| CRÈME, subst. fém. A.− [P. réf. au lait de vache] 1. Matière grasse d'un blanc légèrement jaune qui se forme à la surface du lait au repos, donne le beurre par barattage et entre dans diverses préparations culinaires salées ou sucrées. La servante qui trait ses vaches, qui met son lait reposer, qui enlève la crême et la bat, sait bien qu'elle fait du beurre (Senancour, Obermann,t. 2, 1840, p. 128).Plus de carottes à la crème (...) trop de beurre et trop de crème, cela sent sa fermière (Bernanos, Joie,1929, pp. 549-550): 1. Le mélange [de caséum et de sérum] qui se rassemble [à la partie supérieure du récipient] dont la couleur jaune tranche sur la teinte bleuâtre du reste du liquide constitue la crème.
A.-F. Pouriau, La Laiterie,1895, p. 5. SYNT. Crème fraîche; concombres, fraises, fromage, œufs à la crème; jatte, pot(s) de crème. − GASTRONOMIE ♦ Crème fouettée ou crème Chantilly. Crème fraîche additionnée de sucre et éventuellement d'un parfum, battue en une mousse fine et légère, utilisée pour la préparation et la décoration de différents desserts. Déjeuner (...) d'une très belle tranche de jambon chaud au maïs, de fraises à la crème fouettée (Morand, New York,1930, p. 51).La (...) grande pâtisserie (...) accueillante aux dames bien nées qui se restaurent de crème fouettée ou de parmesanes (Fargue, Piéton Paris,1939, p. 67).P. métaph., péj., vieilli. [À propos de l'esprit et de ses productions] Ce qui est brillant mais léger et inconsistant comme la crème fouettée. N'être pas dupe (...) de la crème fouettée et des fanfaronnades de Rossini (Stendhal, Souv. égotisme,1832, p. 89).Ah! des vers! de la crème fouettée! (...) Qu'est-ce qu'il avait à faire avec ça? (Flaub., Éduc. sentim.,1845, p. 194). ♦ Café à la crème (vieilli), café-crème et p. ell. crème (subst. masc.). Café additionné de crème ou de lait. Que pensez-vous qu'elle prenne à déjeuner? du café à la crème (Courier, Lettres Fr. et It.,1825, p. 878).Elles commandent un café-crème qu'elles boivent à petites gorgées (Dabit, Hôtel Nord,1929, p. 48).Gourgaud (...) avala son crème (G. Magnane, Bête à concours,1941, p. 84). − P. méton. [En constr. d'appos., avec valeur d'adj. inv.] Qui a la couleur de la crème. Blanc crème, soie crème. Marie Belhomme (...) appétissante dans sa robe crème (Colette, Cl. école,1900, p. 287).Un complet de Côte d'Azur (...) en tussor crème (Martin du G., Thib., Été 14, 1936, p. 277). 2. P. anal. Substance qui rappelle par son onctuosité ou sa couleur la crème de lait. L'avocat (...) renferme une crème parfumée (Sue, Atar Gull,1831, p. 26).La crême irisée du plomb qui bout (Huysmans, Cathédr.,1898, p. 13).Plats blancs épaissis d'une crème d'émail (Colette, Naiss. jour,1928, p. 9). − En partic. Eau fangeuse et encombrée de détritus. La crême de l'Adour tourne autour de son axe (...). Grasses sont les couleurs (Cocteau, Poèmes,1916-23, p. 270).Étangs d'eau croupissante (...) l'un recouvert d'une épaisse crème verte, et de bois flottants (Gide, Retour Tchad,1928, p. 875). 3. Au fig. [Pour désigner des pers.] , fam. a) Une crème de + subst. sing.[Le compl. désigne une pers.] Personne parfaite en son genre. Une crème d'homme. Vous êtes une crème d'oncle (Ponson du Terr., Rocambole,t. 2, 1859, p. 47). − Absol., pop. Les bourgeois pour exprimer qu'un être est beau disent également comme pour dire qu'il est bon : − C'est une crême (Virmaitre, Dict. arg. fin-de-s.,1894, p. 77). b) La crème de + subst. gén. plur.[Le compl. désigne une catégorie d'individus ou une valeur] Le meilleur de(s). Crème des braves, honnêtes gens, crème des hommes. La Vénus de Milo (...) que je fus quelque temps (...) à considérer comme la crême de l'esthétique (Verlaine,
Œuvres posth.,t. 2, Crit. et Conf., 1896, p. 388).La crème des aumôniers, un prêtre jeune, allant, d'une adresse incomparable (Martin du G., Thib.,Pénitencier, 1922, p. 683).Je quitterai le théâtre (...). J'en ai goûté la crème et la lie (L. Daudet, Médée,1935, p. 83): 2. Notre ami, qui se marie
Est la crème des amis!
Il sera, je le parie,
La crème aussi des maris.
