| EFFRAYER, verbe trans. A.− [Le compl. désigne toujours un animé, au moins p. méton.] 1. Frapper, remplir de frayeur, d'effroi. Effrayer des oiseaux, un cheval; effrayer l'ennemi; effrayer les timides, les peureux; effrayer l'imagination (de qqn); effrayé par des menaces; effrayer et rassurer. C'est le présent qui m'effraie, oh! sans m'épouvanter (Verlaine,
Œuvres compl.,t. 4, Louise Leclercq, 1886, p. 164): 1. Cinq ou six pêcheurs... épient le poisson qu'autour d'eux les rabatteurs effrayent en frappant l'eau à grands coups de gaule.
France, Pierre Nozière,1899, p. 203. 2. ... les uns et les autres débouchent sur la révolution qui les aurait peut-être effrayés si elle leur avait été décrite et représentée.
Merleau-Ponty, Phénoménologie de la perception,1945, p. 508. − P. allus. littér. (aux Pensées de Pascal) : 3. Et les humains, de milles manières, ne s'efforcent-ils pas de remplir ou de rompre le silence éternel de ces espaces infinis qui les effraye?
Valéry, Eupalinos,1923, p. 112. 2. [En parlant d'une action, d'un comportement] a) Provoquer de l'appréhension, du tourment, du découragement chez. Un examen qui effraie; effrayé par la perspective (de faire qqc.). Il devrait faire la conversation, et cela l'effrayait beaucoup (Montherl., Célibataires,1934, p. 783).Quand le plaisir m'effrayait, son sourire me rassurait (Beauvoir, Mandarins,1954, p. 46): 4. ... c'est moi qui vous fais peur en vérité, Tirésias, moi qui vous effraye. Je le vois écrit en grosses lettres sur votre visage.
Cocteau, La Machine infernale,1934, III, p. 107. b) Mettre en défiance. Synon. effaroucher.[Elles] évitent les trivialités qui effraient les jeunes gens (Vailland, Drôle de jeu,1945, p. 111): 5. Rodolphe se mit à lui parler de son amour. Il ne l'effraya point d'abord par des compliments. Il fut calme, sérieux, mélancolique.
Flaubert, Madame Bovary,t. 1, 1857, p. 182. c) Surprendre grandement. Synon. choquer : 6. À cette époque, il [Bodard de Saint-James] faisait construire à Neuilly sa célèbre Folie, et sa femme achetait pour couronner le dais de son lit, une garniture de plumes dont le prix avait effrayé la reine.
Balzac, Sur Catherine de Médicis,Les Deux rêves, 1830, p. 345. B.− Emploi pronom. 1. réfl. Être saisi de frayeur, s'étonner de. a) S'effrayer à.S'effrayer au bruit du canon. L'oiseau qui marche dans l'allée S'effraie et part au moindre bruit (Gautier, Émaux,1852, p. 61). b) S'effrayer de.S'effrayer de peu de chose, s'effrayer du résultat : 7. ... il y avait entre eux un attrait physique trop vif, et le jeune homme s'était effrayé de l'intensité de leurs baisers.
Beauvoir, Mémoires d'une jeune fille rangée,1958, p. 233. 2. réciproque. J'oubliais de vous faire observer que le résultat de ces préparatifs immenses pourra fort bien être le repos, car les deux chefs [Alexandre et Napoléon] s'effraieront mutuellement (J. de Maistre, Corresp.,t. 4, 1811-14, p. 115). Prononc. et Orth. : [efʀ
εje] ou p. harmonis. vocalique [efʀeje], (j')effraie [efʀ
ε] ou (j')effraye [efʀ
εj]. Transcrit avec [ε] ouvert à l'initiale sous l'influence des lettres redoublées [εfʀ
εje] ds Littré, Barbeau-Rodhe 1930 et à titre de var. ds Warn. 1968. Littré rappelle que d'apr. Chifflet on prononçait [efʀaje]. C'est à cause de cette prononc. que Fér. 1768 souligne ,,y a la valeur de deux i, dont l'un se joint à l'e qui précède, et l'autre à celui qui suit`` et que Fér. Crit. t. 2 1787 considère comme mauvaises les graph. efraïant, effraïant de Richelet et du P. Follard parce que ,,cette orthographe induit à prononcer éfra-ian contre l'usage``. Dans l'a. fr. esfreier e et ai peuvent permuter pour figurer le son [ε] ouvert : esfraier. Mais devant yod la graph. ai se prononçant [aj] prête à confusion dans la prononc. Conjug. cf. balayer et bégayer. Enq. : /efʀe, (D)/ (il) effraie. Le verbe est admis ds Ac. 1694-1932. Étymol. et Hist. 1. Fin du xes. esfreder « troubler, inquiéter (proprement « faire sortir de l'état de tranquillité ») » (Passion, éd. D'A. S. Avalle, 191); ca 1100 esfreer (Roland, éd. J. Bédier, 438); 2. ca 1155 esfreier « remplir de frayeur » (Wace, S. Nicolas, éd. E. Ronsjö, 1185); début xives. effroyer (Macé de La Charité, Bible, éd. J. R. Smeets, 10871). Du b. lat. *exfridare, lui-même dér., avec le préf. lat. à valeur privative ex-, de l'a. b. frq. *fridu « paix », cf. a. h. all. fridu (Graff t. 3, col. 788), all. Friede, de même sens; esfreier, effroyer d'apr. esfrei, effroi*. On trouve en lat. médiév., dans le domaine angl., exfrediare « troubler » (ca 1115 ds Nierm.). Fréq. abs. littér. : 2 159. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 3 762, b) 3 651; xxes. : a) 2 544, b) 2 480. Bbg. Dauzat Ling. fr. 1946, p. 216. − Ducháček (O.). La Tendance de motivation et la conscience étymol. Wissenschaftliche Zeitschrift der Humboldt-Universität zu Berlin. 1969, t. 68, p. 703. − Scivoletto (N.). Francése effrayer. Giornale italiano di filologia. 1960, t. 13, pp. 106-108. |