| DIGÉRER, verbe trans. A.− Par les mécanismes de la digestion*, assimiler des aliments ingérés. 1. [Le suj. désigne une pers.; avec un compl. d'obj. interne ou un compl. d'obj. désignant un aliment, un mets] Digérer son dîner, son déjeuner. Il s'en allait ruminant son bonheur, comme ceux qui mâchent encore, après dîner, le goût des truffes qu'ils digèrent (Flaub., MmeBovary,t. 1, 1857, p. 38).J'ai l'estomac très capricieux (...), je digère très peu de chose, du pain, des fruits, du vin (Bernanos, Journal curé camp.,1936, p. 1172). ♦ Loc. fam. Digérer des pierres, des cailloux, du fer. Pouvoir digérer n'importe quoi. Son estomac d'autruche digérerait des pierres (Renard, Poil Carotte,1894, p. 48). ♦ Emploi pronom. passif. Tout ce qui se mange avec plaisir se digère avec facilité (Bern. de St-P., Harm. nat.,1814, p. 128). − Emploi abs. Assimiler des aliments ingérés. Digérer bien, mal, péniblement, paisiblement. Prosper aime ces soirées tranquilles, les fins de repas où l'on digère en grillant une « cibiche » (Dabit, Hôtel,1929, p. 120).Respirant, digérant, déféquant avec nonchalance, je vivais parce que j'avais commencé de vivre (Sartre, Mots,1964, p. 71). ♦ Spéc. Ne pas digérer. Digérer difficilement, avec peine. Mais comme elle avait la gastrite Elle ne les digérait pas [les frites] (Duhamel, Désert Bièvres,1937, p. 169). 2. Dans le domaine de la physiol.[Le suj. désigne un organe de la digestion, une substance chimique ou organique] L'estomac et l'intestin se contractent et digèrent les aliments (Carrel, L'Homme,1935, p. 116).Un gramme de pepsine cristallisée peut, en deux heures, digérer cinquante kilos de blanc d'œuf (J. Rostand, La Vie et ses probl.,1939, p. 20). − P. ext. [En parlant de processus au niveau cellulaire; avec une idée de destruction] Les globules blancs sortent des vaisseaux (phénomène de la diapédèse) et tentent de digérer les bacilles (phagocytose) (Garcin, Guide vétér.,1944, p. 200). B.− P. anal. 1. CHIM. Traiter, macérer un ensemble d'ingrédients en vue de les intégrer et créer un produit nouveau. Térébenthine, 4 onces; camphre, 36 grains, que l'on fait digérer à une douce chaleur (Kapeler, Caventou, Manuel pharm. et drog.,t. 2, 1821, p. 491): 1. L'huile de térébenthine se fait avec les jeunes cônes [de sapins] que l'on cueille encore verts (...) que l'on coupe en morceaux et que l'on fait digérer dans de l'eau.
Baudrillart, Nouv. manuel forest.,1808, p. 415. Rem. Dans ces ex., digérer, précédé du semi-auxiliaire faire, est employé avec omission normale du pron. se, le verbe étant alors employé avec une valeur de passif. 2. Absorber. La grande industrie n'existe plus que de nom, elle a été digérée par les banques (Bernanos, Journal curé camp.,1936, p. 1084). C.− P. métaph. ou au fig. 1. [Dans le domaine intellectuel; p. anal. avec le processus de la digestion] a) Vieilli. Incorporer et ordonner : 2. L'Histoire de saint Louis, écrite académiquement par M. de La Chaise, avait été préparée et digérée en corps par le scrupuleux Tillemont.
Sainte-Beuve, Causeries du lundi,t. 9, 1851-62, p. 228. b) Usuel. Assimiler en incorporant à sa pensée propre, faire sien..., à la suite d'un travail de réflexion personnelle. Je tiens à peu près le plan qui est tout théologique et qui a encore besoin d'être digéré (Verlaine, Corresp.,t. 3, Lettres à Ernest Delahaye, 1875, p. 104).Plagiaire est celui qui a mal digéré la substance des autres : il en rend les morceaux reconnaissables. L'originalité, affaire d'estomac (Valéry, Tel quel II,1943, p. 155): 3. ... tel est le rôle nécessaire des conceptions spéculatives. Elles sont une synthèse particulière de l'universelle réalité digérée et incorporée à la pensée par l'action.
