| ENCHANTER, verbe trans. I.− Emploi trans. A.− Soumettre une personne ou une chose à l'action de charmes. Synon. charmer, ensorceler. 1. [Le compl. désigne un être vivant] a) Agir sur une personne au moyen d'opérations magiques de telle sorte qu'elle perde le sens de sa personnalité ou le contrôle de sa volonté. La fée Viviane enchanta l'enchanteur et le retint charmé dans un buisson d'aubépine (France, J. d'Arc,t. 1, 1908, p. 201): 1. Comme la voix des sirènes enchantait les compagnons d'Ulysse, de même je me sentis enchanté : Valérie me semblait être sur le rivage...
Krüdener, Valérie,1803, p. 152. b) [Le compl. désigne des animaux] Fasciner. Ses regards [du serpent] enchantent les oiseaux dans les airs (Chateaubr., Génie,t. 1, 1803, p. 114).Linus fut déchiré par des chiens enragés, mais Orphée enchantait les bêtes féroces (Barrès, Barbares,1888, p. 158). 2. [Le compl. désigne une chose] a) Douer de pouvoirs surnaturels. Interprétant ses propres œuvres il [Debussy] ne touchait pas l'étrange instrument aux doubles palettes d'ébène et d'ivoire : il l'enchantait (Suarès, Debussy,1936, p. 174). b) Exercer sur un objet une action surnaturelle de telle sorte qu'il perde ses vertus propres. On le voulait pendre [Jehosoua − Jésus] à du bois, mais tous les bois se rompirent, parce qu'il les avoit enchantés (Chateaubr., Ét. ou Discours hist.,t. 2, 1831, p. 340).En deux années le fossé fut achevé. Mais l'eau des lacs, enchantée par les Dragons, refusa d'y couler (Tharaud, Dingley,1906, p. 49). − En partic. [L'obj. désigne une douleur, un mal] Calmer comme par des formules magiques. Il est bien vrai que lorsqu'un homme est malade, il faut tâcher d'enchanter doucement le mal par des paroles puissantes, sans négliger néanmoins aucun moyen de la médecine matérielle (J. de Maistre, Éclairciss. sur sacrif.,1821, p. 310).Si j'avais une atteinte semblable, je vous demanderais hospitalité au val pour enchanter ma souffrance (M. de Guérin, Corresp.,1834, p. 178): 2. Et pour que vous le [A. Daudet] connaissiez mieux, pour que vous l'aimiez davantage, vous tous, petits ou grands dont il enchanta la misère (...) je vais laisser parler ces voix dont l'hérédité et l'affection paternelle ont empli mon âme respectueuse.
L. Daudet, A. Daudet,1898, p. X. B.− Au fig. 1. [Le compl. désigne une pers. ou une collectivité] a) P. anal. Séduire quelqu'un, exercer sur ses sens, son cœur, son esprit comme une emprise magique. Synon. envoûter, fasciner. − [Le suj. désigne une pers.] Il est vrai que si Rousseau enchanta son siècle, il lui fut en même temps insupportable (Mauriac, Gds hommes,1949, p. 75): 3. Vous ne vous connaissez pas, mon cher. Avec un peu de tenue, en six mois, vous enchanteriez une Anglaise de cent mille livres...
Balzac, Ursule Mirouët,1841, p. 120. − [Le suj. désigne une chose] Ses lettres l'enchantaient. L'enchantement tombait quand elle le voyait, chaque dimanche soir (Montherl., Lépreuses,1939, p. 1460): 4. ... voilà pourquoi cette langue, quand elle est bien parlée, foudroie l'homme comme la foudre (...) ou l'enchante comme un philtre, et le berce immobile et charmé...
Lamartine, Des Destinées de la poésie,1834, p. 387. ♦ Emploi abs. Comme Térence, avec qui il a plus d'une ressemblance pour le fond des sujets, il [l'abbé Prévost] a de ces grâces de diction et de ces finesses rapides qui enchantent (Sainte-Beuve, Caus. lundi,t. 9, 1851-62, p. 131).Tout ce mystère enchante, déçoit, ravit, excède tour à tour (Tharaud, Fête arabe,1912, p. 30). b) P. ext., usuel. Causer un vif plaisir à quelqu'un. (Quasi-)synon. ravir, réjouir, satisfaire; anton. décevoir.La raison est arrivée à Philippe un peu tard, mais elle est venue (...) sa conduite ici enchante monsieur Hochon, et il y jouit de la considération générale (Balzac, Rabouilleuse,1842, p. 546).L'œuvre des autres me dégoûte, la mienne ne m'enchante pas. Voilà ma force et ma faiblesse (Renard, Journal,1900, p. 603).Le mot bistro m'enchante. Je lui trouve un air guilleret (Ponchon, Muse cabaret,1920, p. 17): 5. Tout l'enchante, la neige et le printemps, le bruit de la fontaine, les cloisons de sapins, et ce grand pays vert qu'on voit de la fenêtre, sous l'arc d'une branche de noyer.
