| CONNAÎTRE, verbe trans. I.− Vieilli ou littér. Connaître qqn ou qqc.Reconnaître. A.− Reconnaître, discerner. 1. Reconnaître la marque de quelqu'un ou de quelque chose. Ils [les hommes] m'ont connue aux bleus stigmates Apparus sur ma pauvre peau (Valéry, Charmes,1922, p. 133). − Au fig., expr. proverbiale. L'arbre se connaît à ses fruits. ,,Une doctrine se juge par ses conséquences`` (Ac. 1932). − P. ext. Je ne l'ai vu qu'une fois, je le connaîtrais entre mille; je le connais à sa voix. Tartarin, en le [le chameau] voyant, change de couleur et feint de ne pas le connaître (A. Daudet, Tartarin de Tarascon,1872, p. 131): 1. C'était au point que lorsqu'elle [la lingère] rencontrait Baugé dans les galeries, elle affectait de ne pas le connaître.
Zola, Au Bonheur des dames,1883, p. 703. 2. Distinguer, faire la différence entre. Il [l'homme] serait également un Dieu, le serpent l'a bien dit, s'il pouvait connaître le bien et le mal (Ruyer, Esquisse d'une philos. de la struct.,1930, p. 347). − Au fig. et fam. Connaître sa main droite de sa main gauche. Être capable de discernement. B.− Accepter, admettre quelqu'un ou quelque chose comme ayant de l'autorité. 1. Connaître qqn.Je ne connais de maître que vous; je ne connais ici de maître que moi (Ac. 1835-1932); il ne connaît ni Dieu ni diable (fam.). Le duc, (...) (À fra Leonardo). Eh bien, moine, puisque tu ne connais ni duc ni maître, place au plus fort! (A. Dumas Père, Lorenzino,1842, III, 5, p. 256). 2. Connaître qqc.,dans le domaine du dr.En Angleterre on ne connaît point la loi salique (Ac.1835-1932).Les populations de la Grèce et de l'Italie, dès l'Antiquité la plus haute, ont toujours connu et pratiqué la propriété privée (Fustel de Coulanges, La Cité antique,1864, p. 68). II.− Connaître qqc.Avoir présente à l'esprit l'idée plus ou moins précise ou complète d'un objet abstrait ou concret, existant ou non. A.− PHILOS. et dans un contexte philos. gén. [L'obj. désigne tout objet possible de connaissance] La faculté de connaître étant supposée coextensive à la totalité de l'expérience (Bergson, L'Évolution créatrice,1907, p. 192).Manque de fierté évident dans l'entêtement à vouloir connaître discursivement jusqu'au bout (G. Bataille, L'Expérience intérieure,1943, p. 169). − Emploi abs. Le besoin, le désir, la soif de connaître; la difficulté de connaître; apprendre à connaître; connaître par les sens, l'intuition, l'intelligence. − Emploi subst. masc. avec valeur de neutre. Le connaître. Acte de connaître. Les limites du connaître (cf. connaissance, action, l'agir, l'être) : 2. La conscience est à nos yeux le moment le plus haut de la réalité et par là le connaître est au cœur de l'être.
O. Hamelin, Essai sur les éléments principaux de la représentation,1907, p. 358. B.− Être informé de et/ou sur l'existence ou la nature de quelque chose. Connaître un fait, une nouvelle; connaître la fonction, la nature, la valeur de qqc.; connaître les caractères, les propriétés d'un objet. Parvenue près d'un vieux châtaignier qu'elle connaissait, elle fit une dernière halte (Hugo, Les Misérables,t. 1, 1862, p. 471).Il [ce marchand] les prévenait [les amateurs] (...) dès qu'il connaissait un objet à vendre pouvant leur convenir (Maupassant, Contes et nouvelles,t. 1, La Baronne, 1887, p. 1300).L'homme connaît le monde non point par ce qu'il y dérobe mais par ce qu'il y ajoute : lui-même (Claudel, Art poétique,Connaissance du temps, 1907, p. 133): 3. Nous connaissons mal encore l'effet des substances chimiques contenues dans les aliments sur les activités physiologiques et mentales.
