| COURBE, adj. et subst. I.− Adj. Dont la forme ou la direction ne comportent aucun élément droit ou plan. Le tir courbe. La plage était dorée et courbe comme la croûte du pain couronne (Morand, Chron. homme maigre,1941, p. 151).Le notaire esquissa le geste courbe de quelqu'un qui met de l'argent dans sa poche (Druon, Lis et lion,1960, p. 107). SYNT. Un dos, un espace, un fleuve, un sol, un tronc courbe; des miroirs courbes; une lame courbe; des formes, des moustaches, des serres, des surfaces courbes. ♦ Emploi subst. sing. avec valeur de neutre. De déroutantes combinaisons (...) de la volute et de la droite, du courbe et du brisé (Arnoux, Solde,1958, p. 153). − Au fig. Qui emprunte des détours, indirect. La ligne courbe en matière d'éreintage (Baudel., Salon,1846, p. 167): 1. Intentionnellement disposés çà et là dans la vaste pièce, sont des emplacements spéciaux par lesquels il convient de passer, des invitations courbes, à se rendre à telle place précise et non pas à telle autre.
Malègue, Augustin,t. 1, 1933, p. 23. ♦ Emploi subst. Anton. de droit.Vous voici désormais dans toute cette fange. Vous voici désormais dans l'oblique et le courbe. Vous voici désormais dans le faux et le fourbe (Péguy, Ève,1913, p. 767). II.− Subst. fém. A.− Ligne courbe. Le nez à la courbe judaïque adoucie (Péladan, Vice supr.,1884, p. 105): 2. Une courbe de l'allée, une brèche dans le feuillage permirent à Camille de revoir, à distance, la chatte et Alain.
Colette, La Chatte,1933, p. 207. SYNT. Suivre, épouser, former, dessiner, tracer une courbe; la courbe d'un fleuve, d'un chemin, du rivage, de l'avenue; la courbe de la chevelure; une courbe hardie, douce, rapide, large. ♦ Rare. Forme courbe produite par quelque chose : 3. De grands arbres immobiles qui ont la courbe du vent, des femmes voilées de noir (...) de hautes montagnes crénelées de fortifications et ravinées de torrents desséchés, une ville tassée (...), quelle image que je voudrais aller revoir et encore enrichir.
Barrès, Mes cahiers,t. 11, 1914-18, p. 47. ♦ Spéc. Partie d'une voie ferrée, d'une route présentant la forme d'un arc. − Lang. techn. a) Pièce courbe. ♦ CHARPENT. Pièce de bois cintrée (cf. Chesn. 1857).En partic., ARCHIT. Courbe rampante. Limon courbe d'un escalier à vis. ♦ MAR. Pièce de bois (ou de métal) à deux branches, utilisée pour réunir deux pièces. Courbes d'assemblage, de liaison; courbe d'étambot, de bancs (cf. Will.1831; Soé-Dup. 1906). ♦ TRANSP. ,,Ustensile à l'aide duquel le porteur d'eau porte ses deux seaux`` (Littré) avec un ex. de M. Du Camp); ,,pièce de bois courbe qui unit les baculs de deux chevaux attelés`` (DG) et p. méton. ,,attelage de deux chevaux unis par cette pièce`` (DG). b) P. anal. ART VÉTÉR. Tumeur osseuse à la partie interne du jarret du cheval. MÉD. Courbe frontale totale. ,,Segment de la courbe antéro-postérieure de Topinard`` (Méd. Biol. t. 1 1970). Courbe intermastoïdienne de Morton. ,,Courbe unissant le sommet des deux apophyses mastoïdiennes en passant par la voûte du crâne`` (Méd. Biol. t. 1 1970). VITIC. Jeune pousse de vigne (cf. Fén. 1970). B.− P. ext., GÉOM. Lieu des positions successives d'un point qui se meut suivant une loi déterminée. La circonférence est une courbe : 4. Si la grâce préfère les courbes aux lignes brisées, c'est que la ligne courbe change de direction à tout moment, mais que chaque direction nouvelle était indiquée dans celle qui la précédait.
Bergson, Essai sur les données immédiates de la conscience,1899, p. 22. ♦ Au fig. De la solitude à la solitude la courbe de sa vie [Byron] était bouclée (Maurois, Lord Byron,1925, p. 234): 5. Je ne regrette qu'une chose : c'est que toi qui vibres à tous les vents quoique tu en penses (...) au lieu de te retrouver dans cette courbe d'êtres d'élite qui ont suivi mon âme avec facilité, on te voit trottinant péniblement après un cri d'admiration, te pinçant les lèvres pour ne pas le pousser complètement, cela au nom de je ne sais quelles théories mesquines.
