| DÉLIVRER1, verbe trans. A.− [Sans compl. secondaire] Délivrer qqn ou qqc. 1. [Le compl. d'obj. dir. désigne une pers. ou une collectivité] Tirer de captivité. La loi indienne permet à une femme de délivrer un prisonnier, en l'adoptant ou pour frère ou pour mari (Chateaubr., Natchez,1826, p. 288): 1. don rodrigue. − Quand tu me parles de délivrer les captifs, mais est-ce les délivrer que de les faire passer d'une prison dans une autre prison? changer de compartiment?
Claudel, Le Soulier de satin,1929, 4ejournée, 8, p. 905. − P. métaph. : 2. ... les billes d'agate (...) me semblaient précieuses parce qu'elles étaient souriantes et blondes comme des jeunes filles (...). Gilberte, (...), me demanda laquelle je trouvais la plus belle. (...). J'aurais aimé qu'elle pût les acheter, les délivrer toutes. Pourtant je lui en désignai une qui avait la couleur de ses yeux. Gilberte la prit, chercha son rayon doré, la caressa, paya sa rançon, mais aussitôt me remit sa captive...
Proust, Du côté de chez Swann,1913, p. 403. − P. ext. et au fig. (d'un point de vue surtout moral). Rendre libre, indépendant. « Maintenant, mère, puisqu'il te plaît de me délivrer, enseigne-moi l'antique secret de mourir avec simplicité » (Barrès, Barbares,1888, p. 160): 3. La femme pèse si lourdement sur l'homme parce qu'on lui interdit de se reposer sur soi : il se délivrera en la délivrant, c'est-à-dire en lui donnant quelque chose à faire en ce monde.
Beauvoir, Le Deuxième sexe,t. 2, 1949, p. 289. 2. P. anal. a) MAR., rare. [En parlant d'un navire] Enlever tout ou partie du bordage afin de le remplacer. Consommer la séparation des deux tronçons de l'épave, délivrer la moitié restée solide (Hugo, Travaill. mer,1866, p. 362). b) MÉD. Extraire le délivre. Elle tomba et accoucha par terre, sur un paillasson. Lorsque la sage-femme arriva, (...), ce fut là qu'elle la délivra (Zola, Assommoir,1877, p. 467). − P. ext. Synon. de accoucher.Elle [la sage-femme] goûtait encore la popularité de la rue où les marchandes qu'elle avait délivrées, où les filles de ces marchandes qu'elle avait mises au monde et accouchées (...), lui criaient bonjour (E. de Goncourt, Élisa,1877, p. 31). − Emploi pronom. réfl., spéc. Accoucher. Une créature pécheresse, se trouvant enceinte, cacha sa grossesse et, venue à son terme, se délivra elle-même (A. France, J. d'Arc, t. 2, 1908, p. 153). − P. métaph. [Sans idée d'obstacle] Faire apparaître. Un chuchotement sur les feuilles annonce que la pluie va délivrer cette odeur violente que j'aime (Mauriac, Journal 3,1940, p. 280). 3. [Le compl. d'obj. dir. désigne un inanimé abstr. ou concr.] Dégager de ce qui gêne, fait obstacle. J'ai défriché à la pioche, le bas du jardin (...), pour délivrer des framboisiers qui poussaient mal (Alain-Fournier, Corresp.[avec J. Rivière], 1907, p. 176): 4. Pour terminer sur le costume masculin, disons que les parties qui importent sont la coiffure et le col, qui règlent les mouvements et le port de la tête; les manches qui écartent ou rassemblent les épaules, en délivrant les bras plus ou moins; ...
Alain, Système des beaux-arts,1920, p. 62. − Emploi pronom. à sens passif : 5. Le psychiatre moderne prend la place du confesseur dans un monde athée. Autrefois on se délivrait en s'accusant. Aujourd'hui, c'est le psychiatre qui écoute, ...
Green, Journal,1941, p. 137. B.− [Avec un compl. secondaire prép. de, marquant l'orig.] Délivrer qqn de qqc.Le faire sortir d'un état de dépendance. Délivrer qqn de la captivité, de l'esclavage, de ses liens. Je ne connois point en France un homme, dont la tête en tombant, pût délivrer ma patrie du joug de la tyrannie (Robespierre, Discours,Sur la terre, t. 8, 1792, p. 146). − P. métaph. : 6. Pour le vrai poète, la langue n'est jamais assez particulière; il est obligé d'employer des mots en les répétant comme pour les délivrer de leur sens usuel, usé, trop général, ...
Béguin, L'Âme romantique et le rêve,1939, p. 207. − P. ext. et au fig. Débarrasser quelqu'un d'une contrainte, d'un mal, d'un sujet d'inquiétude. Ne sachant comment délivrer l'assemblée d'un orateur si dangereux, Madame Chappe, (...), renversa comme par hasard les feuillets (...) du manuscrit (Champfl., Bourgeois Molinch.,1855, p. 115): 7. Peut-être Dieu a-t-il voulu mettre sur mes épaules le fardeau dont il venait de délivrer sa créature épuisée.
Bernanos, Journal d'un curé de campagne,1936, p. 1184. ♦ Emploi pronom. réfl. Se délivrer de.Se délivrer de ses obsessions. Il ne put se délivrer d'un sobriquet que j'avais attaché à son omnicompétence et à son air important (Sand, Hist. vie,t. 1, 1855, p. 58). Rem. 1. Le sens de « débarrasser d'un fardeau » s'unit à celui de « accoucher » (cf. supra A 2 b). Puis on la délivra d'un enfant mort; et pendant quelques jours encore nous eûmes pour sa vie les plus grandes craintes (Maupass., Contes nouv., t. 1, Mouche, 1890, p. 1346). 2. On rencontre ds la docum. délivré, ée, part. passé et adj. [Correspond à délivrer1] Rendu libre, sorti de captivité. Je croyais voir notre roi, (...), prendre enfin possession de sa couronne, au nom de la France glorieuse et délivrée (Chateaubr., Mém., t. 3, 1848, p. 180). 3. On rencontre chez Giono le subst. masc. délivrement au sens de « délivrance ». On a entendu le délivrement de la terre [l'explosion] et les vergers autour de l'église ont commencé à sortir des eaux (Batailles dans la montagne, 1937, p. 350). Prononc. et Orth. : [delivʀe], (je) délivre [deli:vʀ]. Ds Ac. 1694-1932. Étymol. et Hist. 1. [Ca 1050 attesté indirectement par l'adj. dér. régr. delivre « libéré (de) » (Alexis, éd. Chr. Storey, 525)]; 1remoitié xiies. « libérer » (Psautier Oxford, LVIII, 1, éd. Fr. Michel, p. 76); 2. a) début xiies. être délivrée « avoir accouché » (Lois de Guillaume le Conquérant, éd. J. E. Matzke, § 33); ca 1176-84 « accoucher » (G. d'Arras, Ille et Galeron, éd. A. G. Cowper, 4394); b) 1752 « libérer (une femme) de la délivre » (v. délivre) (Trév.). Du lat. chrét. deliberare, dér. du lat. class. liberare « libérer ». |