| DÉCHIQUETER, verbe trans. A.− Taillader. Son corps déchiqueté à coups de poignard (Balzac, Fille yeux d'or,1835, p. 404): 1. Après avoir dépouillé la victime, ils la liaient étroitement à un poteau, et lui déchiquetaient le corps avec des cailloux tranchans; ensuite ils lui coupaient des lambeaux de chair...
Dupuis, Abr. de l'orig. de tous les cultes,1796, p. 421. − Spécialement 1. [En parlant d'une étoffe, d'un vêtement] Faire des découpures ornementales, notamment des découpures allongées, des fentes. Ouverte par devant, la huque, pour avoir bon air, devait être déchiquetée en lambrequins qui flottaient follement autour du cavalier (A. France, J. d'Arc,t. 1, 1908, p. 250). ♦ Emploi pronom. passif. Son pourpoint se déchiquetait en crevés à l'espagnole (Gautier, Italia,1852, p. 9). 2. [En parlant d'un contour et, en partic., de l'horizon, d'une côte] Faire des découpures nombreuses et irrégulières. Un ciel blafard que déchiquette. De flèches et de tours à jour la silhouette D'une ville gothique (Verlaine, Poèm. saturn.,1866, p. 67). ♦ [Le suj. désigne une découpure] Elle [la passerina hirsuta] abonde au Bruse, dans les petites anses qui déchiquettent le littoral (Sand, Nouv. lettres voyag.,1876, p. 115). ♦ Emploi pronom. passif. Les montagnes blanches d'Hébron se déchiquetaient dans une transparence vaporeuse (Flaubert, Corresp.,1850, p. 228). B.− Mettre en menus morceaux, mettre en pièces. On déchiquetait plus de cent mille francs d'étoffes pour les échantillons (Zola, Bonh. dames,1883, p. 763).Des grenades, et des pétards capables de déchiqueter un homme (Romains, Hommes b. vol.,1938, p. 203): 2. Il avait eu longtemps des reproductions de tableaux et un jour il les avait déchirées avec rage. J'étais entrée tandis qu'il les déchiquetait et répétait : « C'est laid, laid. J'aime mieux rien. »
Drieu La Rochelle, Rêveuse bourgeoisie,1939, p. 261. ♦ Emploi pronom. passif. Les roses ne coulaient pas mais se déchiquetaient, blessées, dispersant leurs pétales comme des papillons qu'on torture (La Varende, Tourmente,1948, p. 87). − P. métaph. L'air semble harcelé de bruits grêles, que le vent déchiquette et disperse en lambeaux (Genevoix, Boue,1921, p. 91).La colère, soudain, défigurait son visage (...) et déchiquetait sa voix qui d'ordinaire nouait les mots comme des rubans (H. Bazin, Qui j'ose,1956, p. 39). − Spéc. Découper maladroitement : 3. Ces gens ne savaient-ils donc pas qu'il était un pauvre bougre, un moins que rien. (...). Parfois en déchiquetant sa sole meunière ou sa poularde à la sauce Berry il projetait de se mêler à cette brillante pléiade de coupeurs de bourse...
Queneau, Loin de Rueil,1944, p. 152. − Au fig. : 4. Si j'avais sa prodigieuse virtuosité d'analyse, je n'en finirais pas de déchiqueter ces premières lignes. Elles déplacent la question; elles brouillent déjà tout.
