| DÉDAIN, subst. masc. Au sing. Action, fait de dédaigner (cf. ce mot I A); au sing. et au plur. résultat de cette action, sentiment ou attitude d'indifférence méprisante. Avoir, témoigner du dédain pour qqc., qqn; se venger des dédains de qqn. Synon. mépris, indifférence, hauteur, morgue; anton. appréciation, considération, respect.A.− [Avec un compl. prép. nom.] 1. [Le compl., construit avec pour, plus rarement contre, envers, exprime l'objet du dédain] Dédain pour les choses, pour l'agriculture; avoir, ressentir un profond dédain pour qqc. a) [Le compl. est un n. de pers.] Il n'a que dédain pour qui ne flatte pas son travers (Mounier, Traité caract.,1946, p. 549): 1. Le dédain profond que Modeste conçut alors pour tous les hommes ordinaires imprima bientôt à sa figure je ne sais quoi de fier, de sauvage...
Balzac, Modeste Mignon,1844, p. 47. b) [Le compl. est un n. de chose] Elle semblait avoir un dédain irrité contre les débris de l'autre fortune (Zola, Joie de vivre,1884, p. 905).Les araignées paraissent avoir un profond dédain pour l'eau (Coupin, Animaux de nos pays,1909, p. 380): 2. Costals eût compris qu'un célibataire voué à une grande tâche s'accommodât d'un tel logis, par indifférence aux choses extérieures, et dédain pour elles.
Montherlant, Pitié pour les femmes,1936, p. 1170. 2.− [Le compl. est construit avec de] a) [Le compl. exprime l'objet du dédain, gén. un inanimé] Le dédain de l'entourage. Le dédain de l'argent est fréquent surtout chez ceux qui n'en ont pas (Courteline, Boubouroche,1893, p. 121).Pour montrer quelque courage, ou quelque dédain de la mort, ou quelque cynisme (Saint-Exup., Citad.,1944, p. 746). b) [Le compl. exprime la pers. (suj.) qui montre du dédain; un second compl. prép. peut exprimer l'obj. du dédain] Il ignorait (...) les dédains du colonel Augustin Héricourt envers les petits (Adam, Enf. Aust.,1902, p. 247).Ce n'est point la pauvreté qui valait aux émigrants ce léger dédain du personnel (Saint-Exup., Lettre otage,1943, p. 393): 3. − Comment, vous n'êtes pas nègre?
− Fi donc! murmura Venture, imprimant à sa physionomie tout le dédain d'un planteur pour un Noir.
Ponson du Terrail, Rocambole,t. 3, 1859, p. 522. − [La pers. (suj.) qui montre du dédain est exprimée par un poss.; le compl. prép. exprime l'obj. du dédain] Quand la première eut répondu qu'elle se présentait comme vendeuse, Bourdoncle, avec son dédain de la femme, fut suffoqué de cette prétention (Zola, Bonh. dames,1883, p. 439).Ils l'appellent « la gonzesse » et lui disent des saletés. Ses chefs ne cachent pas leur dédain du piètre soldat qu'il fait (Vercel, Cap. Conan,1934, p. 155). c) En partic., dans le lang. de l'amour. Il habite aujourd'hui dans les Champs-Élysées, (...) Marinant dans les fards une antique beauté, Pleine encore de dédains et de hautes visées (Lorrain, Modern.,1885, p. 102).Madame Aubin. − (...) Ne peut-on donc s'aimer sans ça? (geste de mépris), sans tout ça? (geste de dédain) (Verlaine,
Œuvres compl.,t. 4, L. Leclerc, 1886, p. 166).Elle [Odette] devait avoir le dédain de l'amour, le mépris de la passion (La Varende, Saint-Simon,1955, p. 327). Rem. Dans l'ex. suiv. Les rois faisaient dédain de ce fils belliqueux (Hugo, Légende, t. 2, 1859, p. 513), faire dédain est un substitut de dédaigner; le compl. est donc l'obj. du dédain. Autre syntagme de même sens : prendre en dédain (vieilli). Demandez à Dieu que cet amour dure, et, tant qu'il durera, prenez en dédain les hommes, prenez en dédain le monde (Dumas père, Villefort, 1851, I, 1ertabl., 2, p. 127). Les poètes depuis longtemps ont pris la musique en dédain, en haine même, et il n'y a pas là matière à plaisanteries (Saint-Saëns, Harm. et mélod., 1885, p. 257). B.− [Avec de + inf.] Littér. Action de dédaigner; résultat de cette action. J'y vois surtout un certain dédain de plaire (Green, Journal,1944, p. 160): 4. ... car il avait trouvé, de même qu'une coiffure appropriée à son teint, une voix à sa prononciation, où le nasonnement d'autrefois prenait un air de dédain d'articuler qui allait avec les ailes enflammées de son nez.
