| DÉSOLER, verbe trans. A.− Emploi trans. 1. [Le suj. désigne des fléaux ou un groupe de pers. et leurs exactions; le compl. d'obj. un pays, un peuple, la terre et ses habitants ou un lieu quelconque] Rendre vide en ravageant, dévaster, porter la ruine et la destruction. Les François ont souvent ravagé l'Italie, et les Médicis, les Galigaï, les Buonaparte nous ont désolés (Chateaubr., Mél. pol.,1816-24, p. 53).Je sais que l'argent est cause de tous les maux qui désolent nos sociétés (France, Pt Pierre,1918, p. 59): 1. ... le pauvre vieux ménétrier de Nayrac apparut comme une bande de brigands affamés infestant le Midi et désolant le grand chemin par leurs meurtres, leurs incendies et déprédations.
Villiers de L'Isle-Adam, Contes cruels,Les Brigands, 1883, p. 247. − P. ext. [Le compl. d'obj. désigne un domaine partic.] Ils [les Cosaques] menaient la vie des corsaires et désolaient le commerce de la mer Noire (Mérimée, Faux Démétrius,1853, p. 73). − Au fig. L'ennui désole ma vie, Pulchérie, l'ennui me tue (Sand, Lélia,1833, p. 204). 2. P. ext. [Avec affaiblissement de sens] a) Faire du mal à, tourmenter; importuner, contrarier. Ce menu était fait exprès pour me désoler, et tous mes maux retombèrent sur moi (Brillat-Sav., Physiol. goût,1825, p. 376).Opiniâtre de politesse, (...) [il] désole et afflige les gens de ses envois et cadeaux à domicile (Sainte-Beuve, Caus. lundi,t. 14, 1851-62, p. 134): 2. ... ces mouches féroces et sanguinaires (...) viennent effrayer, désoler, poursuivre nos bestiaux pendant les ardeurs de la canicule.
Crèvecœur, Voyage dans la Haute Pensylvanie,t. 3, 1801, p. 315. b) Affliger profondément. Ces larmes attendrissaient et désolaient mon cœur plus que n'eussent pu faire des reproches (Gide, Si le grain,1924, p. 569): 3. Mon amie, ce qui me fait peine, ce qui me désole, ce qui me tourmente, ce qui me gâte ce plaisir de venir vous voir, c'est qu'il me paraît loin, bien loin pour moi qui voudrais que ce fût demain.
E. de Guérin, Lettres,1838, p. 194. Rem. Noter l'emploi suiv. où désoler a le sens de « donner un air de profonde tristesse (à un lieu) » (cf. désolé II A 2 et désolation A 2). La tristesse du repas mangé, des bouteilles bues, des croûtons naufragés sur les nappes vineuses, désolait la vaste pièce (Arnoux, Chiffre, 1926, p. 138). B.− Emploi pronom. 1. Se lamenter, se plaindre. Je me désole tous les matins et je m'enthousiasme tous les soirs. Puis je me console, et cela recommence (Flaub., Corresp.,1860, p. 405): 4. Il faut les entendre [les actrices] se désoler :
− « Ah! mon Dieu! je dois être à tel endroit à cinq heures, et à cinq heures et demie chez la masseuse (...) Ah! mon Dieu! je n'y arriverai jamais! ... »
Colette, L'Envers du music-hall,1913, p. 152. 2. Éprouver un profond chagrin, se laisser aller à l'affliction. Ces deux petits enfants, ce pauvre veuf qui se désole, font pitié (E. de Guérin, Lettres,1833, p. 39): 5. Oubliant en un instant tout ce que la providence venoit de faire pour eux, ils se désoloient, ils gémissoient...
Crèvecœur, Voyage dans la Haute Pensylvanie,t. 3, 1801, p. 97. Rem. On rencontre ds la docum. l'adv. désolablement. D'une manière qui peut désoler, affliger profondément; d'où profondément, extrêmement. Véritable lieu d'exil de toute part, et vallée de larmes. Ce qui serait désolablement triste, si le ciel ne couvrait la terre (E. de Guérin, Lettres, 1843, p. 457). Prononc. et Orth. [dezɔle], (je) désole [dezɔl]. Enq. : /dezol/ (il) désole. Ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. 1. Fin xiies. li aluet desoleit des hommes [desolata ab hominibus praedia] « désertée » (Dialogue Grégoire, 187, 22 ds T.-L.); 1350 désolées [en parlant d'églises] « dépeuplées, ravagées » (Gilles Le Muisit, I, 238, ibid.); 2. 1360-70 désolé adj. « plongé dans l'affliction » (Baudouin de Sebourc, IV, 306, ibid.), avec affaiblissement de sens au xviies. « contrarier, fatiguer », cf. 1672 (Mercure de France, t. I, p. 323 d'apr. F. Baldensperger ds R. Philol. fr. t. 17, p. 293); 1767 désolant « insupportable, décourageant » [d'une pers.] (J.-J. Rousseau, Confessions, II ds Littré). Empr. au lat. class.desolare (desolus) « dépeupler, ravager » et au part. « déserté, abandonné, privé de », le mot ayant été en b. lat. opposé à consolare (desolare) [desolare : solacium auferre], v. Ern.-Meillet. Fréq. abs. littér. : 822. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 1 086, b) 1 500; xxes. : a) 1 540, b) 838. |