| DÉPAYSER, verbe trans. A.− Transporter quelqu'un hors du pays, du lieu où il est ordinairement implanté. (Quasi-)synon. déraciner; anton. enraciner, rapatrier.Fernand s'occupa aussitôt de dépayser sa femme et de s'exiler lui-même (Dumas père, Monte-Cristo,t. 1, 1846, p. 332): 1. ... s'il est des végétaux qu'on ne peut enlever à leur terre natale, sans les faire périr; il est aussi quelques races vivantes, qui ne peuvent supporter aucune transplantation, qu'il est impossible de dépayser, sans tarir la source qui les renouvelle, ...
Cabanis, Rapports du physique et du moral de l'homme, t. 2, 1808, p. 151. − P. ext. Changer le décor habituel ou les habitudes de quelque chose ou quelqu'un : 2. La conscience doit de temps à autre se secouer pour y retrouver la liberté des présences pures et désintéressées : c'est le sens profond que l'on peut trouver au besoin surréaliste de dépayser les objets, en les forçant dans un cadre inaccoutumé d'où ils fassent irruption par effraction dans la conscience somnolente, et la réveillent à un goût de mystère : ...
Mounier, Traité du caractère,1946, p. 79. − Emploi pronom. réfl. Changer volontairement ses habitudes, son mode de vie. (Quasi-)synon. se déshabituer.Que les femmes doivent être à plaindre au moment de ces tristes séparations! Elles n'ont pas comme nous (...) les voyages pour se dépayser (Delécluze, Journal,1825, p. 172).P. métaph. C'est par le mythe de l'innocence que l'homme se dépayse de la faute (Ricœur, Philos. volonté,1949, p. 31). B.− Au fig. Déconcerter quelqu'un en le transportant dans un cadre inhabituel, en modifiant ses habitudes. (Quasi-)synon. dérouter, désorienter, égarer; anton. acclimater, familiariser.La vie du grand séminaire ne me dépaysa nullement. Elle était bien telle que je l'avais imaginée (Billy, Introïbo,1939, p. 38). − P. métaph. D'abord Molière a voulu dépayser; il n'a pas fait de portrait trop ressemblant trait par trait (Sainte-Beuve, Port-Royal,t. 3, 1848, p. 218). Rem. On rencontre ds la docum. dépaysagiste, subst. Personne qui dépayse, qui change le décor, le paysage. Chirico nous montre la réalité en la dépaysant. C'est un dépaysagiste (Cocteau, Crit. indir., 1932, p. 57). Prononc. et Orth. : [depεize] ou p. harmonisation vocalique [depeize]; dépayse [depεi:z]. [ε] ouvert ds Land. 1834, Nod. 1844, Littré, DG, Pt Lar. 1968 et, pour le lang. soutenu, ds Warn. 1968; [e] fermé ds Fér. Crit. t. 1 1787, Gattel 1841, Besch. 1845, Fél. 1851, Passy 1914, Dub., Pt Rob., Lar. Lang. fr. et, pour le lang. cour., ds Warn. 1968. On intercale yod de passage [dep(ε)ej-] ds DG et Passy 1914 et facultativement ds Barbeau-Rodhe 1930 qui n'enregistre que dépaysement. Le verbe est admis ds Ac. 1694 sous l'anc. forme dépaïser; ds Ac. 1718-1932 sous la forme mod. Étymol. et Hist. 1. 1195-1225 « quitter son pays » (Galeron de Bretagne, 807 ds T.-L. : il fu despäysiés), ,,vx`` ds Lar. Lang. fr.; 2. 1648 « transporter le sujet d'une œuvre dramatique dans un autre pays » (Corneille, Le Menteur, Au lecteur, éd. Ch. Marty-Laveaux, t. 4, p. 132 : j'ai entièrement depaysé les sujets pour les habiller à la françoise); 2. 1690 « désorienter quelqu'un en le changeant dans ses habitudes » (Fur.). Dér. de pays*; dés. -er; préf. dé-*. Fréq. abs. littér. : 47. Bbg. Arickx (I.). Les Orthoépistes sur la sellette. Trav. Ling. Gand. 1972, no3, p. 125. |