Proust, Le Temps retrouvé,1922, p. 953. Rem. L'absence du subst. dédaignement explique la rel. fréq. de ce tour. C.− [Sans compl.] Au sing. ou au plur. Attitude, état psychologique d'une personne qui refuse avec mépris d'accorder de l'importance à quelque chose. Le dédain protège et écrase. C'est une cuirasse et une massue (Hugo, Choses vues,1885, p. 72).J'avais été si loin dans l'indifférence, et même dans le dédain que ce retour de passion m'étonne (Beauvoir, Mém. j. fille,1958, p. 261): 5. Je me rappelle le soir où, place de l'Opéra, vers neuf heures, tous deux en frac de soirée, nous nous trouvâmes : je m'aperçus, avec un frisson de joie contenue, que nous avions en commun des préjugés, un vocabulaire et des dédains.
Barrès, Un Homme libre,1889, p. 3. SYNT. Accabler, envelopper, remplir de dédain; avoir, exprimer du dédain; s'armer de dédain; afflecter, afficher, professer un grand dédain; subir le dédain; se réfugier dans le dédain; être en proie aux dédains; incliner au dédain; par dédain; objet des dédains; air, expression, geste, grimace, moue, pointe, rire, soupçon, sourire de dédain; dédain cruel, écrasant, furieux, humble, injuste, jaloux; amer, léger, beau dédain. − Avec dédain. Dédaigneusement. Dire, rire, regarder, traiter, rejeter, répudier avec dédain. La mer, en grande artiste, tue pour tuer, et rejette aux rochers ses débris, avec dédain (Renard, Journal,1887, p. 4).Anton. sans dédain.[Boucher] ce peintre des Grâces était sans morgue, sans dédain et sans orgueil (Nolhac, Boucher,1907, p. 187). Rem. L'art. paraît dès que le dédain doit être déterminé. Ceux qui (...) auront souri avec le plus de dédain à la naïveté du sauvage animant spontanément la montre dont il admire le jeu (...) pourraient, à leur tour, se surprendre eux-mêmes et plus d'une fois dans une disposition mentale bien peu supérieure (Comte, Philos. posit., t. 5, 1839-42, p. 32). − Spéc., ANAT., vx. Le muscle du dédain. Le muscle dédaigneux*. Immédiatement sous la peau se trouvent une série de petits faisceaux musculaires (...) la houppe du menton, muscle du dédain (Melchissédec, Pour chanter,1913, p. 147). Prononc. et Orth. : [dedε
̃]. Ds Ac. 1694 et 1718 sous l'anc. forme desdain; ds Ac. 1740-1932 sous la forme moderne. Étymol. et Hist. 1. 1155 desdein « attitude méprisable » (Wace, Brut, éd. I. Arnold, 8905); 2. 1172 « mépris » por desdeing (Chrétien de Troyes, Chevalier Lion, éd. M. Roques, 5699). Déverbal de dédaigner*. Fréq. abs. littér. : 1 546. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 2 327, b) 2 707; xxes. : a) 2 565, b) 1 595. |