Chardonne, Éva,1930, p. 69. 2. [Le compl. désigne une chose] Embellir comme par l'effet d'une opération magique (un lieu, un moment). Le rossignol encore enchantera nos bois (Delille, Homme des champs,1800, p. 133).Notre maison enchantée par la magie de sa présence (Bourget, Actes suivent,1926, p. 31).Toute la légèreté, le printemps intérieur qui avait enchanté sa matinée, avait fait place à une torpeur maussade (Vailland, Drôle de jeu,1945, p. 36): 6. Eh bien! ce monde ainsi métamorphosé par la puissance de l'homme, cette nature qu'il a refaite à son image, cette société qu'il a ordonnée sur la règle du juste, ces merveilles de l'art dont il a enchanté sa vie, ne suffisent point à l'homme.
Cousin, Cours d'hist. de la philos. mod.,t. 1, 1847, p. 11. ♦ Emploi pronom. à sens passif. Devenir enchanté, tirer comme un enchantement de quelque chose. Chopin avait enfin reçu son piano, et les voûtes de la cellule s'enchantaient de ses mélodies (Sand, Corresp.,t. 2, 1812-76, p. 131): 7. ... toutes ces petites choses rattachées à quelques souvenirs, s'enchanteront des mystères de mon bonheur ou de la tristesse de mes regrets.
Chateaubriand, Mémoires d'Outre-Tombe,t. 4, 1848, p. 127. II.− Emploi pronom. (gén. au fig.). A.− Réciproque. Se communiquer réciproquement une profonde et vive satisfaction. Est-ce qu'on peut trop s'enchanter, trop se cajoler, trop se charmer? (Hugo, Misér.,t. 2, 1862, p. 643). B.− Réfl. Exercer sur soi comme un enchantement au moyen de quelque chose. Il [Beyle] est d'ailleurs très-fin et sagace quand il observe que l'ennui chez les Français, au lieu de chercher à se consoler et à s'enchanter par les beaux-arts, aime mieux se distraire et se dissiper par la conversation (Sainte-Beuve, Caus. lundi,t. 9, 1851-62, p. 311). C.− À valeur subjective. Tirer une rare satisfaction, une sorte de plaisir enivrant de quelqu'un ou de quelque chose. 1. [Le compl. est introd. par la prép. de] a) [De + subst.] − [Le compl. désigne une pers.] C'est qu'ici il [Rousseau] ne pense pas à nous convaincre, il écoute son cœur, s'enivre de souvenirs, s'enchante de lui-même (Mauriac, Gds hommes,1949, p. 70). − [Le compl. désigne une chose] Avant que Bergson l'eût introduit [Péguy] dans une philosophie qui est faite, si l'on peut dire de beaucoup de silence et d'oreille penchée sur soi-même il s'était enchanté des grandes constructions hégéliennes (Tharaud, Péguy,1926, p. 3): 8. ... elle [Françoise] connaissait bien cette tendre tyrannie. Xavière ne cherchait pas le plaisir d'autrui, elle s'enchantait égoïstement du plaisir de faire plaisir.
Beauvoir, L'Invitée,1943, p. 140. b) [de + inf.] Tous s'enchantaient de pouvoir paisiblement dormir près de l'aire (Kahn, Conte or et sil.,1898, p. 141). 2. [Le compl. est introd. par la prép. à] Rare. a) [à + subst.] Pour moi, c'est lire sans comprendre que de s'enchanter aux cadences et aux sonorités d'un texte sans égard à la signification des mots (Aymé, Confort,1949, p. 37). b) [à + inf.] M. de Charlus s'enchantait à raconter des mots involontairement typiques (Proust, Temps retr.,1922, p. 766). Rem. La docum. atteste chez A. de Noailles l'emploi adj. du part. prés. enchantant, ante. Qui a la vertu d'un enchantement. Synon. rare de enchanté* II B 1. − Mon désir, mon soupir, ont la forme aujourd'hui De l'absente, lointaine, enchantante colline (Ombre jours, 1902, p. 163). Prononc. et Orth. : [ɑ
̃
ʃ
ɑ
̃te], (j')enchante [ɑ
̃
ʃ
ɑ
̃:t]. Enq. : /ã
ʃãt/ (il) enchante. Ds Ac. 1694-1932. Étymol. et Hist. 1121-34 « soumettre à un pouvoir magique » (Ph. de Thaon, Bestiaire, éd. E. Walberg, 1621); 1228 part. passé « sous le charme » (ici de la joie et du bonheur) (J. Renart, Guillaume de Dole, éd. F. Lecoy, 3439). Empr. au lat. imp.incantare « chanter des formules magiques; consacrer par des charmes; ensorceler ». Fréq. abs. littér. : 791. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 1 060, b) 721; xxes. : a) 996, b) 1 471. Bbg. Duch. Beauté 1960, pp. 81-84. |