| DÉGOÛT, subst. masc. A.− Manque d'appétit. Un frisson, un geste, une grimace de dégoût. Elle essaya de manger. Elle ne put rien avaler. Tout lui donnait un dégoût insurmontable (A. France, Lys rouge,1894, p. 384): 1. C'était surtout l'horrible faim et une disette de plus en plus menaçante. Ma mère supportait tout cela avec un grand courage, mais elle ne pouvait vaincre le dégoût que lui inspiraient les oignons crus, les citrons verts et la graine de tournesol, dont je me contentais sans répugnance : ...
Sand, Histoire de ma vie,t. 2, 1855, p. 213. B.− P. anal. Aversion, répugnance : 2. Le cœur réagit par la méfiance ainsi que le corps réagit par le dégoût. On a noté que les mêmes objets, les mêmes odeurs, qui soulèvent le dégoût quand ils viennent d'autrui, ne l'éveillent plus quand ils viennent de nous, et même suscitent notre intérêt : comme si le corps déjà s'aimait organiquement et détestait − parce qu'il redoute − le corps d'autrui.
Mounier, Traité du caractère,1946, p. 475. − [L'obj. du dégoût est un animé ou une réalité concr.] :
3. C'était la première jouissance d'amour-propre qu'il eût jamais éprouvée. Il [Quasimodo] n'avait connu jusque-là que l'humiliation, le dédain pour sa condition, le dégoût pour sa personne.
Hugo, Notre-Dame de Paris,1832, p. 83. 4. Grasse, sale, voûtée, bigote, bornée, irascible, dure jusqu'à la cruauté, sournoise, vindicative, elle fut, dès la première vue, un objet de dégoût moral et physique pour moi, comme elle l'était déjà pour toutes mes compagnes.
Sand, Histoire de ma vie,t. 3, 1855, p. 92. ♦ En partic. : 5. Alors avait commencé l'ère des doutes, tiraillements de la pensée qui provoquent les crampes d'estomac, les insomnies, la fièvre, le dégoût de soi-même; ...
Flaubert, L'Éducation sentimentale,t. 2, 1869, p. 18. 6. ... il est donné à tous de se haïr quelquefois, de céder un instant au dégoût de soi-même; le difficile est de persévérer dans cette haine et dans cette horreur.
Mauriac, La Vie de Jean Racine,1928, p. 240. − [L'obj. du dégoût est une abstraction] :
7. ... je trouvais plaisir dans mon obéissance, parce qu'elle me débarrassait de ma volonté. Mon défaut capital est l'ennui, le dégoût de tout, le doute perpétuel.
Chateaubriand, Mémoires d'Outre-Tombe,t. 3, 1848, p. 301. − Spéc., au plur. Écœurements. Vous que j'ai tant vus souffrir des langueurs et des dégoûts de la servitude militaire, c'est pour vous surtout que j'écris ce livre (Vigny, Serv. et grand. milit.,1835, p. 128): 8. Je vous assure qu'on ne réfléchit guère à toutes ces subtilités quand l'envie vous prend de faillir. Je suis même certain qu'une femme n'est mûre pour l'amour vrai qu'après avoir passé par toutes les promiscuités et tous les dégoûts du mariage, qui n'est, suivant un homme illustre, qu'un échange de mauvaises humeurs pendant le jour et de mauvaises odeurs pendant la nuit.
Maupassant, Contes et nouvelles,t. 1, Une Ruse, 1882, p. 832. Rem. Dans ces 2 emplois la prép. de n'a pas la même valeur que dans les cas précédents; elle indique la cause des dégoûts. C.− Manque d'intérêt ou d'estime pour quelque chose (parfois pour quelqu'un). Il résulte de là un grand dégoût pour les disputes métaphysiques (Maine de Biran, Journal,1814, p. 29): 9. ... quand je vois ton dégoût pour les joueurs de tennis, nos voisins, insolents avec le garçon et qui mettent les pieds sur les chaises...
Montherlant, Les Olympiques,1924, p. 301. ♦ Dégoût de + inf. : 10. Marthe secouait la tête avec une lassitude infinie. C'était plus fort qu'elle. Il y avait tout au fond de son être une morne désespérance, un dégoût de vivre qu'elle ne pouvait surmonter. Elle s'abandonnait, se sentant plus molle et plus légère qu'une plume emportée dans un tourbillon d'orage.
Moselly, Terres lorraines,1907, p. 146. ♦ Au plur., vx. Mortifications. Cf. adulation ex. 2 : 11. Indépendamment de mes chagrins et de mes inquiétudes domestiques, il faut encore me résigner à tous les dégoûts des haines littéraires.
Hugo, Lettres à la fiancée,1821, p. 76. − Spéc. Intense sentiment de lassitude; absence complète d'attraits pour quelque chose. Je partis dans un de ces momens où l'on se livre à la destinée, où tout paraît meilleur que la servitude, le dégoût et l'insipidité (Staël, Corinne,t. 2, 1807, p. 408): 12. Je me livrai donc sans choix, sans goût, sans intérêt au déroulement de mes jours. Au milieu des dégoûts et de l'apathie, où ma raison détrompée retenoit mon cœur aimant, mes plus fréquentes impressions étoient la réaction sur moi des misères de mes semblables.
Senancour, Rêveries,1799, p. 4. Prononc. et Orth. : [degu]. Ds Ac. 1694 et 1718 sous l'anc. forme desgoust; ds Ac. 1740-1932 sous la forme mod. Homon. dégout (de dégoutter). Étymol. et Hist. 1. éd. 1595 « manque d'appétit » (Montaigne, Essais, 1. 3, chap. 13, éd. A. Thibaudet, p. 1220); 2. av. 1630 « déplaisir, chagrin » (D'Aubigné, Vie, XII ds Littré); 3. 1636 « aversion pour quelqu'un ou quelque chose » (Monet). Déverbal de dégoûter*. Fréq. abs. littér. : 2 965. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 3 757, b) 4 120; xxes. : a) 5 194, b) 4 071. |