Blondel, Action,1893, p. 297. − Emploi pronom. à sens passif. Il semble que notre vie se digère et s'élabore, de manière que, tout en s'effaçant sous sa forme phénoménale, elle se transforme en nous, et augmente, en passant à l'état latent (P. Leroux, Humanité, t. 1, 1840, p. 290). 2. Fam. Supporter patiemment (quelque chose de fâcheux); accepter. Ne pas digérer une injure, un outrage, un affront. Synon. avaler (fam.), souffrir.Elle pleure en rentrant, tant il lui a fallu digérer de bêtises et de nullités sous les formes distinguées de ce monde aristocratique (Goncourt, Journal,1862, p. 1087). ♦ C'est dur à digérer. C'est dur à accepter, à supporter ou à oublier. − Emploi pronom. à sens passif. L'échec se digère aussi par une introversion, souvent accompagnée de l'identification à l'objet perdu (Mounier, Traité caract.,1946, p. 452). − [Le compl. d'obj. désigne une pers.] Supporter. Avec toutes ses quintes, ses ultimatums... on pouvait plus la digérer... elle nous courait sur la trompe (Céline, Mort à crédit,1936, p. 585). 3. P. ext. Croire, admettre (une chose peu cohérente). Il me fallait donc digérer ce paradoxe : l'homme choisi par Dieu pour le représenter sur terre ne devait pas se soucier des choses terrestres (Beauvoir, Mém. j. fille,1958, p. 133). Rem. On rencontre ds la docum. l'adj. digestionnaire. Le poète le plus lacrymal n'est séparé du poète le plus comique que par quelque degré de coction digestionnaire (Brillat-Sav., Physiol. goût, 1825, p. 193). Prononc. et Orth. : [diʒeʀe], (je) digère [diʒ
ε:ʀ]. Ds Ac. 1694-1932. Conjug. Devant syll. muette, change [e] fermé en [ε] ouvert sauf au fut. et au cond. je digérerai(s). Étymol. et Hist. A. 1. Av. 1288 « transformer les aliments par la digestion » (H. de Gauchi, Gouvernement des Rois, 209, 12 ds T.-L.); 2. 1468 « examiner soigneusement quelque chose dans son esprit » (G. Chastellain, Chroniques, éd. K. de Lettenhove, iii, 193, 9); 3. 1468 fig. « supporter quelque chose, se résigner à » (Id., ibid., IV, 457, 4); 4. fam. 1663 « croire » (Molière, Critique, sc. 7). B. 1527 « ordonner, disposer » (Seyssel, trad. de Thucydide, I, 11 ds Hug.). Empr. au lat.digerere « diviser, répartir; mettre en ordre » d'où l'acception méd. « dissoudre, digérer » (Celse). Fréq. abs. littér. : 551. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 702, b) 825; xxes. : a) 903, b) 756. DÉR. Digérable, adj.,rare. Qui peut être digéré, qui est facile à digérer. Synon. digestible.J'avais perdu ce privilège, comme après la première jeunesse on perd le pouvoir qu'ont les enfants de dissocier en fractions digérables le lait qu'ils ingèrent (Proust, Temps retr.,1922, p. 858).P. métaph. (v. digérer C 1).Elle avait le défaut d'employer de ces immenses phrases (...) si ingénieusement nommées des « tartines » dans l'argot du journalisme qui tous les matins en taille à ses abonnés de fort peu digérables (Balzac, Illus. perdues,1843, p. 45).− [diʒeʀabl̥]. − 1resattest. 1516 [date de l'éd.] (P. Des Crescens, Prouffitz champ., fo48 vods Gdf.) attest. isolée, 1843; du rad. de digérer, suff. -able*, v. aussi digestible. − Fréq. abs. littér. : 2. BBG. − Mihailescu-Urechia (V.), Urechia (A.). Phénomènes inconnus de la lang. Orbis. 1971, t. 20, p. 11, 13, 15. − Quem. Fichier. |