| CROISER, verbe. I.− Emploi trans. A.− [Le suj. désigne un animé, gén. humain; correspond à croix I] Disposer deux choses en forme de croix latine ou d'X. Croiser les bras, les mains (derrière le dos) : 1. Dès qu'il [Augustin] se fut assis, et que je le vis croiser ses jambes l'une sur l'autre dans l'attitude d'un homme qui n'a rien à dire et qui entre en oubliant l'objet de sa visite, je m'aperçus bien qu'il n'était pas, lui non plus, dans des dispositions riantes.
Fromentin, Dominique,1863, p. 152. − En partic. [L'obj. désigne un vêtement] Rabattre les deux extrémités ou les deux pans l'un sur l'autre : 2. Un vieillard, à la face tourmentée d'une anxiété permanente, croisait et recroisait son cache-nez de laine grise sur sa poitrine et, chaque fois, se frappait le sternum à petits coups nerveux.
Druon, Les Grandes familles,t. 2, 1948, p. 241. Rem. On rencontre ds la docum. deux emplois vieillis, non attestés ds les dict. gén. a) Cocher par une croix. Les libraires, le catalogue à la main, bouleversant la bibliothèque et croisant les articles qui leur sont demandés par commission (Jouy, Hermite, t. 3, 1813, p. 208). b) Croiser une lettre. Ajouter un post-scriptum perpendiculaire au texte d'une lettre, de manière à suggérer la forme d'une croix. Pardon si je croise ma lettre pour quelques lignes (Mallarmé, Corresp., 1862, p. 22). − Locutions ♦ Croiser les bras. Rester inactif ou indifférent. Le vieux croisa ses bras dans une pose d'humble héros (Maupass., Contes et nouv.,t. 2, Père Milon, 1883, p. 217).Et tu croises tes bras devant eux [les gens]. Et tu les méprises (Saint-Exup., Citad.,1944, p. 550). ♦ Croiser la baïonnette. Présenter le fusil, baïonnette en avant comme pour engager le combat. La sentinelle de garde a, selon la consigne, croisé la baïonnette (Saint-Exup., Pilote guerre,1942, p. 286). ♦ Croiser l'épée, le fer. Engager le combat. P. métaph. Les communistes eux-mêmes, tout en multipliant appels du pied et moulinets, se gardent de croiser le fer (De Gaulle, Mém. guerre,1959, p. 240). B.− [Le suj. désigne un animé ou un inanimé; correspond à croisement] Couper, passer au travers de : 3. La route croise une voie ferrée, sur laquelle roule un interminable convoi de wagons vides que traîne à petite allure une locomotive soufflante, chauffée à blanc.
Martin du Gard, Les Thibault,L'Été 1914, 1936, p. 740. − P. métaph. Routes sans destinée, croisant l'X de mes pas hésitants (Éluard, Capitale douleur1926, p. 118). 1. P. ext. Rencontrer sur son trajet, venant en sens opposé ou différent : 4. Lorsque l'on se rend d'Oxford Street à Leicester Square, on traverse un dédale de rues obscures dont les plus innocents commerces ont un air étrange; sur les boutiques sont inscrits des noms surprenants et dont aucun n'est britannique; on n'y croise que des étrangers.
Morand, Londres,1933, p. 188. − En partic. [À propos du regard] La minute enchantée où le regard croise le regard (Jankél., Je-ne-sais-quoi1957, p. 104). 2. Au fig. Avec l'idée d'entraver, de faire obstacle : 5. On démêle en même tems les motifs secrets qui, dans chaque individu, modifient son dévouement; les craintes, les soupçons, les calculs particuliers, qui viennent croiser l'impulsion universelle.
Constant, Wallstein,1809, p. XIII. C.− SC. et TECHN. 1. [Correspond à croix I] MAR. Croiser les vergues. Les mettre perpendiculaires au mât. Mettez le pavillon en berne, croisez les vergues! (Dumas père, Monte-Cristo, t. 1, 1846, p. 7). − P. métaph. Et nous ne fierons rien qu'aux vergues de prière Parce que c'est Jésus qui nous les a croisées (Péguy, Ève,1913, p. 884). 2. [Correspond à croisement B 1] BIOL. et BOT. Rapprocher, en vue de la reproduction, deux animaux ou deux végétaux de races, d'espèces ou de genres différents. Les sélectionner [des plants de vigne], dans le dessein de les croiser entre eux (Pesquidoux, Livre raison,1925, p. 77).On croise une souris à robe uniforme avec une souris panachée (Cuénot, J. Rostand, Introd. génét.,1936, p. 27). − P. ext. [À propos des hommes] Une race métis où le Villacourt était croisé de nature, le gentilhomme mâtiné de l'homme des bois (Goncourt, R. Mauperin,1864, p. 249). − P. métaph. Faire se rencontrer des choses contraires, panacher : 6. Aujourd'hui 13 septembre 1846, j'ai achevé la lecture des Lettres de Rancé, et j'ai traduit une idylle (la quatrième) de Théocrite. Croisons nos plaisirs.
