| DUPE, subst. fém. et adj. A.− Personne qu'on a trompée intentionnellement et facilement ou qui se laisse facilement abuser. Jouer dans une affaire un rôle de dupe; être la dupe des escrocs : 1. Si je ne tue pas ma femme, et que je la chasse avec ignominie, elle a sa tante à Besançon, qui lui donnera de la main à la main toute sa fortune. Ma femme ira vivre à Paris avec Julien; on le saura à Verrières, et je serai encore pris pour dupe.
Stendhal, Le Rouge et le Noir,1830, p. 126. 2. Ce sont vos ennemis autant que le sont aujourd'hui ces soldats allemands qui gisent ici entre vous, et qui ne sont que de pauvres dupes odieusement trompées et abruties, des animaux domestiques...
Barbusse, Le Feu,1916, p. 376. 1. P. allus. hist. La journée des dupes. Jour où Richelieu que ses ennemis croyaient disgracié reprit son autorité auprès du roi Louis XIII. Assuré de l'appui de Louis XIII après la « Journée des dupes », Richelieu n'en eut pas moins à combattre les intrigues et les cabales auxquelles le frère du roi se prêtait (Bainville, Hist. Fr.,t. 1, 1924, p. 208). 2. Loc. usuelles ♦ Un jeu de dupes. Situation où quelqu'un est trompé. ♦ Un marché de dupe(s). Marché, contrat où quelqu'un est trompé. Faire un marché de dupes : 3. Monsieur tenait à madame qui avait l'argent, madame se cramponnait à monsieur qui avait le nom et le titre. Mais, comme, dans le fond, ils se détestaient, en raison même de ce marché de dupe qui les liait, ils éprouvaient le besoin de se le dire, de temps à autre, ...
Mirbeau, Le Journal d'une femme de chambre,1900, p. 348. ♦ Un métier de dupe. Une activité où l'on est trompé. Il fut conclu, à l'unanimité, (...) que payer la mort par l'honneur dans une bataille était un véritable métier de dupe (Janin, Âne mort,1829, p. 125). ♦ Faire des dupes. Abuser sciemment de la crédulité d'un certain nombre de personnes pour les tromper, leur soutirer de l'argent, etc. : 4. ... les charlatans de tout acabit, fabricants de fausse monnaie, illuminés, empoisonneurs, escrocs et faux alchimistes foisonnèrent pendant des siècles. Surgissant brusquement dans un pays, ils en disparaissaient pour reparaître ailleurs, faisant des dupes et abusant les crédules de la manière la plus éhontée.
Caron, Hutin, Les Alchimistes,1959, p. 47. 3. Loc. invar. [Avec un compl. exprimant un aspect de la personne humaine] Être la dupe de. Être la dupe de la flatterie, des belles paroles; être la dupe de son cœur, de sa bonne foi. Être facilement trompé par la flatterie, etc. Puis à la fin, oh! Bien à la fin toujours, lorsque, après avoir eu beau nous mettre de triples bandeaux sur les yeux, nous nous apercevons que nous sommes nous-mêmes la dupe de nos erreurs, nous chassons la misérable qui la veille a été notre idole (Murger, Scènes vie boh.,1851, p. 262). − Spéc. Être la dupe de soi-même. Je suis dangereuse, et d'autant plus perverse que c'est avec bonne foi. La vérité de ma nature est d'être fausse. Je suis ma première dupe (Gobineau, Pléiades,1874, p. 224). Rem. ,,Dupe, bien que se rapportant à un nom ou à un pronom au plur. reste au sing. quand il s'agit d'un seul et même moyen employé pour tromper. Nous fûmes la dupe de son stratagème. Il se met au plur. quand il s'agit de duperies successives. Nous fûmes les dupes de ses stratagèmes`` (Littré). Cette règle, difficile d'ailleurs à vérifier, ne paraît pas toujours respectée. Les auteurs de confessions ou de souvenirs ou de journaux intimes sont invariablement les dupes de leur espoir de choquer; et nous, dupes de ces dupes (Valéry, Variété II, 1929, p. 105). Il semble que la règle soit celle-ci : être la dupe de reste invariable quand on l'emploie avec sa valeur de locution stéréotypée, et de ce fait d'expressivité atténuée; dès que dupe reprend la vigueur d'un subst. à sens plein, il s'accorde en nombre avec le suj. de la phrase (cf. Valéry, loc. cit.). B.− Emploi adj. [Uniquement dans la fonction d'attribut] 1. Être dupe a) de qqn : 5. Enjôleuse, comme elle savait l'être, elle n'eut pas de peine à faire parler Olivier. Personne n'était plus clairvoyant que lui et moins dupe des gens, quand il en était loin; personne ne montrait plus de confiance naïve, quand il se trouvait en présence de deux aimables yeux.
Rolland, Jean-Christophe,Dans la maison, 1909, p. 1013. b) de qqc.Être dupe d'un mensonge, de belles paroles, d'une promesse, d'une ruse. Les hommes sont facilement dupes de ce qui flatte leur orgueil et leurs désirs; et un artiste est deux fois plus dupe qu'un autre homme, parce qu'il a plus d'imagination (Rolland, La Révolte,1907, p. 427). 2. Emploi abs. Il n'est pas si dupe que vous pensez (Ac.1835-78).Il se renseigne minutieusement sur les prix. Il n'entend ni être dupe ni duper (Pesquidoux, Chez nous,1923, p. 219). Prononc. et Orth. : [dyp]. Ds Ac. 1694-1932. Ds les éd. de 1694 et 1718 également s.v. duppe. Étymol. et Hist. 1426 duppe « personne qui se laisse facilement tromper » (A. N. JJ 173, pièce 456 ds Du Cange, s.v. duplicitas); 1656 être dupe (Pascal, 2eProvinciale, éd. L. Lafuma, Œuvres complètes, p. 376a). Emploi de dupe « huppe » (Rabelais, II, 12 ds Hug. et dès le xves. [« plumage de huppe » (Cartulaire de Flines, p. 918, Hautecœur ds Gdf.)] en raison de l'aspect stupide de cet oiseau; dupe est formé de huppe* (lat. upupa d'orig. onomatopéique) et de d d'orig. également onomatopéique (v. H. Schuchardt ds Z. rom. Philol., t. 15, p. 99). Fréq. abs. littér. : 1 227. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 1 938, b) 1 301; xxes. : a) 1 660, b) 1867. Bbg. Darm. Vie 1932, p. 156. − Dauzat Ling. fr. 1946, p. 293, 299. − Gohin 1903, p. 335. − Horning (A.). Zur Wortgeschichte. Z. rom. Philol. 1897, t. 21, p. 454. − Sain. Arg. 1972 [1907], p. 106, 147, 258, 276. − Sain. Sources t. 1 1972 [1925], p. 335, 364. |