| CROISÉE, subst. fém. A.− Point d'intersection. 1. [À propos d'inanimés concr., notamment voies de communications] Croisée des chemins, des routes : 1. Regarde là-bas, du côté des Halles, on a coupé Paris en quatre... Et de sa main étendue, ouverte et tranchante comme un coutelas, il [Saccard] fit signe de séparer la ville en quatre parts.
− Tu veux parler de la rue de Rivoli et du nouveau boulevard que l'on perce? demanda sa femme.
− Oui, la grande croisée de Paris, comme ils disent. Ils dégagent le Louvre et l'Hôtel-de-Ville.
Zola, La Curée,1872, p. 389. − Emploi fig. Croisée des chemins, des routes. Moment où une personne doit faire un choix délicat : 2. Qui ne s'est assis à la croisée de deux routes. Je me demande souvent avec une sorte d'anxiété rétrospective, avec un vertige en arrière, où j'allais, ce que je devenais, si je ne fusse point allé en sixième, si M. Naudy ne m'avait point repêché juste à ces vacances de Pâques.
Péguy, L'Argent,1913, p. 1131. 2. [À propos d'entités abstr.] À cette croisée de deux générations et de deux sociétés (Proust, Temps retr.,1922, p. 977): 3. La description pure nous invite à poser ainsi la question : par quel trait le besoin peut-il être un motif sur lequel le vouloir s'appuie en se déterminant? Il faut donc situer notre étude à la croisée de cette double analyse, l'une de la forme du motif, l'autre de la matière affective du besoin telle qu'elle vient de nous apparaître.
Ricœur, Philos. de la volonté,1949. p. 89. B.− Emplois spéc. 1. ARCHIT. Intersection de lignes ou de volumes. a) Croisée d'ogive(s). ,,Croisement des nervures d'une voûte d'arête`` (Chabat 1881). b) Intersection de la nef et du transept dans une église. Le clocher sur la croisée (Hugo, N.-D. Paris,1832, p. 181). − P. méton. Transept. L'église, toute d'une pièce, sans croisée qui la coupe (Michelet, Journal,1835, p. 212).Dans le côté gauche de la croisée, un autel (Sainte-Beuve, Port-Royal,t. 1, 1840, p. 46). 2. CONSTR. et MENUIS. a) Vieilli. Croix de pierre ou de bois qui divise l'espace d'une fenêtre. De grandes baies à croisées de pierre (Borel, Champavert,1833, p. 75). − P. méton. Espace ainsi délimité. Les vitraux du chœur (...). Chaque croisée est une grande scène architecturale (Michelet, Chemins Europe,1874, p. 201). b) Châssis vitré, en bois ou en métal, qui entoure et clôt une fenêtre. Les suies des usines sur les croisées des fenêtres (Céline, Voyage,1932, p. 342): 4. Les contrevents battent, on entend tomber une échelle; les croisées de la chambre de Thérèse, qui étaient mal fermées, s'ouvrent toutes grandes.
Ramuz, Derborence,1934, p. 65. − P. métaph. : 5. Je fuis et je m'accroche à toutes les croisées
D'où l'on tourne l'épaule à la vie, et, béni,
Dans leur verre, lavé d'éternelles rosées,
Que dore le matin chaste de l'infini
Je me mire et me vois ange! (...).
Mallarmé, Poésies,Les Fenêtres, 1898, p. 33. − P. méton. La fenêtre elle-même (notamment quand on la considère de l'intérieur). Assise, la fileuse au bleu de la croisée (Valéry, Charmes,Vers anciens, la fileuse, 1922, p. 75): 6. Les jeunes filles, restées seules, s'accoudèrent deux à deux sur l'appui des fenêtres, jasant, penchant leur tête et se parlant d'une croisée à l'autre.
Hugo, Les Misérables,t. 1, 1862, p. 180. 7. La rue vide s'emplit peu à peu du bruit régulier des pas. Un anarchiste tomba : on venait de tirer sur lui d'une fenêtre. Laquelle? La troupe était à cinquante mètres. Des croisées, comme on devait bien voir toutes les portes du trottoir opposé!
Malraux, L'Espoir,1937, p. 447. SYNT. Appui, châssis, embrasure, rideau, vitre de croisée; fermer, ouvrir, refermer la croisée; aller à, courir à, se mettre à la croisée; s'approcher de la croisée, regarder par la croisée; la croisée donne sur (+ élément du paysage). 3. TECHNOL. ,,Pièces de bois ou de métal fixées en croix dans tel ou tel mécanisme`` (Ac. 1932). Rem. Emploi signalé ds la plupart des dict. gén. à partir de Besch. 1845. Prononc. et Orth. : [kʀwaze]. Cf. croix. Admis ds Ac. 1694-1932. Étymol. et Hist. 1. Ca 1348 [ms. début xves.] « endroit où deux choses se croisent, se coupent » (Songe vert, 1560 ds T.-L.); 1380 (Inv. de Charles V, no4 ds Gay); 2. 1390 archéol. « carré du transept ». (doc. ds Fagniez, Doc. relatifs à l'histoire de l'industrie et du commerce, II, p. 144); 3. 1455 fenestres croesées (Lecoy, Comptes du roi René, art. 240 ds Gay); 1504 croisié (Comptes du chât. de Gaillon, p. 116, ibid.); 1527 croisée (Le Loyal Serviteur, Hist. de Bayart, ch. 17 ds Hug.). Dér. de croiser*; suff. ée*. Fréq. abs. littér. : 915. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 1 749, b) 1 952; xxes. : a) 996, b) 757. Bbg. Goug. Mots t. 1 1962, p. 176. − Soyer (J.). Qq. mots du fr. mod. rares ou inéd. trouvés ds les doc. orléanais. Fr. mod. 1944, t. 12, pp. 179-193. |