| EMMENER, verbe trans. I.− Mener avec soi, d'un endroit dans un autre. A.− [L'obj. désigne un être vivant, homme ou animal] 1. [Le suj. désigne une pers.] Emmener qqn en voiture, en auto. Par redondance. Emmener qqn avec soi. a) [Avec un compl. de lieu, ou un adv., précisant la destination] Emmener qqn au restaurant, au théâtre, en voyage, en vacances; emmener à l'écart : 1. ... il [M. Rosenthal] leur demanda :
− vous avez fait une bonne promenade?
− excellente, répondit Catherine, mais votre fils m'a emmenée chez des gens impossibles.
Nizan, La Conspiration,1938, p. 141. − [Avec un inf.] Emmener qqn (à) dîner, (à) déjeuner, (se) promener. Il [Mirbeau] l'a [Jaurès] emmené voir, à Épinal, un Rembrandt, merveilleux, mon cher! (Renard, Journal,1908, p. 1206). − [Avec un attribut de l'obj.] Emmener qqn prisonnier. Moi-même, j'ai été emmenée esclave (FranceClio,1900, p. 13). b) [Sans indication de la destination; parfois le lieu de départ est précisé] Emmener de, hors de.Quand on demandait du lait à un fermier, il maudissait les Cosaques qui avaient emmené ses vaches (Maurois, Ariel,1923, p. 174): 2. Malgré moi je songe à ce regard de douce pitié que Clélia laissa tomber sur moi lorsque les gendarmes m'emmenaient du corps de garde; ce regard a effacé toute ma vie passée.
Stendhal, La Chartreuse de Parme,1838, p. 302. − [Avec méton. de l'obj.] :
3. ... la bonne société se mit à remonter vers le nord, emmenant avec elle ses théâtres, ses boutiques, ses clubs (...) et les premiers hôtels.
Morand, New-York,1930, p. 116. Rem. Lorsque l'obj. désigne une pers. incapable de se déplacer, on emploie d'ordinaire le verbe emporter*. Il l'a emmené [le général]? − Oh! emmené! Presque emporté. Le général était raide à ne pas pouvoir se tenir (Richepin, Césarine, 1888, p. 319). On rencontre cependant qq. ex. où l'emploi du verbe emmener s'apparente à un euphém. J'étais reparti, emmenant blotti contre moi ce paquet de chair sans âme (...) je pensais : dort-elle? (Gide, Symph. pastor., 1919, p. 880). c) Arg. ,,Trahir, faire marcher`` (Esn.). Des tronches à la manque à emmener le travailleur. De sales physionomies capables de dénoncer le voleur (Rigaud, Dict. arg. mod.,1881, p. 146). − Loc. fam. Emmener à la campagne; emmener à pied et à cheval. Se moquer de, envoyer promener, ne tenir aucun compte de. Synon. trivial emmerder.Je me moque de tes je t'assure, je les emmène à la campagne, tes je t'assure (Verlaine,
Œuvres posth.,t. 1, Histoire comme ça, 1896, p. 328): 4. Il me répondit (...) d'aller me rhabiller. J'insistai, toujours poli (...) on me fit savoir aussitôt que, de toute manière, on m'emmenait à pied et à cheval.
Camus, La Chute,1956, p. 1500. d) Emploi pronom., fam., pop. Arriver, venir dans un endroit, ou en partir. Des gens s'emmenaient encore devant des tableaux, dont les sujets seuls frappaient et retenaient le public (Zola,
Œuvre,1886, p. 334).« Ah! si je pouvais ne pas m'emmener! » (Gide, Faux-monn.,1925, p. 1032). ♦ S'emmener qqn.Emmener, prendre quelqu'un avec soi [Le jeune S.] quand y voit qu'on se l'emmène pas [au spectacle] (Musette, Cagayous et Pickman,1909, p. 8). 2. [Le suj. désigne une chose animée de mouvement, au propre ou au fig.] Train, voiture qu'emmène des passagers. Quand l'été emmenait M. de Lamartine à Saint-Point, ils [V. Hugo et lui] s'écrivaient (MmeV. Hugo, Hugo,1863, p. 34).C'est la charrette de MmeFollet qui nous emmène et qui nous ramène (Colette, Mais. Cl.,1922, p. 106). Rem. Dans l'ex. suiv., l'emploi du verbe emmener représente un écart p. rapport à amener* qui est attendu : 5. Un ancien souvenir n'a pas plus de détours et de plus étranges passages que le chemin qui, par une suite de cours, de grottes et de corridors, m'a emmené où je suis.
