| ENCHANTEMENT, subst. masc. A.− [Correspond à enchanter I A] 1. Action d'enchanter. Synon. ensorcellement, envoûtement.Il croyait avec une foi naïve à toutes les histoires de nécromancie et d'enchantement (Durry, Nerval,1956, p. 62).L'opération mystique de l'enchantement (Jankél., Je-ne-sais-quoi,1957, p. 102). ♦ [Suivi d'un compl. prép. de désignant l'auteur de l'enchantement] :
1. « ... je crois maintenant que (...) ces collines mobiles qui se déplaçaient sous nos pas, que ce plateau, que cette vallée, étaient déjà l'effet de l'enchantement des sirènes. »
Gide, Le Voyage d'Urien,1893, p. 23. − P. méton. Opérations magiques qui concourent à enchanter un être ou un objet, à opérer des prestiges. Formules, gestes d'enchantement. Dieu! j'ai lu que parfois des magiciens enlevaient au tombeau des corps qui, par la force de leurs enchantements, prenaient la ressemblance d'une personne vivante (Dumas père, Henri III,1829, I, 5, p. 132).D'autres disaient que le khan et ses mourzas s'occupaient à faire des enchantements pour évoquer les puissances infernales (Mérimée, Cosaques d'autrefois,1865, p. 179). − Loc. usuelles. Comme par enchantement, par enchantement. Rapidement et avec une facilité inattendue, comme par une opération magique. Et devant les cafés, des rangs de tables vertes Ont par enchantement poussé sur les trottoirs (Banville, Odes funamb.,1859, p. 59).Tout ce que cette crise malsaine avait pour ainsi dire extravasé dans mes sentiments les plus purs, tout cela se dissipa comme par enchantement (Fromentin, Dominique,1863, p. 197).Le père de Batouala étendit la main. Le tumulte s'apaisa par enchantement (Maran, Batouala,1921, p. 78): 2. ... il fit un pas vers la table, étendit son bras osseux, saisit la bourse avec une dextérité d'escamoteur et la fit disparaître comme par enchantement dans la profondeur de sa poche...
Gautier, Le Capitaine Fracasse,1863, p. 352. 2. Effets qui résultent du fait d'être enchanté, contraintes qui enchaînent l'être soumis à un enchantement. Je ne sais quel enchantement m'entraîne sur tes pas; j'erre autour de ton château (Chateaubr., Martyrs, t. 2, 1810, p. 91).Partout je sens, j'aspire, à moi-même odieux, Les noirs enchantements et les sinistres charmes Dont m'enveloppe encor la colère des Dieux (Heredia, Trophées,1893, p. 29): 3. galaad [au roi]. − Vous êtes le jouet d'un sortilège et d'une machination absurde (...) Vous viviez dans un enchantement mortel. Rien de vrai ne pouvait avoir lieu autour de vous.
Cocteau, Les Chevaliers de la Table Ronde,1937, I, p. 168. ♦ L'Enchantement du Vendredi Saint. Scène célèbre du Parsifal de Wagner, où l'on assiste notamment à la transfiguration de la nature. Il me suffisait, pour avoir la nostalgie de la campagne, qu'à côté des névés du manchon que tenait MmeSwann, les boules de neige (...) me rappelassent que l'Enchantement du Vendredi Saint figure un miracle naturel auquel on pourrait assister tous les ans si l'on était plus sage (Proust, J. filles en fleurs,1918, p. 635).P. anal. Un enchantement de Vendredi Saint (p. allus. à l'œuvre de Wagner en parlant d'une autre réussite artistique). Qu'elle [l'intelligence] se garde de troubler, qu'elle sache s'abandonner à cet enchantement de Vendredi-Saint, au ruisseau mélodieux d'amour et de beauté! (Rolland, Beethoven,t. 2, 1937, p. 392). ♦ [Suivi d'un compl. prép. de désignant l'être qui subit l'enchantement] Dernièrement on nous a récité le merveilleux enchantement de Tristan et d'Iseult (Barrès, Jardin Oronte,1922, p. 17). SYNT. Fatal, mystérieux enchantement; enchantement irrésistible, maléfique, surnaturel; être victime d'un enchantement; subir, succomber à un enchantement; briser, défaire, rompre un enchantement; un enchantement cesse, se dissipe, s'évanouit. B.