Sainte-Beuve, Pensées et maximes,1869, p. 94. 3. [Correspond à croisement B2] a) HÉRALD. Croisé de. Traversé en diagonale. Deux et un croisés de trois rencontres de bœuf de sable (Balzac, Illus. perdues,1843, p. 43). Rem. Ce sens n'est pas signalé ds les dict. gén. qui ne retiennent que l'accept. « chargé d'une croix » (cf. Besch. 1845). b) TISS. Faire passer les fils de la trame d'une étoffe dans une trame double. − P. anal. La chaîne ourdie, elle [l'araignée] s'occupe à faire la trame en croisant le fil (Michelet, Insecte,1857, p. 207). − P. métaph. : 7. ... [les élus] suivent la circulation de la sève dans les canaux des plantes; et l'hysope et le cèdre ne peuvent dérober à l'œil du saint, la navette qui croise la trame de leurs feuilles, et le tissu de leur écorce.
Chateaubriand, Les Natchez,1826, p. 175. c) VÉN. Croiser la voie. ,,Rencontrer le parcours d'un animal de chasse`` (Vén. 1974). II.− Emploi pronom. A.− Usuel 1. [Correspond à croix I] a) [Le suj. désigne un inanimé concr.] Se couper en diagonale, former une croix. Des routes qui se croisent sans écriteaux (Renard, Journal,1894, p. 242). − En partic. [À propos d'un vêtement] Robe de chambre, qui se croise en devant (Voy. La Pérouse,t. 4, 1797, p. 75). Rem. On rencontre ds la docum. un sens rare, non signalé par les dict. gén. Ses regards se croisaient, il louchait (Goncourt, Journal, 1855, p. 197). b) [Le suj. désigne un animé, gén. humain] Disposer en forme de croix. De son fichu de mousseline elle se croise à petits plis le virginal tissu (Lamart., Cours litt.,1859, p. 299). − En partic. Se croiser les bras, les mains, les jambes. Au fig. Rester inactif ou indifférent. Ne pas rester tranquilles, (...) ne pas se croiser les mains derrière le dos (Balzac, Annettet. 2, 1824, p. 15).Je ne puis pas me croiser les bras devant ces naufrages (Saint-Exup., Terre hommes,1939, p. 224). 2. [Correspond à croisement] Se rencontrer sur un trajet en venant en sens contraire ou différent. a) [Le suj. désigne un animé] La politesse exige que deux personnes qui se croisent lèvent ensemble leurs parapluies (Renard, Journal,1893, p. 157). b) [Le suj. désigne un inanimé concr.] Nos yeux se croisèrent avec une surprenante fixité (Maupass., Contes et nouv.,t. 2, Magnétisme, 1882, p. 780). ♦ Lettres qui se croisent. ,,Lettres échangées entre deux personnes, mais acheminées en même temps, de sorte qu'aucun des deux correspondants n'a reçu celle de l'autre au moment où il envoie la sienne`` (Dub.). Ta lettre se croisera sans doute avec la mienne (M. de Guérin, Corresp.,1839, p. 375). c) [Le suj. désigne un inanimé abstr.] Nous entendons leurs vives répliques se croiser (Barrès, Cahiers, t. 8, 1910-11, p. 223). Rem. Dans ce cas, l'emploi est souvent péj. Lutte éternelle de toutes les vanités qui se croisent (Chamfort, Max. et pens., 1794, p. 41). B.− Spécialement 1. [Correspond à croix II B] HIST. Revêtir un vêtement portant la croix, symbolisant l'engagement pour la croisade; p. méton., s'engager pour la croisade : 8. Ce qu'on ne saurait mettre en doute, c'est l'ardeur de sa foi [à Raymond] et son dévouement à la croisade. Nul peut-être n'a fait en se croisant un tel sacrifice.