Carrel, L'Homme cet inconnu,1935, p. 369. SYNT. Connaître tous les détails d'une histoire, les secrets d'une organisation, l'objet d'une visite, les résultats d'une enquête, d'une recherche; connaître un restaurant; connaître les sentiments de qqn à son égard; être censé connaître qqc. PARAD. Avoir, prendre connaissance de qqc.; être renseigné sur, avoir communication de qqc., apprendre qqc.; être, se mettre au courant de qqc. − Locutions 1. Vx. ou littér. Connaître qqc., connaître que + ind.Trop pauvre d'argent pour mourir dans l'ivresse, En m'éveillant à jeun, je connus ma détresse (Delavigne, Les Enfants d'Édouard,1833, II, 3, p. 58): 4. ... − Mon père est Abdoullah-Khan, et sans doute vous connaissez qu'il est le lieutenant favori et le ministre tout-puissant de Son Altesse, que Dieu conserve!
Gobineau, Nouvelles asiatiques,Les Amants de Kandahar, 1876, p. 267. − P. ext. Se rendre compte (de); avoir la révélation que. Synon. emphatique de savoir.Il [François] connut qu'elle [Jeannette] avait pleuré, et il en fut tracassé dans son esprit (G. Sand, François le Champi,1850, p. 115): 5. ... une folle bourrasque éclata, un soir, pendant le changement de marée. Les pêcheurs connurent qu'ils allaient écoper.
Queffélec, Un Recteur de l'île de Sein,1944, p. 108. 2. Connaissant + subst.Synon. étant donné, sachant.Je redoutais son jugement, connaissant l'intransigeance de la jeunesse (Gide, Les Faux-monnayeurs,1925, p. 1202).Construire un triangle ABC connaissant le côté (...), la hauteur (...) et l'angle (L. Roux E. Miellou, Géom.,Classes de seconde, 1946, p. 224). 3. Connaître qqc. à qqn; connaître une liaison à qqn. Savoir que quelqu'un a... : 6. Il [M. de Trailles] dépense toujours environ cent mille francs par an sans qu'on lui connaisse une seule propriété, ni un seul coupon de rente.
Balzac, Gobseck,1830, p. 406. 4. Faire connaître qqc. à qqn; faire connaître que + ind.Synon. diffuser, divulguer.Je viens vous faire connaître que j'accepte votre proposition. Je refusais de faire connaître aux familles intéressées l'état de ma fortune (Mauriac, Le Nœud de vipères,1932, p. 144): 7. L'assemblée fit connaître avec éclat que, pour elle, le général de Gaulle représentait la France en guerre et que son gouvernement était celui de la République.
De Gaulle, Mémoires de guerre,1956, p. 158. ♦ Synon. de exprimer, signifier.Faire connaître ses intentions, ses projets. ♦ Synon. de présenter, lancer : 8. ... bulletins de maison, édités par certaines firmes importantes ou par des groupements de firmes pour faire connaître leurs produits ou leurs méthodes.
La Civilisation écrite,1939, p. 1614. C.− Savoir quelque chose le plus souvent dans un domaine particulier, moyennant l'étude systématique et/ ou la pratique, l'expérience. 1. [L'accent est mis sur le contenu du savoir] Connaître l'alphabet; connaître une langue, une discipline scientifique; connaître un (son) métier; connaître les plantes. Lorsque l'apprenti connaît suffisamment sa casse, cette étude est complétée par la lecture sur le plomb (E. Leclerc, Nouveau manuel complet de typogr.,1932, p. 74): 9. Prud'hon connaissant à fond la pratique matérielle de son art, beaucoup trop négligée par les artistes de son temps, ébauchait en grisaille...
