| DÉCHAÎNÉ, ÉE, part. passé, adj. et subst. I.− Part. passé de déchaîner*. II.− Emploi adj. A.− Rare, vieilli. [Appliqué à une pers. ou à un animal] Délivré de sa chaîne. Synon. désenchaîné. − P. métaph. Libéré de tout état de servitude. [Des] serfs affamés et nouvellement déchaînés (Quinet, Allem. et Ital.,1836, p. 129). B.− Usuel, au fig. 1. [Appliqué à une pers. ou à un groupe de pers.] Qui donne libre cours à sa fureur, à son emportement. Devant sa boutique, Laboque déchaîné, furieux de sa défaite, s'emportait (Zola, Travail,t. 1, 1901, p. 280).Des bandes de voyous déchaînés! Des échappés de Charenton! (Céline, Mort à crédit,1936, p. 640): 1. Elle lui dit (...) des phrases qu'elle n'aurait jamais cru pouvoir prononcer (...) menaçante tour à tour et suppliante, déchaînée enfin et ne calculant plus.
Bourget, Cruelle énigme,1885, p. 108. − Déchaîné contre.Des petits êtres déchaînés contre la société et déchaînés contre eux-mêmes (Barrès, Cahiers, t. 7, 1909, p. 217). − Être déchaîné.Être dans un état d'excitation ou d'irritation intense. Plusieurs hommes ensemble étaient incapables de lui tenir tête quand il était déchaîné (Loti, Mariage,1882, p. 62).Il est déchaîné après toi (Genevoix, Raboliot,1925, p. 154). ♦ Loc. fam. [P. réf. à la croyance que le diable est habituellement enchaîné en Enfer] Le diable est déchaîné. Rien ne va plus, il règne le plus grand des désordres. Je leur criai : − Qu'est-ce qui se passe? Et celui qui tenait les rênes me répondit (...) : − Le diable est déchaîné! (Erckm.-Chatr., Hist. paysan, t. 1, 1870, p. 396).C'est un diable déchaîné. Ils [les Armagnacs] se jetèrent comme diables déchaînés sur le village de Champigny et brûlèrent (...) avoine, blé, brebis, (...) enfants et femmes (A. France, J. d'Arc,t. 2, 1908, p. 63). − [Appliqué à une forme du comportement physique ou psychique] Qui se manifeste avec violence, après avoir été longtemps contenu. Rire(s), voix, passions, sens déchaîné(es). Toute la meute dévorante des appétits déchaînés (Zola, Paris,t. 2, 1898, p. 33).Cette cohue brutale de passions déchaînées (Claudel, Poète regarde Croix,1938, p. 34): 2. À partir de ce jour funeste, et une fois l'impur ruisseau franchi, un élément formidable fut introduit dans mon être; ma jeunesse, longtemps contenue, déborda; mes sens déchaînés se prodiguèrent.
Sainte-Beuve, Volupté,t. 1, 1834, p. 176. ♦ Être déchaîné.Toutes les violences sont déchaînées (Maritain, Human. intégr.,1936, p. 268). 2. [Appliqué à une force, à un élément de la nature] Le chaos des éléments déchaînés (Moselly, Terres lorr.,1907, p. 39).Dehors, la pluie, le vent, la neige, toutes les vieilles habitudes du vieil hiver déchaîné (Tharaud, La Rose de Sâron,1927, p. 78). − P. anal. [Appliqué à un phénomène déclenché par l'homme] Un tumulte infernal de tambours déchaînés (Tharaud, Rabat,1918, p. 27): 3. Du coup, je suis projeté au milieu d'une inimaginable cohue tournoyante d'hommes et de femmes (...) qui (...) dansent furieusement, entraînés par un orchestre nègre déchaîné.
Sem, La Ronde de nuit,1923, p. 19. III.− Emploi subst. Les déchaînés de la génération nouvelle (Bourget, Essais psychol.,1883, p. 105): 4. Devenu soldat, je sollicitai les postes les plus dangereux, espérant me faire tuer pour en finir vite, et me battis en déchaîné. Je ne réussis qu'à obtenir de l'avancement.
Bloy, La Femme pauvre,1897, p. 204. Prononc. et Orth. : [deʃ
εne], [deʃene]. Ds Ac. 1718-1878. Fréq. abs. littér. : 450. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 328, b) 381; xxes. : a) 1 003, b) 825. |