| DOMPTER, verbe trans. I.− A. Vieilli ou littér. [Le compl. d'obj. désigne un groupe de pers. défini historiquement ou socialement] 1. HIST. Soumettre, par la force, (un peuple barbare) à son autorité politique. Dompter et civiliser les barbares. Synon. assujettir, asservir.César voulait (...) dompter les Parthes, et renouveler la conquête d'Alexandre (Michelet, Hist. romaine,t. 2, 1831, p. 279): 1. Charles représentera l'ordre et la sécurité. Il a déjà battu les agitateurs neustriens : la légalité est rétablie. Il dompte encore les Saxons, toujours prêts à se remuer et à envahir.
Bainville, Histoire de France,t. 1, 1924, p. 31. 2. P. ext. a) Réduire à l'obéissance. Synon. mater.Dompter la grève (Aragon, Beaux quart.,1936, p. 29).La Vendée n'était pas complètement domptée et on ne pouvait douter que les coalisés, au printemps, feraient un nouvel effort (Lefebvre, Révol. fr.,1963, p. 384): 2. ... par manque d'autorité naturelle, on cherche à régner par la terreur. On perd prise, et bientôt plus rien ne suffit à dompter le mécontentement grandissant des indigènes, souvent parfaitement doux, mais que révoltent et poussent à bout les injustices, les sévices, les cruautés.
Gide, Voyage au Congo,1927, p. 693. b) P. anal. [Le compl. d'obj. désigne une pers. ou un groupe de pers.] Exercer un fort ascendant sur (quelqu'un). Synon. subjuguer.Quand on aime éperdûment, n'est-on pas esclave, et ne sais-tu pas qu'un mot de toi me dompte et m'enchaîne? (Sand, Consuelo,t. 2, 1842-43, p. 222).Jamais Réjane n'a été plus grande actrice, plus acclamée, plus maîtresse d'un public complètement dompté (Goncourt, Journal,1892, p. 209). − P. ext. Dompter les cœurs. Le chant (...) ouvre son large essor Et prend les cœurs domptés en ses doux liens d'or (Banville, Exilés,1874, p. 47). B.− Usuel. [Le suj. désigne une pers.; le compl. d'obj. un animal] Amener (un animal sauvage) à l'obéissance, en brisant généralement par des méthodes violentes sa résistance. Dompter des taureaux, des lions. On ne dompte les chevaux que par la faim, le défaut de sommeil et le sucre! (Balzac, Cous. Bette,1846, p. 335).Ainsi que ces jeunes cavales qu'il faut dompter par l'usure, avant qu'elles se résignent au harnais (Zola, Bête hum.,1890, p. 260): 3. Aux premiers temps, les généraux vainqueurs, quand ils rentraient à Rome, avaient le corps peint en vermillon. Et ne signifiaient-ils pas leur puissance sous la forme de bêtes sauvages attelées à leur char, comme la signifiaient en domptant de pareilles bêtes les tueurs de taureaux?
Montherlant, Les Bestiaires,1926, p. 564. II.− Au fig. et littér. A.− [Le compl. d'obj. désigne un élément naturel, une force de la nature] Rendre inoffensif ou utilisable. Dompter les fleuves, les forces de la nature. Synon. maîtriser, domestiquer.La déesse rentra dans la forge du dieu, Elle le vit, de loin, qui, selon sa coutume, domptait les durs métaux, penché sur son enclume (Bouilhet, Dern. chans.,1869, p. 140).Il [l'homme] a dompté la mer fougueuse, il a dompté la foudre, et les torrents servent sa volonté (Ch. Guérin, Cœur solit.,1904, p. 112): 4. Jamais il [l'homme] n'a eu autant de possibilités qu'aujourd'hui de se rendre maître et possesseur de la nature, de la dompter, de l'acclimater, de la civiliser, de l'organiser, de la discipliner.
Lacroix, Marxisme, existentialisme, personnalisme, présence de l'éternité dans le temps,1949, p. 27. − P. anal. Dompter le hasard, la mort. Les moyens de dompter l'inexorable maladie manquèrent (Huysmans, À rebours,1884, p. 132).Admire comme Courtial, mon enfant, va terrasser, dompter, contraindre, enchaîner, soumettre la rebelle fortune! (Céline, Mort à crédit,1936, p. 589). B.− [Le compl. d'obj. désigne une entité psychique] 1. [Dans le domaine de la mor., le compl. désignant une force psychique considérée comme moralement dangereuse ou mauvaise] Briser, se rendre maître de. Dompter ses passions, ses désirs. Elle chercha d'abord à dompter sa chair par les veilles. Nous avons vu avec quelle sévérité persévérante elle savait se mortifier sur ce point (Montalembert, Ste Élisabeth,1836, p. 46).Plus nous sommes civilisés, intelligents, raffinés, plus nous devons vaincre et dompter l'instinct animal qui représente en nous la volonté de Dieu (Maupass., Contes et nouv.,t. 1, Inutile beauté, 1890, p. 1160): 5. Votre silence de Toul m'a fait abjurer la coquetterie. Hé bien! vos nouveaux torts envers moi me feront chercher à dompter les défauts qui vous ont déplu en moi.