T. Gautier, Guide de l'amateur au Musée du Louvre,1872, p. 20. − Spéc. Connaître ses auteurs, ses classiques. Synon. posséder*.Il ne connaît pas son texte. SYNT., LOC., EXPR. Connaître qqc. sur le bout des doigts, par cœur, à fond, sommairement; connaître qqc. sous toutes ses faces; bien connaître une situation. Fam. En connaître un bout, un rayon sur qqc.; connaître la partie; connaître son affaire; connaître la chanson, la musique (fig.); je ne parle pas de ce que je ne connais pas; on ne se mêle pas de ces choses quand on ne les connaît pas; je ne le connais que trop; je la connais celle-là... il ne faut pas me la faire; je la connais dans les coins; je la connais! je ne connais que cela; on connaît ça! laisse-moi faire, ça me connaît! 2. [L'accent est mis sur la compétence particulière qui accompagne ou conditionne le savoir] Être compétent, (sous-entendu en quelque chose). Se connaître à, en qqc.; s'y connaître. [Fam.] Tu t'y connais un peu, toi? Il n'y connaît rien; je n'y connais pas grand chose; il ou elle ne connaît rien à rien. [Clapart :] − (...) Oscar devenir régisseur de Presles? (...) mais il faut savoir l'arpentage, se connaître à la culture (Balzac, Un Début dans la vie,1842, p. 418).Il prétendait se connaître aux arts; mais il s'en tenait à certains noms consacrés (R. Rolland, Jean-Christophe,L'Adolescent, 1905, p. 239). − Pour renforcer un jugement dans un domaine où l'on s'estime compétent. Comtesse, c'est de la sympathie, ou je ne m'y connais pas (A. Dumas Père, Un Mariage sous Louis XV,1841, I, 8, p. 119): 10. M. Feuillet les expédiait au ciel en deux ou trois ans au plus. Voilà un bon directeur spirituel, ou je ne m'y connais pas!
A. France, La Vie littéraire,t. 1, 1888, p. 27. − Spéc., DR., emploi intrans. [Le suj. désigne un juge et, p. ext., une assemblée délibérative] Connaître de qqc.; en connaître. Être compétent pour juger. Connaître des contestations, des infractions, des litiges (relatifs à); ce juge ou ce tribunal ne peut pas connaître de cette affaire; il en connaît en première instance, en appel : 11. Quelqu'un peut avoir à se plaindre d'un acte arbitraire de la police; qui recevra sa plainte? Quel ministère connoîtra du délit?
Chateaubriand, Polémique,1818-27, p. 128. 12. Il est interdit aux tribunaux judiciaires de connaître en principe des différends où l'administration est impliquée.
G. Vedel, Manuel élémentaire de dr. constitutionnel,1949, p. 162. − P. ext., lang. littér. Être capable de connaître : 13. ... l'auteur [M. Sixte] de ces trois traités admet que l'esprit est impuissant à connaître des causes et des substances...
P. Bourget, Le Disciple,1889, p. 22. D.− [Souvent avec une forte valeur affective] Savoir en vivant ou pour avoir vécu, éprouvé, ressenti ou senti quelque chose. Connaître la misère, la prison; connaître une vie difficile, un destin tragique; j'ai connu des temps meilleurs (fam.); j'ai connu cela avant vous (fam.) : 14. Il est certain qu'un véritable artiste connaît l'humilité devant les modèles des maîtres ou devant les formes que lui propose la nature.
Barrès, Mes cahiers,t. 10, 1913, p. 169. 15. Tu ne te lèves pas assez tôt. Tu n'auras pas connu ces départs avant l'aube, ni tout ce que le vent matinal verse de martial dans le cœur.
