| ENLACER, verbe trans. I.− Emploi trans. A.− Emploi concr. 1. Fréq. au passif. [Le compl. est souvent au plur.; les éléments enlacés sont identiques] Passer l'un dans l'autre, l'un autour de l'autre. Synon. entrecroiser, entrelacer. a) [Le compl. désigne des obj. longs et flexibles] Initiales, lettres enlacées. Enlacer des rubans l'un dans l'autre (Ac.). Les chiffres enlacés que liait l'entrelacs S'effacent chaque jour de la peau fine et blanche (Heredia, Trophées,1893, p. 100).Le vent (...) a pour mission en ce mois voluptueux d'enlacer les tiges et de rapprocher les cimes (Pesquidoux, Chez nous,1921, p. 140). b) P. anal. [Le compl. désigne des parties du corps hum. d'une ou de plusieurs pers.] Doigts, jambes, membres enlacé(e)s. Les deux jeunes femmes (...) avaient enlacé leurs mains (Feuillet, Onesta,1848, p. 394).M. Renan, les mains enlacées sur son ventre (Barrès, Renan,1888, p. 53). Rem. La docum. atteste un emploi fréq. au part. passé. 2. [Les éléments enlacés sont de nature différente; le compl. désigne un inanimé ou un animé, parfois une partie du corps] Entourer (généralement plusieurs fois); ceindre; maintenir serré. Une de mes jambes était enlacée dans des nœuds de liane que j'essayai vainement de rompre (Feuillet, Rom. homme pauvre,1858, p. 186, 187).Le col était garni d'un cordon de très fines plumes blanches (...) Toute la taille aussi était enlacée par une bordure de ce duvet (Maupass., Notre cœur,1890, p. 434).Il [un pauvre homme] nous montrait ses maigres jambes que le fouillis de sarments souples et de folles pousses enlaçait (Arène, Veine argile,1896, p. 52).Une mince plante grimpante enlace l'un des poteaux (Barbusse, Feu,1916, p. 180). Rem. On rencontre ds la docum. des emplois p. anal. [avec l'élément qui s'enroule autour d'un autre] a) [Le suj. désigne un subst. collectif] Se tenir autour de. Synon. cerner, encercler. Les deux autres armées tâcheraient de l'atteindre dans le Sud, Spendius par l'Orient, Mâtho par l'Occident, de manière à se rejoindre toutes les trois pour le surprendre et l'enlacer (Flaub., Salammbô, t. 2, 1863, p. 4). b) [Le suj. désigne une route, un chemin] Contourner. Le chemin que suivait le cheval d'Angélo frappa de la tête contre un de ces rochers en forme de voile latine, et il se mit à l'enlacer en direction d'un village dissimulé dans les pierres (Giono, Hussard, 1951, p. 25). − Spéc., CHARPENT. ,,Percer un trou à travers le tenon et les joues de la mortaise pour les assembler ensemble par une cheville`` (Mots rares 1965). 3. Fréq. au part. passé. [Le suj. désigne une pers. ou (un de) ses membres; le compl. désigne le corps, une partie du corps d'un animé ou plus rarement un inanimé] Tenir étroitement serré (entre les bras); passer un bras autour (de la taille ou des épaules). Lutteurs enlacés. Synon. étreindre.Enlacer quelqu'un dans ses bras (Ac.). Enlacé sur-le-champ et comme il avait désiré de l'être, ce téméraire s'arc-bouta sur ses jarrets d'acier, cambra l'échine, et les bras du Savoyard qui, selon toute vraisemblance, auraient dû lui briser les côtes, se détendirent instantanément (Cladel, Ompdrailles,1879, p. 202).Les ébrancheurs grimpaient le long du tronc. (...) ils l'enlacent d'abord de leurs bras (Maupass., Contes et nouv., t. 2, Pte Roque, 1885, p. 1034).Tout à coup, elles se prenaient à la taille [les danseuses javanaises], tournoyaient étroitement enlacées (Lorrain, Phocas,1901, p. 194). − En partic. Prendre, serrer dans ses bras; passer un bras autour de la taille ou du cou, pour marquer son amour, son affection (en accompagnant éventuellement ce geste de baisers). Enlacer qqn entre, de ses bras; enlacer la taille de qqn; enlacer qqn par le cou. (Quasi-)synon. embrasser, étreindre.« Viens à moi, pauvre enfant (...) Je t'enlacerai, je te soignerai » (A. Daudet, Jack,t. 2, 1876, p. 146).Soudain (...) des bras l'entourèrent (...) la princesse était toute nue et l'enlaçait (...) ce moine ricana comme un démon, en des trilles si inattendus de stridence que les bras qui l'étreignaient le lâchèrent (Péladan, Vice supr.,1884, p. 289): 1. ... elle se pencha sur lui, si près qu'il sentit sur son cou le chatouillement des cheveux. Alors brutalement il l'enlaça, et appuyant sur la tempe ses grandes moustaches, il la baisa d'un baiser furieux.
