| DÉNATURER, verbe trans. A.− Emploi trans. 1. Changer dans sa nature, dans son apparence ou sa présentation, par une modification spontanée ou voulue; priver de son caractère naturel. (Quasi-)synon. contrefaire. a) [L'obj. désigne une réalité matérielle (un objet, une substance comestible − pour la rendre impropre à la consommation − ou non)] Dénaturer du sel, du vin. Le rapport Lilienthal faisait en plus état de la possibilité de dénaturer les matières fissiles par la présence d'isotopes les rendant impropres aux usages militaires tout en permettant leur utilisation à des fins civiles (Goldschmidt, Avent. atom.,1962, p. 66). − DR. Dénaturer son/un bien. Transformer le(s) bien(s) immobilier(s) que l'on possède, en capitaux mobiliers. Dénaturer une créance. La convertir en une créance de nature différente. b) [L'obj. désigne une entité abstr.; cf. altérer1ex. 16] Dénaturer les paroles, la pensée de qqn. Synon. défigurer, déformer, fausser, travestir. − Dénaturer un texte. Lui faire subir des modifications qui en altèrent la signification. On n'eut plus que la ressource banale de tronquer des passages pour dénaturer un texte (Chateaubr., Essai Révol.,t. 1, 1797, p. XXVI). c) [L'obj. désigne une pers., un aspect de l'être humain] Je vois Verlaine superbe, endimanché, absurde et dénaturé déjà par quelques apéritifs, arriver à ce restaurant avec Cazales (Barrès, Cahiers,t. 9, 1911-12, p. 26): 1. Le bonhomme suffoquait d'indignation et de peur. « Si on peut dire! ... si on peut dire... des menteries comme ça pour dénaturer un honnête homme! Si on peut dire! ... »
Maupassant, Contes et nouvelles,t. 1, La Ficelle, 1883, p. 127. 2. [Avec une idée de modification en mal] Rendre dur, méchant, dépraver (quelqu'un, quelque chose). Elle [l'autopunition inconsciente] est immorale deux fois; elle dénature la mauvaise conscience qu'elle rend, de mauvaise, méchante, tout en lui retirant sa clairvoyance de conscience morale (Mounier, Traité caract.,1946, p. 705). B.− Emploi pronom. 1. Perdre spontanément ou volontairement sa nature, ses qualités naturelles. a) Emploi à sens passif − [Le suj. désigne une réalité physique, un objet, une substance] Ces sensations se mêlent d'une manière remarquable; elles se dirigent, s'éclairent, se modifient, et peuvent même se dénaturer mutuellement (Cabanis, Rapp. phys. mor.,t. 2, 1808, p. 309). − [Le suj. désigne une entité abstr.] Par elles enfin [l'ignorance et la cupidité] se sont dénaturées les idées du « bien » et du « mal », du « juste » et de l' « injuste », du « vice » et de la « vertu » (Volney, Ruines,1791, p. 49). − [Le suj. désigne un être vivant, un aspect de l'être humain] L'homme n'a pas cessé de se dénaturer dans le tragique orgueil de condamner son frère (Hugo, Fin Satan,1885, p. 887). b) Emploi à sens réfl. Au XIVesiècle il y avait en Castille, à l'usage des « Ricos omes », une procédure particulière pour se dénaturer, c'est-à-dire pour changer de roi et de patrie (Mérimée, Portr. hist. et littér.,1870, p. 81). 2. [Avec une idée de modification en mal, le suj. désignant une pers.] Perdre ses sentiments naturels d'humanité, devenir méchant. Son cœur s'était endurci et dénaturé (Ac.1835-78).Synon. se pervertir : 2. Parmi ceux-là [les soldats qui s'endurcirent aux excès], quelques vagabonds se vengèrent de leurs maux jusque sur les personnes; au milieu de cette nature ingrate ils se dénaturèrent.
Ségur, Hist. de Napol.,IV, 4 ds Littré. Prononc. et Orth. : [denatyʀe]. Ds Ac. dep. 1718. Étymol. et Hist. 1. a) Apr. 1174 desnaturer pronom. « avoir une attitude contraire à la nature, changer de nature, dégénérer » (Wace, Rou, Chron. ascendante des ducs de Normandie, éd. A. J. Holden, 78) − 1611 « renier l'hommage dû à son seigneur, renier son pays » (Cotgr.); b) fin du xiiies. part. passé « dépouillé de sentiments naturels, humains » (Chanson d'amors de pure povreteit, 69, ms. Germot, éd. P. Meyer ds Bulletin de la S.A.T.F., 1884, p. 79); 1690 part. passé subst. (Dancourt, Folle enchère, 193 ds IGLF); 2. a) 1718 « changer la nature de quelque chose » (Ac. : denaturer son bien); b) 1735-43 « altérer, changer l'apparence de quelque chose » (Obs. sur les Ecrits mod., t. 11, p. 4 et 5 ds Trév. Suppl. 1752); c) 1779 chim. « modifier la nature d'une substance » (Buffon, Hist. nat., t. 21, p. 55); 1873 part. prés. adj. « propre à altérer la nature d'une substance » (Gazette des Tribunaux, 4 janv., p. 10 ds Littré); 1927 part. prés. subst. (Champly, Nouv. Encyclop. prat., t. 18, p. 28); d) 1845-46 « rendre impropre à sa destination ordinaire » (Besch. : dénaturer une liqueur, du vin); 1863 part. passé adj. (Littré); e) 1964 part. prés. subst. (Nucl.). Dér. de nature*; préf. dé-*; dés. -er. Fréq. abs. littér. : 298. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 737, b) 261; xxes. : a) 367, b) 276. DÉR. Dénaturement, subst. masc.,rare. Action de dénaturer [une entité abstr.]. Nier radicalement tous les fameux bienfaits de 89. Montrer l'énormité de l'enflure, de la blague, du dénaturement de la presse, des journaux, des livres libéraux, à propos des idées, des principes, des faits mêmes de la Révolution (Goncourt, Journal,1861, p. 925).− 1resattest. a) Av. 1475 desnaturement « action de dénaturer; déshéritement; rébellion, félonie » (G. Chastellain, Chronique, éd. J. Kervyn de Lettenhove, t. 4, p. 9), seulement chez cet aut.; b) [av. 1870 « action de dénaturer » (Ragon, s. réf. ds Lar. 19e)] 1861 (Goncourt, loc. cit.); de dénaturer, suff. -ment1*. − Fréq. abs. littér. : 1. |