| CONQUÊTE, subst. fém. Action de conquérir; résultat de cette action. A.− Domaine milit.[Le compl. désigne un territoire, un peuple] Action de conquérir par les armes. La conquête du Mexique par les Espagnols (Chénier, Poèmes, L'Amérique, 1794, p. 107).Il [Charlemagne] fit la conquête de l'Italie, de la Hongrie et de l'Autriche (Say, Traité d'écon. pol.,1832, p. 473): 1. ... lorsque, dans le neuvième siècle, Édouard tenta la conquête du pays de Galles, il ne put l'asservir qu'en faisant massacrer tous les bardes : mais il ne put anéantir leurs chants, qui perpétuèrent dans ces contrées la haine du vainqueur et l'amour de l'indépendance.
Baour-Lormian, Ossian,Darthula, 1827, p. 27. SYNT. a) Conquête(s) + adj. : conquête normande, romaine; conquêtes récentes, successives. Adj. + conquête(s) : belle, dernière, grandes, nouvelle(s) conquête(s). b) Conquête(s) + prép. + subst. : conquête(s) du monde, (des, du, d'un) pays, des Romains, de la terre. Subst. + prép. + conquête(s) : esprit de conquête(s). L'esprit de conquête qui a la guerre pour instrument (Hugo, Le Rhin, 1842, p. 454). Fureur, gloire, guerre(s) de conquête(s); victoires et conquêtes. c) Verbe + conquête(s) : achever, entreprendre la conquête; marcher à la conquête. − Absol. Les guerres, les révoltes, les révolutions, la conquête (J. de Maistre, Des Constitutions pol. et des autres institutions hum.,1810, p. 30). − P. méton. Ce qui est conquis. Napoléon... Il faut se servir de ses conquêtes pour conquérir (A. Dumas Père, Napoléon Bonaparte,1831, III, 1, p. 53): 2. Après la prise de Veyes, le peuple veut quitter un territoire malsain pour aller habiter sa conquête. Il en est détourné par les patriciens qui, à Veyes, n'auraient pas pu voler des terres.
Stendhal, Promenades dans Rome,t. 1, 1829, p. 216. − P. anal. Action de conquérir, de gagner quelque chose (sur quelque chose); p. méton. ce qui est conquis. ♦ [À propos d'un animal] ... cheval (...) la plus belle conquête que l'homme ait faite sur la nature (Jouy, L'Hermite de la Chaussée d'Antin,1813, p. 200). ♦ [Le compl. désigne des éléments naturels] La conquête du feu (Ménard, Rêveries d'un païen mystique,1876, p. 116).La conquête de la végétation marine (Zola, La Joie de vivre,1884, p. 863).Une conquête comme celle de la Paroi Nord du Matterhorn (Peyré, Matterhorn,1939, p. 124).L'ascension d'un pic ou (...) la conquête de l'air (Teilhard de Chardin, Le Phénomène humain,1955, p. 347).La conquête de l'espace (Goldschmidt, L'Aventure atomique,1962, p. 274). ♦ [Le compl. désigne des biens matériels sans intérêt milit. partic.] [Le compl. désigne des terrains] Cette conquête de la terre sur l'eau [les dessèchements des marais hollandais] (Michelet, Sur les chemins de l'Europe,1874, p. 318).P. méton. La plaza Mayor (...) la seule conquête en terrain plan de cette ville suspendue au flanc de la roche (T'Serstevens, L'Itinéraire espagnol,1933, p. 228).[Le compl. désigne des produits de la terre] La conquête du sucre, de l'indigo et du coton (Las Cases, Le Mémorial de Sainte-Hélène,t. 1, 1823, p. 651).La cerise, conquête de Lucullus dans le royaume de Pont (Brillat-Savarin, Physiol. du goût,1825, p. 266).La précieuse conquête des feuilles de mûrier (Champfleury, Les Souffrances du professeur Delteil,1853, p. 29).En Californie, à la conquête de l'or (A. France, Pierre Nozière; 1899, p. 21).P. méton. Si tu peux dérober quelques fleurs (...) Redescends vite avec l'odorante conquête (M. de Guérin, Poésies,Les Bords de l'Arguenon, 1839, p. 101). B.− P. métaph., au fig., domaine des valeurs hum.Action de conquérir quelque chose, quelqu'un par un déploiement de qualités d'ordre social, moral, intellectuel ou affectif. 1. Domaine des valeurs soc.La conquête des pouvoirs publics par un parti, (...) la conquête du pouvoir politique par une classe (Maritain, Humanisme intégral,1936, p. 228).La conquête des fonctions publiques, des postes d'influence, des emplois administratifs (De Gaulle, Mémoires de guerre,1959, p. 239). SYNT. Conquête(s) + subst. : conquête(s) des libertés, (du/des) loisir(s), de la révolution. − P. méton. Conquêtes sociales. Ranger l'arbitraire et l'injustice au nombre des plus précieuses conquêtes de la libération sociale (Aymé, Uranus,1948, p. 165).Les vraies conquêtes bourgeoises : l'universalité des lois, la liberté d'expression, l'habeas corpus (Sartre, Situations II,1948, p. 275). 