− P. anal., au fig. 1. Pouvoir d'exercer sur l'homme une action mystérieuse et profonde analogue à un enchantement. Synon. attraction, fascination. a) [L'aut. de l'enchantement est une pers.] La spirituelle MmeHamelin (...) avait de piquantes railleries sur ce charme universel et cette faculté d'enchantement qu'on accordait à MmeRécamier (Sainte-Beuve, Cahiers,1869, p. 126). b) [L'aut. de l'enchantement est une chose] L'enchantement de la musique, de la poésie. La Grèce n'inspira pas seulement l'Europe, elle exerça sur elle une sorte d'enchantement et de fascination, elle l'enivra (Cousin, Hist. gén. philos.,1861, p. 276).Puis, je compris et m'abandonnai, les yeux fermés, aux enchantements de ma mémoire (Saint-Exupéry, Terre hommes,1939, p. 178): 4. Les enchantements de la lumière se raisonnent tout en gardant leur puissance d'enchantement, et cet enchantement joue et nous ravit, et en même temps la composition strictement calculée du tableau s'impose à notre intellect et le satisfait.
Cassou, Panorama des arts plastiques contemp.,1960, p. 29. 2. P. méton. Illusion exercée sur les sens ou l'esprit à laquelle on prête par analogie la force d'un enchantement : 5. Mais elle n'était satisfaite que lorsqu'elle les ramenait [les abstractions] aux preuves géométriques et incontestables, cherchant en toute chose à détourner et étouffer, sous la raison, tout charme, tout prestige et tout enchantement où elle se sentait trop vulnérable.
Vigny, Mémoires inédits,1863, p. 51. C.− P. ext. 1. Sentiment de satisfaction, de joie, d'une qualité exceptionnelle, qui saisit l'être et le transporte. Être dans l'enchantement, vivre dans l'enchantement, lire avec enchantement qqc. Elle ne put s'empêcher de sourire, et elle s'endormit l'âme remplie d'un enchantement nouveau (Flaub., MmeBovary,t. 1, 1857, p. 118): 6. ... il [Rousseau] ne goûte que cet enchantement d'être au monde, simplement, de voir, de respirer, de toucher, de sentir.
Mauriac, Mes grands hommes,1949, p. 101. 2. P. méton. a) Chose qui cause un vif plaisir. C'est un enchantement de farfouiller dans cet amas de livres et de journaux à emporter (Colette, Cl. école,1900, p. 24).Elle [Delphine] allait devant elle toute à la joie d'essayer des mots, de pratiquer des idées. Chaque expérience lui était un enchantement (Morand, Tendres stocks,1921, p. 81). − En partic. Chose dont la découverte suscite une surprise émerveillée. Marcher d'enchantement(s) en enchantement(s). J'ai vu en Espagne les ruines de Grenade, qui sont un véritable enchantement (Chateaubr., Corresp., t. 1, 1789-1824, p. 229). b) Rare. Caractère agréable d'une chose. Synon. charme (v. ce mot B 3).C'est l'enchantement des vieux quartiers aristocratiques d'être, à côté de cela, populaires (Proust, Prisonn.,1922, p. 116). Prononc. et Orth. : [ɑ
̃
ʃ
ɑ
̃tmɑ
̃]. Ds Ac. 1694-1932. Étymol. et Hist. 1121-34 (Ph. de Thaon, Bestiaire, éd. E. Walberg, 1620); 1559 enchantemens de la beauté et bonne grâce (Amyot, Anton., XXXI ds Littré). Dér. du rad. de enchanter*; suff. -(e)ment1*. Fréq. abs. littér. : 880. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 1 504, b) 1 182; xxes. : a) 968, b) 1 242. Bbg. Duch. Beauté 1960, p. 82, 84. − Dumonceaux (P.). Lang. et sensibilité au 17es. Genève, 1975, 509 p. |