Maupassant, Contes et nouvelles,t. 1, Un Coq chanta, 1882, p. 811. Rem. On rencontre ds la docum. un emploi subst. masc. Des enlacés passent deux par deux (Rictus, Soliloques, 1897, p. 182). B.− Au fig. et p. métaph. [Le suj. désigne un lieu, une contrainte; le compl. une pers., sa destinée, sa vie, etc.] Exercer une contrainte, maintenir sous une étreinte morale. Synon. attacher, lier.Le curé Doulinet sanctionnait donc par sa faiblesse les fautes de sa pénitence, en y assistant; mais c'est qu'il avait été enlacé par toutes sortes de séductions (Duranty, Malh. H. Gérard,1860, p. 42).Il [l'orgueil] s'insinue si cauteleusement, si perfidement qu'il vous enlace et vous lie avant même que l'on ait pu soupçonner sa présence (Huysmans, Cathédr.,1898, p. 101): 2. ... la destinée de Lucie, l'influence qu'elle subit se rattachent probablement par des fils innombrables à cette conspiration de l'esprit rétrograde qui enlace la société, pour longtemps encore, de la base jusqu'au faîte.
Sand, Mllede La Quintinie,1863, p. 71. ♦ Enlacer par (ou plus rarement de) + subst.Stephen fut en proie à cette tristesse vague que cause le départ (...) d'un ami avec lequel on a enlacé sa vie par une habitude de tous les jours (Karr, Sous tilleuls,1832, p. 100).Elle [Lélia] m'enlaçait de ses cheveux noirs, de ses yeux noirs (Sand, Lélia,1833, p. 84). ♦ Enlacer dans + subst.Enlacer qqn dans un filet. Vous avez été trompé par les artifices de la cour (...) vous vous enlacez de plus en plus dans le piège qu'elle vous a tendu (Robesp., Discours,Sur la guerre, t. 8, 1792, p. 137): 3. ... l'homme est peu libre dans le choix de sa destinée! voici un enfant qui n'agit encore que par impulsion et imitation; et c'est à cet âge qu'on lui fait jouer sa vie; une puissance supérieure l'enlace dans d'indissolubles liens (...) et, avant qu'il commence à se connaître, il est lié sans savoir comment.
Renan, Souvenirs d'enfance et de jeunesse,1883, p. 309. Rem. On rencontre ds la docum. un ex. où le compl. est introd. par la prép. à. J'ai presque peur, en vérité, Tant je sens ma vie enlacée À la radieuse pensée Qui m'a pris l'âme l'autre été (Verlaine,
Œuvres compl., t. 1, Bonne chans., 1870, p. 128). II.− Emploi pronom. A.− Emploi réciproque 1. [Correspond à I A 1 a et b] S'entremêler, s'entrecroiser, s'entrelacer. Le concerto fini, les danses commencèrent. Les mains avec les mains en chaîne s'enlacèrent (Gautier, Prem. poés.,1830-45, p. 184).Les branches des taillis s'enlaçaient plus étroitement (Zola, Contes Ninon,1864, p. 24).Une bonne (...) jeta dans la cheminée (...) une brassée de menu bois. Alors ce fut un beau feu (...) et ces flammes dansaient, changeaient, s'enlaçaient, toujours plus hautes et plus gaies (Loti, Rom. enf.,1890, p. 5). − P. anal. Les petites rues descendaient, montaient, s'enlaçaient (Loti, Désench.,1906, p. 208). − P. métaph. [Au parloir des Madelonnettes], les conversations se mêlaient et s'enlaçaient pour produire la plus étrange confession (Joigneaux, Prisons Paris,1841, p. 171).Leurs esprits souples et brillants [de Nodier et Benjamin Constant], leurs sensibilités promptes et à demi brisées devaient du premier coup s'enlacer et se convenir (Sainte-Beuve, Portr. littér.,t. 1, 1844-64, p. 465). 2. [Correspond à I A 3] Se prendre mutuellement dans les bras, se tenir par la taille. Lutteurs qui s'enlacent. Synon. s'étreindre, s'embrasser.Des couples qui s'enlacent et tournoient, au son fracassant des cuivres (Huysmans, Art. mod.,1883, p. 506).Un couple très jeune (...) s'enlace et se désenlace, à moitié endormi (Alain-Fournier, Corresp.[avec Rivière], 1905, p. 14): 4. Cette monstrueuse ballade [Ballade à la Grosse Margot] où se tordent et s'enlacent tour à tour clients et tenancier, avec la même femme, est une des bases de l'œuvre villonesque.