Bremond, La Poésie pure,1926, p. 70. Prononc. et Orth. : [deʃikte], (je) déchiquette [deʃikεt]. Ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. 1338 deschiqueté « orné de dessins de diverses couleurs » (Actes Normands de la Chambre des Comptes, 200, Delisle ds R. Hist. litt. Fr., t. 9, p. 473); [1348 deschaquetey « bariolé » ou « découpé » (A. Doubs G 82 ds Gdf. Compl.)]; d'où 1. av. 1465 deschiqueté « découpé (pour servir d'ornement) » (Ch. d'Orléans, Rondeau, VIII, éd. P. Champion, t. 2, p. 295); 1530 deschiquetter « découper pour orner » (Palsgr., p. 589); 1868 côte déchiquetée (Verne, Enf. cap. Grant, t. 2, p. 62); 2. 1530 deciqueter « mettre en morceaux » (Perceval, fo66 vods Gdf. Compl.). Prob. issu par substitution de la forme fréquente des- à es-, de l'a. fr. eschiqueté « orné de pièces de différentes teintes » (v. échiqueté), v. FEW t. 19, p. 169. Fréq. abs. littér. : 75. DÉR. 1. Déchiqueteur, subst. masc. technol.Appareil à déchiqueter (supra B), à fragmenter. Les morceaux de bois calibrés provenant d'une première réduction mécanique par déchiqueteurs ou coupeuses (Industr. fr. bois,1955, p. 28).P. métaph. Qui dit « homme de lettres » dit « mangeur de confrères et déchiqueteurs de renommées ». Chaque jour il nous faut notre victime au ratelier (Renard, Écornifleur,1892, p. 36).Emploi adj. [La spéculation] C'est la jungle avec des fauves en veston, des êtres sans entrailles et tout en griffes préhensives, en crocs déchiqueteurs (L. Daudet, Ariane,1936, p. 173).Rem. On rencontre ds la docum. le susbt. fém. déchiqueteuse avec le même sens (cf. Rob. Suppl. 1970). Littré et Guérin 1892 attestent le mot au masc.; Besch. 1845, Lar. 19e-20e, Quillet 1965 attestent le mot au masc. et au fém. avec le sens de « personne qui déchiquette, qui aime à déchiqueter ».− [deʃiktœ:ʀ], fém. [-ø:z]. − 1resattest. 1529 fig. (G. Tory, Champ fleury, Aux lecteurs ds Hug. : dechiqueteurs de langage) − 1605 (Ph. de Marnix ds Hug.); à nouv. 1752 d'apr. Boiste d'apr. FEW t. 19, p. 168 a; 1803 (Boiste); 1894 technol. déchiqueteur (A. Wurtz, Dict. chim. pure et appl., 2esuppl., t. 2, p. 940); 1956 dechiqueteuse (Dub. Dér., p. 43); de déchiqueter, suff. -eur2*, -euse*. 2. Déchiqueture, subst. fém.Découpure (supra A spéc.).Je veux parler de cette toilette de Henri III (...) ce corps de satin noir coupé à l'espagnole, ces déchiquetures d'où sortent des passements (Sainte-Beuve, Poésies,1829, p. 149).Au dehors, le claveau du cintre offrait encore l'écusson des Soulanges (...) et il portait la déchiqueture héraldique imposée aux cadets (Balzac, Paysans,1844, p. 28).Adieu, Saint-Germain-l'Auxerrois, déchiquetures de pierres bleu-noir et de ciel bleu-tendre (Larbaud, Enfantines,1918, p. 160).De grands sapins épars à déchiquetures de velours (Pourrat, Gaspard,1931, p. 135).− [deʃikty:ʀ]. Ds Ac. dep. 1694. − 1resattest. a) 1534 deschicqueture « découpure faite dans un tissu (pour orner) » (Rabelais, Gargantua, éd. Ch. Marty-Laveaux, chap. 8, p. 32); b) 1575 dechiqueture « incision » (Thevet, Cosmogr., XXI, 10 ds Hug.); 1636 dechiqueture « déchirure » (Monet); à nouv. au xixes. 1837 « découpure accidentelle ou naturelle » (Sand, Lettres voy., p. 300); de déchiqueter, suff. -ure*. BBG. − Dub. Dér. 1962, p. 41, 43 (s.v. déchiqueteur). − Laurent (P.). Contribution à l'hist. du lex. fr. Romania. 1925, t. 51, p. 37 (s.v. déchiqueteur). − Quem. 2es. t. 3 1972 (s.v. déchiqueteur). − Sain. Sources t. 1 1972 [1925], p. 133. |