| DÉPENS, subst. masc. plur. A.− Emploi subst. Frais à la charge de quelqu'un. 1. Vx. Frais occasionnés par quelqu'un. Gagner ses dépens (...) se dit d'une personne dont les services compensent les dépenses qu'elle occasionne (Littré). 2. Spéc., DR. Frais de justice à la charge de la partie qui succombe. Être condamné aux dépens; subir les dépens. Les deux journaux ont été déclarés non coupables et renvoyés de la plainte sans dépens (Delécluze, Journal,1825, p. 285): 1. Le preneur d'un bien rural est tenu, sous peine de tous dépens, dommages et intérêts, d'avertir le propriétaire, des usurpations qui peuvent être commises sur les fonds.
Code civil,1804, art. 1768, p. 321. B.− Emploi dans une loc. prép. Aux dépens de. Aux frais de. 1. Aux dépens de qqn. a) [La pers. qui supporte les frais n'est pas le suj. du verbe] En faisant supporter les frais à quelqu'un; au détriment de quelqu'un. Dîner, vivre aux dépens d'autrui; connaître la richesse aux dépens des pauvres. Si nous nous mêlons de leur querelle, ils se réconcilieront à nos dépens et nous payerons les frais de la guerre (A. France, Île ping.,1908, p. 279): 2. Les Hollandais n'ont aucune commisération de ceux qui font des dettes. Ils pensent que tout homme endetté vit aux dépens de ses concitoyens, s'il est pauvre, et de ses héritiers, s'il est riche.
Chamfort, Maximes et pensées,1794, p. 33. 3. Elle s'était amassé aux dépens de David une respectable et parasitaire fortune, qu'elle gérait très sagement.
Van der Meersch, Invasion 14,1935, p. 154. − Au fig. (Rire, s'amuser) aux dépens de qqn : 4. ... Hercule, malgré son caractère divin, était lui-même plus fameux par son courage que par son esprit; et les poètes comiques s'étaient permis, plus d'une fois, de lui prêter ce qu'on appelle vulgairement des balourdises, et de faire rire le peuple à ses dépens.
Cabanis, Rapports du physique et du moral de l'homme, t. 1, 1808, p. 392. 5. M. Levrault fit tous les frais de l'entretien; on pense si les deux bons apôtres s'amusèrent à ses dépens. Ils s'en donnèrent à cœur joie et se le renvoyèrent comme une balle ou comme un volant.
Sandeau, Sacs et parchemins,1851, p. 22. b) [La pers. qui supporte les frais est le suj. du verbe] Vieilli. En supportant volontairement les frais de quelque chose. Je ferai cette expédition lointaine à mes propres dépens et sans vous imposer à vous, mes chers sujets, aucune charge nouvelle (Montalembert, Ste Élisabeth,1836, p. 126): 6. Toute cette troupe pauvre, ne recevant pas un sou des princes, faisait la guerre à ses dépens, tandis que les décrets achevaient de la dépouiller et jetaient nos femmes et nos mères dans les cachots.
Chateaubriand, Mémoires d'Outre-Tombe,t. 1, 1848, p. 400. − P. métaph. : 7. J'entrai donc dans le commerce de colonnes, de phrases et de lignes, moi, monsieur, que vous avez vu si naïf, faisant la guerre à mes dépens, dévorant les débris de mon patrimoine dans l'impression de mes premières poésies.
Reybaud, Jérôme Paturot,1842, p. 69. − Au fig., usuel. À mes (tes/ses, etc.) dépens. Par une expérience cuisante : 8. Je te salue, vieil océan! Vieil océan, tu es si puissant, que les hommes l'ont appris à leurs propres dépens. Ils ont beau employer toutes les ressources de leur génie... incapables de te dominer. Ils ont trouvé leur maître.
Lautréamont, Les Chants de Maldoror,1869, p. 139. 2. Aux dépens de qqc. Au détriment de quelque chose. a) [Le compl. désigne une abstraction] Avec sa figure et sa jeunesse, elle trouvait toujours des ressources aux dépens de sa réputation (Restif de la Bret., M. Nicolas,1796, p. 106).Ce qu'il redoutait le plus au monde, c'était d'obtenir un triomphe personnel aux dépens de l'autorité du roi (Staël, Consid. Révol. fr.,t. 1, 1817, p. 185): 9. La sœur d'Outougamiz n'étoit point aimée, elle ne le seroit jamais! Et c'étoit celui qu'elle adoroit, celui qu'elle cherchoit à sauver aux dépens de ses jours, qui lui avoit fait ce barbare aveu!
Chateaubriand, Les Natchez,1826, p. 445. b) [Le compl. désigne une réalité concr.] Les bourgeons terminaux se développent toujours aux dépens des autres, jusqu'à les atrophier complètement (Gide, Journal,1922, p. 728): 10. Dans l'Europe occidentale et centrale, c'est surtout aux dépens de l'arbre que s'est fait le changement, tandis que dans l'Europe orientale c'est surtout aux dépens de la steppe.
Vidal de La Blache, Principes de géogr. hum.,1921, p. 183. Prononc. et Orth. : [depɑ
̃]. Littré souligne que l's se lie. Ds Ac. 1694, s.v. despens; ds Ac. 1718-1932 sous la forme moderne. Étymol. et Hist. 1. 1170 « ce que l'on dépense » (Chr. de Troyes, Erec et Enide, éd. M. Roques, 3498); en partic, ca 1260 justice despens et domages (Liv. de Just. et de Plet, éd. Rapetti, IX, XII, p. 176); 2. loc. prép. aux dépens de, a) 1306 « aux frais de » aus despens du roy (Joinville, St Louis, éd. N. de Wailly, § 400); b) 1580 « au détriment de » (Montaigne, Essais, éd. A. Thibaudet, livre 1, chap. 22 : nos souhaits intérieurs pour la plupart naissent et se nourrissent aux despens d'autruy); c) 1673, 27 oct. au déspens de + inf. (Mmede Sévigné, Lettres, éd. M. Monmerqué, t. 3, p. 254). Du lat. dispensum, part. passé, subst. neutre de dispendere proprement « peser en distribuant », d'où « distribuer » en lat. impér.; cf. le dér. dispendium « frais, dépense »; maintien du -n- prob. en raison du caractère juridique du mot et de sa relation toujours sentie avec l'a. fr. dispendre « dépenser » (xiies., T.-L.), issu de dispendere. Fréq. abs. littér. : 916. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 2 142, b) 944; xxes. : a) 742, b) 1 114. Bbg. Gottsch. Redens. 1930, p. 259, 399. − Rog. 1965, p. 130. |