Carco, Nostalgie de Paris,1941, p. 134. B.− Emploi à sens passif. S'enlacer à + subst.[Correspond à I A 2] Être enroulé autour de. Il suffit de l'instant turbulent où s'enlace Un corps à l'autre corps parmi des pleurs cuisants, Pour qu'aucun baume humain (...) n'efface Ce cachet qui va s'enfonçant (Noailles, Forces étern.,1920, p. 352).Elle [Adrienne Septmance] (...) épingle à son cou un nœud où le satin s'enlace à la dentelle (Colette, Mais. Cl.,1922, p. 104): 5. Le pavé romain pointait par places au travers de ces routes étroites, parfois recouvertes en voûte d'un berceau serré de verdure où la vigne s'enlaçait encore aux branches...
Gracq, Le Rivage des Syrtes,1951, p. 17. − P. anal. La route s'était enlacée autour d'une colline (Giono, Chant monde,1934, p. 105). − Au fig. Ces magnifiques allégories du Moyen Âge, où l'immortel grotesque s'enlaçait en folâtrant à l'immortel horrible (Baudel., Curios. esthét.,1867, p. 257).Plus le récit de Pascuali avançait d'un dimanche à l'autre plus il s'enlaçait, se nouait à mes propres aventures de la semaine (Cendrars, Bourlinguer,1948, p. 153). − [Sans compl. prép. à] Se tordre, faire des tours et des détours. Un chemin ouvre sa bouche au ras de la route. Il a dû ramper à travers bois et monter, et s'enlacer pour venir jusque-là (Giono, Regain,1930, p. 21). Rem. 1. On rencontre ds la docum. l'adj. enlaceur. Il [William] tâtait, machinalement, les doigts menus et enlaceurs, (...) et cette paume douillette (E. de Goncourt, Faustin, 1882, p. 208). 2. La plupart des dict. du xixeet xxes. enregistrent le subst. fém. enlaçure ou enlassure, charpent. ,,Assemblage d'une mortaise et d'un tenon avec des chevilles`` (Rob.). Prononc. et Orth. : [ɑ
̃lɑse], (j')enlace [ɑ
̃lɑ:s]. [ɑ] post. transcrit seul ds Pt Rob. s'explique dans l'inf. p. anal. avec la forme conjuguée dans laquelle a est sous l'accent. Land. 1834, Gattel 1841, Nod. 1844, Littré, DG, Dub., Lar. Lang. fr. transcrivent [a] ant. à l'inf. Passy 1914 et Warn. 1968 admettent les 2 prononc. Fér. 1768 note [ɑ] post. seulement devant syll. muette. Donc dans la forme conjuguée, enlace, où cet a est sous l'accent mais aussi dans enlacement. Enq. : /ãlas, (D)/(il) enlace. Le verbe est attesté ds Ac. 1694-1932. Conjug. Prend une cédille devant a et o : j'enlaçai(s), nous enlaçons. Étymol. et Hist. 1. 1119 « prendre dans les lacs » (Ph. de Thaon, Comput, 1790 ds T.-L. [ici au fig.] : pechiez Dunt il sunt enlaciez); 2. fin du xiies. « mettre autour de qqn » (Brut de Munich, 1972, ibid. : chascuns ses braz en l'autre enlace); 1214-27 « serrer dans ses bras » ([Manessier, Contin.] Perceval, 35616 ds T.-L.); 3. fin xiiies. « entrelacer » (Guillaume de Saint-Pathus, Miracles de Saint Louis, XXXIX, 33, éd. Percival B. Fay ds IGLF : estoient ses piez et ses jambes et ses genouz si enlaciez et joinz). Dér. de lacer*; préf. en-*. Fréq. abs. littér. : 706. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 772, b) 1 245; xxes. : a) 1 349, b) 863. |