E. Labiche, Célimare le bien-aimé,1863, I, 6, p. 20. − P. iron. Il était la crème des salopes (Céline, Mort à crédit,1936, p. 162). − Absol. Élite sociale ou morale. (Quasi-)synon. dessus du panier, fleur, gratin.− C'est de braves gens (...) − Oh! Monsieur, la crème (...) des gens droits, probes (Balzac, Splend. et mis.,1844, p. 311).Les ouvriers allemands, ou encore (...) les volontaires français (...) qui, comme on dit, « n'étaient pas la crème » (Ambrière, Gdes vac.,1946, p. 161). c) Argot
α) Faire crème qqn, être fait crème. Duper (un complice), être dupé (par un complice). Rem. Attesté dans G. Delesalle, Dict. arg.-fr. et fr.-arg., 1896, p. 81, Esn. Poilu 1919, p. 153, Carabelli, [Lang. pop.]. − P. ext. Être fait crème. Être pris en flagrant délit. Pas facile! Tu seras fait crème (Méténier [18]85 ds Larch.Suppl.1880, p. 74). Rem. Attesté également dans France 1907, La Rue 1954, Esn. 1966, Carabelli, [Lang. pop.].
β) Mauvais sujet. Rem. Attesté dans Bruant 1901, p. 125, Carabelli, [Lang. pop.]. ♦ Être crème. Être malveillant. C'est tout c'qu'y a d'crème. Il a fait des salop'ries à tout l'monde (Bruant1901, p. 313). Rem. Attesté également dans Rossignol, Dict. arg., arg.-fr. et fr.-arg., 1901, p. 31, Chautard, Vie étrange arg., 1931, p. 590 et Esn. 1966. B.− P. ext. Préparation rappelant par sa consistance la crème de lait. 1. ALIMENTATION a) PÂTISS. Mets sucré de consistance onctueuse ou semi-liquide, composé d'œufs, de lait et diversement aromatisé; préparation sucrée de composition analogue qui garnit certaines pâtisseries. Elle (...) lui faisait des crèmes à la pistache (Flaub., MmeBovary,t. 2, 1857, p. 119).Des tartelettes, des cornets à la crème, des meringues, des millefeuilles, des gâteaux fourrés au chocolat (Cendrars, Bourlinguer,1948, p. 259): 3. ... des familles s'assemblaient en extase devant la boutique d'un pâtissier. Des doigts fourrageaient des éclairs blessés et versant leur crème; d'autres soupesaient de molles frangipanes (...); des bouches buvottaient la mousse savonneuse des Saint-Honoré...
Huysmans, Les Sœurs Vatard,1879, p. 135. SYNT. Crème anglaise, blanche, jaune, pâtissière, renversée, vanillée; crème à la vanille, crème au caramel, au chocolat. P. anal., arg. Boue. À travers champs (...) on écrase une pâte à consistance visqueuse qui s'étale et reflue sans cesse devant les pas. − D'la crème au chocolat... D'la crème au moka! (Barbusse, Feu, 1916, p. 332). Attesté également chez Bruant 1901, p. 68. Choux, tarte(s) à la crème. − En partic. Crème glacée. Préparation sucrée et parfumée, confectionnée de façon analogue et consommée glacée. Les femmes (...) achetaient des cornets et des gaufrettes (...) et léchaient leur crème glacée avec une sensualité béate (Van der Meersch, Empreinte dieu,1936, p. 31): 4. Elle levait un couvercle, plongeait la cuiller creuse dans l'épaisseur de la crème glacée et en jetait le contenu dans un grand verre bas sur patte. Elle ajoutait un peu de crème fouettée (...). Dans un tiroir d'aluminium, elle puisait une cuillerée de guimauve blanche et la faisait ruisseler sur la crème...