Grousset, L'Épopée des croisades,1939, p. 22. 2. [Correspond à croisement] a) [Le suj. désigne un animé] BIOL. et BOT. Se mêler, en vue d'une reproduction sexuée, à partir d'espèces ou de genres différents. − P. ext. Se croiser avec des négresses antillaises (Morand, New York,1930, p. 80). b) [Le suj. désigne un inanimé concr.] VERSIF. Alterner. Les rimes se croisent ou s'embrassent (Lemaitre, Contemp.,1885, p. 17). III.− Emploi intrans. A.− [L'obj. désigne un vêtement; correspond à croix I] Passer l'un sur l'autre en parlant des extrémités ou des pans d'un vêtement. Un gilet blanc, celui qui croise (Flaubert, Corresp.,1851, p. 122). B.− [Le suj. désigne un navire ou une flotte; correspond à croisement] Aller et venir dans des parages déterminés, pour y surveiller la navigation. Une escadre croisait dans la Méditerranée (Hugo, Misér.,t. 1, 1862, p. 446). − P. métaph. : 9. ... tant de nos souvenirs, de nos humeurs, de nos idées partent faire des voyages loin de nous-même, où nous les perdons de vue! (...) Mais ils ont des chemins secrets pour rentrer en nous. Et certains soirs, m'étant endormi sans presque plus regretter Albertine − on ne peut regretter que ce qu'on se rappelle − au réveil je trouvais toute une flotte de souvenirs qui étaient venus croiser en moi dans ma plus claire conscience, que je distinguais à merveille.
Proust, La Fugitive,1922, p. 488. − P. ext. Exercer une action de surveillance. En croisant aux environs de ces lieux, (...) je finirais certes par le rencontrer (Sainte-Beuve, Volupté,t. 1, 1834, p. 217). Prononc. et Orth. : [kʀwaze], (je) croise [kʀwa:z]. [ɑ] post. ds Passy 1914, et comme 1revar. à côté de [a] ant. ds Warn. 1968. Cf. croix. Admis ds Ac. 1694-1932. Étymol. et Hist. 1. Ca 1100 cruisier « disposer en croix » (Roland, éd. Bédier, 2250); 2. 1174 soi cruisier « prendre la croix, partir à la croisade » (Guernes de Pont Sainte-Maxence, Vie de St Thomas le martyr, éd. E. Walberg, 4387); 1194-97 croisié part. passé subst. (Helinand, Vers de la mort, éd. Wulff et Walberg, XXXIII, 4); 3. 2emoitié xives. pronom. « se rencontrer en venant de directions opposées » (Froissart, II, III, 6 ds Littré); 4. 1620 fig. croiser le chemin à qqn (Aubigné, Hist. univ., I, 335 ds Littré); 5. 1671 mar. (Pomey); 6. av. 1782 génét. (Raynal, Hist. phil., VIII, 7 ds Littré). Dér. de croix*; dés. -er. Fréq. abs. littér. Croiser : 1 687. Croisant : 269. Fréq. rel. littér. Croiser : xixes. : a) 1 569, b) 2 524; xxes. : a) 2 473, b) 2 995. Croisant : xixes. : a) 378, b) 698; xxes. : a) 289, b) 272. DÉR. Croiserie, subst. fém.a) [Correspond à croiser I A] Ouvrage de vannerie fait de brins d'osiers entrecroisés. Attesté ds la plupart des dict. gén. du xixes., ds Quillet 1965 et Lar. Lang. fr.b) [Correspond à croiser I B] Région., rare. Croisée de chemins. Synon. croisement, carrefour.L'attelage s'arrêtant en haut de la côte à une croiserie de chemins (A. Daudet, Sapho,1884, p. 210).− [kʀwazʀi]. Seule transcr. ds Littré, DG et Lar. Lang. fr. Cf. croix. − 1resattest. a) fin xiies. « action de se croiser, croisade » (Fabliaux et Contes, éd. Barbazan et Méon, Chroniques de S. Magloire, t. II, p. 225, v. 102); b) 1754 « ouvrage de vannerie à jour » (Encyclop.); de croiser, suff. -erie*. Le sens b est dér. de l'expr. croiser les osiers « les mettre les uns sur les autres en les travaillant » (Corneille 1694). BBG. − Gottsch. Redens. 1930, p. 160, 411. − Thomas (A.). Nouv. Essais 1904, p. 243. |