Gide, Journal,1938, p. 1300. − P. anal. [Le suj. désigne une œuvre ou une entreprise humaine] Qqc. connaît des difficultés, un renouveau, un retentissement, un grand succès; une entreprise connaît un grand développement. Depuis 1948, le cinéma soviétique connaît un nouvel et très remarquable essor (G. Sadoul, Hist. d'un art,1949, p. 356).Cette société paysanne traditionnelle a connu son apogée démographique au cours du XIXesiècle (Traité de sociol.,1967, p. 319). − Loc. et expr. ♦ [Avec une idée d'appréciation] Avoir conscience de, p. ext., apprécier à sa vraie valeur. Connaître sa force, ses limites; tu ne connais pas ton bonheur, ta chance. ♦ [Avec une nuance parfois péj.] Avoir de l'expérience. Connaître la vie; je connais bien la vie; tu ne connais rien de la vie. Elle connaissait trop la vie la pauvre Antoinette. Elle avait trop vu le monde, la réalité (Van der Meersch, Invasion 14,1935, p. 201).P. ext. Synon. emphatique de avoir.Je n'ai jamais connu la grippe, le mal de dent. E.− [Le plus souvent à la forme négative] Apprécier et tenir compte de quelque chose dans la pratique. Ne connaître que son devoir, la loi, son plaisir; ne connaître que l'argent; il ne connaît pas la pitié. Il [Poirier] est bon et généreux, mais il a des idées étroites et ne connaît que son droit (E. Augier, Le Gendre de Monsieur Poirier,1854, p. 267).Il [le garde champêtre] s'entêta, en ancien militaire qui ne connaissait que sa consigne (Zola, La Terre,1887, p. 326).Vous êtes un agrégé hellénisant et ne voulez connaître que l'Antiquité (Barrès, Le Voyage de Sparte,1906, p. 56). − Expr. et loc. fam. ♦ [Avec une nuance d'appréciation méliorative] − Il résiste, châtiez-le, je ne connais que cela; je ne connais qu'une chose c'est d'agir franchement (Ac.1835-1932).P. ext., fam. Une bonne pluie pour calmer les esprits, je ne connais que ça; une bonne pipe après le repas je ne connais que ça (ou je ne connais rien de meilleur, de comparable, de semblable). ♦ Péj. Être dominé par une passion, une colère au point de ne plus admettre aucune considération d'aucune sorte. Il ne connaît plus rien; il ne connaît plus de frein, plus de loi; son ambition, sa violence ne connaît plus de bornes. Ma jalousie ne connut plus de bornes (Sartre, Les Mots,1964, p. 73): 16. Abandonné de Dieu qui punit en se retirant, il ne connoît plus de frein. D'autres cyniques étonnèrent la vertu, Voltaire étonne le vice.
J. de Maistre, Les Soirées de Saint-Pétersbourg,t. 1, 1821, p. 276. III.− Connaître qqn. A.− Être informé de et/ou sur l'existence de quelqu'un. Connaître qqn de nom, de vue. Un chantre à barbe noire que je connaissais pour l'avoir quelquefois aperçu dans la rue (Guéhenno, Journal d'une« Révolution », 1937, p. 94).Je connais un esthéticien qui fait des miracles (S. de Beauvoir, Les Mandarins,1954, p. 344): 17. ... beaucoup de malfaiteurs occupent à Paris une sorte de position officielle. La police les connaît, elle a leur nom et leur adresse, elle tient registre de leur corruption; elle les suit pas à pas, pour parvenir à les prendre en flagrant délit.