Claudel, Connaissance de l'Est,1907, p. 61. − P. euphém. [Le suj. désignant la mort ou la cause de la mort] Enlever à la vie, faire mourir. Synon. emporter, enlever.Ils [ceux qu'on va fusiller] sont étrangers à tout ce qui se passe; Ils regardent la mort qui vient les emmener (Hugo, Année terr.,1872, p. 319).C'est l'hémorragie qui s'est décidée, mais alors abondante, interne, massive. Elle l'a emmené (Céline, Voyage,1932, p. 615). Rem. On rencontre ds la docum. un emploi du verbe emmener au sens de « enlever », avec un obj. désignant une chose abstr. Mais qu'attendre donc? Il a fait jour, et aujourd'hui nous a emmené l'espoir (Claudel, Tête d'Or, 1890, 2epart., p. 50). B.− [L'obj. désigne une chose; le suj. désigne une pers.] 1. [une chose susceptible de mouvement, ou une chose inerte mais non portée] On emmenait des chariots, on poussait les canons à bras avec des hommes toujours à califourchon sur les gueules (Van der Meersch, Invas. 14,1935, p. 422): 6. ... derrière ce grand Issaac à notre tête qui emmène sa poutre, apprenons, nous aussi, petites fourmis, à charrier notre fétu...
Claudel, Un Poète regarde la Croix,1938, p. 58. 2. [une chose que l'on tient à la main, ou que l'on transporte par un moyen quelconque] Emporter. J'emmène tout le pèze dans ma poche (Céline, Mort à crédit,1936, p. 516). Rem. L'emploi de emmener avec un tel compl. peut être entraîné par la présence d'un premier compl. désignant une pers. Il a trouvé ma nièce seule, qui est une fort belle garce, et il a su si bien la prêcher qu'il a pu l'emmener avec ma bourse et mes affaires (Camus, Esprits, 1953, p. 489). 3. VÉN. [Le suj. désigne un chien] ,,Chasser franchement`` (E.V.F. ds Duchartre 1973), c'est-à-dire s'engager sans hésitation sur les traces de l'animal poursuivi. Synon. emporter la voie. II.− P. ext. A.− Entraîner à sa suite, dans son mouvement, dans son élan. On entraînait tout, on balayait tout, on emmenait avec soi toute la foule sur son passage (Van der Meersch, Invas. 14,1935, p. 422): 7. La tête du serpent disparut derrière l'épaule [d'une actrice], emmena le corps dans l'indicible progression aphidienne...
Colette, Paysages et portraits,1954, p. 209. − P. plaisant. Elle emmenait ses fesses avec une majesté monstrueuse (Aragon, Beaux quart.,1936, p. 446). B.− 1. Entraîner à sa suite, en exerçant une autorité, une influence ou un ascendant. Il disparut de la chapelle, l'âme emmenée par celles des autres, hors du monde, loin de son charnier, loin de son corps (Huysmans, En route, t. 2, 1895, p. 54): 8. La cavalerie légère d'Arménie venait se joindre aux irrésistibles escadrons des Gaulois et des Espagnols qu'emmenait Antoine;
Michelet, Hist. romaine,t. 2, 1831, p. 316. Rem. On rencontre ds la docum. un ex. du syntagme emmener la chasse, au sens de « mener la chasse ». À travers les forêts le chevreuil emmène la chasse (Florian, Fables, 1792, p. 111). 2. Transporter en esprit, conduire par la pensée ou par l'imagination. Nos pensées (...) nous emmènent dans une rêverie incohérente (Alain, Propos,1929, p. 829).Le pauvre Jeuselou les emmenait au pays de son délire (Pourrat, Gaspard,1931, p. 242): 9. La nouveauté d'une douleur errante qui ne savait encore où se poser, emmenait Michel... vers la jeunesse d'Alice et la sienne...
Colette, Duo,1934, p. 82. Rem. On rencontre ds la docum. les dér. a) Emmènement, subst. masc. Fait d'être emmené. L'emmènement de Colette par son mari (Goncourt, Journal, 1883, p. 287). b) Emmeneur, euse, adj. Qui emmène. Il appelait le fiacre emmeneur, cet Alcibiade, le corbillard de la lettre de change (Id., ibid., 1852, p. 75). Prononc. et Orth. : [ɑ
̃mne], (j')emmène [ɑ
̃mεn]. Enq. : /ãmen/ (il) emmène. Ds Ac. 1694-1932. Conjug. Change [ə] muet du rad. en [ε] ouvert, écrit è accent grave, devant syll. muette. Comparez (r)emmener (2 m) avec (r)amener, remener (1 m). Étymol. et Hist. Ca 1100 trans. em meinet « mener hors du lieu où l'on est, en quelque autre lieu » (Roland, éd. J. Bédier, 2817); 1155 [ms. P xiiies.] enmener (Wace, Brut, éd. I. Arnold, 305); 1831 « (d'un chef) conduire avec autorité » (Michelet, supra ex. 8); 1839 fig. (Sand, Lélia, p. 378 : Je me suis laissé emmener par elle [la vertu]); 1853 « transporter par la pensée, l'imagination » (Du Camp, Mém. suic., p. 124 : Je restai libre de suivre les pensées qui m'emmenaient bien loin). Dér. de mener* « conduire en un lieu »; préf. en-*. Fréq. abs. littér. : 3 929. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 3 423, b) 7 040; xxes. : a) 6 812, b) 5 916. Bbg. Pamart (P.), Écriture artiste et créations verbales. Vie Lang. 1970, p. 305.- Pinchon (J.). Quest. de vocab. Fr. Monde, 1968, no60, pp. 53-54. |