| CONSIDÉRER, verbe trans. A.− Regarder avec une grande attention. La famille pétrifiée me considérait en silence (Mauriac, Le Nœud de vipères,1932, p. 243): 1. La palette au poing, le pinceau levé, il inclinait successivement la tête à droite, puis à gauche, et considérait avec application sa toile, posée à trois mètres de lui, sur le chevalet.
R. Martin du Gard, Les Thibault,L'Été 1914, 1936, p. 9. ♦ Emploi pronom. réciproque : 2. Alors elles se considérèrent silencieusement. Elles n'avaient, la servante et la maîtresse, aucun secret l'une pour l'autre. Enfin Félicité soupira :
− Si j'étais de vous, madame, j'irais chez M. Guillaumin.
Flaubert, MmeBovary,t. 2, 1857, p. 154. − P. ext. Regarder, examiner quelque chose sous un aspect déterminé ou d'une façon particulière. Je « considère » le triangle (Merleau-Ponty, Phénoménologie de la perception,1945, p. 442): 3. Cette manière de considérer le système nerveux ne peut nous éclairer sur la nature du système d'organes dont il s'agit; ...
Lamarck, Philos. zool.,t. 2, 1809, p. 180. B.− Au fig. Examiner de façon détaillée et critique : 4. Lorsque je considère et pèse ce mot Dieu que j'emploie, je suis forcé de constater qu'il est à peu près vide de substance; ...
Gide, Les Nouvelles Nourritures,1935, p. 274. ♦ Expr. À tout bien considérer : 5. Je lui ai dit [à Vieillard] qu'à tout bien considérer, la religion expliquait mieux que tous les systèmes la destinée de l'homme, c'est-à-dire la résignation.
Delacroix, Journal,1852, p. 204. − Spéc. Prendre en considération. Il rallia en hâte ses idées, étouffa ses émotions, considéra la présence de Javert (Hugo, Les Misérables,t. 1, 1862, p. 272).Les preuves ne sont pas des choses à manger, mais plutôt des choses à considérer (Alain, Propos,1923, p. 497). − P. ext. Faire cas de. 1. [Le compl. d'obj. désigne une pers.] Estimer. Il a raison et mon amitié l'approuve même de ne pas me « considérer » (Gide, Journal,1942, p. 116): 6. Je voulais qu'on me considérât; mais j'avais essentiellement besoin qu'on m'acceptât dans ma vérité, ...
S. de Beauvoir, Mémoires d'une jeune fille rangée,1958, p. 42. ♦ Emploi. pronom. réfl. On ne considère les gens que lorsqu'ils se considèrent eux-mêmes beaucoup (Flaubert, Correspondance,1856, p. 106). 2. [Le compl. d'obj. désigne une chose] Tenir compte. Il fallait aussi considérer le prix des chambres : à ce tarif-là, pouvait-on mieux offrir (Dabit, L'Hôtel du Nord,1929, p. 12). C.− [Dans des constr. fréq.] Juger. 1. Considérer + constr. attributive.Tenir pour. Puisque vous me faites l'honneur de m'envoyer votre article, je le considère comme une lettre (Hugo, Correspondance,1841, p. 586).On n'en eut jamais de nouvelles et on la considérait comme morte (Maupassant, Contes et nouvelles,t. 1, Le Bonheur, 1884, p. 691). − Emploi pronom. réfl. Ils peuvent se considérer comme déjà mariés (Faral, La Vie quotidienne au temps de St Louis,1942, p. 146). 2. Considérer + subordonnée.Penser, estimer : 7. Vous avez l'air de considérer que tout ce qu'on nous a enseigné avant guerre n'était qu'une immense fumisterie, ...
J.-R. Bloch, Destin du Siècle,1931, p. 11. Prononc. et Orth. : [kɔ
̃sideʀe], (je) considère [kɔ
̃sidε:ʀ]. Enq. : /kõsideʀ/ (il) considère. Fait partie des verbes qui changent [e] fermé en [ε] ouvert, écrit è accent grave devant syll. muette, sauf au fut. et au cond. : je considérerai(s). Le verbe est admis ds Ac. 1694-1932. Étymol. et Hist. 1. 1241-57 sans ex. (Vie de Saint-Franchois, 3134 ds T.-L.); ca 1265 « regarder avec attention » fig. « examiner avec soin » (Brunet Latin, Trésor, 17 ds T.-L.); 2. av. 1511 considerer que « estimer que » (Commynes, IV, 5 ds Littré); 3. 1643 « faire cas de » (Corneille, Polyeucte, II, 4); 4. 1835 considérer comme (Ac.); 5. 1792 part. prés. subst. (Grégoire, Conv. nat. ds Brunot t. 9, p. 782, note 1). Empr. au lat. class. considerare « examiner attentivement (par les yeux, par la pensée) ». Fréq. abs. littér. : 7 500. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 9 418, b) 8 303; xxes. : a) 10 156, b) 13 303. Bbg. Gottsch. Redens. 1930, p. 415. − Stefenelli (A.). Der Synonymenreichtum der altfranzösischen Dichtersprache. Wien, 1967. |