L. Blanc, Organ. du travail,1845, p. 26. B.− Connaître quelqu'un pour l'avoir rencontré et éventuellement entretenir avec lui des relations d'ordre social (cf. présenter (qqn), rencontrer). « Demain, je vous ferai connoître l'homme le plus intéressant de ce canton, » ... (Crèvecœur, Voyage dans la Haute Pensylvanie,t. 3, 1801, p. 38).Nous l'avons connu comme client avant de le connaître comme ami (Maupassant, Pierre et Jean,1888, p. 344): 18. Elle me dit : « Oh! je sais que vos parents connaissent des gens très bien. Vous êtes ami de Robert Forestier et de Suzanne Delage. »
Proust, Le Côté de Guermantes 2,1921, p. 368. − Lang. de la politesse. Je suis content, enchanté, heureux, ravi de vous connaître. SYNT. et EXPR. Je ne connais personne dans cette maison, ce pays; connaître un ministre; je l'ai connu au collège; je l'ai connu enfant; nous nous connaissons de longue date, depuis l'enfance; je connais du monde (beaucoup de monde, tout le monde) ici; je n'ai pas (encore) l'honneur de vous connaître; ne pas vouloir se faire connaître; d'où le connaissez-vous? Fam. Je ne le connais ni d'Ève ni d'Adam; il est connu comme le loup blanc. P. ell. Untel? Connais pas! Comment! Vous ne connaissez pas Untel? − Spécialement ♦ Lang. culturelle. Ne plus connaître qqn. Synon. décider d'ignorer, de ne plus fréquenter qqn.J'estime qu'il s'est déshonoré, je ne le connais plus (Ac.1932). ♦ Littér., p. euphém., domaine des relations charnelles.[P. réf. à la lang. de la Bible] Connaître une femme, un homme. Avoir avec elle, avec lui des relations sexuelles. Je suis l'immaculée effrénée. Je suis la vestale bacchante. Aucun homme ne m'a connue (Hugo, L'Homme qui rit, t. 3, 1869, p. 96): 19. ... elle [la Mouquette] se livra dans une maladresse et un évanouissement de vierge, comme si c'était la première fois, et qu'elle n'eut jamais connu d'homme.
Zola, Germinal,1885, p. 1353. C.− Connaître et éventuellement apprécier quelqu'un dans sa nature, dans sa personnalité. Celui qui vous connaît et vous apprécie ne veut plus rien des biens de la terre (Lautréamont, Les Chants de Maldoror,1869, p. 191): 20. ... un garçon que j'avais connu si primesautier, si exubérant, si entier dans ses sympathies ou dans ses aversions.
G. Leroux, Le Parfum de la dame en noir,1908, p. 11. SYNT. et EXPR. Je le connais pour ce qu'il est; je le connais incapable de mentir; je connais quel homme il est; je le connais intimement; cet homme (ne) gagne (pas) à être connu. Fam. Il a bien trompé son monde, on ne le connaissait pas ainsi (sous ce jour); vous me connaissez (bien, très) mal! c'est (ce serait) bien (mal) peu me connaître que de penser que je peux (pourrais) faire telle chose; tel que (comme) je te connais, te connaissant comme je te connais, tu vas faire telle chose; je commence à vous connaître! je le connais comme si je l'avais fait; je le connais mieux qu'il ne se connaît. − Connaître qqn dans sa manière d'être; connaître le caractère, les défauts, les goûts, les habitudes de qqn; je connais son point faible : 21. Nous connaissons votre loyalisme. Il vous fera un devoir de ne rien révéler des instructions que vous aurez reçues.
Romains, Les Copains,1913, p. 195. − En partic. 1. [Avec une idée de publicité] Connaître qqn; faire connaître qqn; se faire connaître par qqc., de qqn. Synon. être, faire, se faire apprécier, estimer, p. ext., devenir célèbre, acquérir une réputation; anton. méconnaître.La postérité ne connaît d'un acteur que la réputation que lui ont faite ses contemporains (E. Delacroix, Journal,p. 172).Un petit recueil de morceaux choisis, en vue de me faire connaître des bibliophiles illettrés (Bloy, Journal,1901, p. 59). ♦ Péj. Faire connaître qqn (tel qu'il est). Synon. démasquer.Faire connaître le diffamateur, pièces en mains (J. Morienval, Les Créateurs de la grande presse en France,1934, p. 64). 2. [Avec une idée de connaissance approfondie, parfois péj.] Avoir une grande expérience, connaissance ou habitude de quelqu'un et, p. ext., des relations humaines. Tu ne connais pas les Brésiliens. C'est des crânes qui tiennent à s'empaler par le cœur! (Balzac, La Cousine Bette,1846, p. 378): 22. madame de valrose. − Je connais si bien ce genre de femmes-là. Une personne à la mode, qui leur fait quelques avances, suffit pour leur tourner la tête.