Jammes, Correspondance[avec A. Gide], 1893-1938, p. 193. ♦ P. anal. ARCHIT. Courbe des pressions. ,,Courbe obtenue dans l'étude de stabilité d'un arc ou d'une voûte, en réunissant les points par lesquels passe, dans chaque point, la résultante des forces`` (Noël 1968). CARTOGR. Courbe de niveau. Ligne unissant les points de même altitude et représentant un relief : 6. Au fond et à gauche, une sape non terminée était destinée à ouvrir un jour, à flanc de coteau, vers la courbe de niveau 300; ...
Romains, Les Hommes de bonne volonté,Verdun, 1938, p. 8. − Spéc. Ligne déterminée par une abscisse et une ordonnée et représentant la loi, l'évolution d'un phénomène. Courbe barométrique, courbe de température : 7. Descartes lui-même spécifiait qu'avec leur aide [des graphiques] on pouvait « construire tous les problèmes », c'est-à-dire leur donner une forme, donc les muer en images (...). Les fonctions et leurs courbes, en visualisant les connaissances et en les faisant tenir dans les variations d'une simple ligne, permettent, au surplus, à l'esprit de saisir un phénomène d'emblée, sans se perdre dans l'énoncé successif et fragmentaire du discours mental. « D'un coup d'œil », tout un ensemble complexe de notions est appréhendé concrètement.
Huyghe, Dialogue avec le visible,1955, p. 57. ♦ P. anal. ou p. métaph. Je suis né en 1862. Ces années 60 sont pour l'énergie française le point le plus bas de sa courbe. Une époque de profonde dépression. Cela commandait mon rôle (Barrès, Cahiers,t. 1, 1896-98, p. 8).Le marchand lui téléphona pour lui dire encore son inquiétude devant la courbe des ventes (Camus, Exil et Roy.,1957, p. 1646): 8. Rien de plus curieux que la variation de cet effet [l'influence de Mallarmé] dans la manière de plusieurs. La courbe de l'imitation monte brusquement, et après un palier de quelques années, descend. Et ce fut comme une maladie. Beaucoup sont heureusement revenus à leur température normale.
Valéry, Lettres à quelques-uns,1945, p. 98. ♦ Au fig. : 9. ... la guerre ne fait pas dévier d'un pouce la courbe que sa fatalité lui [Cézanne] a tracée. Il fait partie de la grande lignée des poètes qui va de Paolo Ucello, du Vinci et du Gréco à Georges de La Tour, ...
Lhote, Peint. d'abord,1942, p. 124. C.− Mouvement plus ou moins sinueux d'un objet, d'une chose, d'un phénomène. 1. [D'un obj. concr.] J'aperçus dans le lointain les feux d'une locomotive et la courbe d'un train se déformant vers nous. Tout me parut irréel (Maurois, Climats,1928, p. 113): 10. Poussée par les employés, épuisée, perdue, elle se jeta dans le premier compartiment venu (...) tandis que, lui, prenait sa course légère de matelot, décrivait une courbe d'oiseau qui s'envole, afin de faire le tour et d'arriver à la barrière, dehors, à temps pour la voir passer.
Loti, Pêcheur d'Islande,1886, p. 114. 2. [D'un phénomène abstr.] Briser la courbe de mon rêve (Genevoix, Mains vides,1928, p. 173).Dans cette abondance et cette profusion [à Alger], la vie prend la courbe des grandes passions, soudaines, exigeantes, généreuses. Elle n'est pas à construire, mais à brûler (Camus, Noces,1938, p. 54): 11. Il n'est point probable que les hommes de mon espèce convertissent des hommes tels que toi qui aimes les courbes complexes de la pensée où pourrait les suivre un Claudel.
Jammes, Correspondance[Avec A. Gide], 1914, p. 227. 3. Au fig., MUS. Ces quelques passages particulièrement éloquents sont assez nettement désignés par la courbe expressive de la mélodie (Cortot, Ét. de Chopin,1917, p. 9): 12. Comme le chanteur déroule sa courbe sonore en une succession de sons le long du temps, le peintre disposait dans l'espace ses couleurs juxtaposées.
É. Faure, L'Esprit des formes,1927, p. 40. Prononc. et Orth. : [kuʀb]. Ds Ac. 1694-1932. Étymol. et Hist. A. Adj. apr. 1170 masc. curb (La Chanson de Guillaume, éd. Mac Millan, 2268); id. fém. curbe (ibid., 3172); 1262 masc. corbe (J. Le Marchand, Mir. ND de Chartres, 91 ds T.-L.). B. Subst. mil. xiiies. [date du ms.] corbe « morceau de jante (?) » (Le Roman de Thèbes, éd. Raynaud de Lage, 2896); 1314 « pièce de bois recourbée » (Arch. KK 394, fo29 ds Gdf.); 1699 courbe géom. (Mémoires de l'Académie des Sciences, 57). Du lat. vulg. *curbus, class. curvus « courbe, recourbé ». Fréq. abs. littér. : 1 264. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 1 111, b) 1 611; xxes. : a) 1 851, b) 2 450. Bbg. Sain. Arg. 1972 [1907], p. 72. |