| DÉCHOIR, verbe intrans. Littéraire A.− Tomber dans un état inférieur à celui où l'on était, s'abaisser. Déchoir de; faire déchoir; ce serait déchoir. La préoccupation du rang, le souci de ne pas déchoir, hantaient ces familles (Maupass., Contes et nouv.,t. 1, À cheval, 1883, p. 398).Le bourg n'accepterait pas (...) qu'elle [Noémi] déchût de son rang de veuve admirable (Mauriac, Baiser Lépreux,1922, p. 213): 1. De bonne heure ceux-ci [les enfants] sont sevrés de merveilleux, et plus tard, ne gardent pas une assez grande virginité d'esprit pour prendre un plaisir extrême à Peau d'Âne. Si charmants soient-ils, l'homme croirait déchoir à se nourrir de contes de fées...
Breton, Les Manifestes du Surréalisme,1erManifeste, 1924, p. 31. − En partic. Tomber en décrépitude avec l'âge. La bonne fille (...). A déchu dans l'horreur d'une immonde vieillarde (Verlaine,
Œuvres compl.,t. 3, Invect., 1896, p. 346). ♦ Commencer à déchoir. Synon. usuel décliner (cf. Ac. 1932). − THÉOL. Perdre l'état de grâce (originelle). Tu fis tomber Adam et tu fis déchoir Ève (Hugo, Fin Satan,1885, p. 929). B.− Au fig. Se dégrader, se défraîchir, s'altérer. Vaucogne n'en trouverait pas cinq mille francs, tellement il l'avait laissée déchoir [la maison] (Zola, Terre,1887, p. 486): 2. ... on pouvoit s'en fatiguer quelquefois [de Weimar], mais on n'y dégradoit pas son esprit par des intérêts futiles et vulgaires; et si l'on manquoit de plaisirs, on ne sentoit pas du moins déchoir ses facultés.
Staël, De l'Allemagne,t. 1, 1810, p. 217. − P. métaph. littér., avec recours au sens étymol. Ce délire de croire que l'on peut cueillir son rêve, sans que la brusque cueillaison de ce corymbe chimérique n'en fasse déchoir les pétales au froid vent de la réalité (Gide, Corresp. [avec Valéry], 1891, p. 77). Rem. 1. Déchoir est un verbe défectif qui se rencontre surtout à l'infinitif et au part. passé. Cependant, outre l'ex. du subj. chez Mauriac supra, on rencontre chez Flaubert (Corresp., 1852, p. 421) je ne déchoirai pas, et chez Proudhon (Guerre et paix, 1861, p. 91) une nation (...) ne périra, ne décherra même pas. 2. Le verbe se conjugue avec l'auxil. avoir quand il exprime une action et avec l'auxil. être quand il exprime un état résultant d'une action antérieure. État primitif de perfection, d'où la nature humaine est ensuite déchue par sa faute (Chateaubr., Génie, t. 1, 1803, p. 29). Comme j'ai déchu de moi-même depuis l'an dernier! (Colette, Cl. Paris, 1901, p. 197). 3. On rencontre ds la docum. l'emploi trans., rare. Se consoler de leur déchéance avec ce qui les [les convertis] a déchus (Mauriac, Vie Racine, 1928, p. 239). Cet emploi n'est pas attesté par les dict. gén. du xixeet du xxes., à l'exception de Davau-Cohen 1972. Ds Fr. mod., t. 16, 1948, no2, p. 93, A. Thérive le signale comme un fait ,,d'observation courante, au moins depuis quelques années (...) au sens transitif de destituer ou, plus exactement, frapper de déchéance``. Prononc. et Orth. : [deʃwa:ʀ], (je) déchois [deʃwa]. Ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. 1. Ca 1100 « tomber dans un état inférieur à celui où l'on était; succomber, avoir le dessous » (Roland, éd. J. Bédier, 1628 : Mult decheent li nostre!); av. 1309 femmes dechues (Joinville, Hist. de St Louis, éd. N. de Wailly, p. 393); 1656 théol. déchoir de l'état de grâce (Pasc., Prov., 15 ds Littré); 2. ca 1100 « (d'une choses diminuer d'intensité, faiblir » (Roland, éd. J. Bédier, 2902). Du b. lat. dēcadēre « tomber » (class. dēcidĕre), de cadere « tomber », Vään. 1967, § 205. Fréq. abs. littér. : 155. Bbg. [Déchoir]. Intermédiaire (L') des chercheurs et des curieux. 1880, t. 13, p. 397. − Thérive (A.). Deux nouv. verbes : déchoir; rassir. Fr. mod. 1948, t. 16, pp. 93-94. |