Leclercq, Proverbes dram.,Le Bal, 1835, 1, p. 95. − S'y connaître en... : 23. Le maître d'équipage, s'étant approché, tendit la main à Yves. Jadis il avait été, lui aussi, un gabier dur à la peine; il s'y connaissait en hommes courageux et forts.
Loti, Mon frère Yves,1883, p. 13. ♦ Expr. Un officier connaît ses hommes; je connais les (mes) gens; je connais (bien) le (mon) monde. Fam.! Je connais ce monde-là! je connais l' (mon) homme! que vous connaissez peu les femmes (hommes)! 3. [En relation avec la durée de l'existence humaine] Il n'a jamais connu son père (mort trop tôt). D.− Emploi pronom. réfl. Se connaître. 1. PHILOS. [P. allus. à l'inscription frontale du temple de Delphes dont Socrate avait fait sa devise : Connais-toi toi-même] Socrate. − Se construire, se connaître soi-même, sont-ce deux actes, ou non? (Valéry, Eupalinos,1923, p. 66): 24. ... faut-il avouer que le « connais-toi toi-même » peut devenir une forme du titanisme, quand il n'est pas tempéré par une tenace patience à l'égard de ses propres ténèbres?
Ricœur, Philos. de la volonté,1949, p. 436. − Dans un contexte littér.Se connaître et s'accepter, ce n'est pas renoncer à l'effort, au perfectionnement : bien au contraire! (R. Martin du Gard, Les Thibault, Épilogue, 1940, p. 951). 2. P. ext. Ne plus se connaître (cf. supra II E). Sortir des limites du raisonnable. Il [Spiagudry] est aussi lâche que méchant. Quand la peur le prend, il ne se connaît plus (Hugo, Han d'Islande,1823, p. 167).Elle (Mademoiselle Sergent) ne se connaissait plus : « Tu en feras tant que je te tuerai, » qu'elle disait à Aimée (Colette, Claudine à Paris,1901, p. 169). Rem. On rencontre ds la docum. le verbe trans. con(n)obrer appartenant à la lang. arg. attesté pour la 1refois en 1811 (Le tapis de Montron, chans. arg. ds F. Vidocq, Les Voleurs, p. XLX) puis chez O. Méténier : La fille : j'ai pas connobré un miché de l'an passé (La Lutte pour l'amour, 1891, p. 282). L. Daudet emploie la var. cognobrer : je le cognobre pas, ce Mézut, avec son gourbi de peinture. C'est-il un rupin ou un fauché? (Ariane, 1936, p. 21). Ce verbe est prob. issu en arg., du croisement de connaître (lat. cognoscere) avec l'esp. columbrar « voir de loin, entrevoir » (Cor.); cf. var. arg. colomber (1829 ds Esn.). Prononc. et Orth. : [kɔnε:tʀ
̥], (je) connais [kɔnε]. -Ai-est la graph. proposée en 1675 par Berain, défendue par Voltaire mais adoptée seulement en 1835 par l'Ac. pour figurer la prononc. en [ε] ouvert de l'anc. diphtongue -oi- [ɔi], [ɔ
ε] devenue [wε] qui se réduit à [ε] dans certaines classes de mots (alors que dans d'autres elle se transforme en [wa] cf. aboyer). Dès 1300 dans le peuple de Paris et régulièrement à partir du xvies. (cf. Bourc.-Bourc. 