Staël, Lettres inédites à Louis de Narbonne,1794, p. 225. 2. [Le compl. désigne une faculté physique, intellectuelle, artistique considérée comme excessive ou désordonnée] Discipliner. − [Le suj. désigne une pers.] Je suis parvenu à dompter l'humeur vagabonde de ma pensée, assez pour l'astreindre à un travail à peu près régulier et resserrer dans un cadre mon existence qui se dissipait dans un champ sans limites (M. de Guérin, Corresp.,1832, p. 46).La force tendue de son lyrisme dompte et entraîne tout (Faure, Hist. art,1914, p. 430).Dompter une mémoire indocile (Duhamel, Désert Bièvres,1937, p. 121). − [Le suj. désigne une chose concr. ou abstr.] Plus rarement. Les circonstances, de longues inquiétudes, une fortune gênée me paraissent avoir dompté en elle ce décousu, cette activité sans but (Constant, Journaux,1804, p. 87). 3. [Le compl. désigne une sensation, un sentiment pénible] Dominer, maîtriser. Dompter une douleur, une émotion, une peur, une colère, un dégoût, un chagrin; dompter sa timidité, son orgueil. Cet autre [Pascal] domptait un mal de dent par des recherches sur la cycloïde (Mounier, Traité caract.,1946, p. 77): 6. Pour moi, je ne puis m'empêcher d'admirer la présence d'esprit de ce médecin, son courage à dompter toute répugnance physique (car enfin les draps où il s'est inséré ne devaient pas être fort ragoûtants), et même sa vigueur à balayer des opinions reçues.
Ambrière, Les Grandes vacances,1946, p. 241. − P. ext. [Le compl. désigne un symptôme physique] Rien n'apparaissait, ne trahissait l'effort du combat, pour dompter les battements du cœur (Zola, Rêve,1888, p. 153). 4. Emploi pronom. réfl. Se maîtriser, se contrôler. Elle [Léa] prolongea sa chanson (...) fière de se dompter si aisément, d'escamoter la seule minute émue de leur séparation (Colette, Chéri,1920, p. 83): 7. Le jeune homme était furieux contre lui-même et il pâlit de la peur de ne pouvoir se dompter. Et il se dompta et ses membres, qui s'étaient raidis au contact des autres membres qui le faisaient prisonnier, se détendirent et il se laissa conduire.
G. Leroux, Rouletabille chez le tsar,1912, p. 153. Rem. La docum. fournit l'adj. domptable. Qui peut être dompté. De petites émotions aisément domptables (Mounier, Traité caract., 1946, p. 243). Prononc. et Orth. : [dɔ
̃te], (je) dompte [dɔ
̃t]. Ds Ac. dep. 1694. Ac. 1694, 1718 et, à titre de var., Ac. 1798 : domter. Voir de même Fér. 1768, Fér. Crit. t. 1 1787 (var.), Land. 1836 (var.). Clédat 1930, p. 71 : ,,Nos classiques écrivaient pront, prontement, donter, donteur, etc.`` Fér. Crit. t. 1 1787, Dup. 1961, Lesaint et Vogel (cité par Buben 1935, p. 114), Passy 1914 admettent ou préconisent les formes, phon. et graph., avec p. Ce p, qui n'est pas étymol., et que Mart. Comment prononc. 1913, p. 185, considère comme ,,admis mal à propos par l'Académie``, est considéré par Fouché comme fondé : ,,Suivant P. Fouché, Études de phon. gén. p. 57, le p de dompter n'est pas seulement graphique ni dû à l'analogie de compter, mais développé organiquement comme consonne additionnelle par la segmentation de l'm dans le groupe -mt- après l'accent : dómitat > dompte, domitáre > donter, d'où par nivellement dompter, cf. lat. *em-tos > emptus, *sum-tos > sumptus. Comp. aussi angl. empty (<
œmettig), qui est prononcé [εmpti], v. Jespersen, Lehrb. der Phon., 177`` (Buben 1935, p. 114). L'explication ne figure cependant plus ds Fouché t. 3 1961, p. 875. Fouché Prononc. 1959, p. 353, est de toute manière d'accord avec les aut. contemp. pour considérer ce p comme muet actuellement. Étymol. et Hist. 1155 danter (Wace, Brut, éd. I. Arnold, 4165); ca 1160 donter (Eneas, éd. J. Salverda de Grave, 1922); xives. [ms.] dompter (Bersuire [ms. Bibl. nat. fr. 20312 ter] fo47 vods Littré). Du lat. class. domitare « dompter »; la forme dompter d'après dampnare, temptare (damnare, tentare) ou sous l'infl. de compter*. Fréq. abs. littér. : 497. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 871, b) 840; xxes. : a) 896, b) 378. |