Roy, Bonheur d'occasion,1945, p. 18. Rem. On rencontre ds la docum. la variante crème à la glace. Un coin (...) de boutiques de crème à la glace (Morand, New York, 1930, p. 97). Il s'agit d'un anglicisme en usage au Canada. Si j'ai le goût de manger un cornet de crème à la glace, j'en mange un cornet de crème à la glace, même si ça plaît pas à lui (Godbout, Kid Sentiment, (copie des dialogues improvisés et enregistrés au son direct), 1968, p. 55). b) CONFISERIE. Préparation sucrée et fondante, additionnée d'un parfum et parfois d'un colorant, dont on fourre les bonbons au chocolat. Les bonbons de chocolat assortis, nougat, praliné, crême, etc. (Catal. jouets [Louvre], 1937). Ma mère (...) m'envoyait acheter (...) une demi-livre de chocolats mélangés. − (...) fais bien attention! me disait-elle. Demande qu'on t'en donne à la crème blanche (Guéhenno, Journal« Révol. », 1937, p. 93).Des dragées aux amandes ou à la pistache, des fondants au chocolat avec de la crème à la frangipane ou une coulée de kirsch au cœur, des marrons glacés (Cendrars, Boulinguer,1948, p. 197). c) Préparation culinaire salée dont les éléments ont été réduits jusqu'à atteindre la consistance d'une crème. Un brochet de rivière piqué, farci et baigné d'une crème d'écrevisses (Brillat- Sav., Physiol. goût,1825, p. 168). − En partic. Potage. Le mot potage crème (...) est employé dans des sens différents : les uns appellent ainsi (...) de simples potages purée (...) les potages liés à la crème et aux jaunes d'œufs (...) potages liés avec un roux plus ou moins foncé et de la crème (Ali-Bab, Gastr. prat.,1907, p. 100). d) Crème de gruyère. ,,Fromage laitier obtenu à partir de gruyères non mis dans le commerce, qui sont broyés, cuits et malaxés dans le vide (...)`` (Ac. Gastr. 1962). e) Liqueur de consistance sirupeuse. Crème de banane, de cassis, de menthe. La crème de thé, une liqueur des îles, dit Canalis (Balzac, Modeste,1844, p. 245).Anisette? Crème des Barbades? Vespétro? (Richepin, Chien de garde,1898, p. 63). 2. PHARM. Crème de tartre. Sel purgatif extrait du tartre de vin. La lie renferme aussi de la crème de tartre, mais en quantité moindre que le tartre brut (Wurtz, Dict. chim. pure appl.,t. 3, 1878, p. 233 et cf. aussi Bouchardat, Nouv. formulaire, 1894, p. 232). 3. COSMÉTOLOGIE. Produit de toilette ou de beauté utilisé pour les soins de la peau. Crème à raser, crème de beauté. Cet arôme singulier qui provenait (...) de quelque crème épilatoire et des parfums de l'époque, produits moins purs, évidemment, que ce que les instituts de beauté nous offrent aujourd'hui (Fargue, Piéton Paris,1939, p. 190): 5. Ensuite elle passe un enduit de crème, et se masse doucement pendant une dizaine de minutes les régions de la figure les plus menacées par les rides. Elle gardera cette couche de crème jusqu'au sortir du bain. À ce moment, elle l'essuiera avec un linge fin, sans trop frotter. Une trace de crème restera jusqu'au soir, et pourra servir de support à la poudre...
Romains, Les Hommes de bonne volonté,Le 6 octobre, 1932, pp. 121-122. 4. DROGUERIE. Produit d'entretien servant à divers usages. Tante Aline les retournait dans tous les sens, en les astiquant avec une crème qui sentait très fort, toutes ces crèmes de maintenant sentent très fort et ne nettoient rien (E. Triolet, Prem. accroc,1945, p. 46). Prononc. et Orth. : [kʀ
εm]. Transcrit avec une durée longue ds Passy 1914 et ds les dict. plus anc. : Land. 1834, Fél. 1851, Littré et DG. Ds Fér. 1768 la voyelle est qualifiée de douteuse et ds Fér. Crit. t. 1 1787, de moyenne. La durée est la trace de la disparition de l'anc. s de cresme. Pour Buben 1935, § 24, et G. Straka, Système des voyelles du fr. mod., Strasbourg, Inst. de Phonét., 1950, p. 32, cette durée se maintient encore dans le mot. Certains dict. écrivent même crême avec l'accent circonflexe qui rappelle habituellement la disparition de s et maintient la voyelle ouverte et longue : cf. Fér. 1768 (mais non Fér. Crit. t. 1 1787), Land. 1834. Enq. : / krεm, (D) /. Attesté ds Ac. 1694-1932. Étymol. et Hist. 1. Ca 1190 craime (Evrat, Genèse, B.N. 12457, fo30 rods Gdf. Compl.); 1261 cresme (Rutebeuf, Le Manège Rutebeuf, 84 ds
Œuvres, éd. E. Faral et J. Bastin, I, p. 550); 2. 1580 cresme au fig. « la partie la meilleure (de quelque chose) » (Montaigne, Essais, éd. A. Thibaudet, II, 10). Du b. lat. crama « crème » (VIes., Venance Fortunat ds TLL s.v.) d'orig. gauloise, tôt croisé avec chrisma (cresme), v. chrême. Fréq. abs. littér. : 617. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 533, b) 619; xxes. : a) 1 095, b) 1 178. Bbg. Henry (A.). A. fr. saime. Romania. 1959, t. 80, p. 221. − Henry 1960, p. 181. − Meyer-Lübke (W.). Fr. crème. Arch. St. N. Spr. 1911, t. 126, pp. 185-188. − Quem. 2es. t. 1 1970. − Radoff (M.-L.). Tout craché et cher comme crème. Mod. Lang. Notes. 1938, t. 53, pp. 327-334. − Rog. 1965, p. 67. − Sain. Lang. par. 1920, p. 395. |