indir. a) S'envoyer un aliment, une boisson. L'avaler goulûment et avec plaisir. Et le madère que tu t'envoies, il te revient cher, celui-là? (Courteline, Le Madère,1897, p. 213).J'ai une de ces envies de m'envoyer une choucroute (Queneau, Pierrot,1942, p. 123). − Vulg. [En assimilant la pers. à une chose] S'envoyer une femme, un homme. Avoir des relations intimes. Son ami trouva qu'elle était [la petite bonne] bien roulée. « Tu es un petit veinard, conclut-il, à ta place, je me l'enverrais » (Sartre, Mur,1939, p. 191).Les prénoms en W sont rares. Il y a Wallis, comme la fille qui s'est envoyé un roi (H. Bazin, Bureau mariages,1951, p. 71). b) S'envoyer un travail. Le faire bon gré, mal gré. À présent, pisque je m'envoye la suite de l'ouvrage, la paix (Carco, Équipe,1919, p. 76).S'il ne veut pas monter sur le cadre, eh bien! il s'enverra les huit kilomètres à pied (Mauriac, Pharis.,1941, p. 63). − [Le suj. désigne une chose animée d'une force motrice] Accomplir, faire. Tu t'rappelles d'la camionnette de Pépito?... Pépito l'a réparée n'importe comment (...) Mais elle roule! Elle s'envoie son trente à l'heure sans sourciller (Fallet, Banl. Sud-Est,1947, p. 149). Prononc. et Orth. : [ɑ
̃vwaje], (j')envoie [ɑ
̃vwa]. Ds Ac. 1694-1932. Conjug. Comme aboyer. Mais au fut. de l'ind. et au prés. du cond. j'enverrai(s) (alors que aboierai(s)). Rappelons que enverrai(s) ne l'a emporté sur enveierai(s), envoyerai(s), envoirai(s) qu'au xviiies. (cf. Grev. 1964, § 670). Étymol. et Hist. 1. Ca 980 enveied « faire aller (quelqu'un, quelque part) » (Passion, éd. d'A. S. Avalle, 19); 2. ca 1165 « lancer » (Chr. de Troyes, Guillaume d'Angleterre, éd. M. Wilmotte, 398); 3. 1172 « faire parvenir (quelque chose à quelqu'un) » (Chr. de Troyes, Lion, 1621 ds T.-L.); 4. 1897 arg. pronom. en parlant d'une boisson, d'un repas, d'une femme (Courteline, loc. cit.). Du b. lat. inviare « marcher sur, parvenir ». Fréq. abs. littér. : 12 992. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 22 375, b) 27 212; xxes. : a) 15 591, b) 12 201. Bbg. Chautard (É.). La Vie étrange de l'arg. Paris, 1931, p. 276. − Condeescu (N. N.). Les Connexions sém. de envoyer paître et envoyer au peautre. Recueil d'ét. du IXeCongrès internat. de ling. rom. Bucarest, 1959, pp. 287-289. − Dat. Amis lex. fr. Lex. dern. 1975, no1, p. 2. − Hotier (H.). Le Vocab. du cirque et du music-hall en France. 1973, p. 51. − La Landelle (G. de). Le Lang. des marins. Paris, 1859, p. 132, 240, 277. |