2. Domaine des valeurs morales.Conquête(s) morales. L'homme (...) engagé dans la poursuite d'un bonheur (...) dont la conquête est le terme de la vie morale (Gilson, L'Esprit de la philos. médiév.,t. 2, 1932, p. 126).La vocation de la personne humaine (...) la conquête d'une vraie liberté (Maritain, Humanisme intégral,1936p. 197).L'unité personnelle est une conquête de caractère moral (Mounier, Traité du caractère,1946, p. 582). − En partic., domaine relig.Conquête spirituelle. Précieuse et invincible énergie, digne d'être consacrée à la conquête du ciel (Montalembert, Hist. de Ste Élisabeth de Hongrie,1836, p. LXXX).Le christianisme voit (...) dans la conquête du salut l'éternelle rançon du péché originel (É. Faure, L'Esprit des formes,1927, p. 131). ♦ P. méton. Le saint, le sage, le héros, sont des conquêtes sur la condition humaine (A. Malraux, Les Voix du silence,1951, p. 631). 3. Domaine des valeurs intellectuelles et artistiques.Conquêtes intellectuelles, conquêtes de l'esprit. La Renaissance française, cette conquête, cette énorme conquête, cette énorme acquisition de culture (Péguy, Victor-Marie, Comte Hugo,1910, p. 812): 3. Derrière la Grèce, s'avançait à cette conquête intellectuelle de Rome le monde oriental qui s'était fondu avec la Grèce dans Alexandrie.
Michelet, Introd. à l'histoire universelle,1831, p. 418. − P. méton. Le roman est presque une conquête de l'art moderne (Hugo, Correspondance,1860, p. 331).L'hypnotisme est la plus belle conquête de la science moderne (L. Daudet, Les Morticoles,1894, p. 148). 4. Domaine des valeurs affectives.[Le compl. désigne le cœur d'une pers.; p. méton. cette pers. elle-même] a) Domaine des relations amicales.Sansfin (...) savait amuser un salon et faire la conquête d'un maître de château (Stendhal, Lamiel,1842, p. 52).Mademoiselle Gilbert, que j'adorais, et qui avait fait la conquête de tout le monde − même de grand-mère (Gyp, Souvenirs d'une petite fille,1927, p. 101). b) Domaine des sentiments amoureux.Quand d'un cœur amoureux Vous prisiez la conquête (Béranger, Chansons,t. 2, 1829, p. 18).La vanité satisfaite d'une conquête de femme à étaler (Lamartine, Raphaël,1849, p. 160): 4. N'était-ce pas elle qui, dès sa première rencontre avec Antoine, avait jeté son dévolu sur lui, vaincu ses résistances, fait patiemment sa conquête?
R. Martin du Gard, Les Thibault,L'Été 1914, 1936, p. 114. − P. méton. Homme, femme conquis(e). Si vous n'avez été la conquête que d'un seul homme, vous n'aurez rien à vous reprocher (Balzac, Correspondance,1822, p. 178).Cette femme (...), une conquête charmante pour Eugène (Soulié, Les Mémoires du diable,t. 2, 1837, p. 67). ♦ En partic., péj. Homme, femme facile à conquérir. Une femme (...) une des conquêtes de passage de son ami (Murger, Scènes de la vie de bohème,1851, p. 289).Hélène leur amena sa dernière conquête, un garçon de Véteuil (Zola, Madeleine Férat,1868, p. 119).Quant au militaire et à sa poule (...). Le soldat et sa conquête étaient partis (Queneau, Pierrot mon ami,1942, p. 172): 5. Cousin, quand vous aurez assez de quelque conquête des faubourgs, envoyez-la donc chez sire Maurice. Il est malsain de vivre sans femme, pour un homme qui a, comme lui, le cou court et les mains velues.
Musset, Lorenzaccio,1834, I, 4, p. 107. Prononc. et Orth. : [kɔ
̃kεt]. Enq. : [kõket]. Ds Ac. 1694 et 1718 sous l'anc. forme conqueste; ds Ac. 1740-1932 sous la forme moderne. Étymol. et Hist. 1. Ca 1160 « ce qui est conquis » (Benoit, Ducs de Normandie, éd. C. Fahlin, II, 25743); 2. fig. 1637 « personne conquise » (Corneille, Le Cid, IV, 5). Fém. de conquêt*. Fréq. abs. littér. : 2 452. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 4 450, b) 2 064; xxes. : a) 2 855, b) 3 807. Bbg. Gir. t. 2 Nouv. Rem. 1834, p. 23. |