1967, § 54). L'a. fr. connoistre est enregistré ds Ac. 1694 et 1718; connoître avec disparition de s implosif et apparition de l'accent circonflexe ds Ac. 1740-1798; la forme mod. connaître à partir de Ac. 1835 jusqu'à 1932. Les dér. du verbe s'écrivent de même par -oi- de 1694-1798 : connoissable, connoissance, connoissement, connoisseur et par -ai- à partir de 1835. Ds la docum. on rencontre de nombreuses formes en -oi- au début du xixes. notamment chez les écrivains aristocrates et volontiers archaïsants tels que Chateaubriand (cf. p. ex. ds Génie du christianisme, t. 1, 1803, p. 2); mais on relève aussi chez cet aut. des formes en -ai- cf. ds René, 1802, p. 24 : je connaissois où -ai- s'explique par dissimilation avec la finale). Pour des formes en -oi- cf. encore J. de Maistre, Les Soirées de Saint-Pétersbourg, t. 1, 1821, p. 518 et Balzac, Annette et le criminel, t. 3, 1824, p. 240. La prononc. [ε] a été traduite aussi par la graph. e comme le démontrent les vedettes connestre, connessance enregistrées à titre hist. ds Ac. Compl. 1842 et ds Lar. 19e. Noter la graph. étymol. (sur le lat. class.) cognoistre ds Ac. 1694 (en tant que vedette de renvoi à connoistre) et avec ses dér. : cognoissance, cognoissant, cognoissement ds Ac. Compl. 1842 qui note également le part. passé cognu et Lar. 19e(à titre hist.). Étymol. et Hist. A. « Savoir que quelqu'un, quelque chose existe, avoir une idée de quelqu'un, quelque chose » 1. ca 1050 conoistre en parlant d'une personne qu'on a pu voir, fréquenter (Vie de Saint Alexis, éd. C. Storey, 360); 2. ca 1170 spéc. connaître une femme (Rois 3el., éd. E. R. Curtius, p. 110); 3. a) 1160-74 « avoir acquis des connaissances dans un domaine » (Wace, Rou, éd. H. Andresen, II, 1119); b) ca 1230 se connaître (d'une personne) (Merlin, fo71 rods Littré); c) 1268 se connaître à ou en qqc. (E. Boileau, Livre des Métiers, éd. R. de Lespinasse et F. Bonnardot, titre LXXV, 10, p. 158); d) 1549 dr. connaître de (Est.); 4. a) ca 1175 « éprouver, ressentir » (Chr. de Troyes, Chevalier au Lion, éd. M. Roques, 457); b) fin du xviies. « avoir, être soumis à » (Bossuet, Pensées, 33 ds Littré). B. « Reconnaître » 1. ca 1050 « reconnaître (quelqu'un ou quelque chose que l'on connaît déjà) » (Vie de Saint-Alexis, éd. C. Storey, 115); 2. a) ca 1100 « reconnaître à quelqu'un une certaine supériorité » (Roland, éd. J. Bédier, 3901); b) 1835 ne connaître que (Ac.); 3. fin du xiies. connaître qqc. de qqc. « distinguer quelque chose d'avec quelque chose » (Flore et Blancheflor, 496 ds T.-L.). Du lat. class. cognoscere « apprendre à connaître, connaître; reconnaître; connaître d'une affaire » et « avoir commerce charnel avec ». Fréq. abs. littér. : 37 999. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 51 273, b) 45 868; xxes. : a) 55 632, b) 59 820. Bbg. Cohen 1946, p. 34. − Gottsch. Redens. 1930, passim. − Goug. Mots. t. 1. 1962, p. 284. − Lerat (P.). Le Champ ling. des verbes savoir et connaître. Cah. Lexicol. 1972, no20, pp. 53-63. − Melander (J.). Le Tour fr. « Cet homme, je le connais » St. neophilol. 1943/44, t. 16, pp. 195-200. − Ménage. Connaître; − connaître de... Fr. mod. 1939, t. 7, pp. 257-258. − Rat (M.). Il n'y a pas de synon. Connaître et savoir. Vie Lang. 1966, pp. 103-107. − Sain. Lang. par. 1920, p. 142. − Straka (G.). En relisant Menaud, maître-draveur. In : [Mél. Imbs (P.)]. Trav. Ling. Litt. Strasbourg. 1973, t. 11, no1, p. 283. |