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DÉCENTRER, verbe trans.
,,Rendre irrégulier en déplaçant le centre`` (Ac. 1932).
A.− Domaines spéc.Déplacer le centre.
1. TECHNOL. Déplacer le centre de gravité d'une pièce à usiner; p. ext., la faire tourner autour d'un point autre que le centre de gravité :
1. ... la pierre à tailler est montée sur un dopp, support métallique vissé au centre d'une meule soumise à une rotation rapide; l'ouvrier manipule un second dopp portant une pierre-outil avec laquelle il façonne la première; un dispositif lui permet de centrer ou décentrer à son gré la pierre à traiter qui recevra ainsi des facettes d'inclinaison rigoureusement égales. Metta, Les Pierres précieuses,1960, p. 52.
2. OPT. Opérer le décentrement. Décentrer des lentilles (Lar. 19e).
Emploi pronom. passif. Ces lentilles se sont décentrées (Lar. 19e).
Au part. passé passif. ,,Se dit d'un système optique formé de lentilles dont les axes ne coïncident plus, certains étant déplacés perpendiculairement à l'axe initial`` (Méd. Biol. t. 1 1970).
PHOT. Cf. décentrement.
B.− P. métaph. et au fig.
1. PSYCHOL. Éloigner de soi le centre d'intérêt de quelque chose :
2. ... décentrer sa propre perspective est la dernière chose dont il [l'adulte] soit capable, puisqu'il fait bloc avec elle : si vous pensez la disloquer par un fait, il explique le fait par une cause qui ne dérange pas ses croyances. Mounier, Traité du caractère,1946, p. 619.
Emploi pronom. réfl. Accorder son intérêt à autre chose que soi. Le sujet est d'autant plus actif qu'il parvient davantage à se décentrer (Battro1966).
Part. passé avec valeur d'adj. Dont le centre n'est plus le moi. Il est impossible à aucun niveau, de séparer l'objet du sujet. Seuls existent les rapports entre eux deux, mais ces rapports peuvent être plus ou moins centrés ou décentrés et c'est [en] cette inversion de sens que consiste le passage de la subjectivité à l'objectivité (Battro 1966).
2. Littéraire
Emploi pronom. à sens passif. Changer de centre, perdre son centre. Il n'y a amour que là ou il y a renouvellement absolu, et même renaissance. L'amour c'est la vie qui se décentre, qui change de centre (Marcel, Journal,1919, p. 217).
Part. passé avec valeur d'adj. Qui a changé de centre, a perdu son centre. Nous aurons [dans vingt ans] des pièces sans cheminée, banales, décentrées, car la cheminée est un peu l'âme de la pièce, ce vers quoi l'on se dirige, auprès de quoi l'on prend place (Green, Journal,1955-58, p. 110):
3. Notre corps et notre perception nous sollicitent toujours de prendre pour centre du monde le paysage qu'ils nous offrent. Mais ce paysage n'est pas nécessairement celui de notre vie. Je peux « être ailleurs » tout en demeurant ici, et si l'on me retient loin de ce que j'aime, je me sens excentrique à la vraie vie. Le bovarysme et certaines formes du malaise paysan sont des exemples de vie décentrée. Merleau-Ponty, Phénoménologie de la perception,1945, p. 330.
Rem. Région. (Suisse). Décentré, ée, adj. [En parlant d'une construction, d'une région] Éloigné du centre d'une agglomération, à l'écart des villes. Synon. excentrique; anton. région. centré. Immeuble décentré. Ils [des médecins] exercent leur activité dans des régions (...) décentrées (Bulletin officiel des délibérations du Grand Conseil du Canton de Neuchâtel, 1972-1973, p. 1596).
Prononc. et Orth. : [desɑ ̃tʀe], (je) décentre [desɑ ̃:tʀ ̥]. Ds Ac. 1932. Étymol. et Hist. [1841 d'apr. Bl.-W.3-5]; 1845 (Besch. Suppl). Dér. de centrer*; préf. dé-*. Fréq. abs. littér. : 17.
DÉR. 1.
Décentrage, subst. masc.,,Action de décentrer ou résultat de cette action`` (Ac. 1932). En partic., opt. ,,Action de décentrer un instrument d'optique (...)`` (Ch. Robin, Traité du microscope, Paris, 1876, p. 55 ds Littré Suppl.) ; fait d'être décentré. Également attesté ds Lar. 19eSuppl. 1878-Lar. Lang. fr., Guérin 1892, Rob., Quillet 1965. [desɑ ̃tʀa:ʒ]. Ds Ac. 1932. 1reattest. 1876 loc. cit.; de décentrer, suff. -age*.
2.
Décentration, subst. fém.Action de (se) décentrer; p. méton., le résultat de cette action. Synon. de décentrement.Spéc., psychol. a) La décentration perceptive provient de la régulation des mouvements exécutés par le sujet lui-même pour atteindre l'objet (fixation des centrations, c'est-à-dire décentration) (Battro1966).b) ,,Possibilité (...) d'adopter d'autres points de vue que le sien`` (Mucch. Psychol. 1969). P. ext. Fait de s'éloigner de son moi considéré comme unique centre d'intérêt. Un objet est apparu qui m'a volé le monde (...) L'apparition d'autrui dans le monde correspond (...) à un glissement figé de tout l'univers, à une décentration du monde qui mine par en dessous la centralisation que j'opère dans le même temps (Sartre, Être,1943, p. 313). [desɑ ̃tʀasjɔ ̃]. 1resattest. 1845 (Besch. Suppl.); 1857 (Chesn.); de décentrer, suff. -(a)tion*.
3.
Décentrement, subst. masc.Action de (se) décentrer; p. méton., le résultat de cette action. a) Opt. ,,Défaut d'alignement des centres des lentilles d'un appareil d'optique`` (Sc. 1962). Phot. (cf. Giraud 1956).b) Psychol. Synon. de décentration.L'ouverture de conscience favorise l'ouverture à autrui en favorisant le décentrement du moi (se mettre à la place de) (Mounier, Traité caract.,1946, p. 517).Le décentrement de perspective du moi au toi et au nous est tout à la fois ce que je désire et ce que je crains, ce qui me complète et ce qui m'oblige (Ricœur, Philos. volonté,1949, p. 122). [desɑ ̃tʀ əmɑ ̃]. 1reattest. 1907 (Lar. pour tous); de décentrer, suff. -(e)ment1*. Fréq. abs. littér. : 10.
BBG. − Ac. Fr. Dict. de l'Ac. Banque Mots. 1973, no5, p. 100 (s.v. décentration).